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24/01/2017 | FRANCE | N°15DA00095

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 24 janvier 2017, 15DA00095


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J...K...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier intercommunal Eure Seine à lui verser une somme de 207 352,10 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels au titre des mois de mai et juin 2009, de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence sur la retraite et de l'incidence professionnelle résultant de la faute médicale dont elle a été victime à la suite de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 20 mars 2006.

Par un jugeme

nt n° 1200671 du 27 novembre 2014, le tribunal administratif de Rouen a rej...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J...K...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le centre hospitalier intercommunal Eure Seine à lui verser une somme de 207 352,10 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels au titre des mois de mai et juin 2009, de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence sur la retraite et de l'incidence professionnelle résultant de la faute médicale dont elle a été victime à la suite de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 20 mars 2006.

Par un jugement n° 1200671 du 27 novembre 2014, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 janvier 2015, MmeK..., représentée par Me L... G..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 27 novembre 2014 ;

2°) de condamner le centre hospitalier intercommunal Eure Seine à lui verser une somme de 203 987,01 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels au titre des mois de mai et juin 2009, de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence sur la retraite et de l'incidence professionnelle résultant de la faute médicale dont elle a été victime à la suite de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 20 mars 2006 ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal Eure Seine la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses séquelles résultent de la seule faute du centre hospitalier intercommunal Eure Seine lors de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie, n'ayant jamais été atteinte d'aucune infirmité auparavant ;

- elle a droit au versement d'une somme de 1 269,56 euros au titre de la perte de gains subie pour les mois de mai et juin 2009 ;

- la perte des gains professionnels futurs s'élève à la somme de 108 142,02 euros ;

- l'incidence sur la retraite peut être évaluée à la somme de 64 575,33 euros ;

- elle a droit au versement d'une indemnité de 30 000 euros au titre de l'incidence professionnelle résultant de cette faute.

Par un mémoire, enregistré le 7 avril 2015, la caisse des dépôts et consignations, représentée par Me F...A..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 27 novembre 2014 ;

2°) de condamner solidairement le centre hospitalier intercommunal Eure Seine et la compagnie Axa France Iard, son assureur, à lui verser une somme de 73 819,95 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier intercommunal Eure Seine et de la compagnie Axa France Iard une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- subrogée dans les droits de la victime, en application de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959, elle verse depuis le 9 octobre 2009 une pension d'invalidité à Mme K..., directement en lien avec les séquelles de l'intervention chirurgicale subie par l'intéressée le 20 mars 2006 en l'absence de possibilité de reclassement professionnel ;

- Mme K...a fait une juste évaluation de la perte de gains professionnels actuels au titre des mois de mai et juin 2009, de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence sur la retraite et de l'incidence professionnelle résultant de la faute commise par le centre hospitalier en demandant le versement d'une somme de 207 352,10 euros ; ces préjudices ont été exclus du protocole transactionnel conclu avec le centre hospitalier intercommunal Eure Seine ;

- elle a droit au remboursement des sommes versées au titre de la pension anticipée pour un montant total de 64 369,70 euros, de la majoration pour enfants d'un montant total de 9 450,25 euros, soit un capital représentatif au 1er avril 2012 s'élevant à la somme de 73 819,95 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 et 24 avril 2015, le centre hospitalier intercommunal Eure Seine et la compagnie Axa France Iard, représentés par Me M...H..., concluent au rejet de la requête et au rejet des conclusions de la caisse des dépôts et consignations.

Ils soutiennent que :

- le lien de causalité n'est pas établi entre la faute médicale et la mise à la retraite anticipée de Mme K...car elle n'est pas inapte à tout emploi et ne peut demander une indemnisation au titre de la perte de gains professionnels ;

- seule sa reconversion professionnelle nécessitée par la limitation de la mobilité du bras gauche, serait imputable au centre hospitalier ;

- l'incidence sur la retraite n'est pas établie ;

- l'imputabilité de la mise à la retraite pour invalidité de Mme K...à la faute commise par le centre hospitalier n'est pas établie.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 30 octobre 2015, Mme K...conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,

- les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public,

- et les observations de Me B...D..., substituant Me F...A..., représentant la Caisse des dépôts et consignations.

1. Considérant que MmeK..., alors âgée de quarante-six ans, a été admise le 20 mars 2006 au centre hospitalier intercommunal Eure Seine pour y subir une intervention chirurgicale ayant pour objet l'ablation d'une tumeur bénigne située au-dessus de la clavicule du bras gauche ; qu'à la suite de cette intervention, elle a été atteinte d'un déficit moteur au niveau des vertèbres cervicales C 5 et C 6 et d'une paralysie du membre supérieur gauche résultant de la section du nerf porteur de la tumeur ; que Mme K...a recherché la responsabilité du centre hospitalier à raison d'une faute commise dans sa prise en charge médicale ; qu'après deux expertises ayant retenu la responsabilité du centre hospitalier, un accord transactionnel a été conclu le 19 novembre 2008 entre le centre hospitalier intercommunal Eure Seine et l'intéressée ; que Mme K... a ainsi été indemnisée des dommages matériels, corporels et moraux résultant de la lésion nerveuse dont elle a été atteinte à l'exclusion de ceux relatifs à la perte de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle ; que la requérante relève appel du jugement du 27 novembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier intercommunal Eure Seine à lui verser une somme de 207 352,10 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels au titre des mois de mai et juin 2009, de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence sur la retraite et de l'incidence professionnelle exclus de cet accord transactionnel ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier intercommunal Eure Seine :

2. Considérant qu'il n'est pas contesté que la paralysie du membre supérieur gauche dont a fait l'objet Mme K...à la suite de l'ablation d'une tumeur bénigne au-dessus de la clavicule du plexus brachial qu'elle a subie lors de son hospitalisation au centre hospitalier intercommunal Eure Seine le 20 mars 2006 résulte de la section du nerf sur lequel s'est développée la tumeur ; que ce défaut dans la prise en charge médicale de l'intéressée constitue une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier intercommunal Eure Seine ;

Sur les conclusions indemnitaires de MmeK... :

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

Quant aux pertes de gains professionnels :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 341-1 du code de la sécurité sociale : " L'assuré a droit à une pension d'invalidité lorsqu'il présente une invalidité réduisant dans des proportions déterminées, sa capacité de travail ou de gain, c'est-à-dire le mettant hors d'état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur à une fraction de la rémunération normale perçue dans la même région par des travailleurs de la même catégorie, dans la profession qu'il exerçait avant la date de l'interruption de travail suivie d'invalidité ou la date de la constatation médicale de l'invalidité si celle-ci résulte de l'usure prématurée de l'organisme " ; qu'eu égard à la finalité de réparation d'une incapacité permanente de travail qui lui est assignée par ces dispositions législatives et à son mode de calcul, en fonction du salaire, fixé par l'article R. 341-4 du code de la sécurité sociale, la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire la perte de revenus professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité ;

4. Considérant, en premier lieu, que Mme K...conteste le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à être indemnisée des pertes de revenus actuels qu'elle a subies ; qu'il résulte de l'instruction que l'intéressée, dont l'état de santé a été consolidé au 3 août 2007, a été placée en congé de longue maladie du 1er mars 2006 au 31 janvier 2009, congé pendant lequel elle a d'abord perçu son plein traitement pendant un an puis un demi-traitement ; qu'à compter du 9 octobre 2009, elle a été placée en retraite pour invalidité après un avis favorable émis par la commission de réforme le 8 octobre 2009 ; que la requérante fait valoir qu'elle a subi une perte de revenus au titre des mois de mai et juin 2009, résultant de ses arrêts de maladie, qui a pour cause la faute commise par le centre hospitalier intercommunal Eure Seine ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que le département de l'Eure au sein duquel Mme K...détenait le grade d'adjoint technique de 2ème classe en qualité de titulaire, atteste le 27 mai 2009 qu'il n'a pu trouver pour l'intéressée un poste adapté ou un emploi de reclassement lui permettant de continuer son activité dans des conditions compatibles avec son état de santé alors que celui-ci permettait une reprise de l'activité professionnelle ; qu'il résulte ainsi de ces éléments que le maintien en arrêt de maladie de Mme K...pendant les mois de mai et juin 2009 résulte exclusivement de cette impossibilité de procéder au reclassement de l'intéressée et ne présente ainsi pas un lien de causalité direct et certain avec la faute médicale qui a été commise ; que par suite, Mme K...ne peut prétendre à une indemnisation de sa perte de gains professionnels au titre des mois de mai et juin 2009, période postérieure à l'accord transactionnel, qui n'est pas directement imputable à la faute commise par le centre hospitalier ;

5. Considérant, en second lieu, que Mme K...demande l'indemnisation de sa perte de gains professionnels futurs à compter du 1er avril 2010, date à laquelle elle a perçu une pension d'invalidité, jusqu'en novembre 2020, date de ses 60 ans, pour une somme de 108 142,02 euros et de l'incidence sur sa retraite pour une somme de 64 575,33 euros ; qu'il résulte de l'instruction, en particulier des différents rapports d'expertise produits, que la requérante présente une gêne fonctionnelle parétique modérée liée à l'atteinte physique et psychique liée à la paralysie du membre supérieur gauche, que la flexion de l'avant-bras est possible et que la préhension et la sensibilité ont été conservées malgré une diminution de la force musculaire ; que le déficit fonctionnel permanent a ainsi été évalué entre 15 et 20 % ; qu'il résulte également de l'instruction que Mme K...est droitière et que si son incapacité fonctionnelle ne permettait plus l'exercice de ses fonctions d'ouvrier d'entretien, celle-ci ne la rendait toutefois pas inapte à l'exercice de toute activité professionnelle, des fonctions d'accueil dans des écoles ayant d'ailleurs été préconisées ; que par suite, l'arrêt de toute activité par MmeK..., qui résulte d'un défaut de proposition de reclassement de son employeur, n'est pas directement imputable aux conséquences dommageables de la faute médicale commise par le centre hospitalier intercommunal Eure Seine ; que, pour les mêmes motifs, la perte de gains professionnels futurs alléguée depuis le 9 octobre 2009, n'est pas davantage la conséquence directe des séquelles imputables à l'intervention du 20 mars 2006 ; que par suite, la demande de la Caisse des dépôts et consignations, agissant pour le compte de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et ainsi tiers payeur subrogé dans les droits de la victime du dommage, tendant à ce que le centre hospitalier intercommunal Eure Seine soit condamné à lui rembourser les arrérages de pension d'invalidité qu'elle a versés à MmeK..., à partir du 9 octobre 2009 doit également être rejetée ;

Quant à l'incidence professionnelle :

6. Considérant que les séquelles subies par la requérante lui ont fait perdre une chance de retrouver un emploi adapté du fait de l'incapacité permanente partielle de 20 % dont elle est atteinte ; que par suite, il sera fait une juste évaluation de celle-ci en fixant à 10 000 euros le montant du préjudice lié à l'incidence professionnelle de la faute commise par le centre hospitalier intercommunal Eure Seine ; que si la Caisse des dépôts et consignations a versé à Mme K...à compter du 9 octobre 2009 une pension d'invalidité dont les arrérages s'élèvent à 64 369,70 euros, une somme pour majoration d'enfants d'un montant de 9 450,25 euros, soit un capital représentatif de la pension s'élevant à 73 819,95 euros au 1er avril 2012, il résulte toutefois de l'instruction que la pension d'invalidité servie à cette dernière doit être regardée comme compensant la perte de ses revenus à l'exclusion de toute autre incidence professionnelle ; qu'il suit de là que la Caisse des dépôts et consignations n'est pas davantage fondée à demander à ce que le centre hospitalier intercommunal Eure Seine soit condamné à lui rembourser les arrérages de pension d'invalidité qu'elle a versés à Mme K...au titre de l'incidence professionnelle ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge du centre hospitalier intercommunal Eure Seine une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme K... ; que ce même article fait obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier la somme demandée par la Caisse des dépôts et consignations ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le centre hospitalier intercommunal Eure Seine versera à Mme K...la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi au titre de l'incidence professionnelle.

Article 2 : Le centre hospitalier intercommunal Eure Seine versera à Mme K...une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le jugement n° 1200671 du 27 novembre 2014 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par la caisse des dépôts et consignations sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J...K..., au centre hospitalier intercommunal Eure Seine, à la compagnie Axa France Iard et à la Caisse des dépôts et consignations.

Copie sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure.

Délibéré après l'audience publique du 10 janvier 2017 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Muriel Milard, première conseillère,

- Mme I...C..., première conseillère.

Lu en audience publique le 24 janvier 2017.

Le rapporteur,

Signé : M. E...Le président-assesseur,

Signé : M. N...

Le greffier,

Signé : M.T. LEVEQUE

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Marie-Thérèse Lévèque

N°15DA00095 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA00095
Date de la décision : 24/01/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-04-01-03-01 Responsabilité de la puissance publique. Réparation. Préjudice. Caractère direct du préjudice. Absence.


Composition du Tribunal
Président : M. Lavail Dellaporta
Rapporteur ?: Mme Muriel Milard
Rapporteur public ?: M. Guyau
Avocat(s) : SCP DE BEZENAC ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/02/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2017-01-24;15da00095 ?
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