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02/11/2022 | FRANCE | N°21DA01301

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2ème chambre, 02 novembre 2022, 21DA01301


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société mutuelle d'assurances des bâtiments et des travaux publics (SMABTP), la société anonyme (SA) SMA et la SA Logis Métropole ont demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord à verser à la SMABTP et à la société SMA, en leur qualité d'assureurs subrogés dans les droits de la société Logis Métropole, chacune, la somme de 93 600,40 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation

du préjudice subi par la société Logis Métropole résultant d'une reprise d'incendie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société mutuelle d'assurances des bâtiments et des travaux publics (SMABTP), la société anonyme (SA) SMA et la SA Logis Métropole ont demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Nord à verser à la SMABTP et à la société SMA, en leur qualité d'assureurs subrogés dans les droits de la société Logis Métropole, chacune, la somme de 93 600,40 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, en réparation du préjudice subi par la société Logis Métropole résultant d'une reprise d'incendie ayant endommagé un ensemble pavillonnaire dont celle-ci est propriétaire, ainsi que la somme de 7 856,29 euros correspondant aux frais de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire et de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à verser respectivement à la SMABTP et à la société SMA.

Par un jugement nos 1810668, 2100631 du 14 avril 2021, le tribunal administratif de Lille a condamné le SDIS du Nord à verser à la société SMA la somme de 75 949 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2021 avec capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices subis par son assurée, la société Logis Métropole, ainsi que la somme de 7 856,29 euros au titre des frais d'expertise et a mis à sa charge le versement à la société SMA d'une somme 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 juin 2021 et le 2 septembre 2022, le SDIS du Nord, représenté par Me Michel Teboul, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de la société SMA ;

3°) de mettre à la charge de la société SMA la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il n'existe aucun lien de causalité entre la première intervention des pompiers et les dommages résultant du second incendie compte tenu du mode de construction de l'immeuble qui a un caractère déterminant dans les dommages qui se sont produits ;

- ses services n'ont commis aucune faute car le risque de reprise de feu n'était pas soupçonnable par les pompiers ;

- l'absence d'utilisation de la caméra thermique, laquelle n'est au demeurant imposée par aucun texte, ne peut être reprochée aux pompiers qui n'en disposaient pas, dès lors qu'ils ont mené leur intervention en conformité avec le règlement d'instruction et de manœuvre et ont pris les précautions habituelles pour éteindre l'incendie et éviter une reprise de feu lors de leur première intervention, en recherchant notamment un point chaud de façon visuelle et par palpation ;

- il n'est pas certain qu'une caméra thermique aurait permis de détecter un point chaud dans un espace vide ;

- la présence d'un piquet de surveillance n'était pas nécessaire dès lors que le premier incendie ne présentait pas de gravité particulière et que les dommages résultant de cet incendie n'étaient pas considérables.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 février et 21 septembre 2022, la société SMA, représentée par Me Pascal Chauchard, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du SDIS du Nord ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler ce jugement en tant qu'il a limité à la somme de 75 949 euros le montant de l'indemnité qu'il a condamné le SDIS du Nord à lui verser ;

3°) de mettre à la charge du SDIS du Nord le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la responsabilité des services du SDIS du Nord est engagée dans le cadre de la reprise de feu ;

- il résulte des constatations effectuées lors de l'expertise judiciaire qu'en raison de la disposition des bâtiments, de leur particularité constructive, de l'intensité et la durée du feu, les pompiers auraient dû utiliser une caméra thermique qui aurait permis de détecter une température importante au-dessus du mur ;

- au regard du risque accru de reprise de feu, les services du SDIS auraient dû laisser un piquet d'incendie pendant les deux heures habituelles ;

- il n'y a aucun lien de causalité " automatique " entre la nature de la construction et la reprise du feu ;

- elle est fondée à demander au SDIS du Nord, outre l'indemnisation des dommages matériels et immatériels fixés par l'expert à 92 353 euros, le remboursement de la somme de 1 247,20 euros correspondant au remplacement de la chaudière du logement n°48.

Par une ordonnance en date du 8 septembre 2022, la date de clôture de l'instruction a été reportée au 27 septembre 2022 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sylvie Stefanczyk, rapporteure,

- les conclusions de M. Guillaume Toutias, rapporteur public,

- et les observations de Me Michel Teboul, représentant le SDIS du Nord, et Me Pascal Chauchard, représentant la SA SMA.

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 mai 2016 vers 3h25 un incendie s'est déclaré dans une poubelle située devant l'une des façades de l'ensemble pavillonnaire appartenant à la société Logis Métropole située au n°46, rue des Quatre Frères Delattre à Comines (Nord). Les sapeurs-pompiers du SDIS du Nord sont intervenus rapidement et ont constaté la destruction du coffret du gaz installé en façade avec formation d'une torchère. Ils ont maitrisé l'incendie à 4h19 après avoir fait procéder à la coupure du gaz et de l'électricité et leur intervention a pris fin à 5h05, heure à laquelle ils ont quitté les lieux. Une reprise de l'incendie s'est produite à 5h28 nécessitant une nouvelle intervention des sapeurs-pompiers, qui n'ont pu cependant empêcher la communication de l'incendie aux toitures et charpentes des nos 46 et 48, provoquant d'importants dommages intérieurs. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Lille, saisi par la société logis Métropole, a, par ordonnance en date du 6 décembre 2016, ordonné une expertise, dont le rapport a été remis le 3 août 2017. La société Logis Métropole, qui avait sollicité du SDIS du Nord, par courrier du 28 juin 2018, l'indemnisation des préjudices résultant de cette reprise d'incendie et le remboursement des frais d'expertise, a ensuite été indemnisée à hauteur de 97 592,80 euros par son assureur, la société SMA. Le SDIS du Nord relève appel du jugement du 13 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser à la société SMA, subrogée dans les droits de la société Logis Métropole, la somme de 75 949 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 janvier 2021 avec capitalisation des intérêts, au titre des dommages matériels et des pertes locatives subies par celle-ci du fait de la reprise d'incendie et la somme de 7 856,29 euros au titre des frais de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire et a mis à sa charge le versement à la société SMA d'une somme 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La société SMA demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation de ce jugement en tant qu'il a limité à la somme de 75 949 euros le montant de l'indemnité qu'il a condamné le SDIS du Nord à lui verser.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales : " Les services d'incendie et de secours sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies. / (...) / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : (...) 3° La protection des personnes, des biens (...) ; / 4° Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation ".

3. Il ressort de ces dispositions que la responsabilité du service départemental d'incendie et de secours est susceptible d'être engagée dans l'hypothèse d'une faute commise dans le fonctionnement du service ou dans la gestion des moyens humains ou matériels mis en œuvre pour lutter contre un incendie ayant contribué à l'aggravation des conséquences dommageables de celui-ci. A ce titre, il incombe aux services de secours et de lutte contre l'incendie de prendre toute mesure de vérification et de contrôle destinée à prévenir, postérieurement à leur intervention, le risque d'une reprise du feu.

4. Il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise qu'après l'extinction du premier incendie, les sapeurs-pompiers sont restés sur les lieux pendant quarante-six minutes, pendant lesquelles ils ont effectué une reconnaissance visuelle à la lumière de torches de l'ensemble des logements sinistrés de la cave au grenier et ont constaté à l'aide d'un explosimètre qu'il ne subsistait plus de gaz dans l'ensemble pavillonnaire. Il résulte du rapport d'expertise que la reprise de l'incendie plus de vingt minutes après leur départ a pour origine l'auto-inflammation des gaz de pyrolyse des bois résultant du balayage des bois en partie carbonisés par de l'air chaud réchauffé en passant dans l'espace compris entre les murs intérieurs et extérieurs du bâtiment et que seuls quelques indices sur le site permettaient de détecter " le phénomène de carbonisation latent non visible de la sablière " à l'origine de la reprise d'incendie. Si l'expert déplore que, malgré les précautions habituelles prises par les sapeurs-pompiers, ces derniers n'aient pas utilisé de caméra thermique afin de vérifier la présence de points chauds, il résulte de l'instruction, d'une part, que les sapeurs-pompiers des centres de secours de Bousbecque et de Tourcoing ne disposaient pas d'une caméra thermique dans leur véhicule d'intervention, laquelle n'est, au demeurant, pas préconisée par le règlement d'intervention des pompiers face à un sinistre de cette nature et, d'autre part, que seul le centre de secours principal de Lille-Bouvines, situé à 23 kilomètres du lieu du sinistre, possédait, à la date des faits, un tel équipement. Il suit de là que, dans les circonstances de l'espèce, le SDIS du Nord n'a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité en ne détectant pas, avec l'usage d'une caméra thermique, l'existence d'un point chaud persistant après l'extinction du premier feu.

5. Par ailleurs, s'il résulte de l'instruction qu'aucun piquet de surveillance n'a été mis en place après que le dernier pompier eut quitté le site à 5h05 alors que les opérations de contrôle du risque de reprise du feu avaient été réalisées avec une visibilité réduite entre 4h19 et 5h05, il résulte du rapport d'expertise que la mise en place d'une telle surveillance n'aurait pas été de nature à éviter le redémarrage du feu, celui-ci s'étant développé depuis longtemps en raison du vice de construction entre le mur de façade et le mur intérieur de l'appartement, avant de sortir à l'air libre et les pompiers présents lors du premier sinistre n'ayant pas été informés de ce vice de construction. Dans ces conditions, le défaut d'organisation d'une ronde de surveillance ne saurait être regardé comme ayant fait perdre, dans les circonstances de l'espèce, à la société Logis Métropole, aux droits de laquelle est subrogée la société SMA, une chance d'éviter la reprise de l'incendie subi.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le SDIS du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille l'a condamné à verser à la société SMA les sommes de 75 949 euros et de 7 856,29 euros. Il y a donc lieu d'annuler le jugement nos 1810668, 2100631 du 14 avril 2021 du tribunal administratif de Lille et, par l'effet dévolutif de l'appel, de prononcer le rejet de la demande de la société SMA devant le tribunal et de rejeter ses conclusions d'appel incident tendant à ce que le montant de l'indemnité soit majoré.

Sur les frais liés à l'instance :

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société SMA la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par le SDIS du Nord et non compris dans les dépens. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du SDIS du Nord, qui n'a pas la qualité de partie perdante.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement nos 1810668, 2100631 du 14 avril 2021 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société SMA devant le tribunal administratif de Lille et ses conclusions d'appel incident sont rejetées.

Article 3 : La société SMA versera au service départemental d'incendie et de secours du Nord une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société SMA tendant à l'application de l'article L. 761 1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours du Nord et la société SMA.

Copie sera adressée à SA Logis Métropole.

Délibéré après l'audience publique du 7 octobre 2022 à laquelle siégeaient :

- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,

- M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- Mme Sylvie Stefanczyk, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 novembre 2022.

La rapporteure,

Signé : S. StefanczykLa présidente de chambre,

Signé : A. Seulin

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au préfet du Nord, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

Anne-Sophie Villette

2

N°21DA01301


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA01301
Date de la décision : 02/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Seulin
Rapporteur ?: Mme Sylvie Stefanczyk
Rapporteur public ?: M. Toutias
Avocat(s) : SELARL MICHEL TEBOUL

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-11-02;21da01301 ?
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