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20/11/2018 | FRANCE | N°16DA01606

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre - formation à 3, 20 novembre 2018, 16DA01606


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, la société de manutention et d'entreposage de grains (SMEG) a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, de condamner l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) à lui verser la somme de 2 969 269,20 euros, augmentée des intérêts moratoires, au titre des loyers prévus par le marché d'entreposage de farines animales sur le site de Rogerville, signé le 24 janvier 2006 et modifié par un avenant notifié le 24 avril 2008, et,

d'autre part, de condamner FranceAgriMer à lui verser la somme de 1 654 11...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, la société de manutention et d'entreposage de grains (SMEG) a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, de condamner l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) à lui verser la somme de 2 969 269,20 euros, augmentée des intérêts moratoires, au titre des loyers prévus par le marché d'entreposage de farines animales sur le site de Rogerville, signé le 24 janvier 2006 et modifié par un avenant notifié le 24 avril 2008, et, d'autre part, de condamner FranceAgriMer à lui verser la somme de 1 654 116,30 euros, actualisée en application des clauses de l'avenant n° 2 au marché conclu entre cet établissement public et la société Carrard, pour la désinfection du site et augmentée des intérêts au taux légal, en contrepartie de l'inexécution par FranceAgriMer de ses obligations contractuelles.

Par un jugement n° 1404527-1503290 du 5 juillet 2016, le tribunal administratif de Rouen, après les avoir jointes, a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2016, la SMEG, représentée par Me F... C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de faire droit à ses demandes de première instance ;

3°) de mettre à la charge de FranceAgriMer une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code du domaine de l'Etat ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,

- et les observations de Me E...A..., substituant Me F...C..., représentant la SMEG, et de Me D...B..., représentant FranceAgriMer.

Une note en délibéré présentée par la SMEG a été enregistrée le 7 novembre 2018.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), l'Etat a confié à la société de manutention et d'entreposage de grains (SMEG), au cours des années 2001 et 2002, plusieurs marchés par lesquels la société s'engageait à entreposer des farines animales, dans l'attente de leur élimination, sur le site qu'elle exploitait à Rogerville dans l'enceinte du Port autonome du Havre. Ces marchés ont été remplacés par un marché global, signé le 24 janvier 2006, comportant une phase d'entreposage et une phase de nettoyage et de désinfection du site. Par un courrier du 26 juin 2006, la direction départementale de services vétérinaires de la Seine-Maritime a informé la SMEG de ce que les farines animales entreposées, initialement considérées comme à " faible risque " et classées dans la " catégorie 3 " du règlement (CE) n° 1774/2002 du 3 octobre 2002 établissant des règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux non destinés à la consommation humaine, comportaient des éléments désormais qualifiés de " matériels à risque spécifiés " relevant de la " catégorie 1 " du règlement, et lui a notifié l'arrêté du même jour modifiant en conséquence l'agrément qui lui avait été délivré sur le fondement de ce règlement. Le 24 avril 2008, l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions, dit " Office de l'élevage ", substitué à l'Etat en vertu du décret n° 2006-878 du 13 juillet 2006, a notifié à la SMEG un avenant ayant pour objet de " préciser les conditions pratiques et les délais d'exécution des prestations de manutention et de chargement des farines animales " et de " supprimer la prestation de nettoyage et de désinfection du site ", confiée à une entreprise tierce. Le 5 octobre 2010, la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de Seine-Maritime a émis l'attestation certifiant la bonne fin des opérations de nettoyage et de désinfection prévue à l'article 6-2 de l'avenant. Estimant que ces prestations n'avaient pas été réalisées selon le protocole défini par l'Agence français de sécurité sanitaires (AFSSA) dans un avis du 1er mars 2006, la SMEG a facturé à FranceAgriMer, lui-même substitué à l'Office de l'élevage en vertu de l'ordonnance 2009-325 du 25 mars 2009, des loyers d'un montant total de 2 969 269,20 euros au titre de la période du 8 octobre 2010 au 31 janvier 2011. Elle a, en outre, demandé à FranceAgriMer de lui verser la somme de 1 654 116,30 euros correspondant au montant du marché de nettoyage et de désinfection, actualisée en fonction des stipulations de ce marché. Elle relève appel du jugement du 5 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de FranceAgriMer à lui verser ces deux sommes.

Sur les conclusions de FranceAgriMer à fin de non-lieu :

2. Malgré le désaccord qui oppose les parties au marché sur la date de fin des relations contractuelles, les conclusions de la SMEG tendant au paiement de la somme de 2 969 269,20 euros n'avaient pas pour objet la poursuite des relations contractuelles après leur interruption par une décision unilatérale de l'administration contractante, mais le versement de sommes qu'elle estime lui être dues par FranceAgriMer en contrepartie des prestations qu'elle lui a fournies en exécution du marché du 24 janvier 2006 modifié par l'avenant du 24 avril 2008. Par suite, les conclusions présentées par FranceAgriMer en première instance et reprises en appel, tendant à ce que le tribunal constate qu'il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande au motif que le marché était parvenu à son terme et avait été pleinement exécuté, doivent être rejetées.

Sur les demandes de la SMEG :

3. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

4. En particulier, un contrat peut être déclaré nul ou écarté lorsqu'il est dépourvu de cause ou qu'il est fondé sur une cause qui, en raison de l'objet de ce contrat ou du but poursuivi par les parties, présente un caractère illicite.

5. Aux termes de l'article L. 28 du code du domaine de l'Etat, encore en vigueur à la date de conclusion du marché du 24 janvier 2006 : " Nul ne peut, sans autorisation délivrée par l'autorité compétente, occuper une dépendance du domaine public national ou l'utiliser dans des limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous (...) ". Ces dispositions ont été codifiées, à compter du 1er juillet 2006, à l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques, qui dispose : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. (...) ".

6. Il résulte de l'instruction que le marché du 24 janvier 2006 et son avenant notifié le 24 avril 2008 avaient pour objet l'entreposage et la manutention de farines animales dans un silo horizontal construit et exploité par la SMEG sur le domaine portuaire du port autonome du Havre. La SMEG avait été autorisée à occuper cette dépendance en vertu d'une autorisation d'outillage privé accordée par une convention du 9 avril 1987. Toutefois, selon les éléments relevés par la cour dans un arrêt du 12 décembre 2016, non contestés par la SMEG, le directeur général du port autonome du Havre avait mis fin à cette autorisation, par une décision du 18 avril 2002, au motif que l'utilisation de l'entrepôt, à partir du mois d'octobre 2000, pour stocker des farines animales au lieu des céréales prévues dans la convention, constituait une faute contractuelle. Eu égard aux exigences qui découlent tant de l'affectation normale du domaine public que des impératifs de protection et de bonne gestion de ce domaine, la circonstance que le port autonome du Havre a ultérieurement continué à réclamer à la SMEG une redevance domaniale, réévaluée pour tenir compte de ce changement d'affectation, ne saurait révéler l'existence entre eux de nouvelles relations contractuelles autorisant l'occupation privative par la société de la dépendance du domaine portuaire, lesquelles ne peuvent revêtir un caractère tacite. Ni la transaction conclue le 15 février 2012 entre la SMEG et le grand port maritime du Havre (GPMH), substitué au port autonome du Havre en vertu du décret n° 2008-1037 du 9 octobre 2008, ni la nouvelle autorisation d'occupation du domaine portuaire, donnée par une convention du 1er septembre 2012 à un groupement d'intérêt économique dont la SMEG est membre, n'ont eu pour effet de régulariser rétroactivement cette situation. L'Etat, cocontractant initial de la SMEG, avait nécessairement connaissance de cette situation, en raison des relations étroites entretenues avec le port autonome du Havre, ainsi qu'il se déduit des termes d'un courrier adressé le 28 mars 2002 par le préfet de région de la Haute-Normandie au directeur général du GPMH. Toutefois, si un vice du consentement entachant la passation du marché du 24 janvier 2006 ne peut dans ces conditions être retenu, la cause du marché, dont l'objet était l'entreposage de farines animales dans un silo dont la SMEG poursuivait l'exploitation sur une dépendance du domaine portuaire occupée sans titre, a revêtu un caractère illicite au regard des dispositions, citées au point précédent, du code du domaine de l'Etat et du code général de la propriété des personnes publiques. En dépit même du principe de loyauté contractuelle, une telle irrégularité fait obstacle à l'application par le juge, des stipulations contractuelles. Ainsi, ce marché et l'avenant du 24 avril 2008 qui en redéfinissait les modalités doivent être écartés.

7. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent, que le litige ne peut être réglé sur le terrain contractuel. Bien qu'informée, par la communication des mémoires en défense produits par FranceAgriMer en première instance, du moyen tiré du défaut de validité du contrat, la SMEG n'a invoqué aucun moyen tiré de l'enrichissement sans cause de cet établissement public ou de sa responsabilité quasi-délictuelle.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de défense opposés par FranceAgriMer, que la SMEG n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Ces dispositions font obstacle à ce que les frais exposés par la SMEG et non compris dans les dépens soient mis à la charge de FranceAgriMer, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par FranceAgriMer sur le même fondement.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société de manutention et d'entreposage de grains est rejetée.

Article 2 : Les conclusions à fin de non-lieu et celles présentes par FranceAgriMer au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société de manutention et d'entreposage de grains et à l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer).

5

N°16DA01606


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA01606
Date de la décision : 20/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-04-01 Marchés et contrats administratifs. Fin des contrats. Nullité.


Composition du Tribunal
Président : M. Sorin
Rapporteur ?: Mme Dominique Bureau
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : CABINET CHETRIT DPE

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-11-20;16da01606 ?
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