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02/12/2021 | FRANCE | N°19DA02129

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 02 décembre 2021, 19DA02129


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Dovre France a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 novembre 2013.

Par un jugement n° 1706119 du 10 juillet 2019, le tribunal administratif de Li

lle a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Dovre France a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 novembre 2013.

Par un jugement n° 1706119 du 10 juillet 2019, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 septembre 2019, la SARL Dovre France, représentée par Me Righi et Me Lieutier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de lui accorder la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de la période au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 novembre 2013 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

* le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

* le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

* le rapport de M. Sauveplane, président assesseur,

* et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Dovre France, qui exerce une activité de distribution pour le compte de sa société mère située en Belgique, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause les déficits initialement déclarés par cette société au titre des exercices clos en 2011 et 2013. En conséquence, l'administration a rappelé des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er juillet 2011 au 30 novembre 2013 et l'a assujettie à des cotisation supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013 en suivant la procédure de redressement contradictoire. La SARL Dovre France relève appel du jugement du 10 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. La SARL Dovre France reprend en appel les moyens, déjà énoncés devant les premiers juges, tirés de la méconnaissance des dispositions du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales et des dispositions de l'article L. 57 du même livre. Il y a lieu toutefois d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 2 à 7 du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé des impositions supplémentaires en litige :

En ce qui concerne la rectification relative à la provision sur stock :

3. Aux termes de l'article 38 decies de l'annexe III au code général des impôts : " Si le cours du jour à la date de l'inventaire des marchandises, matières premières, matières et fournitures consommables, produits intermédiaires, produits finis et emballages commerciaux perdus en stock au jour de l'inventaire est inférieur au coût de revient défini à l'article 38 nonies, l'entreprise doit constituer, à due concurrence, des provisions pour dépréciation. ".

4. En application de ces dispositions, la dépréciation résultant de l'évaluation au cours du jour doit être constatée par voie de provision. Une entreprise qui constitue une provision pour dépréciation des stocks à la clôture de l'exercice doit être en mesure de justifier par tous moyens que le cours du jour à la clôture de l'exercice, ou la valeur probable de réalisation pour les marchandises, qui ne font pas l'objet d'un marché régulier, est inférieur à leur coût de revient.

5. La SARL Dovre France a comptabilisé une provision sur stock de 246 580 euros au titre de l'exercice clos en 2011, 200 687 euros au titre de l'exercice clos en 2012 et 319 039 euros au titre de l'année 2013. Les provisions ont été calculées de manière forfaitaire en fonction de l'ancienneté du stock, soit 50 % en cas d'absence de vente pendant l'année et 100 % au-delà. Toutefois, la société s'est révélée incapable au cours du débat oral et contradictoire de justifier tant de l'état des stocks que du bien-fondé du pourcentage retenu pour constituer la provision.

6. En l'espèce, la SARL Dovre France n'a jamais justifié du principe même de la provision qu'elle a comptabilisée dès lors qu'elle n'a jamais justifié ni de la dépréciation de son stock, notamment de sa perte de valeur vénale, ni même de la consistance du stock à déprécier. Elle n'a pas davantage justifié du calcul de la provision comptabilisée. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a rejeté la provision ainsi constituée par la SARL Dovre France pour dépréciation de stock.

En ce qui concerne la rectification relative à la perte pour créance irrécouvrable :

7. Aux termes du I de l'article 38 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / (...) ". Aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (...) ".

8. En vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est à dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.

9. La SARL Dovre France a comptabilisé en pertes sur créances irrécouvrables la somme de 74 151 euros au titre de l'exercice 2012 au titre des créances détenues sur la société Le Fleuron 47. L'administration a remis en cause la comptabilisation de cette perte au motif que le directeur commercial de la SARL Dovre France avait abusé de ses fonctions pour détourner à son profit, via la société Le Fleuron 47 et au motif que la gouvernance défaillante de la société mère de la SARL Dovre France, la société Dovre Belgique, avait renoncé à engager des poursuites contre le directeur commercial et préféré faire supporter à la société des pertes plutôt que de récupérer, y compris par voie judiciaire, ses créances.

10. En premier lieu, si la société requérante soutient que la créance détenue sur la société Le Fleuron 47 n'avait pas à figurer à l'actif du bilan des exercices contrôlés en raison de la prescription intervenue au cours d'exercices antérieurs, elle se borne à de simples allégations et n'apporte notamment pas la preuve, qui lui incombe, de la prescription invoquée de la créance détenue sur la société Le Fleuron 47. La circonstance que le tribunal de commerce d'Agen a prononcé un jugement, en date du 3 mai 2011, ordonnant le placement en liquidation judiciaire de la société Le Fleuron 47 reste, à cet égard, sans influence sur l'existence de la prescription de la créance alléguée.

11. En second lieu, il résulte de l'instruction qu'en date du 3 mai 2011, le tribunal de commerce d'Agen a prononcé un jugement de placement en liquidation judiciaire de la société Le Fleuron 47. Toutefois, même s'il ne résulte pas de l'instruction que les ventes à la société Le Fleuron 47 ne seraient pas rattachables à la gestion normale de l'entreprise dès lors que ces ventes n'avaient aucun caractère fictif ou frauduleux, le caractère certain de la perte ne peut être établi du seul fait de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire du débiteur. Dès lors, la société n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, du caractère définitivement irrécouvrable de la créance détenue sur la société Le Fleuron 47. Il en va de même, s'agissant des pertes sur les autres créances irrécouvrables pour un montant de 241 235 euros en 2013, en l'absence de toute démonstration par la SARL Dovre France, à qui appartient la charge de la preuve, du caractère irrécouvrable de ces créances. Par suite, l'administration n'était pas tenue d'apporter la preuve de l'existence d'un acte anormal de gestion dès lors qu'en l'espèce les conditions de déduction d'une perte sur le fondement du 1° de l'article 39 du code général des impôts n'étaient pas réunies, faute pour la société d'apporter la preuve du caractère définitivement irrécouvrable de ces créances. C'est donc à bon droit que l'administration a remis en cause la comptabilisation par la SARL Dovre France de la perte sur créance irrécouvrable.

En ce qui concerne la demande de compensation :

12. La SARL Dovre France sollicite la compensation entre, d'une part, la réintégration des pertes sur créance irrécouvrable notifiée par le service et, d'autre part, la reprise des provisions correspondantes au titre du même exercice.

13. Aux termes de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. " Aux termes de l'article L. 205 du même livre : " Les compensations de droits prévues aux articles L 203 et L 204 sont opérées dans les mêmes conditions au profit du contribuable à l'encontre duquel l'administration effectue une rectification lorsque ce contribuable invoque une surtaxe commise à son préjudice ou lorsque la rectification fait apparaître une double imposition. ".

14. En application de ces dispositions, le contribuable peut solliciter le dégrèvement total ou partiel d'une imposition consécutive à une rectification justifiée notamment lorsque la rectification fait apparaître une double imposition. Le contribuable qui invoque l'existence d'une surtaxe ou d'une double imposition supporte la charge de la preuve.

15. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la date du placement en liquidation judiciaire de la société Le Fleuron 47 par le jugement du tribunal de commerce d'Agen, la SARL Dovre France a provisionné la créance qu'elle détenait sur cette société à hauteur de 74 150,80 euros. Lors de la comptabilisation en perte sur créances irrécouvrables de cette somme de 74 151,80 euros au titre de l'exercice 2012, la SARL Dovre France a procédé à la reprise de la provision de 74 150,80 euros. Dès lors, la société est fondée à soutenir que la réintégration par l'administration dans son résultat imposable du même exercice des sommes qu'elle avait déduites en raison de la perte des créances sur la société Le Fleuron 47, soit 74 150,80 euros, fait apparaître une double imposition à hauteur de cette somme correspondant à la reprise des provisions sur ces créances. Il y a donc lieu de faire droit à sa demande de compensation en réduisant de ce montant la base de son imposition à l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2012.

16. En second lieu, s'agissant des créances détenues sur les autres sociétés Le Fleuron pour un montant de 241 235 euros en 2013, il résulte du document fourni par le comptable de l'entreprise que la SARL Dovre France n'a pas procédé à la reprise des provisions comptabilisées pour ces sociétés. Dès lors, elle n'est pas fondée, pour les sommes concernées, à invoquer la compensation légale prévue aux articles L. 203 et suivants du livre des procédures fiscales.

Sur les pénalités :

17. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; / (...) ". En outre, en vertu de l'article L. 195 A du code général des impôts, en cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs, la preuve des manquements délibérés incombe à l'administration.

18. En se bornant à soutenir que la société ne pouvait ignorer qu'elle n'était pas fondée à déduire de son résultat imposable les pertes sur créances irrécouvrables alors qu'elle n'avait mis aucune diligence pour recouvrer les créances dues par la société Le Fleuron 47, l'administration ne démontre pas l'intention délibérée de la SARL Dovre France d'éluder le paiement de l'impôt normalement dû. En particulier, quelles qu'aient été les carences dans l'organisation et dans la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, les irrégularités comptables litigieuses ne sauraient résulter d'une erreur volontairement commise par la société dès lors qu'elles ont été réalisées par un salarié qui, outrepassant l'exercice normal de ses fonctions, a réalisé des ventes avec des sociétés qu'il contrôlait sans honorer le paiement de ces commandes. La circonstance que la société n'aurait pas réalisé toutes les diligences commerciales pour récupérer sa créance sur la société Le Fleuron 47 ne saurait, à elle seule, valoir preuve de l'intention délibérée d'éluder le paiement de l'impôt. Dès lors, la SARL Dovre France est fondée à demander la décharge de la majoration de 40 % appliquée sur les rectifications d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée procédant des pertes constatées en comptabilité sur les créances irrécouvrables sur les sociétés Le Fleuron.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Dovre France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la réduction de ses bases imposables à l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2012 de la somme de 74 150,80 euros et à la décharge de la majoration de 40 % appliquée sur les rectifications d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée procédant des pertes constatées en comptabilité sur les créances irrécouvrables sur les sociétés Le Fleuron.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, qui doit être tenu comme ayant la qualité de partie perdante, le versement à la SARL Dovre France de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Les bases imposables de la SARL Dovre France à l'impôt sur les sociétés sont réduites de la somme de 74 150,80 euros au titre de l'exercice clos en 2012.

Article 2 : Il est accordé à la SARL Dovre France une réduction, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2012 correspondant à la différence entre les bases d'imposition sur lesquelles ces cotisations ont été assises et celles résultant de l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : La SARL Dovre France est déchargée de la majoration de 40 % appliquée sur les rectifications d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée procédant des pertes constatées en comptabilité sur les créances irrécouvrables sur les sociétés Le Fleuron.

Article 4 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la SARL Dovre France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le jugement n° 1706119 du 10 juillet 2019 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Dovre France est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Dovre France et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

N°19DA02129 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA02129
Date de la décision : 02/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Mathieu Sauveplane
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : RIGHI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-12-02;19da02129 ?
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