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11/05/2021 | FRANCE | N°19DA01364

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 11 mai 2021, 19DA01364


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Louis Dreyfus Lines, la SAS Louis Dreyfus Lines Armateurs, la SAS LD Transmanche Ferries, la société européenne Allianz Global Corporate et Specialty, la société anonyme (SA) Axa corporate solutions assurance, la SA Generali Iard, la SA Helvetica assurances, la société de droit anglais Great Lakes Reinsurance Plc et la SA Covea Risk ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le Grand Port maritime du Havre à leur verser la somme totale de 7 949

904,33 euros en indemnisation des préjudices résultant de l'accident subi ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Louis Dreyfus Lines, la SAS Louis Dreyfus Lines Armateurs, la SAS LD Transmanche Ferries, la société européenne Allianz Global Corporate et Specialty, la société anonyme (SA) Axa corporate solutions assurance, la SA Generali Iard, la SA Helvetica assurances, la société de droit anglais Great Lakes Reinsurance Plc et la SA Covea Risk ont demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner le Grand Port maritime du Havre à leur verser la somme totale de 7 949 904,33 euros en indemnisation des préjudices résultant de l'accident subi par le ferry " Norman Arrow " le 29 août 2010 alors qu'il manœuvrait dans le port du Havre.

Par un jugement n° 1404388 du 28 mars 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une ordonnance n° 1902036 du 12 juin 2019, enregistrée le 12 juin 2019 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Rouen a, en application du premier alinéa de l'article R. 351-3 du code de justice administratif de Lille, transmis la requête de la SAS Louis Dreyfus Lines et autres.

Par une requête, enregistrée le 12 juin 2019 et un mémoire en réplique, enregistré le 26 octobre 2020 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, la SAS Louis Dreyfus Lines, la SAS Louis Dreyfus Lines Armateurs, la SAS LD transmanche Ferries, la société européenne Allianz Global Corporate et Specialty, la société anonyme (SA) Axa corporate solutions assurance, la SA Generali Iard, la SA Helvetica assurances, la société de droit anglais Great Lakes Reinsurance Plc et la SA Covea Risk, représentées par Mes Mathieu Croix et Mathieu Leclerc, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision explicite de rejet de la demande indemnitaire préalable ;

3°) de condamner le Grand Port maritime du Havre à verser aux sociétés Louis Dreyfus Lines, Louis Dreyfus Lines Armateurs et LD Transmanche Ferries, en leur qualité d'armateur, d'affréteur et de manager du navire " Norman Arrow ", une somme de 924 000 euros au titre de la franchise de la garantie " perte d'exploitation " et une somme de 155 330,61 euros au titre des factures de l'agent maritime du navire, la société Human et Taconet ;

4°) de condamner le Grand Port maritime du Havre à verser aux sociétés Allianz Global Corporate et Specialty, Axa corporate solutions assurance, Generally Iard, Helvetia assurances, Great Lakes Reinsurance Plc et Covea Risk, en leur qualité d'assureurs, une somme de 1 881 693,72 euros au titre des réparations et une somme de 4 988 880 euros au titre des indemnités " pertes d'exploitation " versées aux armateurs, franchises déduites ;

5°) de mettre à la charge du Grand Port maritime du Havre une somme de 25 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des ports maritimes ;

- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;

- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Julien Sorin, président-assesseur,

- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,

- et les observations de Me Mathieu Leclerc, représentant les sociétés Louis Dreyfus Lines et autres et de Me Farid Kaci, représentant le Grand Port maritime du Havre.

Considérant ce qui suit :

1. Le 29 août 2010, vers midi, le navire " Norman Arrow ", exploité par la SAS Louis Dreyfus Lines sur la ligne Le Havre - Portsmouth, s'est présenté à l'entrée du port du Havre. Le navire a alors dérivé et s'est retrouvé dans le Sud du plan d'eau. Pour éviter d'être drossé sur les enrochements situés à proximité et recommencer sa manœuvre d'approche, le navire est venu s'adosser sur la partie supérieure, non protégée, d'un duc d'Albe, le choc avec cet ouvrage public ayant endommagé sa coque et provoqué conséquemment l'envahissement du compartiment machine avant bâbord. Le navire a subi du fait de ce heurt de graves avaries entraînant son immobilisation du 29 août 2010 au 10 janvier 2011. Les sociétés en leur qualité d'armateur, affréteur, manager et assureurs du navire interjettent appel du jugement du 28 mars 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande tendant à l'engagement de la responsabilité du Grand Port maritime du Havre, établissement public propriétaire du duc d'Albe en cause, et à l'indemnisation des préjudices subis.

Sur la régularité des opérations d'expertise :

2. Si le Grand Port maritime du Havre invoque l'inopposabilité de l'expertise diligentée par une ordonnance du tribunal de commerce du Havre en date du 17 septembre 2010 en soulevant plusieurs vices procéduraux dont elle serait affectée, il se borne à reprendre en appel les arguments invoqués en première instance, qu'il y a lieu d'écarter par adoption des motifs retenus au point 2 du jugement attaqué.

Sur la responsabilité du Grand Port maritime du Havre :

3. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice invoqué et l'ouvrage. Le maître de l'ouvrage ne peut être exonéré de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

4. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise remis le 24 septembre 2018 que la course du navire " Norman Arrow ", exploité et assuré par les sociétés requérantes, a été déviée en raison de vents intenses alors qu'il avait entamé sa manœuvre d'approche de son poste habituel, situé au fond du bassin de la Manche. S'étant retrouvé positionné au Sud du plan d'eau, et afin d'éviter d'être drossé sur les enrochements situés au Nord, le capitaine du navire a pris la décision de le laisser s'appuyer sur un duc d'Albe situé à proximité, avant de recommencer sa manœuvre d'accostage. Lors du contact avec ce duc d'Albe, qui n'était pas, de ce côté, doté d'un dispositif de protection, la coque du navire a été enfoncée et percée, entraînant une voie d'eau dans le compartiment de la machine avant bâbord.

5. En premier lieu, les sociétés requérantes soutiennent que l'existence même du duc d'Albe litigieux, ouvrage public appartenant au Grand Port maritime du Havre, est à l'origine du dommage subi, les autorités portuaires n'ayant pas, après avoir autorisé la navigation autour de cet ouvrage, procédé à des travaux de protection de celui-ci, exposant ainsi les navires à un risque de dommages important en cas de collision avec lui. Il résulte cependant de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que ce duc d'Albe, dont seule la face Sud est équipée d'un bouclier protecteur, n'a pas vocation à être accosté, même temporairement, par des navires et que le bouclier n'a été conçu que pour permettre l'appui temporaire des navires l'abordant dans des conditions normales de navigation, c'est-à-dire nécessairement sur sa face Sud. Dans ces conditions, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'absence de protection des autres faces du duc d'Albe, qui n'a au demeurant été à l'origine d'aucun dommage à un navire en plus de soixante ans d'existence, ne saurait être regardée comme un défaut de conception de cette installation constitutif d'un défaut d'entretien normal.

6. En deuxième lieu, il résulte du rapport d'expertise, et il n'est pas sérieusement contesté, que ce n'est qu'à la faveur de la décision initiale, malgré des conditions météorologiques difficiles, de ne pas recourir à l'aide de remorqueurs, puis d'une grave erreur de pilotage du commandant, que le navire s'est retrouvé exposé au risque d'être drossé sur les enrochements situés à proximité et que le capitaine, prenant à la suite du commandant les commandes du navire, n'a alors eu d'autre possibilité que de venir accoster provisoirement sur un côté non protégé du duc d'Albe en cause, alors-même, au demeurant, que le pilote l'avait préalablement averti de l'absence de protection d'accostage à cet endroit.

7. En troisième lieu, il est constant que le commandant et le pilote connaissaient parfaitement les lieux, pour assurer régulièrement la liaison Le Havre - Portsmouth. En outre, le navire " Norman Arrow " est particulièrement sensible au vent et bénéficie, depuis la timonerie, d'une vision très réduite de l'environnement proche, les manœuvres étant réalisées à l'aide des caméras implantées en divers endroits du navire. Ces caractéristiques techniques, ainsi que les conditions météorologiques difficiles le jour de l'accident, appelaient de la part de l'équipage un surcroît de vigilance.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence de défaut d'entretien normal de l'ouvrage public en cause, il n'y a pas lieu d'engager la responsabilité du Grand Port Maritime du Havre. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non- recevoir soulevées en défense, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Grand Port maritime du Havre, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les sociétés requérantes demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ces dernières, in solidum, le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de frais exposés par le Grand Port maritime du Havre et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des sociétés Louis Dreyfus Lines, Louis Dreyfus Lines Armateurs, LD Transmanche Ferries, Allianz Global Corporate et Specialty, Axa corporate solutions assurance, Generali Iard, Helvetia assurances, Great Lakes Reinsurance Plc et Covea Risk est rejetée.

Article 2 : Ces sociétés, prises ensemble, verseront au Grand Port maritime du Havre une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Louis Dreyfus Lines, à la société par actions simplifiée Louis Dreyfus Lines Armateurs, à la société par actions simplifiée LD Transmanche Ferries, à la société européenne Allianz Global Corporate et Specialty, à la société anonyme Axa corporate solutions assurance, à la société anonyme Generali Iard, à la société anonyme Helvetia assurances, à la société de droit anglais Great Lakes Reinsurance Plc, à la société anonyme Covea Risk et au Grand Port maritime du Havre.

N°19DA01364 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01364
Date de la décision : 11/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Ports - Utilisation des ports - Navigation dans les ports.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute - Responsabilité encourue du fait de l'exécution - de l'existence ou du fonctionnement de travaux ou d'ouvrages publics - Usagers des ouvrages publics.


Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: M. Julien Sorin
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : SCP DUBOSC PRESCHEZ CHANSON MISSOTY MOREL KACI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-05-11;19da01364 ?
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