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19/11/2020 | FRANCE | N°18DA01153

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 19 novembre 2020, 18DA01153


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Famec a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner l'établissement public industriel et commercial SNCF Réseau à lui verser la somme de 23 383 euros, avec intérêts au taux légal, en réparation des préjudices résultant pour elle de la prolifération de lapins de garenne sur ses terres agricoles qui jouxtent la voie de chemin de fer de la ligne à grande vitesse Arras-Paris, d'autre part, de mettre à la charge de cet étab

lissement public les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise taxés ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Famec a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de condamner l'établissement public industriel et commercial SNCF Réseau à lui verser la somme de 23 383 euros, avec intérêts au taux légal, en réparation des préjudices résultant pour elle de la prolifération de lapins de garenne sur ses terres agricoles qui jouxtent la voie de chemin de fer de la ligne à grande vitesse Arras-Paris, d'autre part, de mettre à la charge de cet établissement public les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 2 288 euros.

Par un jugement n°1603872 du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Lille a fait droit aux conclusions indemnitaires de l'EARL Famec, a assorti cette condamnation de l'intérêt au taux légal, a mis à la charge de l'établissement public SNCF Réseau les dépens de l'instance taxés et liquidés à la somme de 2 288 euros ainsi qu'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 5 juin 2018, le 22 mars 2019 et le 13 mai 2019, l'établissement public SNCF Réseau, devenu depuis lors société anonyme à capitaux public, représenté par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de l'EARL Famec ;

3°) subsidiairement, de réduire le montant de l'indemnité accordée à l'EARL Famec dans la mesure d'une réduction de sa part de responsabilité dans la survenance du dommage subi par cette entreprise et de partager les dépens de l'instance par moitié ;

4°) de mettre à la charge de l'EARL Famec une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Christophe Binand, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) Famec exploite à des fins agricoles des parcelles de terres, d'une superficie de 9 hectares et 90 ares, sur le territoire de la commune de Wancourt (département du Pas-de-Calais), situées le long de la voie de chemin de fer de la ligne à grande vitesse Arras-Paris. Par un jugement du 6 avril 2018, dont l'établissement public industriel et commercial SNCF Réseau, devenu en 2020 société anonyme à capitaux publics, relève appel, le tribunal administratif de Lille a condamné l'établissement public à verser à l'EARL Famec la somme de 23 383 euros, avec intérêts au taux légal, en réparation des dommages causés aux récoltes par les lapins de garenne provenant de l'emprise ferroviaire et a mis à sa charge les dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 2 288 euros, ainsi qu'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la régularité du jugement :

2. La société SNCF Réseau soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé, faute pour le tribunal d'avoir répondu au moyen tiré de ce que la mise en oeuvre d'une lutte efficace contre les lapins par les opérations de furetage appropriées à l'entretien de l'emprise ferroviaire nécessitait l'accord du préfet. Toutefois, les premiers juges, qui ont visé ce moyen, ont exposé, au point 2 du jugement, les principes régissant la responsabilité du maître de l'ouvrage public engagée, même sans faute, pour les dommages causés aux tiers, dont ils ont fait application à l'espèce. Dans ce cadre, les premiers juges ont rappelé que les seules causes exonératoires dont le maître de l'ouvrage pouvait se prévaloir tenaient au fait de la victime et à la force majeure. Dans la mesure où l'établissement public SNCF Réseau ne soutenait pas que le refus de concours de l'autorité préfectorale, ou son concours insuffisant, aurait présenté le caractère d'un fait de la victime ayant contribué à la réalisation du dommage dont la réparation était demandée ou d'un cas de force majeure, le tribunal, en écartant, implicitement mais nécessairement, le moyen soulevé par SNCF Réseau qui ne se rapportait pas à une cause exonératoire de la responsabilité encourue, a suffisamment motivé son jugement. Par suite, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité à ce titre.

Sur la responsabilité :

3. Ainsi que les premiers juges l'ont rappelé à juste titre, le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers, tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut se dégager de sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Il appartient néanmoins au tiers concerné d'apporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et les préjudices qu'il allègue avoir subis, ainsi que de la réalité de ces préjudices, lesquels, dès lors qu'ils ne présentent pas un caractère accidentel, doivent en outre présenter un caractère grave et spécial. Ainsi, la responsabilité sans faute de la société SNCF Réseau, chargée de l'entretien des voies ferrées et de leurs dépendances, est engagée vis-à-vis des exploitants de cultures endommagées par les lapins proliférant dans les remblais des voies, dès lors que ces dommages sont directement imputables aux modalités d'entretien de ces ouvrages publics.

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport déposé par l'expert désigné en référé par le président du tribunal administratif de Lille, d'une part, que les dégâts causés en 2015 aux cultures de haricots verts de l'EARL Famec sont dus à la prolifération de lapins de garenne, qui en sont particulièrement friands, d'autre part, que ces animaux provenaient des talus de la voie de chemin de fer de la ligne à grande vitesse Arras-Paris, dans lesquels ils aménagent leurs terriers. L'homme de l'art précise que ces animaux sont en nombre important sur cette emprise, ce qu'il impute à l'insuffisance des opérations de furetage au cours de la dernière saison hivernale, et que leur prolifération est la cause directe de la perte, en totalité, de la récolte de haricots verts sur les parcelles de l'EARL Famec au titre de la saison culturale s'achevant en 2015. Il exclut de manière catégorique, au vu des constatations qu'il a pu opérer au cours des opérations d'expertise, que les lapins de garenne, auteurs des dommages dont la réparation est demandée, puissent provenir d'une autre parcelle jouxtant la propriété de l'EARL Famec. Enfin, il relève que les dommages subis au titre de l'année culturale 2014/2015 emportent nécessairement des conséquences préjudiciables sur les conditions de mise en valeur de ces parcelles l'année suivante. Si la société SNCF Réseau soutient que les dommages subis par les cultures agricoles de l'EARL Famec seraient imputables, au moins en partie, à d'autres espèces animales qui ne proviendraient pas de l'emprise ferroviaire, et notamment à des cervidés provenant des alentours, les deux photographies datées du 27 août 2015, postérieures, au demeurant, aux dommages causés aux récoltes, qui font apparaître la présence de quelques cervidés sur ces parcelles, ne permettent pas, à elles seules, d'infirmer les conclusions de l'expert.

5. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'existence d'un lien de causalité entre la prolifération des lapins de garenne dans l'emprise de la voie ferroviaire, qui se rapporte aux conditions de l'entretien de cet ouvrage, et le dommage dont demande réparation est rapportée. Or, le préjudice subi par l'EARL Famec excède, par son ampleur, les inconvénients que les riverains de ces remblais sont tenus de supporter sans indemnité et présente un caractère grave et spécial.

6. Pour se dégager de sa responsabilité, la société SNCF Réseau fait valoir, d'une part, que l'EARL Famec s'est sciemment exposée au risque de dégradation de ses cultures, dont elle avait connaissance et qu'elle a même accru l'ampleur de ce phénomène en faisant le choix de la culture de haricots verts, de forte appétence pour les lapins de garenne. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions de l'expert, que les parcelles de l'EARL Famec sont particulièrement adaptées à la culture de haricots verts et que le champ de blé jouxtant les parcelles plantées de haricots verts est également dégradé par les mêmes animaux. En outre, la circonstance, avancée par la société appelante, qu'elle a indemnisé l'EARL Famec, par le passé, de pertes de récolte, d'une gravité toutefois sensiblement moindre, n'est pas de nature à établir que cette dernière aurait eu connaissance, antérieurement au début de l'année culturale 2014/2015, du risque important de voir se réaliser les dommages qu'elle a subis. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la mise en oeuvre d'une autre culture ou de mesures de protection autres que la clôture de 800 mètres de grillage le long de la voie de chemin de fer installée par l'entreprise agricole pour tenter de se prémunir des dégâts causés par ces animaux, auraient permis de limiter de manière significative ces dommages. Dans ces conditions, l'EARL Famec ne saurait être regardée, ainsi que les premiers juges l'ont relevé à juste titre, comme ayant commis une faute ou imprudence de nature à atténuer la responsabilité de la société SNCF Réseau.

7. D'autre part, pour échapper à la responsabilité qui lui incombe au titre de l'entretien de l'ouvrage, la société SNCF Réseau ne peut utilement, ainsi qu'il a été dit au point 3, se prévaloir de l'absence de manquements dans son obligation d'entretien des remblais, ou des difficultés qu'elle aurait rencontrées dans la réalisation des opérations de furetage, soumises à la délivrance d'autorisations administratives.

8. Enfin, si la société appelante invoque l'existence d'une prolifération de lapins de garenne dans l'ensemble du département du Pas-de-Calais, elle ne démontre pas que ce phénomène, à le supposer même établi, présenterait le caractère d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité.

9. Il résulte des points précédents que la société SNCF Réseau n'apporte aucun élément de nature à voir sa responsabilité écartée, ni même réduite, à raison des dommages causés aux parcelles agricoles de l'EARL Famec et qu'ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné SNCF Réseau à indemniser l'EARL Famec de l'intégralité des préjudices subis par celle-ci.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a condamné l'établissement public SNF Réseau à verser à l'EARL Famec la somme de 23 383 euros, majorée de l'intérêt au taux légal. Elle n'est pas davantage fondée à soutenir que le tribunal, en mettant à sa charge la totalité des dépens de l'instance, a fait une inexacte application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Dès lors, la requête de la société SNCF Réseau doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société SNCF Réseau, partie tenue aux dépens, une somme de 1 500 euros à verser à l'EARL Famec sur le fondement de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société SNCF Réseau est rejetée.

Article 2 : La société SNCF Réseau versera la somme de 1 500 euros à l'EARL Famec au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme à capitaux publics SNCF Réseau et à l'entreprise agricole à responsabilité limitée Famec.

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N°18DA01153


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