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17/05/2022 | FRANCE | N°21DA00564

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 17 mai 2022, 21DA00564


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Bridault Chevalier a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune de Heuringhem à lui verser une indemnité de 960 991,93 euros en réparation de son préjudice résultant des fautes commises par cette commune du fait de la délivrance et du refus de régulariser un permis de construire une porcherie.

Par un jugement n° 1601353 du 12 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure

devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 mars 2021 et des mémoires enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Bridault Chevalier a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la commune de Heuringhem à lui verser une indemnité de 960 991,93 euros en réparation de son préjudice résultant des fautes commises par cette commune du fait de la délivrance et du refus de régulariser un permis de construire une porcherie.

Par un jugement n° 1601353 du 12 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 mars 2021 et des mémoires enregistrés le 17 février 2022 et le 24 mars 2022, l'EARL Bridault Chevalier, représentée par Me Jean-Philippe Verague, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner la commune de Heuringhem au versement d'une indemnité de 960 991,93 euros en réparation du préjudice résultant des fautes commises par cette commune du fait de la délivrance et du refus de régulariser un permis de construire une porcherie ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Heuringhem la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune a soutenu le recours en référé et le recours en annulation dirigé contre le permis de construire tacitement délivré le 8 septembre 2011 ;

- la commune a refusé de délivrer un permis de construire modificatif et fait obstacle à la régularisation des illégalités relevés par le tribunal administratif de Lille ;

- elle a engagé des frais d'études, de conception et de réalisation de travaux ainsi que des frais bancaires, de conseil et d'assistance juridiques de 2008 à 2015, pour un montant total de 321 535,93 euros ;

- elle a supporté un préjudice économique lié à l'impossibilité d'exploiter son élevage porcin, d'un montant de 501 300 euros ;

- elle a supporté un surcoût de construction d'un montant de 138 156 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés le 12 novembre 2021 et le 8 mars 2022, la commune de Heuringhem, représentée par Me Pierre-Etienne Bodart, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'appelante de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que

- elle n'a commis aucune faute ;

- les préjudices invoqués ne présentent pas de lien direct avec les fautes alléguées, sont imputables aux carences de la pétitionnaire ou ne sont pas établis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Marine de Lamarliere, représentant L'EARL Bridault Chevalier et de Me Pierre-Etienne Bodart, représentant la commune de Heuringhem .

Une note en délibéré présentée par L'EARL Bridault Chevalier a été enregistrée le 29 mars 2022 .

Considérant ce qui suit :

1. L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Bridault Chevalier a demandé à la commune de Heuringhem, par un courrier du 22 octobre 2015, le versement d'une indemnité de 960 991,93 euros en réparation de son préjudice résultant de fautes commises par cette commune du fait de la délivrance et du refus de régularisation d'un permis de construire une porcherie. Sa réclamation préalable ayant été rejetée, elle a demandé le versement de cette indemnité au tribunal administratif de Lille qui a rejeté sa demande par un jugement du 12 janvier 2021 dont elle relève appel.

Sur la responsabilité :

2. Pour rechercher la responsabilité de la commune de Heuringhem, l'EARL Bridault Chevalier soutient qu'elle lui a délivré le 8 septembre 2011 un permis de construire illégal, qu'elle a contesté la légalité de ce permis devant les juridictions administratives et qu'elle a illégalement refusé de lui délivrer un permis de construire modificatif.

En ce qui concerne l'illégalité du permis de construire du 8 septembre 2011 :

3. Il résulte de l'instruction que, par une décision implicite survenue le 8 septembre 2011, un permis de construire une porcherie sur des terrains a été délivré à l'EARL Bridault Chevalier. Par un jugement n° 1204149 du 2 juin 2015, le tribunal administratif de Lille a annulé partiellement ce permis en application de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme.

4. La circonstance que la cour a annulé ce jugement par un arrêt n° 15DA01256 du 29 juin 2017 ne saurait faire obstacle à ce que l'EARL Bridault Chevalier recherche la responsabilité de la commune de Heuringhem en se prévalant de l'illégalité du permis de construire du 8 septembre 2011, dès lors qu'il résulte des motifs qui sont le support nécessaire du dispositif de cet arrêt que la cour s'est fondée, pour annuler ce jugement, sur l'absence d'intérêt pour agir des demandeurs de première instance, sans se prononcer sur les illégalités retenues par le tribunal. En outre, la circonstance qu'un permis modificatif a été délivré le 15 avril 2016 à l'EARL Bridault Chevalier ne saurait non plus faire obstacle à ce que celle-ci recherche la responsabilité de la commune de Heurighem en se prévalant des dommages qui trouvent leur origine, avant cette régularisation, dans l'illégalité du permis de construire du 8 septembre 2011.

5. Pour soutenir que la commune de Heuringhem a commis une faute en lui délivrant le 8 septembre 2011 un permis de construire illégal, l'appelante soutient que ce permis, avant d'être régularisé, méconnaissait les articles R. 111-2 et L. 111-4 du code de l'urbanisme.

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme dans sa rédaction en vigueur à la date du permis de construire délivré : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ".

7. Il résulte de l'instruction et notamment du point 15 du jugement du 2 juin 2015 du tribunal administratif de Lille, dont les mentions ne sont pas sérieusement contestées, que le projet présenté par l'EARL Bridault Chevalier ne comportait pas de plateforme équipée d'un puisard d'aspiration accessible aux engins de lutte contre l'incendie, alors qu'une telle plateforme était nécessaire, ainsi que l'avait relevé dans son avis le service départemental de sécurité et d'incendie, pour assurer efficacement la sécurité d'un bâtiment d'une superficie de 6 702 m². Compte tenu de cette lacune, le permis de construire du 8 septembre 2011 méconnaissait les dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.

8. En second lieu, aux termes de l'article L. 111-4 du code de l'urbanisme dans sa rédaction en vigueur à la date du permis de construire délivré : " Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. ".

9. En application de ces dispositions, un permis de construire doit être refusé lorsque, d'une part, des travaux d'extension ou de renforcement de la capacité des réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou d'électricité sont nécessaires à la desserte de la construction projetée et que, d'autre part, l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation.

10. Il résulte de l'instruction et notamment du point 13 du jugement du jugement du 2 juin 2015 du tribunal administratif de Lille, dont les mentions ne sont pas sérieusement contestées, que la construction projetée par l'EARL Bridault Chevalier nécessitait une extension du réseau électrique et qu'en dépit de cette circonstance, le maire de Heuringhem n'a pas accompli, avant de lui délivrer le permis de construire sollicité, les diligences appropriées pour recueillir les informations requises relatives aux délais d'exécution de ces travaux et à la personne chargée de leur réalisation dans les conditions rappelées au point précédent. Par suite, le permis de construire du 8 septembre 2011 méconnaissait les dispositions précitées de l'article L. 114-1 du code de l'urbanisme.

11. Il résulte de ce qui précède que le permis de construire du 8 septembre 2011 était entaché d'illégalité et qu'en l'édictant, la commune de Heuringhem a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

12. Toutefois, il résulte de l'instruction que la pétitionnaire avait eu communication de l'avis émis par le service départemental de sécurité et d'incendie mentionné au point 7 et qu'elle s'est abstenue de fournir des plans conformes à l'ensemble des recommandations contenues dans cet avis. Cette négligence est de nature à exonérer la commune de Heuringhem d'un tiers des dommages nés de l'illégalité du permis de construire du 8 septembre 2011.

13. Enfin, si la commune de Heuringhem fait valoir qu'en raison d'une carence de la pétitionnaire, le permis de construire méconnaissait également l'article A3 du règlement du plan local d'urbanisme ainsi que l'avait relevé le tribunal administratif de Lille dans son jugement du 2 juin 2015, il résulte de l'instruction et notamment des points 14 à 16 de l'arrêt du 29 juin 2017 n° 16DA01125 et des points 18 à 20 de l'arrêt du même jour n° 17DA00100 de la cour, que l'appelante a produits dans l'instance et dont les mentions ne sont pas sérieusement contestées, que la voie d'accès au terrain d'assiette du projet présentait, à la date de la délivrance du permis litigieux, une largeur d'au moins 4 mètres conformément aux dispositions de l'article A3 du règlement du plan local d'urbanisme. La commune n'est pas ainsi fondée à soutenir qu'à ce titre, l'EARL Bridault Chevalier aurait commis une carence fautive.

En ce qui concerne la contestation de la légalité du permis du 8 septembre 2011 :

14. L'appelante soutient que la commune de Heuringhem est intervenue en 2013 devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille dans l'instance n°1305888 à l'appui du recours tendant à la suspension de l'exécution du permis de construire du 8 septembre 2011 puis en 2015 devant ce tribunal dans l'instance n° 1204149 au soutien du recours tendant à l'annulation de ce même permis. Toutefois, ces agissements ne sauraient être regardés comme constitutifs d'une faute de nature à engager la responsabilité de la commune laquelle, si elle était convaincue de l'illégalité de ce permis, ne pouvait, à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de sa délivrance, ni l'abroger ni le retirer de sa propre initiative.

En ce qui concerne l'absence de régularisation du permis du 8 septembre 2011 :

15. D'une part, il résulte de l'instruction que, pour exécuter le jugement du 2 juin 2015 du tribunal administratif de Lille, l'EARL Bridault Chevalier a déposé le 24 juin 2015 une demande de permis de construire modificatif que le maire de Heuringhem a refusé par un arrêté du 9 septembre 2015 puis à nouveau par un arrêté du 19 décembre 2015. Sur déféré du préfet du Pas-de-Calais, l'exécution de ces deux arrêtés a été suspendue par des ordonnances respectivement n° 1508646 du 19 novembre 2015 et n° 1601079 du 17 mars 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Lille. Ces arrêtés ont ensuite été annulés par des jugements respectivement n°1508665 du 19 avril 2016 et n° 1601049 du 15 novembre 2016 du même tribunal, confirmés par des arrêts, devenus définitifs, respectivement n° 16DA01125 et n° 17DA00100 du 29 juin 2017 de la cour.

16. D'autre part, il résulte de l'instruction que le maire de Heuringhem n'a délivré que le 15 avril 2016 à l'EARL Bridault Chevalier le permis de construire modificatif sollicité le 24 juin 2015. Si la commune fait valoir qu'en vertu du c) de l'article R. 423-23 du code de l'urbanisme, l'instruction de la demande de permis de construire modificatif pouvait durer jusqu'à trois mois, les agissements mentionnés au point précédent ont eu pour effet de prolonger de près de sept mois l'instruction de cette demande sans qu'il résulte de l'instruction que cette prolongation fût justifiée par la complexité particulière du projet ou le comportement de la pétitionnaire ou d'un tiers.

17. Enfin, il résulte de l'instruction et notamment du point 8 du jugement n°1601049 du 15 novembre 2016 du tribunal administratif de Lille que le maire de Heuringhem a informé l'EARL Bridault Chevalier, par un courrier du 22 juin 2016, de son intention de retirer le permis de construire modificatif du 15 avril 2016. Si, par un arrêté du 13 juillet 2016, le maire a retiré ce permis, il a cependant délivré par le même arrêté un nouveau permis de construire modificatif répondant à la demande formulée le 24 juin 2015 par l'EARL Bridault Chevalier.

18. Il résulte de ce qui précède qu'en faisant obstacle à la régularisation du permis délivré le 8 septembre 2011, la commune de Heuringhem a commis une faute de nature à engager sa responsabilité, sans qu'aucune faute exonératoire ne soit imputable à l'EARL Bridault Chevalier.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les frais de conseil juridique :

19. Il résulte de l'instruction et notamment des factures produites que l'EARL Bridault Chevalier a exposé des frais de représentation et de conseil juridiques à hauteur de 2 793,13 euros en 2013, de 960 euros en 2014 et de 4 197,44 euros en 2015 afin d'assurer la défense de ses intérêts devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille dans l'instance n° 1305888 et devant ce tribunal dans l'instance n° 1204149 mentionnées ci-dessus.

20. Or l'EARL Bridault Chevalier ayant été la partie perdante dans ces deux instances, elle n'a pu obtenir en tout ou partie le remboursement de ces frais qui sont directement imputables à la faute relevée au point 11. Compte tenu du partage de responsabilité mentionné au point 12, il sera fait une juste appréciation en fixant le montant de ce chef de préjudice à 5 247 euros. Si l'appelante soutient avoir exposé d'autres frais de représentation et de conseil juridiques, notamment devant le tribunal de grande d'instance de Saint-Omer, elle ne démontre pas de lien de causalité entre ces frais et l'une des fautes commises par la commune de Heuringhem.

En ce qui concerne les frais des constats d'huissier :

21. Il résulte de l'instruction et notamment du point 15 de l'arrêt du 29 juin 2017 n° 16DA01125 et du point 19 de l'arrêt du 29 juin 2017 n°17DA00100 de la cour que l'EARL Bridault Chevalier a utilement exposé des frais d'huissier pour constater l'état de la voie d'accès à son exploitation. Il résulte des factures produites que le montant de ces frais s'élève à 281 euros. Ces dépens, qui n'ont pas été en tout ou partie remboursés par ces arrêts, ni par les jugements n° 1508665 du 19 avril 2016 et n° 1601049 du 15 novembre 2016 du tribunal administratif de Lille, sont directement imputables à la faute mentionnée au point 18. Dans ces conditions, il y a lieu de les mettre intégralement à la charge de la commune de Heuringhem. Si l'appelante soutient avoir exposé d'autres frais d'huissier, elle n'établit toutefois pas de lien de causalité entre ses prétentions et l'une des fautes commises par la commune.

En ce qui concerne les frais bancaires :

22. Il résulte de l'instruction que l'EARL Bridault Chevalier a exposé des frais bancaires pour constituer un nouveau dossier de prêt à la suite de l'annulation du permis de construire du 8 septembre 2011. Il résulte de l'instruction et notamment des factures produites que le montant de ces frais s'élève à 1 050,40 euros. Compte tenu du partage de responsabilité mentionné au point 12, il sera fait une juste appréciation en fixant le montant de ce chef de préjudice à 693 euros. Si l'appelante soutient avoir exposé d'autres frais bancaires, notamment en 2015, elle ne produit aucun élément justifiant de leur réalité.

En ce qui concerne les pertes d'exploitation :

23. Il résulte de l'instruction et notamment de l'expertise établie par que les travaux de construction de l'exploitation ont débuté en juillet 2013, qu'ils devaient s'achever le 1er juin 2014 et qu'ils ont été interrompus fin octobre 2013 à la suite de la suspension le 28 octobre 2013 de l'exécution du permis de construire par le juge des référés du tribunal administratif de Lille puis de l'annulation le 2 juin 2015 de ce permis par le même tribunal. Si, à la suite de cette annulation, l'EARL Bridault Chevalier a déposé dès le 24 juin 2015 une demande de permis de construire modificatif, le maire de Heuringhem ne lui a délivré ce permis que le 15 avril 2016 par un arrêté qui a au demeurant été retiré le 13 juillet 2016 et remplacé le même jour par un nouveau permis modificatif ayant le même objet. A la suite de cette régularisation, il résulte de l'instruction et notamment des attestations produites que les travaux de construction ont été relancés dans les meilleurs délais et achevés le 16 mars 2017.

24. Les retards occasionnés durant la période comprise entre le 1er juin 2014 et le 24 septembre 2015, date à laquelle l'EARL Bridault Chevalier aurait bénéficié au plus tard d'un permis de construire modificatif en application du c) de l'article R. 423-23 du code de l'urbanisme, doivent être regardés comme imputables à la faute mentionnée au point 11 tandis que les retards occasionnés durant la période comprise entre le 25 septembre 2015 et le 16 mars 2017 doivent être regardés comme imputables à la faute mentionnée au point 18.

25. L'appelante soutient qu'en l'absence de ces interruptions de travaux, elle aurait été en mesure d'exploiter plus tôt son installation. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du 29 mars 2013 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a autorisé l'exploitation de l'installation a été annulé par un jugement du 25 avril 2017 n° 1401947 et 1402302 du tribunal administratif de Lille, devenu définitif à la suite du désistement dont a pris acte le président de la première chambre de la cour par une ordonnance n° 17DA01291 du 11 octobre 2018. Pour annuler cet arrêté, le tribunal, qui a écarté les autres moyens soulevés devant lui, a accueilli le moyen tiré de l'insuffisance des éléments mis à la disposition du public portant sur les capacités financières de la pétitionnaire. Il résulte cependant des motifs qui sont le support nécessaire du dispositif de ce jugement que l'illégalité qui entachait cet arrêté était régularisable dans les conditions prévues par l'article L. 181-18 du code de l'environnement et qu'afin de permettre cette régularisation, l'exécution de l'arrêté annulé n'a pas été suspendue par le tribunal.

26. Si l'EARL a fait le choix de ne pas procéder à cette régularisation, elle soutient, sans être sérieusement contredite, qu'elle pouvait régulièrement exploiter, même dépourvue d'une telle autorisation d'exploitation, une installation accueillant 280 truies, dès lors que ce nombre d'animaux n'excède pas les seuils fixés dans l'annexe de l'article R. 511-9 du code de l'environnement, au-dessus desquels une autorisation est requise. Dans ces conditions, l'appelante est fondée à soutenir qu'elle aurait pu régulièrement exploiter son installation durant la période comprise entre le 1er juin 2014, date prévisionnelle d'achèvement des travaux, et le 16 mars 2017, date d'achèvement effectif des travaux.

27. Pour évaluer le montant des pertes d'exploitation d'une installation accueillant 280 truies, l'appelante a produit une étude réalisée en mars 2014 par, selon laquelle le montant mensuel de ces pertes s'élèverait à 5 400 euros dans l'hypothèse où elles pourraient être compensées à l'avenir et à 21 700 euros dans l'hypothèse où elles ne pourraient pas l'être. Toutefois, il résulte de l'instruction et notamment de l'étude produite par la commune et réalisée par le cabinet faisant état d'un montant mensuel de pertes de 4 838 euros que, compte tenu, d'une part, de l'évolution pluriannuelle des prix de vente du porc et de leurs aliments et, d'autre part, des possibilités de compensation des pertes subies, le montant mensuel des pertes d'exploitation doit être évalué à la somme de 5 000 euros.

28. Dans ces conditions et compte tenu du partage de responsabilité mentionné au point 12, il sera fait une juste appréciation des pertes d'exploitation subies en fixant leur montant à 52 800 euros durant la période comprise entre le 1er juin 2014 et le 24 septembre 2015 et à 87 500 euros durant la période comprise entre le 25 septembre 2015 et le 16 mars 2017.

En ce qui concerne les autres préjudices allégués :

29. En premier lieu, l'appelante soutient ne pas avoir bénéficié de subventions publiques à hauteur de 40 636 euros au titre du " bien-être " animal, de la " modernisation des bâtiments d'élevage " et du " plan de performances énergétiques ". Toutefois, elle ne démontre pas qu'elle ne pouvait pas bénéficier de ces subventions après la régularisation du permis de construire litigieux, ni avoir subi des préjudices à raison de l'octroi différé de ces subventions. Par suite, elle n'est pas fondée à demander l'indemnisation de ce chef de préjudice.

30. En deuxième lieu, si l'appelante soutient avoir exposé un surcoût de construction du fait des retards mentionnés ci-dessus, elle ne fait état d'aucune facture établissant la réalité de son préjudice et les devis qu'elle produit portent sur la réalisation des travaux prévus par le permis de construire initial du 8 septembre 2011, alors que la commune établit que les bâtiments construits sont d'une moindre importance que ceux prévus par les permis de construire initial et modificatif. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de cette demande, l'EARL Bridault Chevalier n'est pas fondée à demander l'indemnisation de ce chef de préjudice.

31. En troisième lieu, l'appelante soutient avoir exposé divers autres frais, notamment d'étude, de conception, de diagnostic, d'enquête publique, de travaux et d'acquisition foncière. Toutefois, elle aurait exposé ces frais en l'absence même des fautes commises par la commune de Heuringhem et il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait exposé un surcroît de dépenses qui serait directement imputable à ces fautes. Par suite, elle n'est pas fondée à obtenir le paiement de ces frais.

32. Il résulte de tout ce qui précède que l'EARL Bridault Chevalier est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande indemnitaire en se fondant sur l'absence de faute commise par la commune de Heuringhem. Il y a lieu ainsi d'annuler ce jugement et de fixer à 146 521 euros le montant de l'indemnité totale que la commune devra lui verser.

Sur les frais liés à la présente instance :

33. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'EARL Bridault Chevalier, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par la commune de Heuringhem et non compris dans les dépens.

34. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Heuringhem le versement d'une somme de 2 000 euros à l'EARL Bridault Chevalier en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 12 janvier 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La commune de Heuringhem versera une indemnité de 146 521 euros à l'EARL Bridault Chevalier.

Article 3 : La commune de Heuringhem versera une somme de 2 000 euros à l'EARL Bridault Chevalier en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Heuringhem sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'EARL Bridault Chevalier et à la commune de Heuringhem.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 29 mars 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Naïla Boukheloua, première conseillère,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 mai 2022.

Le rapporteur,

Signé : S. Eustache

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

N°21DA00564 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00564
Date de la décision : 17/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-05-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Services de l'urbanisme. - Permis de construire.


Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : BODART

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-05-17;21da00564 ?
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