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25/02/2020 | FRANCE | N°17DA01477

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 25 février 2020, 17DA01477


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... G... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Beauvais à lui verser :

- en sa qualité de représentant légal de son fils mineur A..., une indemnité liquidée provisoirement à la somme de 72 112,50 euros visant à réparer les préjudices causés par le retard mis par le centre hospitalier à diagnostiquer l'infection à staphylocoque aureus dont il a été atteint ;

- la somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices propres.

La

caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise a demandé au tribunal administratif d'Amiens de cond...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... G... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Beauvais à lui verser :

- en sa qualité de représentant légal de son fils mineur A..., une indemnité liquidée provisoirement à la somme de 72 112,50 euros visant à réparer les préjudices causés par le retard mis par le centre hospitalier à diagnostiquer l'infection à staphylocoque aureus dont il a été atteint ;

- la somme de 20 000 euros en réparation de ses préjudices propres.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Beauvais à lui rembourser, au titre des prestations versées, la somme de 137 412,51 euros majorée des intérêts de droit à compter du jugement, et la somme de 1 037 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par un jugement n° 1501598 du 1er juin 2017, le tribunal administratif d'Amiens a condamné cet établissement à verser la somme de 9 000 euros à M. A... G..., la somme de 300 euros à M. F... G... et la somme de 41 223,75 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 juillet 2017 et le 16 octobre 2018, le centre hospitalier de Beauvais, représenté par Me D... C..., demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement et de rejeter la demande de M. F... G... ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter la demande provisionnelle de 50 000 euros, de retenir un taux de perte de chance de 10 % et de ramener l'indemnisation accordée à l'enfant A... G... à la somme de 4 078 euros et de fixer l'indemnisation du préjudice moral du père de l'enfant à la somme de 1 000 euros ;

3°) de rejeter la demande de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, faute de justificatifs ou, à titre subsidiaire, d'appliquer un taux de perte de chance de 10 % à sa demande, soit un remboursement de ses débours limité à la somme de 13 741,25 euros ;

4°) de ramener la somme demandée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à 1 500 euros ;

5°) de mettre à la charge de tout succombant une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme J... H..., présidente de chambre,

- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,

- et les observations de Me B... I..., représentant le centre hospitalier de Beauvais.

Considérant ce qui suit :

1. Le jeune A... G..., alors âgé de 13 ans et demi, a été admis aux urgences du centre hospitalier de Beauvais le 9 avril 2012, en raison de vives douleurs ressenties dans la jambe gauche, faisant suite à une séance d'entraînement de football le 5 avril 2012. Le diagnostic de déchirure musculaire a été posé, après réalisation de radiographies. Celui-ci a regagné son domicile le jour même avec une prescription d'un antalgique et d'un anti-inflammatoire local. Le lendemain, il s'est de nouveau présenté aux urgences du centre hospitalier de Beauvais, adressé par son médecin traitant, en raison de la persistance des douleurs et d'une fièvre élevée. Le diagnostic de déchirure musculaire a été confirmé, seul le traitement antidouleur a été modifié. Dans les jours qui ont suivi, l'état général du jeune A... s'est dégradé, jusqu'à ce qu'il soit de nouveau conduit par son père, le 15 avril 2012, aux urgences du centre hospitalier de Beauvais, où un bilan biologique complet a été réalisé, qui a mis en évidence une arthrite septique de la hanche gauche avec des conséquences pulmonaires et thromboemboliques. L'adolescent a été transféré le jour même au centre hospitalier d'Amiens, où les examens pratiqués ont mis en évidence la présence du staphylocoque aureus sécréteur de la toxine de Panton Valentine. L'arthrite septique s'étant compliquée d'une ostéomyélite et d'une pneumopathie nécrosante, le jeune adolescent est resté hospitalisé jusqu'au 1er août 2012. Il reste aujourd'hui atteint de séquelles caractérisées notamment par une douleur de l'ensemble de la face externe de la hanche, l'impossibilité de prendre appui sur son membre inférieur gauche, une marche avec appui sur deux cannes. M. A... G..., devenu majeur en cours d'instance, et M. F... G..., son père, ont saisi le tribunal administratif d'Amiens afin de rechercher la responsabilité du centre hospitalier de Beauvais sur le terrain de la faute. Le centre hospitalier de Beauvais relève appel du jugement du 1er juin 2017 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a retenu sa responsabilité en s'abstenant de procéder à des examens complémentaires lors de sa consultation aux urgences le 10 avril 2012.

Sur la régularité du jugement :

2. M. G... soutient que le tribunal administratif a omis de statuer sur la provision qu'il avait demandée. Il ressort du point 9 du jugement attaqué que la demande de provision de 72 112,50 euros sollicitée dans le mémoire récapitulatif du 3 mai 2017 a été rejetée par le tribunal. Ainsi, M. G... n'est pas fondé à soutenir que le tribunal administratif d'Amiens aurait entaché son jugement d'une omission à statuer.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Beauvais :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

Sur l'existence de faute dans la prise en charge médicale :

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expertise diligentée par le tribunal administratif d'Amiens, que le diagnostic initial de déchirure musculaire posé en présence d'une douleur localisée à la fesse gauche résultant d'un choc lors d'un entraînement sportif quelques jours auparavant, paraissait approprié. Toutefois, lors de la deuxième consultation le 10 avril 2012, le jeune A... présentait un état fiévreux et une douleur persistante localisée au niveau de l'appareil locomoteur, qui aurait dû conduire les médecins à réaliser un bilan biologique et une échographie de la hanche ce qui aurait pu permettre de mettre en place un traitement plus précoce. Ainsi, au regard de ces signes cliniques, et alors même que l'arthrite infectieuse est rare chez un enfant, le centre hospitalier de Beauvais, en ne procédant pas à des investigations complémentaires le 10 avril 2012, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

5. Le centre hospitalier se borne à soutenir que le retard de diagnostic a été causé par le père de l'enfant qui n'est revenu à l'hôpital avec son fils que cinq jours après la consultation du 10 avril 2012. Cette circonstance n'est pourtant pas de nature à l'exonérer de la faute qu'il a commise en ne procédant pas aux examens complémentaires dès cette date.

Sur la perte de chance :

6. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise que la gravité de l'évolution de la pathologie est liée à l'agressivité du staphylocoque doré secrétant la leucocydine de Panton Valentine et que des complications orthopédiques, pulmonaires, thromboemboliques entre autres existent, même en l'absence de retard de diagnostic. Il ressort également de la note critique établie à la demande du centre hospitalier par un infectiologue que si le diagnostic d'arthrite à staphylocoque doré avait été évoqué le 10 avril, l'adolescent aurait reçu un traitement antibiotique réservé à une arthrite communautaire à staphylocoque doré, l'hypothèse d'une souche productrice de leucocidine de Panton Valentine chez un enfant dépourvu de lésion cutanée ne pouvant être envisagée d'emblée. Dans ces conditions, il y a lieu de ramener l'ampleur de la chance perdue par M. A... G... d'éviter les séquelles de l'infection, évaluée à 30 % par le tribunal, à 10 % et de mettre à la charge du centre hospitalier de Beauvais la réparation de cette fraction du dommage corporel.

Sur l'évaluation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices de la caisse primaire d'assurance maladie :

8. Le centre hospitalier réitère en appel le moyen tiré de ce que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise ne peut fonder ses débours sur le décompte qu'elle a établi et l'attestation d'imputabilité du médecin-conseil. Il y a lieu par adoption des motifs retenus à juste titre par le tribunal au point 6 du jugement attaqué d'écarter ce moyen. Il résulte de la notification des débours produite par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise, qui est suffisamment détaillée, que cette caisse a pris en charge les dépenses de santé de M. A... G... pour un montant total de 137 412,51 euros, correspondant aux frais d'hospitalisation du 15 avril au 1er août 2012 pour un montant de 122 840,71 euros, aux frais médicaux du 9 avril 2012 au 1er juin 2015 pour un montant de 6 630,50 euros, aux frais pharmaceutiques du 9 avril 2012 au 3 juin 2015 pour un montant de 1 094,09 euros, aux frais d'appareillage du 9 avril 2012 au 30 mai 2014 pour un montant de 2 072,64 euros, aux frais de transport du 15 avril 2012 au 27 avril 2015 à hauteur de 4 774,57 euros. Compte tenu du taux de perte de chance retenu au point 6, il y a lieu de ramener la somme allouée par les premiers juges de 41 223,75 euros à 13 741,25 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015, date d'enregistrement de la requête devant le tribunal administratif d'Amiens.

En ce qui concerne les préjudices de M. A... G... :

S'agissant de ses préjudices temporaires :

9. L'expert désigné par le tribunal administratif d'Amiens a constaté l'absence de consolidation de l'état de santé de M. A... G... tout en relevant l'existence de souffrances endurées avant consolidation évaluées à 6/7, ainsi qu'un déficit fonctionnel temporaire.

10. Il sera fait une juste appréciation du préjudice ayant résulté pour M. A... G... du déficit fonctionnel temporaire total du 15 avril 2012 au 1er août 2012 et de classe III du 21 mai 2012 au 1er décembre 2014, en portant la somme allouée par les premiers juges de 7 000 à 8 000 euros. Les douleurs éprouvées par M. A... G... ont été estimées par le rapport d'expertise à 6 sur une échelle de 7. Il y a lieu de porter de 23 000 euros à 30 000 euros l'indemnité due au titre de ce préjudice. Ces sommes sont accordées à titre provisionnel dans l'attente de la consolidation de son état de santé.

11. Compte tenu du taux de perte de chance retenu précédemment, le montant de la somme provisionnelle que le centre hospitalier de Beauvais doit être condamné à verser au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées subis par M. A... G... s'élève à 3 800 euros.

S'agissant de ses préjudices permanents :

12. L'expert désigné par le tribunal administratif d'Amiens a constaté l'absence de consolidation de l'état de santé de M. A... G..., son état fonctionnel étant susceptible de s'améliorer si une intervention de type arthroplastie de hanche est réalisée. Ainsi que l'a relevé le tribunal, il appartiendra aux requérants, s'ils s'y croient fondés, lorsque l'état de santé de A... sera consolidé, de saisir à nouveau la juridiction administrative d'une demande d'indemnisation. Il n'y a pas lieu, par suite, d'accorder l'indemnité provisionnelle sollicitée au titre du déficit permanent, du préjudice esthétique permanent et du préjudice d'agrément.

En ce qui concerne le préjudice de M. F... G... :

13. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. F... G... en portant à 3 000 euros la somme allouée à ce titre par les premiers juges. Compte tenu du taux de perte de chance retenu, il y a lieu d'allouer à ce dernier la somme de 300 euros à ce titre.

Sur l'indemnité forfaitaire de gestion :

14. La caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise ne peut prétendre à une augmentation du montant de l'indemnité forfaitaire de gestion qui lui a été allouée par le tribunal administratif d'Amiens dès lors que les sommes qui lui sont dues au titre des prestations versées ne sont pas majorées par le présent arrêt.

Sur les frais liés à l'instance :

15 Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier de Beauvais, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. G... et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du centre hospitalier de Beauvais présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le centre hospitalier de Beauvais a été condamné à verser à M. A... G... par le jugement du 1er juin 2017 du tribunal administratif d'Amiens est ramenée à 3 800 euros. Cette somme est allouée à titre provisionnel.

Article 2 : La somme que le centre hospitalier de Beauvais a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise par le jugement du 1er juin 2017 du tribunal administratif d'Amiens est ramenée à 13 741,25 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 1er juin 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Beauvais, à M. F... G..., à M. A... G..., à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Oise et à Me E... K....

N°17DA01477 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 17DA01477
Date de la décision : 25/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation. Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. Existence d'une faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme Courault
Rapporteur ?: Mme Christine Courault
Rapporteur public ?: Mme Leguin
Avocat(s) : SCP D'AVOCATS NORMAND et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-02-25;17da01477 ?
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