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16/12/2021 | FRANCE | N°19DA01048

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 16 décembre 2021, 19DA01048


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Milliken Fabrics a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de retenue à la source mis à sa charge, au titre de l'exercice clos en 2009, pour un montant total de 946 646 euros.

Par un jugement n° 1601267 du 7 mars 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 mai 2019, le 8 octobre 201

9 et le 20 février 2020, la SAS Milliken Fabrics, représentée par Me Berger, demande à la cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Milliken Fabrics a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de retenue à la source mis à sa charge, au titre de l'exercice clos en 2009, pour un montant total de 946 646 euros.

Par un jugement n° 1601267 du 7 mars 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 mai 2019, le 8 octobre 2019 et le 20 février 2020, la SAS Milliken Fabrics, représentée par Me Berger, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de prononcer la décharge, en droits, intérêts de retard et pénalités, du rappel de retenue à la source en litige ;

3°) à titre subsidiaire, de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle de savoir si l'article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation d'un Etat membre soumettant à une retenue à la source les dividendes distribués par une société résidente à une société non-résidente, dans le cadre d'un régime d'imposition exclusive, tel que prévu par la convention fiscale applicable, sans que cette société bénéficiaire non résidente puisse bénéficier d'un régime de report d'imposition ou d'exonération ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention entre la France et le grand-duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Paris le 1er avril 1958, ainsi que ses avenants signés le 8 septembre 1970 et le 24 novembre 2006 ;

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'arrêt C-575/17 de la Cour de justice de l'Union européenne du 22 novembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Milliken Fabrics, qui a son siège à Roisel (Somme), a pour activité la fabrication d'étoffes à mailles. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 2008 au 29 novembre 2009, étendue au 30 septembre 2010 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. A l'issue de ce contrôle, l'administration a estimé que la SAS Milliken Fabrics aurait dû soumettre à la retenue à la source prévue à l'article 119 bis du code général des impôts la somme de 14 599 261 euros qu'elle avait versée, au cours de la période vérifiée, à la société luxembourgeoise Milliken Luxembourg, après avoir regardé ce versement comme constituant une distribution de dividendes. L'administration a informé la SAS Milliken Fabrics de la rectification qu'elle envisageait sur ce point par une proposition de rectification qu'elle lui a adressée le 3 avril 2012. Les observations formulées par la SAS Milliken Fabrics n'ayant pas amené l'administration à revoir son appréciation, ni davantage l'entretien accordé à ses représentants par le supérieur hiérarchique du vérificateur et l'interlocuteur fiscal interrégional, le rappel de retenue à la source résultant des rectifications notifiées a été mis en recouvrement le 12 mars 2013 pour un montant total, en droits et pénalités, de 946 646 euros. Sa réclamation ayant été rejetée, la SAS Milliken Fabrics a porté le litige devant le tribunal administratif d'Amiens, en lui demandant de prononcer la décharge, en droits et pénalités, du rappel de retenue à la source ainsi mis à sa charge, au titre de l'exercice clos en 2009. Elle relève appel du jugement du 7 mars 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des motifs du jugement attaqué, aux points 6 et 7, que les premiers juges, après avoir exposé que, selon les dispositions de l'article L. 232-12 du code de commerce, la part attribuée, sous forme de dividendes, aux associés d'une société doit être déterminée par l'assemblée générale après approbation des comptes annuels et constatation de l'existence des sommes distribuables, ont constaté qu'en l'espèce, le versement effectué au bénéfice de la société Milliken Luxembourg avait été décidé par une assemblée générale des actionnaires de la SAS Milliken Fabrics réunie le 2 juin 2009, peu de temps après celle du 26 mai 2009, au cours de laquelle l'assemblée générale des actionnaires avait approuvé les comptes de l'exercice clos en 2008. Ils ont ensuite tiré de ce constat la conclusion que la somme versée par la SAS Milliken Fabrics à la société Milliken Luxembourg, son associée, en exécution de cette délibération du 2 juin 2009, et mise en paiement neuf mois après la clôture de cet exercice, procédait d'une distribution de dividendes pour l'application de la loi fiscale. Par ces motifs, les premiers juges ont, contrairement à ce que soutient la SAS Milliken Fabrics, apporté une réponse au moyen, que celle-ci avait soulevé, tiré de ce que la distribution que l'administration avait entendu soumettre à retenue à la source ne pouvait être regardée comme portant sur le versement de dividendes au sens de l'article L. 232-12 du code de commerce, dès lors qu'elle n'avait pas été décidée par l'assemblée générale de ses actionnaires lors de la réunion au cours de laquelle cet organe s'était prononcé sur ses comptes annuels, mais par une assemblée générale ultérieure. Le tribunal administratif n'avait pas à prendre explicitement position sur la pertinence de l'invocation par la SAS Milliken Fabrics, à titre d'argument au soutien de ce moyen, d'extraits de jurisprudence.

3. Il ressort des motifs énoncés au point 13 du jugement attaqué que, pour écarter le moyen tiré, par la SAS Milliken Fabrics, de l'invocation, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des prévisions de l'instruction n°14 B-3-04 du 24 février 2004, lesquelles commentent, à partir des stipulations de la convention fiscale conclue entre la France et le Botswana, les stipulations des conventions fiscales bilatérales dont la rédaction s'inspire du modèle proposé par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais s'écarte des stipulations spécifiques de la convention fiscale franco-algérienne, les premiers juges ont retenu que, dès lors que les stipulations de la convention fiscale franco-algérienne ne définissaient pas la notion de dividendes dans des termes identiques à ceux utilisés par la convention fiscale franco-luxembourgeoise, la SAS Milliken Fabrics ne pouvait se prévaloir de ces énonciations. Ces motifs constituent une réponse suffisamment précise et complète au moyen soulevé par la SAS Milliken Fabrics. Le fait, à le supposer établi, que cette réponse reposerait sur un raisonnement erroné, voire sur une erreur de plume, est sans incidence sur le caractère suffisant de la motivation sur ce point du jugement attaqué.

4. Il résulte de ce qui précède que la SAS Milliken Fabrics n'est pas fondée à soutenir que le jugement du tribunal administratif d'Amiens est entaché d'une irrégularité de nature à entraîner son annulation.

Sur le bien-fondé de l'imposition en litige :

En ce qui concerne la qualification juridique attribuée par l'administration au versement en cause :

5. Au cours de la vérification de comptabilité dont la SAS Milliken Fabrics a fait l'objet, le vérificateur a constaté que le montant du capital de cette société s'élevait, durant la période allant du 1er décembre 2008 au 29 novembre 2009, à 1 959 625 euros, ce montant étant réparti en 128 500 parts sociales, dont 128 492, soit 99,99 %, étaient alors détenues, jusqu'au 21 avril 2009, par la société mère du groupe à laquelle la SAS Milliken Fabrics appartient, à savoir la société de droit américain Milliken et Company. Il a été porté à la connaissance du vérificateur que, le 21 avril 2009, cette société américaine avait cédé à la société Milliken Luxembourg, qui avait été créée le 6 mars 2009 et dont elle était l'unique associée, l'intégralité de ses participations au capital de la SAS Milliken Fabrics. Il est apparu également que, par une délibération du 26 mai 2009 produite devant les premiers juges, les actionnaires de la SAS Milliken Fabrics, réunis en assemblée générale ordinaire annuelle, avaient approuvé les comptes de cette société en ce qui concerne son exercice clos le 30 novembre 2008 et décidé d'affecter en totalité au compte de report à nouveau le résultat, s'élevant à 1 624 924 euros, réalisé au titre de cet exercice, en faisant le constat qu'aucun dividende n'avait été distribué au titre des trois exercices précédents. Enfin, le vérificateur a pu constater que, par une délibération du 2 juin 2009, les actionnaires de la SAS Milliken Fabrics, réunis en assemblée générale ordinaire, avaient décidé la distribution exceptionnelle d'une somme de 14 600 170 euros prélevée sur le compte de report à nouveau, lequel présentait alors un solde créditeur de 14 609 433 euros. En exécution de cette dernière délibération, la SAS Milliken Fabrics a ainsi versé à la société Milliken Luxembourg, détentrice de 99,99 % de son capital social, la somme de 14 599 261 euros, que l'administration a regardée, pour la soumettre à la retenue à la source prévue à l'article 119 bis du code général des impôts, comme procédant d'une distribution de dividendes.

6. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

7. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 232-11 du code de commerce : " (...) l'assemblée générale peut décider la mise en distribution de sommes prélevées sur les réserves dont elle a la disposition. En ce cas, la décision indique expressément les postes de réserve sur lesquels les prélèvements sont effectués. Toutefois, les dividendes sont prélevés par priorité sur le bénéfice distribuable de l'exercice. / (...) ". Aux termes de l'article L. 232-12 de ce code : " Après approbation des comptes annuels et constatation de l'existence de sommes distribuables, l'assemblée générale détermine la part attribuée aux associés sous forme de dividendes. / Toutefois, lorsqu'un bilan établi au cours ou à la fin de l'exercice et certifié par un commissaire aux comptes fait apparaître que la société, depuis la clôture de l'exercice précédent, après constitution des amortissements et provisions nécessaires, déduction faite s'il y a lieu des pertes antérieures ainsi que des sommes à porter en réserve en application de la loi ou des statuts et compte tenu du report bénéficiaire, a réalisé un bénéfice, il peut être distribué des acomptes sur dividendes avant l'approbation des comptes de l'exercice. Le montant de ces acomptes ne peut excéder le montant du bénéfice défini au présent alinéa. (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-13 du même code : " Les modalités de mise en paiement des dividendes votés par l'assemblée générale sont fixées par elle ou, à défaut, par le conseil d'administration, le directoire ou les gérants, selon le cas. / Toutefois, la mise en paiement des dividendes doit avoir lieu dans un délai maximal de neuf mois après la clôture de l'exercice. (...) ".

8. Il résulte des dispositions précitées du code de commerce que les dividendes, dont les dispositions du code général des impôts ne donnent pas une définition différente, sont constitués des produits distribués par une société à ses associés en vertu d'une décision prise régulièrement par l'assemblée générale de ses actionnaires ou porteurs de parts. En revanche, il ne résulte ni de ces dispositions du code de commerce, ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire, que l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires ou une assemblée générale ordinaire n'ayant pas pour ordre du jour l'approbation des comptes annuels serait privée de la possibilité de procéder, pour autant que l'approbation des comptes de l'exercice concerné ait précédé sa propre délibération, à la distribution de dividendes, la compétence de l'assemblée générale ordinaire approuvant les comptes n'étant à cet égard pas exclusive.

9. Eu égard aux principes énoncés au point précédent, la délibération prise le 2 juin 2009 par l'assemblée générale ordinaire des actionnaires de la SAS Milliken Fabrics pour autoriser la distribution exceptionnelle, au profit de la société Milliken Luxembourg, détentrice de la majeure partie du capital de la SAS Milliken Fabrics, d'une somme de 14 600 170 euros prélevée sur son compte de report à nouveau, laquelle délibération est postérieure de quelques jours à l'approbation, par une délibération du 26 mai 2009 de l'assemblée générale ordinaire de la SAS Milliken Fabrics, des comptes de l'exercice clos en 2008, doit être regardée comme ayant décidé ce versement à titre de dividendes, au sens des dispositions précitées des articles L. 232-11 à L. 232-13 du code de commerce.

10. La SAS Milliken Fabrics invoque, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, l'instruction n°4 J-2-01 du 28 décembre 2001, en faisant observer que celle-ci n'a pas été rapportée, mais reprise au paragraphe n°230 de la doctrine publiée au bulletin officiel des finances publiques sous la référence BOI-RPPM-RCM-20-10-30-10. Toutefois, cette instruction a pour objet de traiter des distributions ouvrant droit à l'avoir fiscal et ne concerne pas la question de l'assujettissement à retenue à la source de dividendes versés par une société à une société associée non résidente. Au surplus, cette instruction ne donne pas de la notion de dividendes une définition différente de celle que le présent arrêt retient. Dès lors, la SAS Milliken Fabrics n'est pas fondée à se prévaloir de cet extrait de doctrine administrative pour soutenir que les sommes qu'elle a versées à la société Milliken Luxembourg n'ont pas la nature de dividendes pouvant légalement être soumis à retenue à la source.

En ce qui concerne le fondement légal de l'imposition en litige et sa compatibilité avec le droit de l'Union européenne :

11. Aux termes du 1 de l'article 109 du code général des impôts : " Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / (...) ". Aux termes du 2 de l'article 119 bis de ce code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187-1 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. (...) ".

12. L'administration, après avoir regardé, à bon droit, ainsi qu'il a été dit au point 9, la somme de 14 600 170 euros versée par la SAS Milliken Fabrics, au cours de son exercice clos en 2009, à la société Milliken Luxembourg comme procédant d'une distribution de dividendes à une associée non résidente, a estimé que ce versement aurait dû faire l'objet de la retenue à la source prévue par les dispositions précitées du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts et l'a soumis à cette imposition.

13. Par son arrêt du 22 novembre 2018, Sofina SA, Rebelco SA et Sidro SA contre ministre de l'action et des comptes publics (affaire C-575/17), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que, du fait de la différence de technique d'imposition des dividendes entre les sociétés non-résidentes, qui sont imposées immédiatement et définitivement lors de leur perception par une retenue à la source, et les sociétés résidentes, qui sont imposées en fonction du résultat net bénéficiaire ou déficitaire enregistré, la législation française procure un avantage fiscal substantiel aux sociétés résidentes en situation déficitaire dont ne bénéficient pas les sociétés non-résidentes déficitaires et que cette différence de traitement dans l'imposition des dividendes, qui ne se limite pas aux modalités de perception de l'impôt, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux qui n'est pas justifiée par une différence de situation objective. En l'absence de justification pertinente à cette restriction, la Cour de justice a dit pour droit que " les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation d'un Etat membre (...) en vertu de laquelle les dividendes distribués par une société résidente font l'objet d'une retenue à la source lorsqu'ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu'ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel ils ont été perçus qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice, une telle imposition pouvant, le cas échéant, ne jamais intervenir si ladite société cesse ses activités sans avoir atteint un résultat bénéficiaire depuis la perception de ces dividendes ".

14. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le droit de l'Union européenne fait obstacle à ce qu'en application des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes perçus par une société non-résidente qui se trouve, au regard de la législation fiscale de son Etat de résidence, en situation déficitaire.

15. La SAS Milliken Fabrics soutient que telle était la situation de la société Milliken Luxembourg, bénéficiaire de la distribution de dividendes en cause. Toutefois, si elle produit un document présenté comme une édition des comptes annuels de la société Milliken Luxembourg, au titre de son exercice couvrant la période du 6 mars 2009 au 29 novembre 2009, et qui fait mention d'une perte de 5 160 035 euros, ce document, qui ne comporte aucune signature permettant son authentification et qui n'est pas daté, ne peut être regardé comme probant. De même, le procès-verbal de l'assemblée générale des actionnaires de la société Milliken Luxembourg, qui s'est tenue le 29 octobre 2010, s'il fait mention d'une perte à hauteur de ce montant, présente une situation contradictoire avec la déclaration de résultats souscrite auprès de l'administration fiscale luxembourgeoise par la société Milliken Luxembourg en ce qui concerne ce même exercice clos en 2009, laquelle mentionne, selon la copie de ce document versée à l'instruction par la société appelante, un bénéfice de 58 839,03 euros. Dans le dernier état de ses écritures, la SAS Milliken Fabrics soutient que cette déclaration procède d'une erreur, liée à l'omission de prise en compte par cette société d'une importante perte financière. Afin de justifier cette allégation, elle produit un document, établi le 13 août 2019 par l'administration luxembourgeoise des contributions directes, qui présente un état de la situation fiscale de la société Milliken Luxembourg en 2018, et qui indique, en particulier, que cette société a fait état, à la clôture de son exercice 2018, d'un montant total de pertes reportables de 45 148 519,57 euros. Toutefois, il résulte des mentions mêmes de ce document que ce montant prend en compte les seules pertes déclarées par cette société au titre de ses exercices clos de 2010 à 2017, de sorte que l'existence, en 2018, de ce montant de pertes reportables n'est pas de nature à établir la situation déficitaire qui aurait été celle de la société Milliken Luxembourg à la clôture de son exercice 2009. Dans ces conditions, il ne peut être tenu pour établi que cette société aurait été, en réalité, en situation déficitaire à la clôture de son exercice 2009. En tout état de cause, une telle situation déficitaire de cette société non résidente n'impliquerait pas, par elle-même, la décharge de la retenue à la source que la SAS Milliken Fabrics conteste, mais ouvrirait seulement à cette dernière un droit à restitution des sommes acquittées par elle à ce titre. Dès lors, et sans qu'il soit besoin pour la cour de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suggérée par la société appelante, les moyens tirés de ce que les principes de libre circulation des capitaux et de liberté d'établissement, tels qu'ils sont reconnus par le droit de l'Union européenne, faisaient obstacle à ce que les dividendes versés, au titre de cet exercice, à cette société par la SAS Milliken Fabrics soient soumis à une retenue à la source en application des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne l'invocation des stipulations de la convention fiscale bilatérale :

16. Aux termes de l'article 8 de la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958, dans sa rédaction issue de l'avenant signé le 8 septembre 1970 : " 1. Les dividendes payés par une société qui a son domicile fiscal dans un Etat contractant à une personne qui a son domicile fiscal dans l'autre Etat contractant sont imposables dans cet autre Etat. / 2. a) Toutefois, ces dividendes peuvent être imposés dans l'Etat contractant où la société qui paie les dividendes à son domicile fiscal, et selon la législation de cet Etat, mais l'impôt ainsi établi ne peut excéder : / 1. 5 p. 100 du montant brut des dividendes si le bénéficiaire des dividendes est une société de capitaux qui détient directement au moins 25 p. 100 du capital social de la société de capitaux qui distribue les dividendes ; / 2. 15 p. 100 du montant brut des dividendes, dans tous les autres cas. / (...) / 5. Le terme "dividendes", au sens du présent article, désigne les revenus provenant d'actions, actions ou bons de jouissance, parts de fondateur ou autres parts bénéficiaires à l'exception des créances, ainsi que les revenus d'autres parts sociales assimilés aux revenus d'actions par la législation fiscale de l'Etat où la société distributrice à son domicile fiscal. (...) ". Aux termes de l'article 18 de la même convention : " Les revenus non mentionnés aux articles précédents ne sont imposables que dans l'Etat du domicile fiscal du bénéficiaire. ". Enfin, aux termes de l'article 19 de la même convention, dans sa rédaction issue de l'avenant signé le 8 septembre 1970 : " 1. Les revenus qui, d'après les dispositions de la présente Convention, ne sont imposables que dans l'un des deux Etats ne peuvent pas être imposés dans l'autre Etat, même par voie de retenue à la source. (...) ".

17. Les stipulations précitées de l'article 8 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, ni aucune des autres stipulations de cette convention, ne donnent de la notion de dividendes une définition plus restrictive que celle retenue au point 8 au regard des dispositions du droit interne codifiées aux articles L. 232-11 à L. 232-13 du code de commerce, la définition donnée par ces stipulations de la convention ne faisant notamment pas dépendre la qualification de dividendes des conditions dans lesquelles le versement des sommes correspondantes a été décidé. Il suit de là que les stipulations précitées de l'article 8 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise ne faisaient pas juridiquement obstacle à ce que la somme versée, au cours de son exercice clos en 2009, par la SAS Milliken Fabrics à la société Milliken Luxembourg soit regardée, au sens de cette convention, comme ayant la nature de dividendes. Enfin, dès lors qu'il n'est pas allégué que le montant de l'imposition excèderait les plafonds prévus par le a) du 2 de l'article 8 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, les stipulations de cet article, ni davantage celles des articles 18 et 19 de la même convention, ne faisaient obstacle à ce que cette somme soit soumise, en conséquence, en France, entre les mains de la société versante, à la retenue à la source prévue par les dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts.

18. La SAS Milliken Fabrics invoque enfin, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, le bénéfice de l'instruction n°14 B-3-04 du 24 février 2004, qui commente, à partir de l'exemple de la convention fiscale conclue entre la France et le Botswana, celles des stipulations des conventions bilatérales conclues en vue d'éviter les doubles impositions qui s'inspirent du modèle proposé par l'OCDE et qui ne sont pas rédigées dans des termes identiques à celles de la convention franco-algérienne. Les prévisions de cette instruction interprètent les stipulations de telles conventions bilatérales, rédigées selon le modèle proposé par l'OCDE, comme réservant l'application d'une retenue à la source aux distributions décidées par l'assemblée générale des actionnaires réunie annuellement pour se prononcer sur les comptes de l'exercice écoulé. Toutefois, il résulte de la comparaison entre les stipulations, précitées, du point 5 de l'article 8 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise et celles, citées par l'instruction du 24 février 2004, du paragraphe 4 de l'article 10 de la convention fiscale conclue entre la France et le Botswana le 15 avril 1999 que l'une et l'autre de ces stipulations ne sont pas strictement rédigées dans les mêmes termes. Par suite, eu égard au principe selon lequel la doctrine administrative ne peut être interprétée mais doit être lue strictement, la SAS Milliken Fabrics n'est pas fondée à invoquer la définition de la notion de dividendes donnée par l'instruction du 24 février 2004, à partir des conventions fiscales bilatérales conclues, comme la convention fiscale conclue entre la France et le Botswana, sur le modèle élaboré par l'OCDE, dès lors que la convention fiscale conclue entre le France et le Luxembourg n'est pas strictement rédigée selon les termes proposés par ce modèle de convention.

Sur la régularité de l'avis de mise en recouvrement :

19. L'avis de mise en recouvrement adressé le 12 mars 2013 à la SAS Milliken Fabrics fait référence, conformément aux prescriptions de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales relatives aux mentions que doit contenir un tel avis, aux documents adressées à cette société dans le cadre de la procédure d'établissement des impositions qu'il a pour objet de recouvrer, à savoir la proposition de rectification du 3 avril 2012 ainsi que la réponse apportée le 10 septembre 2012 aux observations de cette société. Or, ces documents comportent l'énoncé des motifs de droit, par référence aux dispositions applicables du code général des impôts, et des motifs de fait sur lesquels l'administration s'est fondée pour asseoir les rectifications notifiées et pour déterminer le montant, repris dans l'avis de mise en recouvrement, des impositions en résultant. Ainsi, la SAS Milliken Fabrics a été mise en mesure de comprendre la nature, le fondement légal et l'objet des créances dont le paiement lui était demandé. Par ailleurs, la doctrine publiée le 17 juillet 2015 au bulletin officiel des impôts sous la référence BOI-REC-PREA-10-10-20, notamment les énonciations de son paragraphe n°50, ne comportent pas, sur ce point, une interprétation des règles qui soit différente de celle dont le présent arrêt fait application. Par suite, la SAS Milliken Fabrics n'est pas fondée à s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Milliken Fabrics n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans le présent litige, au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la SAS Milliken Fabrics.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SAS Milliken Fabrics est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Milliken Fabrics et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

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N°19DA01048


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01048
Date de la décision : 16/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Conventions internationales.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Cotisations d`IR mises à la charge de personnes morales ou de tiers - Retenues à la source.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS ERNST et YOUNG

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-12-16;19da01048 ?
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