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29/08/2022 | FRANCE | N°21DA01320

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 29 août 2022, 21DA01320


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Demathieu et Bard construction Nord a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille d'ordonner une expertise sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative portant sur le marché de construction du siège de la chambre régionale des métiers et de l'artisanat Hauts-de-France.

Par une ordonnance n° 2101196 du 28 mai 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par

une requête et un mémoire, enregistrés les 15 juin et 19 novembre 2021, la société Demathieu et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Demathieu et Bard construction Nord a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille d'ordonner une expertise sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative portant sur le marché de construction du siège de la chambre régionale des métiers et de l'artisanat Hauts-de-France.

Par une ordonnance n° 2101196 du 28 mai 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 juin et 19 novembre 2021, la société Demathieu et Bard construction Nord, représentée par Me Paul-Guillaume Balaÿ et Me Marine Croquelois, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de réserver les dépens.

Elle soutient que :

- l'ordonnance est insuffisamment motivée, le premier juge n'ayant pas tenu compte de l'ensemble des chefs de mission sollicités ;

- il est utile qu'un expert soit désigné afin de donner un avis sur son projet de décompte final et sur les sommes qui lui sont dues à la lueur de ses investigations techniques s'agissant des travaux supplémentaires et de l'allongement de la durée du chantier et ce alors que le maître d'œuvre n'a émis aucune analyse sur ce projet de décompte ;

- l'analyse des travaux supplémentaires et de l'allongement de la durée du chantier doit être réalisée contradictoirement pour que soit recueilli l'avis de l'ensemble des intervenants ;

- l'expertise judiciaire actuellement en cours porte sur un objet distinct de l'expertise demandée ;

- le décompte final présenté n'est pas prématuré dès lors qu'elle a procédé à la levée de l'ensemble des réserves ; en outre, conformément à l'article 13.3.2 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, le titulaire du marché doit transmettre son projet de décompte final dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la date de notification de la décision de réception ; en tout état de cause, un tel moyen relève du juge du fond et est sans incidence sur la demande d'expertise ;

- elle n'est pas en mesure de déterminer la ou les causes des retards des travaux alors qu'il existait au total dix-neuf lots, ni de les imputer à telle ou telle partie ;

- l'expertise est utile pour constater les prestations exécutées dans le cadre ou en dehors du marché, avenants et ordre de service, dire à la demande de qui elles ont été exécutées et préciser si ces prestations sont indispensables à la réalisation de l'ouvrage et en chiffrer le coût ;

- elle est utile pour déterminer la cause ou les causes des dégradations commises sur ses ouvrages et leur imputabilité ;

- il est également nécessaire de déterminer contradictoirement les causes et imputabilités de l'allongement de la durée du chantier ;

- il y a lieu de mettre en cause le maître d'ouvrage, l'assistant à la maîtrise d'ouvrage, les maîtres d'œuvre, le groupement d'entreprise chargé du lot n° 2, les sociétés chargées de l'ordonnancement, du pilotage et de la coordination.

Par un mémoire, enregistré le 2 juillet 2021, les sociétés PMN et SCO, représentées par Me Jean-François Pille, déclarent ne pas s'opposer à la demande d'expertise et demandent qu'il leur soit donné acte de leurs protestations et réserves sur la mesure d'expertise sollicitée.

Par un mémoire, enregistré le 12 octobre 2021, la société Francis Klein, représentée par Me Marie-Christine Dutat, déclare ne pas s'opposer à la demande d'expertise et demande qu'il lui soit donné acte de ses protestations et réserves sur la mesure sollicitée.

Par un mémoire, enregistré le 18 octobre 2021, la société Martin et Guineheuf, représentée par Me Julien Houyez, demande qu'il lui soit donné acte de ses protestations et réserves concernant la demande de désignation d'un expert.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2021, la chambre de métiers et de l'artisanat Hauts-de-France, représentée par Me Jean-Baptiste Dubrulle, conclut au rejet de la requête et à titre subsidiaire à ce que la mission d'expertise soit limitée à la seule constatation de faits et à l'examen de questions purement techniques.

Elle soutient que :

- l'expertise est inutile car prématurée en raison de l'existence d'une expertise actuellement en cours sur de graves désordres affectant l'ouvrage ;

- elle est prématurée dès lors que la société ne pouvait présenter son décompte final alors que les réserves très nombreuses, tenant à des malfaçons mais aussi à des non façons, n'avaient pas été levées ;

- la société aura la possibilité de solliciter une expertise en cas de saisine du juge du fond pour que soit fixé judiciairement le décompte général du marché ;

- l'expertise est inutile également dès lors que la société appelante est en mesure d'établir elle-même les faits et notamment qu'aucun retard ne lui est imputable ;

- elle porte également sur des missions juridiques et non techniques.

Par un mémoire enregistré le 22 octobre 2021, la société Sigla Neuf, représentée par Me Sébastien Carnel, demande qu'il lui soit donné acte de ses plus expresses protestations et réserves sur la mesure sollicitée.

Par un mémoire, enregistré le 29 novembre 2021, la société Claus En Kaan Architecten, la société Pranlas Descours Architectes, et la société EPV Ingénierie, représentées par Me Véronique Ducloy, s'en remettent à la cour quant à l'opportunité d'ordonner la mesure d'expertise et demandent qu'il leur soit donné acte de leurs plus expresses protestations et réserves sur la mesure sollicitée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte d'engagement signé le 28 juillet 2014, la chambre des métiers et de l'artisanat de région du Nord-Pas de-Calais, désormais Hauts-de-France, a confié pour la construction de son campus des métiers et de l'artisanat situé à Lille, le lot n° 1 " Gros œuvre/charpente métallique, Couverture/Etanchéité - Aménagement extérieurs du bâtiment " à la société Demathieu et Bard construction nord. Par une décision du 28 octobre 2019, les travaux, dont l'achèvement a été fixé au 28 août 2019, ont été réceptionnés non seulement " avec réserves " mais également " sous réserves ". La société Demathieu et Bard construction nord a adressé en mai 2020 son projet de décompte final au cabinet Claus En Kaan Architecten, maître d'œuvre, ainsi qu'au maître d'ouvrage, accompagné d'une demande de rémunération complémentaire en raison notamment de travaux supplémentaires, de travaux de reprise et d'un surcoût financier résultant de l'allongement de la durée du chantier. Le 7 décembre 2020, elle a mis en demeure le maître d'ouvrage de procéder à la notification du décompte général. La société Demathieu et Bard construction Nord a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille de désigner un expert afin d'apprécier les retards du chantier, leurs causes et conséquences, ainsi que les travaux supplémentaires et les travaux de reprise, de fournir tous les éléments pour établir les comptes entre les parties et pour déterminer les imputabilités. Par une ordonnance du 28 mai 2021, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande. La société Demathieu et Bard construction Nord relève appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Pour rejeter la demande de désignation d'un expert, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a estimé que la demande présentée par la société Demathieu et Bard construction Nord, en litige avec la chambre des métiers et de l'artisanat Hauts-de-France sur le règlement de travaux supplémentaires et de divers surcoûts inscrits au décompte général final du marché, tendant à ce qu'il soit donné pour mission à l'expert de faire le compte entre les parties sur les prestations exécutées, devait être regardée comme donnant qualité à l'expert pour trancher des questions de droit et que, par ailleurs, la société disposait de tous les moyens, notamment techniques, pour justifier des travaux non prévus dans le contrat qu'elle avait effectués. Ces motifs étaient à eux seuls suffisants pour rejeter l'ensemble de la demande d'expertise, y compris les chefs de mission relatifs, d'une part, aux travaux supplémentaires et au coût des travaux de reprise et, d'autre part, aux causes et conséquences des préjudices subis en raison de l'allongement du chantier. Par suite, le moyen tiré de que ce que l'ordonnance est insuffisamment motivée doit être écarté.

Sur la demande d'expertise :

3. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...) ". L'utilité d'une mesure d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher.

4. En premier lieu, si la société Demathieu et Bard construction Nord demande qu'une mission d'expertise soit diligentée sur les travaux supplémentaires qu'elle a été amenée à réaliser, en exécution d'un ordre de service et sans ordre de service, et sur les travaux de reprise qu'elle a dû exécuter sur ses ouvrages achevés en raison de dégradations, il ne résulte pas de l'instruction que ces éléments ne pourraient être recherchés que par un homme de l'art et que la société appelante ne serait pas en mesure de les réunir par ses propres moyens. Elle a d'ailleurs été à même de chiffrer très précisément le préjudice dont elle se prévaut, dans l'envoi de son décompte final, lequel détaille notamment le montant des travaux supplémentaires, pour un montant de 402 878 euros hors taxes pour ceux effectués avec ordre de service et un montant de 356 177,60 euros hors taxes pour ceux réalisés sans ordre de service, ni avenant. Elle ne se prévaut d'ailleurs d'aucune circonstance particulière qui confèrerait à l'expertise qu'elle demande sur ces points, un caractère d'utilité différent de celui de la mesure que le juge du fond pourrait décider dans l'exercice de ses pouvoirs de direction de l'instruction, lors d'un éventuel contentieux sur le règlement du marché.

5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société appelante dispose de toutes les justifications factuelles et de tous les moyens techniques nécessaires pour établir le bien-fondé de ses prétentions quant aux conséquences dommageables résultant de l'allongement de la durée du chantier et pour justifier de l'anormalité et de l'imprévisibilité des surcoûts qu'elle aurait exposés pour exécuter les travaux du marché, qu'elle a également pu précisément évaluer et chiffrer au montant de 753 684,64 euros hors taxes. Le contradictoire qu'elle invoque pourra être utilement exercé au cours de la phase contentieuse et le cas échéant dans le cadre de l'expertise que le juge du fond estimerait utile de diligenter dans le cadre de ses pouvoirs d'instruction.

6. En troisième lieu, s'agissant de la demande de la société requérante tendant à ce qu'il soit donné pour mission à l'expert de fournir tous éléments en vue de l'établissement des comptes des parties, il résulte de l'instruction qu'est actuellement en cours une mission d'expertise ordonnée à la demande de la chambre des métiers et de l'artisanat des Hauts-de-France sur des désordres pouvant éventuellement concerner la société Demathieu et Bard construction Nord, et en conséquence, le solde de son marché. Il ne résulte pas de l'instruction que les réserves émises dans le cadre de la réception qui l'a été, avec et sous réserves, auraient été levées par le maître d'ouvrage comme le soutient la société dès lors qu'elle ne produit que le procès-verbal de levée des réserves établi par la maîtrise d'œuvre et à partir duquel le maître d'ouvrage peut prendre sa décision. En conséquence, l'expertise quant au règlement financier du marché ne présente pas à ce stade d'utilité au sens des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative.

7. Enfin, en demandant à la cour d'ordonner à l'expert de " dire si les réclamations financières résultent d'une faute du maître d'ouvrage dans l'estimation de ses besoins, dans son pouvoir de contrôle ou encore d'erreur ou d'insuffisances de conception ou enfin d'erreurs commises dans le cadre de l'exécution du contrat ", la société appelante présente des conclusions qui impliquent qu'une appréciation soit portée sur la qualification juridique des faits. Or, une telle mission ne peut être confiée à l'expert.

8. Il résulte de ce qui précède que la mesure d'expertise demandée par la société Demathieu et Bard construction Nord est dépourvue d'utilité au sens des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative. La société Demathieu et Bard construction Nord n'est, par suite, pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Demathieu et Bard construction Nord est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Demathieu et Bard construction Nord, à la chambre des métiers et de l'artisanat Hauts-de-France, à la société Claus en Kaan architecten, à la société Pranlas Descours architectes, à la société EVP Ingénierie, à la société Martin et Guiheneuf, à la société Tess ingénierie, à la société PMN, à la société BATIMCO, à la société Francis Klein, à la société SCO, et à la société Sigla Neuf.

Fait à Douai, le 29 août 2022.

La présidente de la cour,

Signé : Nathalie Massias

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Bénédicte Gozé

N°21DA01320 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Numéro d'arrêt : 21DA01320
Date de la décision : 29/08/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP CAILLE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 06/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-08-29;21da01320 ?
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