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29/11/2018 | FRANCE | N°16DA02262

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3, 29 novembre 2018, 16DA02262


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hydra LS a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'office public d'habitat Partenord Habitat à lui verser la somme de 126 700 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière des procédures de passation de deux marchés publics.

Par un jugement n° 1400724 du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2016, la société Hydr

a LS, représentée par Me D... A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hydra LS a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'office public d'habitat Partenord Habitat à lui verser la somme de 126 700 euros en réparation du préjudice résultant de son éviction irrégulière des procédures de passation de deux marchés publics.

Par un jugement n° 1400724 du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2016, la société Hydra LS, représentée par Me D... A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner Partenord Habitat à lui verser la somme de 126 700 euros ou, à titre subsidiaire, la somme de 5 000 euros, en réparation du préjudice subi ;

3°) de mettre à la charge de Partenord Habitat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Charles-Edouard Minet, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur public,

- et les observations de Me B...C..., représentant Partenord Habitat.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux avis d'appel public à la concurrence publiés en septembre et novembre 2005, l'office public de l'habitat Partenord Habitat a lancé des procédures de passation pour, d'une part, un marché annuel de travaux d'entretien, de réparation et d'amélioration de son patrimoine immobilier et, d'autre part, un marché à bons de commande relatif à l'entretien et au dépannage des surpresseurs et disconnecteurs de ses immeubles. La société Hydra LS s'est portée candidate à l'attribution du lot 46 du premier de ces marchés, relatif à des travaux de mise en place d'un surpresseur d'alimentation en eau potable pour six bâtiments à Dunkerque, ainsi que du second marché. Partenord Habitat a toutefois écarté ses candidatures dans les deux procédures en se fondant sur des manquements de l'appelante à ses obligations à l'occasion de l'exécution de précédents contrats. Par un jugement du 16 juillet 2008, le tribunal administratif de Lille a annulé ces deux décisions à la demande de la société Hydra LS. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour du 23 juin 2010, devenu définitif. Par une lettre du 28 août 2013, la société Hydra LS a demandé à Partenord Habitat de lui verser la somme totale de 126 700 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction de ces deux marchés. Le silence gardé par Partenord Habitat sur cette demande a donné naissance à une décision implicite de rejet. La société Hydra LS a alors saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande tendant à la condamnation de Partenord Habitat à lui verser la somme en cause. Par la présente requête, cette société relève appel du jugement du 4 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Sur la prescription :

2. La prescription prévue par le I de l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, aux termes duquel : " Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants ou non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes ", n'est pas applicable aux obligations nées à l'occasion de marchés publics. Partenord Habitat n'est dès lors pas fondé à soutenir que la créance invoquée par la société Hydra LS était prescrite, à la date de sa demande, en application de ces dispositions.

3. Par suite, la société Hydra LS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille s'est fondé sur une telle prescription pour rejeter sa demande. Toutefois, il y a lieu pour la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner le bien-fondé de la demande présentée par la société Hydra LS.

Sur le bien-fondé de la demande indemnitaire de la société Hydra LS :

4. Ainsi qu'il a été dit au point 1, les décisions par lesquelles Partenord Habitat a écarté les candidatures de la société Hydra LS dans les deux procédures en cause ont été annulées par la juridiction administrative au motif que l'absence de justification, par l'appelante, de ses capacités techniques et financières ne pouvait se déduire des seuls manquements dont elle se serait rendue responsable dans l'exécution d'un précédent contrat, sans rechercher si d'autres éléments de son dossier de candidature lui permettaient de justifier de telles garanties. Ces deux décisions d'éviction illégales constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de Partenord Habitat.

5. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l'indemnisation. Lorsque l'irrégularité ayant affecté la procédure de passation n'a pas été la cause directe de l'éviction du candidat, il n'y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction. Sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu'être rejetée.

6. L'illégalité des deux décisions par lesquelles Partenord Habitat a écarté les candidatures de la société Hydra LS, qui ont été annulées par la juridiction administrative ainsi qu'il a été dit au point 4, ont privé cette société de la possibilité de voir ses offres étudiées dans le cadre des deux procédures en cause. Il existe donc un lien direct entre les fautes commises par cet établissement et les préjudices dont la société Hydra LS demande réparation du fait de cette éviction irrégulière.

7. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Dans le cas où l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché, elle a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle a subi.

8. Il résulte du règlement de la consultation des deux marchés en cause que deux critères de sélection des offres étaient prévus, portant sur la valeur technique de l'offre et sur le prix. En ce qui concerne le lot 46 du marché annuel de travaux d'entretien, de réparation et d'amélioration du patrimoine immobilier de l'office, le critère de la valeur technique était prioritaire sur le prix. En ce qui concerne le marché à bons de commande d'entretien des surpresseurs et disconnecteurs, le critère de la valeur technique était affecté d'un coefficient de pondération de 2 et le critère du prix d'un coefficient de pondération de 3.

9. D'une part, il résulte de l'instruction et n'est pas contesté par Partenord Habitat que dans chacune des deux procédures en cause, la société Hydra LS avait proposé un prix nettement inférieur à celui de l'offre retenue. D'autre part, s'agissant de la valeur technique de ses offres, l'appelante avait justifié, dans son dossier de candidatures, de nombreuses références. Il est d'ailleurs constant qu'elle avait, à plusieurs reprises, été attributaire de marchés similaires pour le compte de Partenord Habitat. Cet établissement n'invoque plus l'existence de manquements de la part de la société Hydra LS dans l'exécution de ces précédents contrats. Par ailleurs, il ne formule aucune critique relative à la valeur technique des deux offres présentées par la société Hydra LS et n'allègue pas qu'elle aurait été inférieure à celles de ses concurrentes, et notamment à celles des entreprises retenues à l'issue de chacune des deux procédures en cause. Dès lors, compte tenu de l'infériorité du prix proposé par la société Hydra LS, et en l'absence de toute critique de la valeur technique de ses offres, alors qu'elle avait déjà été attributaire de plusieurs marchés similaires, l'appelante doit être regardée comme ayant été privée, en l'espèce, d'une chance sérieuse d'emporter les deux marchés en cause.

10. Dans ces conditions, la société Hydra LS a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, incluant nécessairement, en l'absence de stipulation contraire du contrat, les frais de présentation de l'offre intégrés dans ses charges, mais excluant le remboursement des frais généraux de l'entreprise qui seraient affectés à ce marché. Ce manque à gagner doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu.

11. Il y a lieu, en l'espèce, de considérer que l'éviction de la société Hydra LS des deux marchés en cause l'a privée d'un chiffre d'affaires équivalent au prix proposé dans ses deux offres, soit 81 900 euros en ce qui concerne le lot 46 du marché annuel d'entretien, de réparation et d'amélioration du patrimoine immobilier de l'office et 20 000 euros en ce qui concerne le montant minimum du marché à bons de commande d'entretien des surpresseurs et disconnecteurs, soit 101 900 euros au total. La société Hydra LS n'apporte pas d'éléments de justification du taux de marge de 73,80 % dont elle se prévaut. Il résulte de l'examen de ses bilans comptables pour les années 2005 et 2006 que son taux de marge nette s'établit en moyenne à 31 %. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du manque à gagner subi par la société Hydra LS, incluant, ainsi qu'il a été dit au point 10, les frais de présentation des offres intégrés dans ses charges, en l'évaluant à 31 589 euros.

12. Si la société Hydra LS soutient que l'illégalité de son éviction des marchés en cause a été, en outre, à l'origine d'un préjudice commercial qu'elle évalue à 20 000 euros, elle n'assortit ses allégations d'aucune précision ni d'aucun élément de preuve. Cette partie de sa demande ne saurait dès lors être accueillie.

13. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 à 12 que la société Hydra LS est fondée à demander la condamnation de Partenord Habitat à lui verser la somme de 31 589 euros en réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière des deux marchés en cause.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Hydra LS est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande dans cette mesure.

Sur les frais liés au litige :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Partenord Habitat le versement à la société Hydra LS de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 4 octobre 2016 est annulé.

Article 2 : Partenord Habitat est condamné à verser à la société Hydra LS la somme de 31 589 euros en réparation du préjudice subi.

Article 3 : Partenord Habitat versera à la société Hydra LS la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Hydra LS est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hydra LS et à Partenord Habitat.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA02262
Date de la décision : 29/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés.


Composition du Tribunal
Président : M. Richard
Rapporteur ?: M. Charles-Edouard Minet
Rapporteur public ?: Mme Fort-Besnard
Avocat(s) : BADE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-11-29;16da02262 ?
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