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03/05/2022 | FRANCE | N°20DA00263

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 03 mai 2022, 20DA00263


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCEA Côte de la Justice et autres ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 21 février 2017 par laquelle le préfet de la Somme a rejeté leur réclamation indemnitaire du 23 décembre 2016 et de condamner l'Etat à verser les sommes de 4 386 262,72 euros à la SCL Lait Pis Carde, de 23 715 432,80 euros à la société Ramery, de 836 015 euros à la SCEA Côte de la Justice, de 38 122 euros à la société Ramery environnement et de 245 509 euros à la société Ramvert, en r

paration de leurs préjudices avec intérêts à compter du 23 décembre 2016 et capital...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCEA Côte de la Justice et autres ont demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler la décision du 21 février 2017 par laquelle le préfet de la Somme a rejeté leur réclamation indemnitaire du 23 décembre 2016 et de condamner l'Etat à verser les sommes de 4 386 262,72 euros à la SCL Lait Pis Carde, de 23 715 432,80 euros à la société Ramery, de 836 015 euros à la SCEA Côte de la Justice, de 38 122 euros à la société Ramery environnement et de 245 509 euros à la société Ramvert, en réparation de leurs préjudices avec intérêts à compter du 23 décembre 2016 et capitalisation de ces intérêts.

Par un jugement n°1701023 du 6 décembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 février 2020, et des mémoires, enregistrés les 17 septembre et 25 novembre 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SCEA Côte de la Justice, la SCL Lait Pis Carde, la société Ramery, la société Ramery environnement et la société Ramvert, représentées par Me Pierre-Etienne Bodart, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 21 février 2017 par laquelle le préfet de la Somme a rejeté leur réclamation indemnitaire du 23 décembre 2016 ;

3°) de condamner l'Etat à verser les sommes de 4 386 262,72 euros à la SCL Lait Pis Carde, de 23 715 432,80 euros à la société Ramery, de 836 015 euros à la SCEA Côte de la Justice, de 38 122 euros à la société Ramery environnement et de 245 509 euros à la société Ramvert, en réparation de leurs préjudices avec intérêts à compter du 23 décembre 2016 et capitalisation de ces intérêts ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le délai d'instruction de leurs demandes de permis de construire et d'autorisation d'exploiter au titre des installations classées pour la protection de l'environnement, qui a été anormalement long, engage la responsabilité de l'Etat ;

- les agissements de l'administration lors de l'instruction des porter à connaissance de regroupement, qui se sont apparentés à des manœuvres dilatoires ou d'obstruction, sont fautifs et engagent la responsabilité de l'Etat ;

- ces deux fautes ont causé à la SCL Lait Pis Carde un préjudice économique de 2 166 934 euros hors taxe ;

- la limitation de l'exploitation à 500 vaches, injustifiée et illégale, engage la responsabilité de l'Etat et a causé à la SCL Lait Pis Carde un préjudice économique de 1 424 708,14 euros hors taxe ainsi qu'une perte de chance de percevoir une subvention au titre de la loi de finances rectificative pour 2010 pour un total de 38 122 euros hors taxe pour la société Ramery environnement, de 297 920 euros hors taxe pour la SCEA Côte de la Justice et de 245 509 euros hors taxe pour la société Ramvert ;

- les propos critiques tenus par les ministres et secrétaires d'Etat sur le projet, qui ont entretenu le climat de contestation et d'opposition à celui-ci, ont porté atteinte à l'image et à la réputation des requérantes, engageant ainsi la responsabilité de l'Etat ; ils ont causé un préjudice économique s'élevant à 23 657 000 euros à la société Ramery et un préjudice moral d'un montant de 500 000 euros à la SCEA Côte de la Justice ;

- ces mêmes propos fautifs sont à l'origine de l'impossibilité de préparer les troupeaux avant leurs transferts ce qui engage la responsabilité de l'Etat au regard des préjudices économiques liés à la surmortalité du cheptel et aux frais de vétérinaire ; ces préjudices s'élèvent respectivement à 188 400 euros et 106 709,95 euros hors taxe pour la SCL Lait Pis Carde ;

- ces propos fautifs sont également à l'origine de l'impossibilité de vendre le lait en France à laquelle a été confrontée la SCL Lait Pis Carde, lui causant un préjudice s'élevant à 499 510,63 euros hors taxe ;

- enfin, la responsabilité de l'Etat est engagée au titre des frais de préparation et de suivi des dossiers supportés par les requérantes, se rapportant aux porter à connaissance des 7 janvier et 16 mars 2015, à la mise en demeure de ramener le cheptel à 500 vaches, à la procédure de référé engagée contre cette mise en demeure, au suivi des enquêtes publiques inutiles, à la préparation des réunions du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques des 22 mars 2016 et 3 mai 2017 et à la réalisation d'un document de synthèse ; ces préjudices s'élèvent pour la SCEA Côte de la Justice respectivement à 14 230,75 euros, 7 075 euros, 11 962 euros, 17 593 euros, 8 396 euros, 5 254 euros et 32 017 euros hors taxe.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2021, et un mémoire complémentaire enregistré le 22 octobre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 22 octobre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Pierre-Etienne Bodart, représentant la SCEA Côte de la Justice et autres.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. la SCEA Côte de la Justice et autres relèvent appel du jugement du 6 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de la décision du 21 février 2017 par laquelle le préfet de la Somme a rejeté leur réclamation indemnitaire du 23 décembre 2016 et à la condamnation de l'Etat à verser les sommes de 4 386 262,72 euros à la SCL Lait Pis Carde, de 23 715 432,80 euros à la société Ramery, de 836 015 euros à la SCEA Côte de la Justice, de 38 122 euros à la société Ramery environnement et de 245 509 euros à la société Ramvert, en réparation de leurs préjudices avec intérêts à compter du 23 décembre 2016 et capitalisation de ces intérêts.

Sur les fautes commises lors de l'instruction des demandes de permis de construire et d'autorisation d'exploiter au titre des installations classées pour la protection de l'environnement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 451-11 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsque la réalisation d'opérations d'archéologie préventive a été prescrite, les travaux ne peuvent être entrepris avant l'achèvement de ces opérations ".

3. Par un arrêté du 24 juin 2011, le préfet de la région Picardie, préfet de la Somme, a prescrit des fouilles archéologiques préventives sur le terrain d'assiette des demandes de permis de construire et d'autorisation d'exploiter au titre des installations classées pour la protection de l'environnement du projet litigieux. Il résulte par ailleurs de l'instruction, notamment du compte-rendu de la réunion du 18 janvier 2012 ayant eu pour objet de " faire le point sur les axes de mise en compatibilité du projet " 1 000 vaches " dans sa configuration des permis de construire initiaux délivrés tacitement avec la présence de vestiges archéologiques sur le site ", que " le plan de charge de l'Institut national de recherches archéologiques permettrait de procéder aux fouilles les plus urgentes " à l'été 2012. Enfin, les requérantes n'établissent pas ni même n'allèguent que ces opérations d'archéologie préventives étaient irrégulières ou injustifiées ou que leur durée a été excessive en l'espèce.

4. En conséquence, si des erreurs ont été commises dans le cadre de l'instruction des deux demandes de permis de construire déposées par la société Ramery et la société Ramery environnement les 2 mars et 3 mars 2011, qui, d'une part, les ont conduites à être titulaires d'un permis de construire tacite respectivement les 2 et le 3 juin 2011 pour la construction d'une étable et d'une unité de méthanisation sans pouvoir utilement les exécuter sous peine de méconnaître l'article L. 451-11 du code de l'urbanisme, et qui, d'autre part, ont conduit la société Ramery, à la demande de l'administration, à déposer une nouvelle demande le 11 janvier 2013 portant à la fois sur l'étable et l'unité de méthanisation, les travaux de construction de ces ouvrages n'auraient en tout état de cause pas pu démarrer avant l'achèvement des opérations d'archéologie préventive.

5. Or il résulte de ce qui est dit au point 3 que cet achèvement n'aurait en tout état de cause pu avoir lieu avant l'été 2012, date de démarrage probable des fouilles les plus urgentes. En outre, à défaut d'information précise sur la date d'achèvement effectif de ces opérations, les visas de l'arrêté de permis de construire délivré le 3 mars 2013 permettent de la fixer au plus tard au 1er février 2013, date de la lettre d'information de non prescription archéologique.

6. Dès lors, contrairement aux allégations des requérantes, les travaux de construction des ouvrages litigieux n'auraient en tout état de cause pas pu commencer le 4 août 2011, après l'expiration du délai de recours des tiers contre les permis tacites dont elles étaient titulaires, ni même après l'achèvement de l'enquête publique le 4 novembre 2011. S'il résulte de ce qui précède que ces travaux auraient pu commencer à compter du 1er février 2013, la société Ramery avait alors déposé, le 11 janvier 2013, une nouvelle demande de permis de construire. Celle-ci a été instruite rapidement et le permis de construire a été délivré le 3 mars 2013 soit quelques semaines seulement après l'intervention de la lettre de non prescription archéologique et moins de deux mois après le dépôt de la nouvelle demande de permis de permis de construire. Il ne résulte donc pas de l'instruction que les travaux auraient pu matériellement commencer avant la date à laquelle ils ont effectivement démarré, soit le 3 avril 2013, pour permettre un démarrage de l'exploitation le 13 septembre 2014.

7. Il suit de là que si la demande d'autorisation d'exploiter ce même projet au titre des installations classées pour la protection de l'environnement, déposée par la SCEA Côte de la Justice le 23 février 2011, n'a donné lieu à une décision d'autorisation de la part du préfet de la Somme que le 1er février 2013, et non dans le délai de trois mois, prorogé de deux mois par un arrêté préfectoral du 4 février 2012, prévu à l'article R. 512-26 du code de l'environnement, cette circonstance a en tout état de cause été sans incidence sur la date de démarrage de l'exploitation dont il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait pu commencer avant le 13 septembre 2014.

8. Par suite, les erreurs et retards que les requérantes imputent aux services instructeurs et à l'autorité administrative dans le cadre de l'instruction de ces demandes d'autorisation de construire et d'exploiter, à supposer même qu'ils soient fautifs, n'ont été à l'origine d'aucun retard dans le démarrage des travaux ou de l'exploitation du projet litigieux. Ils n'ont donc causé aux requérantes aucun préjudice de perte de bénéfice ou de perte d'exploitation.

9. Dans ces conditions, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation en raison des conditions d'instruction des demandes de permis de construire et d'autorisation d'exploiter.

Sur la limitation du cheptel à 500 vaches laitières par l'arrêté du 1er février 2013 :

10. En premier lieu, les requérantes soutiennent que le préfet a entaché d'illégalité son arrêté du 1er février 2013 ayant limité le cheptel de vaches à 500 têtes alors que leur plan d'épandage permettait l'exploitation d'un cheptel de 1 000 vaches.

11. Il résulte de l'instruction que le plan d'épandage joint à la demande d'autorisation portait sur une surface de 1 200 hectares et qu'une telle surface suffisait à épandre les effluents d'élevage d'un cheptel de 1 000 vaches. Toutefois, la demande de la SCEA Côte de la Justice portait également sur l'exploitation d'une unité de méthanisation, élément indissociable de l'exploitation laitière, dès lors qu'elle devait traiter, en plus de déchets extérieurs, les déchets produits sur place par le cheptel. Or, il est constant que le fonctionnement à pleine puissance de l'unité de méthanisation et de l'exploitation laitière nécessitait une surface d'épandage totale de 2 680 hectares.

12. Si les requérantes précisent que le plan présenté permettait déjà d'accueillir les déjections de l'ensemble des animaux et que la montée en puissance de l'unité de méthanisation aurait été accompagnée par une modification du plan d'épandage, il résulte de l'instruction, en dépit des termes du courrier du 19 juillet 2012 de la SCEA Côte de la Justice, que les garanties apportées à ce titre étaient insuffisantes à la date de la décision attaquée. En effet, d'une part, l'épandage des digestats est, en raison notamment de sa teneur en azote, étroitement encadré par la législation et la seule référence à l'intérêt des agriculteurs pour ce produit était insuffisamment précise pour s'assurer avec certitude de ce que plus de 1 400 nouveaux hectares de terres auraient été intégrés à terme au plan d'épandage. D'autre part, la production de courriers de deux sociétés de compostage attestant de la possibilité d'accueillir les digestats excédentaires de l'exploitation ne constituait pas davantage une garantie suffisante, dès lors qu'il ne s'agissait que de simples lettres d'intention et que la première société ne disposait pas, lors de l'instruction de la demande, des autorisations nécessaires pour accueillir les digestats excédentaires produits, tandis que la seconde avait une capacité d'accueil limitée ne permettant pas de couvrir l'ensemble des éventuels besoins de la SCEA Côte de la Justice.

13. En second lieu, si les requérantes soutiennent qu'elles ont reçu dans un premier temps un projet d'arrêté d'autorisation pour un cheptel de 1 000 vaches et que ce n'est qu'après le courrier du 11 juillet 2012 adressé au préfet de la Somme par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie que la position des services instructeurs sur le plan d'épandage a évolué, il résulte de l'instruction qu'avant même ce courrier du 11 juillet 2012, les difficultés liées au plan d'épandage avaient " été, à de nombreuses reprises, débattues " durant l'instruction de la demande d'autorisation, de l'aveu même de la SCEA Côte de la Justice dans son courrier du 19 juillet 2012, et avaient été soulignées par l'autorité environnementale dans son avis du 9 août 2011 mais également au stade de l'enquête publique. Ainsi le seul fait pour le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie d'avoir, dans des termes mesurés et objectifs, attiré l'attention du préfet de la Somme sur un problème de dimensionnement du plan d'épandage, qui, au demeurant tel qu'il a été dit au point 12, était effectivement insuffisant, ne saurait constituer un détournement de pouvoir. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à se prévaloir d'une illégalité fautive pour un tel motif.

14. Dans ces conditions, alors même que la montée en puissance du méthaniseur serait classique dans des unités de méthanisation agricole comparables, aucune faute n'est imputable à l'Etat à qui il était loisible de retenir que le plan d'épandage était insuffisant et de limiter, en conséquence, l'autorisation d'exploitation à un cheptel de 500 vaches.

15. Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation en raison de la limitation du cheptel à 500 vaches laitières par l'arrêté du 1er février 2013.

Sur les agissements fautifs lors de l'instruction des porter à connaissance déposés en cours d'exploitation de la ferme :

16. Les requérantes doivent être regardées comme se plaignant d'agissements fautifs commis par l'autorité administrative lors de l'instruction des porter à connaissances déposés, sur le fondement de l'article R. 515-53 du code de l'environnement, les 7 janvier 2015, 16 mars 2015 et 11 juin 2015 en vue notamment de regrouper plusieurs élevages sur le site litigieux pour atteindre un total de 880 vaches laitières, agissements qui auraient généré un retard indu à la réalisation d'une telle extension d'exploitation, en l'absence de décision favorable à ce jour.

17. La procédure de porter à connaissance prévue à l'article R. 515-53 du code l'environnement doit dans son ensemble être regardée comme constituant une demande de modification des conditions d'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement au sens de l'article 18 de la loi du 12 avril 2000, désormais repris à l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, au regard tant des dispositions du tableau annexé à l'article 1er du décret du 30 octobre 2014, que de celles du II de l'article L. 123-2 du code des relations entre le public et l'administration, la demande ainsi formée par l'exploitant, dès lors qu'elle est susceptible de rendre nécessaire le dépôt d'une nouvelle demande d'autorisation devant faire l'objet de l'étude d'impact préalable prévue à l'article L. 122-1 du code de l'environnement, relève des exceptions à l'application du principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative vaut décision d'acceptation.

18. Par suite, le silence gardé pendant deux mois par le préfet de la Somme sur les trois porter à connaissance de la SCEA Côte de la Justice, enregistrés successivement le 7 janvier, le 16 mars et le 11 juin 2015, doit, en tout état de cause, être regardé comme ayant fait naître des décisions implicites de rejet.

19. Dans ces conditions, les requérantes ne peuvent utilement se prévaloir de manœuvres d'obstruction de l'autorité administrative lorsque, dans le cadre d'un processus d'instruction de l'autorisation de regroupement tout de même poursuivi par l'administration en vue d'aboutir à une éventuelle décision favorable, elle a annulé au dernier moment la réunion du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) du 22 mars 2016 et n'a à nouveau convoqué cette instance que le 3 mai 2017 sans qu'elle ne statue, ou lorsqu'elle a réalisé des enquêtes publiques ou une tierce expertise.

20. Il suit de là que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation en raison des agissements fautifs au stade de l'instruction des porter à connaissance déposés en cours d'exploitation de la ferme.

Sur l'atteinte à l'image et à la réputation des sociétés requérantes :

21. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'intérêt médiatique qu'a suscité l'opposition locale et associative au projet des requérantes, qui reconnaissent dans leurs écritures à la fois son caractère innovant et le fait qu'il constituait " une première " en France, plusieurs ministres et secrétaires d'Etat ont été amenés à s'exprimer à son sujet. C'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que les propos qu'ils ont pu tenir publiquement consistaient en des prises de position sur le modèle d'agriculture dont témoignait ce projet, un tel modèle constituant un sujet de politique agricole et environnementale. Si, par ces propos, ces autorités ont pu être amenées à exprimer leur désapprobation quant au projet et leur souhait de ne pas le voir se prolonger dans le temps, elles n'en ont jamais remis en cause la légalité, pas plus qu'elles n'ont critiqué le comportement ou la régularité des pratiques des porteurs du projet. En se bornant à émettre leur avis sur ce projet et à exprimer des souhaits quant aux orientations nationales de la politique publique agricole et environnementale, ces différents membres du gouvernement ne peuvent pas être regardés comme ayant contribué de façon fautive au climat contestataire ayant entouré le projet, qui a précédé ces déclarations et existait indépendamment d'elles. Par suite, les propos critiqués par les requérantes ne sauraient être constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

22. Les requérantes soutiennent également que l'Etat et ses représentants nationaux ont, de manière fautive, instrumentalisé l'étude des différentes demandes d'urbanisme et environnementales introduites par les porteurs du projet, en retardant l'octroi des autorisations demandées, ce qui a eu pour effet de nuire à leur image et à leur réputation. Toutefois, il ne résulte pas de ce qui a été dit précédemment sur les délais d'instruction que les retards invoqués par les requérantes aient été motivés, lorsqu'ils étaient avérés, par d'autres motifs que la volonté pour les services de l'Etat d'assurer la légalité des autorisations sollicitées dans un contexte de risque contentieux avéré.

23. Dans ces conditions, aucune faute n'est imputable à l'Etat au titre des préjudices invoqués d'atteinte à l'image et à la réputation des sociétés requérantes et de leurs dirigeants.

24. Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation en raison de l'atteinte à l'image et à la réputation.

Sur le contexte d'opposition au projet nuisant à la préparation des transferts et regroupements de troupeaux :

25. Selon les requérantes, le contexte tendu d'opposition au projet, qui a été entretenu par les déclarations ministérielles, et l'absence d'instruction donnée aux forces de l'ordre ont été à l'origine d'une surmortalité du cheptel entre septembre 2014 et août 2016, et a occasionné des frais vétérinaires supplémentaires, à l'origine d'un préjudice économique imputable à l'Etat.

26. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, le climat contestataire entourant le projet a précédé les déclarations ministérielles et existait indépendamment d'elles. En outre, il est constant que le premier transfert de troupeaux a bénéficié d'une escorte de gendarmerie et que les forces de l'ordre se sont maintenues sur place pour maintenir la sécurité publique lors du blocage de l'accès au site par des associations et riverains hostiles au projet au moment de son démarrage. Les sociétés requérantes ne sont donc pas fondées à soutenir que l'Etat se serait, de quelque manière que ce soit, rendu complice de ce climat contestataire.

27. Par ailleurs, il ne résulte d'aucune pièce produite par les requérantes qu'au-delà du premier transfert, le climat d'hostilité allégué aurait rendu impossible la planification des transferts et regroupements de cheptel sur le site, ni en tout état de cause qu'un tel climat aurait été à l'origine de la surmortalité des vaches et des frais accrus de vétérinaires durant la période litigieuse.

28. Dans ces conditions, aucune faute ni préjudice économique n'est imputable à l'Etat au titre des conditions de transfert et de regroupement des troupeaux.

29. Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation en raison des conditions de préparation des transferts de troupeaux et regroupements.

Sur la vente du lait produit en dehors du marché français :

30. Il résulte de l'instruction que la rupture, intervenue le 31 décembre 2016, du contrat de distribution de lait que la SCEA Côte de la Justice avait passé avec un partenaire du marché français est liée à une évolution propre de ce dernier et de l'environnement laitier. Ni les circonstances qu'une enquête du site " Reporterre " et qu'une campagne de mobilisation citoyenne durant l'année 2015 aient visé de manière plus ou moins directe ce partenaire, ni le courrier d'un autre acteur du marché laitier français du 11 mai 2015 se référant aux propos tenus par un ministre de l'agriculture ne sont de nature à établir que cette rupture contractuelle trouverait son origine dans les propos des membres du gouvernement dont il est question au point 21.

31. Ces éléments ne suffisent pas davantage à démontrer que ces propos seraient à l'origine d'une impossibilité pour les requérantes de commercialiser leur lait en France depuis 2016, ni de la nécessité dans laquelle les requérantes se trouvaient de le commercialiser en Belgique où le cours du lait serait plus bas qu'en France.

32. Dans ces conditions, aucune faute ni préjudice économique n'est imputable à l'Etat au titre de la vente du lait produit en dehors du marché français.

33. Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation en raison de la vente du lait produit en dehors du marché français.

Sur les frais de procédure et de justice :

34. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction que l'engagement pris auprès des associations et riverains par la SCEA Côte de la Justice de réduire la puissance du méthaniseur trouverait son origine dans une quelconque faute de l'Etat. Dès lors, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les frais de montage du dossier de porter à connaissance de la SCEA Côte de la Justice, enregistré en application de l'article R. 515-53 du code l'environnement, le 7 janvier 2015, en vue d'obtenir une autorisation de réduction constitue un préjudice dont la réparation incomberait à l'Etat.

35. En deuxième lieu, il résulte de ce qui est dit aux points 10 à 14 que la décision, prise le 1er février 2013, de limiter l'autorisation d'exploitation à un cheptel de 500 vaches n'était pas entachée d'illégalité fautive. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le porter à connaissance de la SCEA Côte de la Justice, enregistré en application de l'article R. 515-53 du code l'environnement, le 16 mars 2015, en vue d'obtenir une autorisation de regroupement a pour origine une telle faute et que les frais de préparation de ce dossier de porter à connaissance constituent un préjudice dont la réparation incomberait à l'Etat.

36. En troisième lieu, il résulte de ce qui est dit aux points 16 à 19 que le silence gardé pendant deux mois par le préfet de la Somme sur le porter à connaissance de la SCEA Côte de la Justice, enregistré le 16 mars 2015, a en tout état de cause fait naître une décision implicite de rejet. De plus, par un arrêt n°17DA01732 du 19 novembre 2019, confirmé par le Conseil d'Etat le 23 septembre 2021, la cour a jugé que n'étaient pas entachés d'illégalité la mise en demeure du préfet de la Somme du 1er juillet 2015 de mettre en conformité les effectifs du cheptel avec les prescriptions de l'arrêté préfectoral du 1er février 2013, les arrêtés du 28 août 2015 par lesquels ce préfet a infligé à cette société une amende de 7 800 euros et prononcé à son encontre une astreinte de 780 euros par jour de retard dans l'application de cette mise en demeure et enfin les titres de perception émis en conséquence.

37. Il suit de là que les requérantes ne sont pas fondées à demander l'indemnisation, par l'Etat, des frais exposés pour répondre à ces actes, ni des frais de justice engagés pour introduire devant le tribunal administratif d'Amiens une procédure de référé en vue de la suspension de l'exécution de l'arrêté du préfet de la Somme du 1er juillet 2015.

38. En quatrième lieu, un service instructeur a toujours la faculté de procéder à une formalité quand bien même cette dernière n'est pas imposée par un texte. Les requérantes, qui allèguent que la seconde enquête publique concernant le regroupement des troupeaux et la modification de l'arrêté d'exploitation était inutile, ne sont donc pas fondées à soutenir que l'Etat, en engageant cette procédure, a commis une illégalité fautive de nature à engager sa responsabilité, alors au surplus que la SCEA Côte de la Justice avait déposé, les 7 janvier, 16 mars et 11 juin 2015, trois porter à connaissance en application de l'article R. 515-53 du code l'environnement. Par suite, leur demande d'indemnisation, par l'Etat, des frais engagés pour répondre aux questions du commissaire enquêteur durant cette enquête doivent être rejetées.

39. En cinquième lieu, alors qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 16 à 19 que les porter à connaissance ont donné lieu à des décisions implicites de rejet, il ne résulte pas de l'instruction que les autorités de l'Etat aient fait obstruction au travail du CODERST à l'occasion de ses séances des 22 mars 2016 et 3 mai 2017. En effet, aucun élément ne permet de retenir que l'annulation de la première réunion ait eu pour origine une quelconque influence ou contrainte des autorités de tutelle. Il n'est pas davantage établi que l'absence de vote lors de la seconde réunion ait résulté d'instructions des pouvoirs de tutelle. Par suite, et en tout état de cause, les sociétés requérantes ne sauraient utilement soutenir qu'une quelconque faute est imputable à l'Etat pour lui imputer les frais de préparation, par les requérantes, de ces deux réunions.

40. En sixième lieu, il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander réparation à l'Etat des frais engagés pour préparer les documents de synthèse des préjudices des différentes sociétés demanderesses.

41. Dans ces conditions, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leurs conclusions à fin d'indemnisation à raison des frais de procédure et de justice engagés.

42. Il résulte de tout ce qui précède que la SCEA Côte de la Justice et autres ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 6 décembre 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation de la décision du 21 février 2017 du préfet de la Somme et à la condamnation de l'Etat à réparer leurs préjudices.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

43. Par voie de conséquence, les conclusions de la SCEA Côte de la Justice et autres présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SCEA Côte de la Justice et autres est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCEA Côte de la Justice, à la SCL Lait Pis Carde, à la société Ramery, à la société Ramery environnement, à la société Ramvert et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Somme.

Délibéré après l'audience publique du 29 mars 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes Honoré, présidente-assesseure,

- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2022.

La rapporteure,

Signé : N. Boukheloua

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. Heinis

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°20DA00263

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20DA00263
Date de la décision : 03/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: Mme Naila Boukheloua
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : BODART

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-03;20da00263 ?
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