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18/06/2020 | FRANCE | N°18DA00962

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 18 juin 2020, 18DA00962


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Calandage Industriel Français (CIFRA) a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009, en conséquence de la remise en cause du crédit d'impôt recherche dont elle avait bénéficié, ainsi que de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses dont cette cotisation a été assortie.

Par un jugement n° 1501443 du 15 mars 2

018, le tribunal administratif d'Amiens a prononcé la décharge de la majoration pour mano...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Calandage Industriel Français (CIFRA) a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009, en conséquence de la remise en cause du crédit d'impôt recherche dont elle avait bénéficié, ainsi que de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses dont cette cotisation a été assortie.

Par un jugement n° 1501443 du 15 mars 2018, le tribunal administratif d'Amiens a prononcé la décharge de la majoration pour manoeuvres frauduleuses et rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 mai 2018 et le 3 janvier 2019, la SA CIFRA, représentée par Me A..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement, en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande ;

2°) de prononcer la décharge de l'imposition restant en litige et de prescrire le reversement des sommes correspondantes, augmentées de l'intérêt moratoire prévu aux articles L. 208 et R. 208-2 du livre des procédures fiscales ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme (SA) Calandrage Industriel Français (CIFRA), qui a son siège à Château-Thierry (Aisne), est spécialisée dans le recyclage et le calandrage des matières plastiques, notamment le polychlorure de vinyle (PVC), afin d'en obtenir des films ou feuilles destinés à être utilisés en papeterie, en emballage ou encore dans l'industrie automobile ou le bâtiment. Elle a fait l'objet, au cours de l'année 2013, d'une vérification de comptabilité portant, en matière de crédit d'impôt recherche, sur les exercices clos en 2009, 2010, 2011 et 2012. A l'issue de ce contrôle, des rectifications ont été envisagées par l'administration, consistant en la remise en cause d'une partie du crédit d'impôt recherche dont la SA CIFRA avait bénéficié, et ont été portées à la connaissance de cette dernière par une proposition de rectification qui lui a été adressée le 16 décembre 2013. L'interlocuteur fiscal interrégional, que la SA CIFRA a demandé à rencontrer, a prescrit l'abandon d'une partie des rehaussements contestés, se rapportant aux exercices clos en 2010 et 2011. Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés résultant des rehaussements maintenus ont été mises en recouvrement le 21 octobre 2014. Après rejet de sa réclamation, qui concernait exclusivement la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés et les pénalités mises à sa charge au titre de l'année 2009, la SA CIFRA a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens. Elle relève appel du jugement du 15 mars 2018 en tant que, par ce jugement, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir prononcé la décharge de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses dont avait été assortie la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009, a rejeté ses conclusions tendant à la décharge de cette cotisation. Le ministre de l'action et des comptes publics forme appel incident du même jugement, en tant qu'il prononce la décharge de la majoration pour manoeuvres frauduleuses.

Sur le bien-fondé de l'imposition en litige :

2. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en 2009 : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 decies, 44 undecies, 44 duodecies, 44 terdecies et 44 quaterdecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / a) Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de recherche scientifique et technique, y compris la réalisation de prototypes ou d'installations pilotes. (...) / b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations. (...) / c) Les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations ; ces dépenses sont fixées forfaitairement à 75 % des dépenses de personnel mentionnées à la première phrase du b ; (...) ". Pour l'application de ces dispositions, l'article 49 septies G de l'annexe III à ce code dispose que : " Le personnel de recherche comprend : / 1. Les chercheurs qui sont les scientifiques ou les ingénieurs travaillant à la conception ou à la création de connaissances, de produits, de procédés, de méthodes ou de systèmes nouveaux. Sont assimilés aux ingénieurs les salariés qui, sans posséder un diplôme, ont acquis cette qualification au sein de leur entreprise. / (...) ". Les dispositions du II de l'article 244 quater B du code général des impôts ne limitent pas les dépenses de personnel susceptibles d'ouvrir droit au crédit d'impôt recherche aux seules rémunérations et charges sociales versées pour des personnes employées par l'entreprise et affectées à des opérations de recherche susceptibles d'ouvrir droit à ce crédit, mais s'étendent aux rémunérations et aux charges sociales prises en charge par l'entreprise au titre de la mise à sa disposition par un tiers de personnes afin d'y effectuer, dans ses locaux et avec ses moyens, des opérations de recherche. En outre, en application des mêmes dispositions et de celles de l'article 49 septies G de l'annexe III au code général des impôts, ouvrent droit au crédit d'impôt les dépenses de personnel afférentes notamment aux salariés qui, sans posséder un diplôme d'ingénieur, se livrent à des opérations de recherche et ont acquis, au sein de leur entreprise, des compétences les assimilant, par le niveau et la nature de leurs activités, aux ingénieurs impliqués dans la recherche.

3. Il résulte de l'instruction, notamment des copies de courriers électroniques et de comptes rendus de réunion versés au dossier, que des essais, visant à permettre le broyage puis la micronisation et la granulation, en vue de leur recyclage, des films d'emballages alimentaires contenant du PVC, ont été conduits dès le mois de février 2009 dans les locaux et par des salariés de la SA CIFRA sur une installation pilote dédiée à cette expérimentation. Le premier essai ayant permis de constater que le processus de traitement mis en oeuvre entraînait une élévation anormale de la température des matières nuisant aux performances du traitement, l'utilisation de la cryogénisation a été envisagée et a été testée, au début du mois de juin 2009, sur l'installation pilote modifiée, avec le concours de personnels et de matériels mis à sa disposition par une entreprise tierce spécialisée dans l'utilisation de l'azote liquide. Cette expérimentation s'est poursuivie par une nouvelle campagne d'essais effectuée à la fin du mois de septembre 2009 et au cours du mois d'octobre 2009, après incorporation de nouveaux équipements à l'installation. Toutefois, il résulte également de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que la SA CIFRA n'a tenu, au cours de ces premiers essais, aucune comptabilisation des heures de travail que chacun des salariés y ayant pris part avait réalisées dans ce cadre. Elle ne peut ainsi se prévaloir des tableaux qu'elle a établis postérieurement à l'année d'imposition en litige en s'inspirant des données afférentes aux essais poursuivis sur l'année suivante, en l'absence de tout autre élément susceptible d'établir la similitude des conditions dans lesquelles ont été conduits, d'une part, les premiers essais réalisés au cours de l'année 2009, dont l'objet était d'explorer la faisabilité d'une application de la cryogénisation au traitement des déchets légers contenant du PVC, et, d'autre part, ceux qui ont été effectués l'année suivante, qui ont eu pour objectif de rechercher les pistes d'amélioration techniques susceptibles de permettre une mise en oeuvre de cette technique dans le cadre du processus de production courant de l'entreprise. Par suite, les seuls documents versés à l'instruction ne permettent pas de justifier du temps de travail que chacun des salariés mobilisés par la SA CIFRA, au cours de l'année 2009 a effectivement dédié, au titre de cet exercice, à la conduite de ces opérations de recherche. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause l'éligibilité de cette entreprise, à raison des charges de personnel et, en tout état de cause, des dotations aux amortissements déclarées pour ces opérations, au crédit d'impôt recherche.

Sur les pénalités :

4. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) / c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ".

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la SA CIFRA s'est effectivement livrée au cours de l'année 2009 à plusieurs essais de faisabilité qui peuvent être regardés comme ayant la nature d'opérations de recherche, quand bien même cette société n'a pas, dès cette année, mis en oeuvre les moyens de suivi propres à lui permettre de justifier de la réalité des dépenses qu'elle a exposées dans ce cadre et alors même que le rapport de gestion établi par son directoire au titre de cette année retient qu'aucun travail de recherche et de développement n'a été effectué et que de tels travaux constituent un objectif pour l'année 2010. Ce constat est confirmé par le rapport d'enquête préliminaire établi le 18 août 2015 par la direction interrégionale de la police judiciaire de Lille, à la suite de la plainte déposée par l'administration fiscale à l'encontre notamment de la SA CIFRA, pour des faits d'escroquerie, dont, au demeurant, les conclusions ont conduit le juge pénal à rejeter cette plainte et à relaxer les personnes en cause. Dans ces conditions, les seuls faits, d'une part, que le dossier de demande de crédit d'impôt recherche établi par la SA CIFRA au titre de l'année 2009 n'a été constitué par elle que tardivement, à savoir à compter du mois d'octobre 2010, en reproduisant les données chiffrées issues du dossier d'ores et déjà préparé au titre de l'année 2010, d'autre part, que ces dossiers présentent plusieurs similitudes avec celui co-établi, dans le but de poursuivre des axes de recherche similaires dans le cadre d'un projet intitulé " Green Waste Plast ", par plusieurs entreprises, et à la rédaction duquel la SA CIFRA a contribué, afin d'obtenir une aide financière dans le cadre du programme européen " Life ", ne peuvent suffire à établir, contrairement à ce que soutient le ministre de l'action et des comptes publics, que la présentation par la SA CIFRA d'un dossier de demande de crédit d'impôt recherche pour l'année 2009 n'aurait constitué qu'une manoeuvre dans le but d'obtenir indûment un avantage fiscal tout en donnant l'apparence, afin d'égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle, d'un projet de recherche éligible à cet avantage fiscal. Le ministre n'est, dès lors, pas fondé à soutenir que le tribunal administratif d'Amiens a estimé à tort que l'administration n'établissait pas le bien-fondé de la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses infligée à la SA CIFRA sur le fondement des dispositions du c. de l'article 1729 du code général des impôts et qu'il y avait lieu de prononcer la décharge de cette majoration. Le ministre demande cependant, à titre subsidiaire, que soit substituée à celle-ci la majoration de 40 % prévue par les dispositions précitées du a. du même article en cas de manquement délibéré. Toutefois, en faisant seulement valoir que le crédit d'impôt recherche un temps obtenu par la SA CIFRA portait sur une somme de 139 417 euros, le ministre n'établit pas, compte-tenu de ce qui vient d'être dit, l'intention, qui aurait été celle de cette société, d'éluder l'impôt. Il suit de là que les conclusions subsidiaires présentées par le ministre de l'action et des comptes publics ne peuvent qu'être rejetées et qu'il n'est pas davantage fondé à soutenir que les premiers juges n'auraient eux-mêmes, à tort, pas procédé à la substitution demandée. Par suite, l'appel incident du ministre de l'action et des comptes publics doit être rejeté.

6. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la SA CIFRA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2009, ni, en tout état de cause, à demander le remboursement, assorti de l'intérêt moratoire de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales, de la somme correspondante, et, d'autre part, que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé, par la voie de l'appel incident, à soutenir que, par le même jugement, le tribunal administratif d'Amiens aurait prononcé à tort la décharge de la majoration pour manoeuvres frauduleuses dont cette cotisation a été assortie sur le fondement des dispositions du c. de l'article 1729 du code général des impôts, ni davantage à demander la substitution à cette pénalité de celle prévue par les dispositions du a. du même article.

7. Les conclusions présentées par la SA CIFRA, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais de procédure qu'elle a exposés, ne peuvent qu'être rejetées dès lors que l'Etat n'est pas partie perdante dans la présente instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SA CIFRA est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident présentées par le ministre de l'action et des comptes publics sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SA CIFRA et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

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N°18DA00962


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA00962
Date de la décision : 18/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SELARL ONELAW

Origine de la décision
Date de l'import : 07/08/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-06-18;18da00962 ?
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