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21/12/2021 | FRANCE | N°20DA01474

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 21 décembre 2021, 20DA01474


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Gisors à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice résultant de sa prise en charge fautive par cet établissement, à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale et, en tout état de cause, de mettre à la charge du centre hospitalier de Gisors une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par

un jugement n°1802017 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Rouen a ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Gisors à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice résultant de sa prise en charge fautive par cet établissement, à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale et, en tout état de cause, de mettre à la charge du centre hospitalier de Gisors une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n°1802017 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné le centre hospitalier de Gisors à verser à Mme B... une somme de 5 000 euros en indemnisation de ses préjudices résultant de sa prise en charge dans cet établissement et 1 500 euros au titre des frais de l'instance, rejetant le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 septembre 2020, Mme A... B..., représentée par Me Olivier Lopes, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Gisors à lui verser une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice résultant de sa prise en charge fautive par cet établissement ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner, avant dire droit, une expertise médicale aux fins de confirmer ou d'infirmer les conclusions du rapport d'expertise non contradictoire ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Gisors une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n°88-386 du 19 avril 1988 ;

- le décret n°88-976 du 13 octobre 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Anne Khater, première conseillère,

- les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public,

- et les observations de Me Hubert Demailly pour le centre hospitalier de Gisors.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 septembre 2016, à 21 heures, Mme A... B..., née le 10 septembre 1980 et atteinte d'une endométriose pelvienne dont le diagnostic a été confirmé en 2014, a été admise à la maternité du centre hospitalier de Gisors à 36 semaines d'aménorrhée plus un jour, pour son accouchement. À 5 heures 15 du matin puis de nouveau à 6 heures 55, alors qu'elle était hyperalgique depuis plusieurs heures, elle a présenté deux très violentes douleurs. Les examens réalisés n'ont pas révélé d'anomalie significative, tant chez la mère que chez l'enfant à naître, le fœtus présentant une bonne vitalité. Toutefois, à 7 heures 30, une hypoxie fœtale a été détectée, conduisant l'équipe obstétricale à décider d'une césarienne en urgence qui a été réalisée à 8 heures 10. Cette intervention, à la suite de laquelle l'enfant est né avec un examen neurologique et pédiatrique normal, a toutefois révélé chez Mme B... la présence d'un hémopéritoine important. L'examen exploratoire réalisé par les chirurgiens a ainsi mis en évidence des lésions utérines, qui ont été suturées après la réalisation de la césarienne. Mais à son admission en salle de surveillance post-opératoire, Mme B... a immédiatement ressenti de violentes douleurs abdominales et présenté des saignements vaginaux très importants. La persistance de l'hémorragie et la baisse de la tension artérielle de Mme B... a alors conduit l'équipe médicale du centre hospitalier de Gisors à transférer la patiente au centre hospitalier universitaire régional de Rouen où a été réalisée une laparotomie qui a permis de constater la récidive de l'hémopéritoine, le foyer hémorragique étant localisé au niveau du pédicule utérin droit. Une ligature de l'artère utérine réalisée par les praticiens de ce centre hospitalier a permis d'arrêter l'hémorragie puis de transférer la patiente en gynécologie le 24 septembre 2016, avant sa sortie, le 29 septembre suivant.

2. Après avoir obtenu copie de son dossier médical, Mme B... a sollicité une expertise du professeur Boog, professeur émérite, spécialiste en gynécologie-obstétrique qui, dans un rapport établi non contradictoirement le 18 mai 2017, a conclu à une mauvaise prise en charge par le centre hospitalier de Gisors, des lésions utérines constatées dans les suites de l'accouchement. Estimant la totalité de sa prise en charge au centre hospitalier de Gisors fautive, Mme B... a présenté une réclamation préalable au directeur de ce centre hospitalier qui l'a rejetée le 28 mars 2018. Par un jugement du 9 juillet 2020, le tribunal administratif de Rouen a condamné le centre hospitalier de Gisors à verser à Mme B... une somme de 5 000 euros en indemnisation des préjudices résultant de la faute commise dans la prise en charge des lésions utérines de l'intéressée, à l'exclusion de toute faute dans la démarche diagnostique de l'hémopéritoine. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses demandes. Le centre hospitalier de Gisors, par la voie de l'appel incident, en demande l'annulation en tant qu'il l'a condamné à indemniser Mme B... des préjudices résultant de la prise en charge de ses lésions utérines.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Gisors :

En ce qui concerne le retard au diagnostic de l'hémopéritoine et de sa récidive :

3. Il résulte de l'instruction et, en particulier, des constatations et conclusions du rapport d'expertise médicale du professeur Boog réalisée à la demande de Mme B..., que ne peut être regardée comme tardive ou fautive la mise en évidence, seulement à l'occasion de la laparotomie, au stade de la césarienne, de l'hémopéritoine qui s'était constitué chez Mme B... avant l'accouchement. Il résulte du rapport d'expertise que l'examen échographique de la zone pelvienne et abdominale réalisé à 0 heures 40 par l'obstétricien de garde du centre hospitalier ne pouvait mettre en évidence cet hémopéritoine car la collection sanguine, limitée à la partie basse de l'abdomen, était masquée par le muscle utérin et par les structures fœtales qui absorbaient massivement les ultrasons. Selon cet expert, l'hémopéritoine ne devient détectable qu'au stade massif, lorsque la collection sanguine dépasse le sommet de l'utérus de sorte que, même une échographie par voie vaginale ne permet pas de bien visualiser le sang dans le cul-de-sac de Douglas, alors comblé par l'utérus gravide. L'expert ajoute que même si une nouvelle échographie avait pu être réalisée à 5 heures 15, dans les suites immédiates de l'épisode douloureux aigu subi par Mme B..., aucune certitude n'aurait pu être dégagée quant à l'efficacité de cette nouvelle démarche diagnostique dès lors que rien ne permet de supposer qu'à ce stade, l'épanchement aurait été suffisant pour être visualisé. Il suit de là que la circonstance que le médecin échographiste de garde ait été absent est sans incidence sur l'efficacité de la démarche diagnostique qui a été entreprise par l'équipe médicale du centre hospitalier de Gisors. Dans ces conditions, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité du centre hospitalier de Gisors est engagée au titre d'un retard au diagnostic de l'hémopéritoine qu'elle a subi ou d'une démarche diagnostique insuffisante imputable à un mauvais fonctionnement du service public hospitalier.

4. Par ailleurs, il ne résulte pas non plus de l'instruction que l'équipe médicale aurait été défaillante dans sa démarche diagnostique de la récidive de l'hémopéritoine alors que l'expert souligne que la surveillance post-opératoire de Mme B... a été constante et attentive, permettant une détection rapide, dès la première heure de séjour en salle post-interventionnelle, de la poursuite des saignements provoquée par l'hémopéritoine, ainsi que de la persistance de la tachycardie. Il suit de là que la responsabilité du centre hospitalier de Gisors ne peut pas plus être engagée sur le fondement d'un retard au diagnostic de la récidive de l'hémopéritoine.

En ce qui concerne la prise en charge de l'hémopéritoine :

5. En revanche, s'agissant de la prise en charge des lésions utérines imputables à l'hémopéritoine, il ressort du rapport d'expertise, qui n'est pas sérieusement contesté par le centre hospitalier de Gisors qui ne produit aucun contre-avis médical sur ce point, que cette récidive immédiate de l'hémorragie intrapéritonéale révèle une faute médicale constituée, soit par une négligence tenant à l'insuffisante exploration de la cavité pelvienne n'ayant pas permis de détecter le saignement de l'artère utérine, soit par une imprudence dans la réalisation du geste de suture de la fissuration utérine ayant provoqué une lésion de l'artère utérine. Ainsi, la récidive immédiate de l'hémopéritoine après suture de la fissuration utérine révèle un manquement commis lors de cette intervention qui visait, précisément, à traiter l'hémorragie intrapéritonéale. Cette faute médicale, quelle qu'en fût la nature, imprudence ou négligence, est à l'origine d'une aggravation de l'anémie de Mme B..., d'une chute de sa tension artérielle et de l'apparition de troubles de la coagulation déclenchant une hémorragie de la délivrance supplémentaire qui ont conduit au transfert en urgence de l'intéressée au centre hospitalier universitaire de Rouen. Il suit de là que le centre hospitalier de Gisors n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a considéré que sa responsabilité était engagée sur ce fondement.

Sur les préjudices de Mme B... :

En ce qui concerne les frais d'expertise :

6. Il résulte de l'instruction que Mme B... a dû engager des frais d'expertise non contradictoire, qui se sont avérés utiles à la solution du litige, et pour lesquels elle s'est acquittée d'une somme de 2 000 euros auprès du professeur Boog. Il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Gisors à lui rembourser, à ce titre, la somme de 2 000 euros.

En ce qui concerne les souffrances endurées :

7. Il résulte de l'instruction qu'en raison de la faute du centre hospitalier ayant conduit à une récidive de l'hémopéritoine, Mme B... a subi un transport par hélicoptère au centre hospitalier universitaire de Rouen particulièrement anxiogène, compte tenu, notamment, de sa chute de pression artérielle et des douleurs causées par l'hémorragie intrapéritonéale et qu'elle a dû subir, une seconde fois, une anesthésie générale suivie d'une laparotomie. Elle a éprouvé d'importantes douleurs post-opératoires et une période d'anémie. Ces souffrances ont été évaluées à 3,5 sur une échelle de 7. Il sera, dans ces conditions, fait une juste appréciation de ce préjudice en portant l'indemnité allouée par les premiers juges à la somme de 6 000 euros.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander que l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Gisors soit portée à la somme de 8 000 euros et qu'il y a lieu de rejeter les conclusions d'appel incident présentées par le centre hospitalier de Gisors.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Gisors une somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 5 000 euros mise à la charge du centre hospitalier de Gisors est portée à 8 000 euros.

Article 2 : Le jugement n°1802017 du 9 juillet 2020 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier de Gisors versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions d'appel de Mme B... et les conclusions d'appel incident du centre hospitalier de Gisors sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au centre hospitalier de Gisors.

3

N°20DA01474


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01474
Date de la décision : 21/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. - Existence d'une faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Anne Khater
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : SELARL PATRICE BENDJEBBAR - OLIVIER LOPES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-12-21;20da01474 ?
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