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12/04/2022 | FRANCE | N°20DA01403

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 12 avril 2022, 20DA01403


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité totale de 1 120 630,45 euros, assortie des intérêts de droit, à titre de réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins en 1976 et de mettre les dépens à la charge de l'ONIAM.



Par un jugement n°1702279 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif d'A...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité totale de 1 120 630,45 euros, assortie des intérêts de droit, à titre de réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins en 1976 et de mettre les dépens à la charge de l'ONIAM.

Par un jugement n°1702279 du 9 juillet 2020, le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'ONIAM à verser à M. D... la somme de 128 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 août 2017 et mis les frais et honoraires des expertises des docteurs E... et Lortholary d'une part, et du docteur F... d'autre part, à la charge définitive de l'ONIAM.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 9 septembre et 24 novembre 2020 et le 5 novembre 2021, M. D..., représenté par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer ce jugement en ce qu'il a limité à la somme de 128 000 euros l'indemnité qu'il a mise à la charge de l'ONIAM en réparation des préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;

2°) de porter aux sommes suivantes le montant de l'indemnité due :

- 4 326,67 euros au titre des frais divers,

- 137 336,78 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels,

- 262 063,23 euros au titre de la perte de gains professionnels futur, à titre subsidiaire à la somme de 190 921,95 euros,

- 200 000 euros au titre de l'incidence professionnelle,

- 32 857 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 80 000 euros au titre des souffrances endurées,

- 36 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,

- 10 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent,

- 15 000 euros au titre du préjudice d'agrément,

- et 100 000 euros au titre du préjudice spécifique de contamination ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il y a lieu de confirmer les premiers juges sur le caractère post-transfusionnel de l'atteinte par le virus de l'hépatite C ;

- la demande de contre-expertise formée par l'ONIAM doit être rejetée dès lors que le rapport du docteur F... ne présente pas de difficulté majeure, ni de contradiction avec le rapport des docteurs Lortholary et E... ;

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, il a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à l'occasion de son traitement par Roféron en 1989 et 1990, qui doit être indemnisé à hauteur de 4 326,67 euros ;

- il a subi un préjudice économique du fait de pertes de gains professionnels antérieurs à la consolidation de son état de santé qui doivent être évaluées à 137 336,78 euros et futures pour un montant estimé à 262 063,23 euros après application du barème de capitalisation de la Gazette du Palais ;

- l'incidence professionnelle liée à sa contamination par le VHC est importante et justifie l'allocation d'une indemnité de 200 000 euros ;

- le tribunal a commis des erreurs dans le comptage du nombre de jours à indemniser selon l'expert et il conteste le coût du déficit retenu comme base de calcul qu'il demande de porter à 25 euros par jour, soit un total de 32 857 euros ;

- il a droit à une somme de 80 000 euros en réparation des souffrances importantes qu'il a endurées durant 27 ans;

- l'indemnité allouée au titre de son déficit fonctionnel permanent doit être valorisée à la somme de 36 000 euros ;

- de même que le préjudice esthétique permanent qu'il subit à hauteur de 10 000 euros ;

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, il subit un préjudice d'agrément souligné par l'expert, du fait des nécessaires limitations physiques imposées par la cirrhose et de la perte de l'élan vital qui accompagne le syndrome dépressif chronique ;

- enfin, le montant de l'indemnité allouée au titre du préjudice spécifique de contamination reconnu par le tribunal doit être porté à la somme de 100 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2020, l'ONIAM, représenté par Me Olivier Saumon, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) d'ordonner une expertise médicale afin de déterminer les préjudices subis par M. D... en aggravation de sa contamination par le VHC ;

2°) par la voie de l'appel incident,

- d'annuler le jugement du 9 juillet 2020 en tant qu'il l'a condamné à verser une somme de 65 100 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels et de 5 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- de rejeter la demande présentée par M. D... au titre des pertes de gains professionnels actuels, futurs et de l'incidence professionnelle.

Il soutient que :

- le tribunal ne s'est pas prononcé sur sa demande de contre-expertise qu'il sollicite de nouveau ;

- le rapport d'expertise du docteur A... est imprécis quant à la détermination des préjudices subis par M. D... en aggravation de sa contamination par le VHC et est en contradiction avec les conclusions expertales des docteurs E... et Lortholory ;

- M. D... ne peut se prévaloir de l'offre adressée par l'ONIAM qui est devenue caduque ; les premiers juges ont fait une juste évaluation du déficit fonctionnel temporaire imputable à sa contamination, des souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent, du préjudice spécifique de contamination et du préjudice esthétique et, c'est à bon droit qu'ils ont rejeté les demandes formées au titre du préjudice d'agrément, de l'assistance par tierce personne, des pertes de gains professionnels futurs et des dépenses de santé ;

- les pertes de gains professionnels actuels, futurs et l'incidence professionnelle ne sont pas imputables à la contamination par le VHC, M. D... présentant un état antérieur de troubles psychologiques à l'origine de ses préjudices professionnels ;

- il y a lieu de confirmer le jugement de première instance en tant qu'il a déduit de l'indemnité totale allouée à M. D... la somme de 20 000 euros qu'il lui a déjà versée au titre d'un règlement amiable ainsi que la provision de 10 000 euros qu'il a été condamné à verser par une ordonnance du 10 septembre 2018 au titre de l'aggravation de son état de santé.

Les caisses primaires d'assurance maladie de l'Oise et de la Somme, et la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail des Hauts-de-France, auxquelles la procédure a été communiquée, n'ont pas produit d'observations.

Par une ordonnance du 8 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 9 décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 2 juin 1976, M. B... D..., alors âgé de 21 ans, a été admis au centre hospitalier universitaire d'Amiens à la suite d'un accident du travail. Il souffrait d'un traumatisme crânien avec coma, contusion de l'abdomen avec rupture de la rate et luxation traumatique de la hanche gauche. Une intervention en urgence de splénectomie et réduction d'une luxation de hanche, a été effectuée accompagnée de la transfusion de cinq culots de sang rendue nécessaire pour lutter contre le choc hémorragique causé par la rupture de la rate. A la suite d'épisodes d'asthénie d'intensité croissante, M. D... a réalisé un bilan au mois de janvier 1987 qui a conduit au diagnostic d'hépatite C (non A non B) le 29 avril 1988. Un premier traitement antiviral par Interferon a été mis en œuvre le 20 mars 1989, interrompu le 5 janvier 1990 puis, M. D... a entrepris à compter du 5 septembre 1990 un traitement anti-fibrosant par Colchicine, sans résultat. Le 27 septembre 2014, il a reçu un traitement associant Sofosbuvir et Siméprevir pendant douze semaines ayant permis d'aboutir à une guérison virologique le 23 octobre 2015.

2. M. D... a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens qui, par une ordonnance du 24 mai 2005, a désigné le docteur C... E... pour procéder à une expertise médicale. Ce dernier a déposé son rapport le 21 septembre 2006 qui a conclu notamment à l'origine post-transfusionnelle de la contamination par le virus de l'hépatite C. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a, par un courrier en date du 15 mai 2012, proposé à l'intéressé une indemnisation des troubles de toute nature dans ses conditions d'existence d'un montant de 20 000 euros, réservant l'indemnisation des préjudices patrimoniaux et du déficit fonctionnel permanent. Cette offre a été acceptée et le versement effectué le 1er août 2012. Compte tenu de l'évolution défavorable de son état, M. D... a sollicité une indemnisation complémentaire. Par courrier du 22 juin 2017, l'ONIAM lui a proposé une indemnité de 179,20 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire et de 12 100 euros au titre des souffrances endurées. Estimant cette offre insuffisante, M. D... a saisi le tribunal administratif d'Amiens afin qu'une nouvelle expertise médicale soit diligentée pour évaluer l'ensemble de ses préjudices en lien avec la contamination par le virus de l'hépatite C. Il a obtenu en parallèle, aux termes d'une ordonnance du juge des référés de ce tribunal en date du 10 janvier 2018, la somme provisionnelle de 10 000 euros en réparation des divers préjudices subis. Par un jugement du 19 septembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a ordonné une nouvelle expertise avant de se prononcer sur les préjudices patrimoniaux éventuellement indemnisables, notamment les pertes de gains professionnels et le déficit fonctionnel permanent. A la suite du rapport d'expertise du 25 février 2020 établi par le docteur F..., par le jugement n° 1702279 du 9 juillet 2020 dont il est relevé appel, le tribunal a condamné l'ONIAM à verser à M. D..., au titre de la solidarité nationale, la somme de 128 000 euros en réparation des conséquences dommageables de sa contamination par le virus de l'hépatite C et mis les frais et honoraires des experts à la charge définitive de l'ONIAM. M. D... demande la réformation de ce jugement en tant qu'il a limité l'indemnité qu'il a condamné l'ONIAM à lui verser, qu'il demande à la cour de porter à la somme totale de 877 583,68 euros. L'ONIAM, outre sa demande de nouvelle expertise médicale afin de déterminer les préjudices subis par M. D... en aggravation de sa contamination par le virus de l'hépatite C, conclut, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du 9 juillet 2020 en tant qu'il l'a condamné à verser une somme de 65 100 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels et de 5 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, et au rejet des demandes présentées à ce titre.

Sur la régularité du jugement :

3. Si l'ONIAM avait sollicité devant le tribunal administratif, à titre principal, qu'une nouvelle expertise soit ordonnée au motif qu'il existait une contrariété entre les deux rapports d'expertise déposés dans le cadre de la procédure judiciaire, il ressort de la motivation du jugement attaqué qui se prononce sur l'ensemble des postes de préjudices invoqués, que les premiers juges se sont estimés suffisamment informés et ont entendu écarter cette demande comme sans intérêt pour la solution du litige. L'ONIAM n'est ainsi pas fondé à soutenir que le jugement attaqué, qui n'était pas tenu de répondre expressément aux conclusions qu'il présentait en défense tendant à la mise en œuvre d'un pouvoir propre du juge, est entaché d'une omission à statuer sur ce point.

Sur la demande d'expertise présentée par l'ONIAM :

4. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'entre elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision ".

5. Il résulte de l'instruction que compte tenu de l'ancienneté des travaux d'expertise conduits en 2006 par les docteurs E... et Lortholary désignés par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens et de l'absence de consolidation alors constatée, le même tribunal a ordonné, à la demande de M. D..., une expertise médicale afin notamment de pouvoir se prononcer sur les préjudices patrimoniaux éventuellement indemnisables, notamment les pertes de gains professionnels et le déficit fonctionnel permanent. Le docteur A... auquel a été confiée cette seconde expertise a eu pour mission d'indiquer si l'état de santé de M. D... était consolidé et à quelle date et de déterminer ses préjudices imputables à la contamination par le virus de l'hépatite C, à l'exception de tout état antérieur ou de l'évolution normale ou prévisible de pathologies intercurrentes. Il a déposé son rapport le 25 février 2020, dont les conclusions sont contestées par l'ONIAM qui sollicite une nouvelle expertise.

6. L'ONIAM soutient, en premier lieu, que c'est à tort que le docteur A... a évalué à 20% le déficit fonctionnel permanent de M. D..., eu égard notamment à la cirrhose post virale C non compliquée score Child A5 alors que, selon son médecin conseil, ce diagnostic n'est pas établi avec certitude. Il résulte toutefois de l'instruction que l'expert, invité par le tribunal à se prononcer sur la consolidation de l'état de M. D... et sur son déficit fonctionnel permanent, a rempli sa mission et a justifié du taux qu'il proposait en se référant à l'existence d'une cirrhose post virale C " prouvée histologiquement ". Son rapport ne comporte à ce titre aucune insuffisance ni contradiction. Il en est de même, en deuxième lieu, des souffrances endurées qu'il a pu évaluer à 6 sur une échelle allant à 7, sans la présence de l'intéressé qui était retenu par une chimiothérapie. Cette évaluation n'apparait pas en contradiction avec le premier rapport d'expertise judiciaire établi en 2006 par les docteurs E... et Lortholary, qui qualifiaient déjà ces souffrances, avant que l'état de M. D... ne soit consolidé, d'assez importantes. En dernier lieu, si le docteur A... a retenu l'existence d'une perte de revenu et d'une incidence professionnelle imputable à l'hépatite C alors que les premiers experts avaient estimé que la persistance après le traitement antiviral de troubles psychiques à l'origine de ses difficultés professionnelles montrait un état antérieur de M. D..., il n'apparait pas utile, compte tenu de l'ensemble des pièces au dossier, d'ordonner une nouvelle expertise pour déterminer le lien de causalité entre le préjudice économique allégué et la contamination par le virus de l'hépatite C, qu'il appartient seul au juge d'apprécier.

7. Il résulte de ce qui vient d'être dit qu'il n'y pas lieu d'ordonner une nouvelle mesure d'expertise, qui ne présente pas de caractère utile à la solution du litige et que les conclusions présentées à ce titre par l'ONIAM doivent être rejetées.

Sur la prise en charge au titre de la solidarité nationale et l'évaluation des préjudices subis :

8. Il n'est pas discuté en appel que la contamination par le virus de l'hépatite C dont a été victime M. D... doit être présumée comme ayant pour origine la plus probable les transfusions sanguines reçues en 1976 dans les suites de son hospitalisation au centre hospitalier universitaire d'Amiens. L'ONIAM ne conteste pas qu'il est dès lors tenu d'indemniser M. D... des conséquences dommageables de cette contamination au titre de la solidarité nationale.

9. Il résulte de l'instruction et, notamment, du second rapport d'expertise du 25 février 2020 que l'état de santé de M. D..., né le 28 septembre 1954, peut être regardé comme consolidé au 25 octobre 2015, à l'âge de soixante et un ans.

Sur les préjudices patrimoniaux :

En ce qui concerne l'assistance d'une tierce personne :

10. Si M. D... persiste à demander une indemnité au titre des frais d'assistance par une tierce personne, il ne verse aucune pièce de nature à établir l'existence du besoin de recourir à une aide pour les actes de la vie quotidienne en lien avec le virus de l'hépatite C, notamment au cours du traitement qu'il a reçu par Interféron de mars 1989 à janvier 1990 et qu'aucun des experts n'a retenu. Il ne justifie ainsi pas du préjudice dont il est demandé réparation ni même de son ampleur. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté sa demande en réparation de ce chef de préjudice.

En ce qui concerne les pertes de gains professionnels :

11. M. D..., qui exerçait la profession de magasinier avant la découverte de sa contamination par le virus de l'hépatite C, demande l'indemnisation des pertes de gains professionnels qu'il estime avoir subis du fait de l'asthénie dont il demeure atteint depuis et de l'état dépressif chronique apparu au cours du traitement de cette pathologie, à l'origine de la cessation de toute activité professionnelle.

12. Il résulte de l'instruction que M. D... a été contraint à un arrêt de travail à compter du 12 février 1989 et a reçu un traitement antiviral par Interféron à compter du 20 mars 1989, lequel a été interrompu le 5 janvier 1990 en raison de ses effets secondaires. Si durant cette période de traitement, il n'est pas contesté qu'il a été très fatigué, il ne justifie pas d'un lien direct entre sa contamination et l'arrêt de son activité professionnelle, ni avoir subi alors une perte de gains professionnels alors qu'il résulte de l'instruction qu'il était en arrêt maladie. La réalité du préjudice économique allégué du 12 février 1989 au 5 janvier 1990 n'est ainsi pas établie.

13. Ensuite, il résulte de l'instruction que l'arrêt de travail de M. D... a été prolongé jusqu'au 28 juillet 1991 et qu'il a entrepris une formation en dessin industriel entre 1991 et 1993 en vue d'une reconversion. Il n'a toutefois jamais exercé dans ce domaine et n'a pas repris d'activité professionnelle durable jusqu'à son placement en retraite pour invalidité le 1er mai 2016 à l'âge de soixante et un ans. Il est constant qu'à compter du diagnostic de sa contamination par le virus de l'hépatite C et du suivi du traitement antiviral dont il a bénéficié en 1989, M. D... est demeuré atteint d'une asthénie permanente accompagnée d'un état dépressif dont l'intensité l'a empêché d'exercer une activité professionnelle. Toutefois, il résulte de l'instruction que le syndrome dépressif apparu au début de l'année 1990 par l'effet du traitement a perduré après l'arrêt du traitement et perdure encore alors que l'intéressé est considéré comme guéri. Or, il ressort du rapport d'expertise du 21 septembre 2006 que de tels troubles psychiques disparaissent toujours quelques semaines ou mois après l'arrêt du traitement par Interféron. Dans ces conditions, ces troubles psychiques, qui sont à l'origine des difficultés de M. D... à reprendre une quelconque activité professionnelle et de son placement en invalidité, ne peuvent être regardés comme directement imputables à sa contamination par le virus de l'hépatite C. En l'absence de pièces permettant de considérer que sa maladie l'aurait privé de la possibilité d'exercer un emploi correspondant à ses capacités, la perte de gains professionnels alléguée, qui n'apparait pas en lien direct avec sa contamination, ne peut être indemnisée. L'ONIAM est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont alloué à M. D... une somme de 65 100 euros à ce titre.

En ce qui concerne l'incidence professionnelle :

14. Enfin, si compte tenu de ce qui a été précédemment exposé, la contamination par le virus de l'hépatite C dont M. D... a été victime n'est pas directement à l'origine de l'abandon de son emploi de magasinier, ni d'une perte de gains professionnels ni, par suite, de pertes de droits à la retraite, il ne saurait être nié qu'en particulier sur la période ayant suivi le diagnostic, alors qu'il était âgé de 33 ans, les symptômes de la maladie et les effets secondaires imputés par le traitement ont eu une incidence sur sa vie professionnelle. En estimant que l'exercice par M. D... de son activité professionnelle avait été rendu plus difficile en raison notamment de la fatigue occasionnée par sa pathologie puis de son traitement, lesquels l'ont contraint à rechercher un reclassement professionnel, et en évaluant à 5 000 euros l'incidence professionnelle qui en est résulté, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de ce chef de préjudice.

Sur les préjudices extra-patrimoniaux :

En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :

15. Il résulte de l'instruction et, en particulier, du rapport d'expertise établi le 25 février 2020 que le déficit fonctionnel temporaire subi par M. D... en lien direct et certain avec la prise en charge de son hépatite virale C, a été total durant douze jours au cours desquels il a subi six ponctions-biopsie hépatiques. Il a, de plus, subi une période d'incapacité temporaire partielle, évaluée à 12 % en raison de l'existence d'une fibrose F2 sans cirrhose, du 29 avril 1988, date du diagnostic de l'hépatite C, au 20 juin 2012, date de la dernière ponction et de 20% en raison de la survenue d'une fibrose F4 et d'une cirrhose sans complication du 21 juin 2012 au 23 octobre 2015, date de consolidation de son état de santé. Dès lors, les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de son déficit fonctionnel temporaire, nonobstant des erreurs minimes de décompte des durées indemnisables, en fixant à la somme de 17 400 euros le montant de ce chef de préjudice dont la réparation incombe à l'ONIAM, sur la base d'un montant mensuel de 400 euros.

En ce qui concerne les souffrances endurées :

16. Il résulte de l'instruction et, en particulier, du rapport d'expertise du 25 février 2020 que M. D... a éprouvé durant la période antérieure à la consolidation de son état de santé, des souffrances physiques et psychiques dont l'intensité a été évaluée par l'expert à 6 sur une échelle allant à 7. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 23 000 euros.

En ce qui concerne le déficit fonctionnel permanent :

17. M. D..., âgé de soixante et un ans à la date de consolidation de son état de santé, subit un déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 20 %. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant à ce titre une somme de 27 000 euros.

En ce qui concerne le préjudice esthétique :

18. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise du 25 février 2020 que M. D... a subi un préjudice esthétique évalué à 3 sur une échelle de 7. Les premiers juges ont fait une juste évaluation en lui allouant à ce titre une somme de 2 500 euros.

En ce qui concerne le préjudice d'agrément :

19. M. D... persiste à demander l'indemnisation d'un préjudice d'agrément sans apporter aucun élément nouveau en appel pour justifier de la réalité de ce préjudice et ne précise pas davantage les activités qu'il pratiquait avant sa contamination et auxquelles il aurait dû renoncer. Il y a lieu, par adoption des motifs des premiers juges, de rejeter sa demande en réparation de ce chef de préjudice.

En ce qui concerne le préjudice spécifique de contamination :

20. De la date de la révélation de sa contamination en 1988, puis de l'aggravation des lésions histologiques constatée en 2012, jusqu'à la date du constat de la négativation du virus de l'hépatite C en octobre 2015, M. D... a pu légitiment éprouver des inquiétudes du fait de sa contamination par la maladie et des conséquences graves qui pouvaient en résulter. Il reste en outre atteint d'une cirrhose hépatique qui nécessite un contrôle régulier. Les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice qu'il a subi de ce fait, distinct du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées, en lui allouant une somme de 18 000 euros.

21. Il résulte de tout ce qui précède que l'ONIAM est fondé à demander que l'indemnité de 128 000 euros mise à sa charge au titre de la solidarité nationale soit ramenée à la somme de 62 900 euros. La requête de M. D... doit, quant à elle, être rejetée.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par M. D... doivent, dès lors, être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 128 000 euros que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a été condamné à verser à M. D... par le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 9 juillet 2020 est ramenée à 62 900 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 9 juillet 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La requête de M. D... et le surplus des conclusions de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales sont rejetés.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, aux caisses primaires d'assurance maladie de l'Oise et de la Somme, et la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail des Hauts-de-France.

Délibéré après l'audience publique du 22 mars 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,

Mme Muriel Milard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2022.

La présidente-rapporteure,

Signé : A. Chauvin

La présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.-S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de la santé et des solidarités en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

2

N°20DA01403


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01403
Date de la décision : 12/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Service public de santé - Dons du sang.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Préjudice matériel.


Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Aurélie Chauvin
Rapporteur public ?: M. Baillard
Avocat(s) : SELARL COUBRIS COURTOIS et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-04-12;20da01403 ?
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