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14/09/2023 | FRANCE | N°22DA00260

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 14 septembre 2023, 22DA00260


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie Denoyelle Lefaire a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015 ainsi que des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 1906112 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une req

uête, enregistrée le 10 février 2022, la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire, représentée par Me Wi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie Denoyelle Lefaire a demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et 2015 ainsi que des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 1906112 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2022, la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire, représentée par Me Wibaut, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il résulte d'un faisceau d'indices tiré du défaut d'obtention d'une autorisation d'urbanisme qui visait à rénover les locaux, de la cession de 4 999 de ses parts intervenue le 17 mars 2015 et d'une étude sur le prix de cession moyen d'une officine de pharmacie faisant état d'une évolution défavorable de l'environnement économique général, que la provision pour dépréciation du fonds de commerce, dont le montant a été calculé à partir d'une analyse effectuée par un expert indépendant, qui a été comptabilisée remplissait les conditions posées par le 5° de l'article 39, 1 du code général des impôts et était ainsi justifiée ;

- elle entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations du paragraphe 50 de la documentation administrative référencée BOI-BIC-PROV-40-10-10 ;

- elle était dans l'obligation de déduire la provision constatée de ses résultats imposables dès lors qu'elle répondait aux conditions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts et qu'à défaut, elle aurait été réintégrée dans son résultat fiscal et ainsi fait l'objet d'une double imposition.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 20 octobre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 30 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire, qui exploite une officine pharmaceutique à Villeneuve-d'Ascq (Nord), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, à l'issue de laquelle le service a remis en cause, au titre des exercices clos les 31 décembre 2014 et 31 décembre 2015, la déduction d'une provision pour dépréciation du fonds de commerce d'un montant, au titre de chacun de ces exercices, de 477 000 euros et de 466 000 euros. La SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire relève appel du jugement du 17 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2014 et en 2015, ainsi que des majorations correspondantes.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des évènements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient effectivement été constatées dans les écritures de l'exercice (...) ". Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ". Aux termes de l'article 38 sexies de la même annexe, dans sa rédaction applicable au litige : " La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de matière irréversible, notamment (...) les fonds de commerce, (...) donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 123-14 du code de commerce : " Les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise. Lorsque l'application d'une prescription comptable ne suffit pas pour donner l'image fidèle mentionnée au présent article, des informations complémentaires doivent être fournies dans l'annexe. Si, dans un cas exceptionnel, l'application d'une prescription comptable se révèle impropre à donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ou du résultat, il doit y être dérogé. Cette dérogation est mentionnée à l'annexe et dûment motivée, avec l'indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière et le résultat de l'entreprise ". Aux termes de l'article 322-1 du plan comptable général, dont les dispositions ont été reprises pour les exercices ouverts après le 1er janvier 2014 à l'article 214-6 : " (...) 4 - La dépréciation d'un actif est la constatation que sa valeur actuelle est devenue inférieure à sa valeur nette comptable. / 5 - La valeur brute d'un actif est sa valeur d'entrée dans le patrimoine (...). / 7 - La valeur nette comptable d'un actif correspond à sa valeur brute diminuée des amortissements cumulés et des dépréciations. / 8 - La valeur actuelle est la valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d'usage (...). / 10 -La valeur vénale est le montant qui pourrait être obtenu, à la date de clôture, de la vente d'un actif lors d'une transaction conclue à des conditions normales de marché, net des coûts de sortie. (...) / 11 - La valeur d'usage d'un actif est la valeur des avantages économiques futurs attendus de son utilisation et de sa sortie. Elle est calculée à partir des estimations des avantages économiques futurs attendus. Dans la généralité des cas, elle est déterminée en fonction des flux nets de trésorerie attendus. (...) ".

4. La déductibilité fiscale d'une provision est subordonnée, en application des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts et de l'article 38 quater de l'annexe III à ce code, outre aux conditions relatives à la dépréciation elle-même, à ce que la provision en cause ait été constatée dans les écritures de l'exercice conformément, en principe, aux prescriptions comptables. S'agissant de la dépréciation d'un élément d'actif, il résulte des dispositions du plan comptable général citées au point 3 que la passation de l'écriture comptable correspondante est subordonnée au constat selon lequel la valeur actuelle de cet élément d'actif, valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d'usage, est devenue notablement inférieure à sa valeur nette comptable. Par suite, la seule circonstance que la valeur vénale d'un élément d'actif soit devenue inférieure à sa valeur nette comptable ne saurait, en principe, justifier la déductibilité fiscale d'une provision s'il apparaît que la valeur d'usage reste supérieure à cette valeur nette comptable, faisant ainsi obstacle à la comptabilisation d'une dépréciation.

5. Le 2 mai 2011, la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire a acquis un fonds de commerce de pharmacie pour un montant de 2 100 000 euros, comprenant des éléments incorporels à hauteur de 2 090 000 euros et matériels à hauteur de 10 000 euros, les parties étant convenues d'une réduction du prix de cession de 100 000 euros dans l'hypothèse où la commission départementale d'aménagement commercial refuserait de faire droit à un projet d'aménagement des locaux. A défaut d'obtention de cette autorisation d'urbanisme commercial, le prix de cession a été réduit de ce montant. Ce fonds de commerce a été porté à l'actif de la société, au compte 207, pour une valeur d'apport de 1 990 000 euros. Au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2014, la société a comptabilisé une provision d'un montant de 477 000 euros destinée à prendre en compte la dépréciation de son fonds de commerce, cette provision ayant été ramenée à 466 000 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2015.

6. Pour justifier de cette provision, la société requérante fait valoir que le défaut d'obtention d'une autorisation d'aménagement commercial l'a privée de la possibilité de procéder à des travaux de rénovation et d'agrandissement de ses locaux situés dans une galerie commerciale, que la cession de 4 999 de ses parts sociales, soit 16,67 % de son capital, intervenue le 17 mars 2015, a été réalisée au prix de 10 euros la part, que, selon une étude établie par l'organisme Interfimo, le prix moyen de vente d'une officine de pharmacie s'établissait, dans la région Nord-Pas-de-Calais, au titre des années 2014 et 2015, à respectivement 81 % et 79 % du chiffre d'affaires annuel et, enfin, qu'une étude réalisée par le cabinet d'expertise-comptable Adequa préconisait également, au vu des résultats et de la situation financière de l'officine, une dépréciation du fonds de commerce. Selon l'application des données recueillies par la société financière Interfimo dont se prévaut la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire, la valeur vénale du fonds de commerce, déterminée en fonction du marché de la négociation des officines, s'établit à 1 518 000 euros au titre de l'exercice clos en 2014 et à 1 526 000 euros au titre de l'exercice clos en 2015. La société fait également valoir que la valeur d'usage, calculée par une méthode consistant à appliquer à l'excédent brut d'exploitation, corrigé des rémunérations et cotisations sociales des dirigeants, un coefficient de référence également établi par la société Interfimo et s'élevant à 6,7, a été majorée de 871 000 euros par le service, aboutissant à une valorisation à hauteur de 1 224 338 euros au titre de l'exercice clos en 2014 et de 913 941 euros au titre de l'exercice clos en 2015.

7. Toutefois, il résulte de l'instruction que la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire ne produit pas davantage en appel d'élément concernant le projet de réaménagement de la galerie commerciale où est située son officine alors que l'abandon définitif de ce projet a donné lieu à une réduction de 100 000 euros du prix de cession du fonds de commerce, dont il n'est pas soutenu, ni même allégué, qu'elle serait insuffisante. La cession, intervenue le 17 mars 2015, de parts sociales entre les trois associés de la société, qui avait fait l'objet d'un engagement conclu entre eux en 2011 et qui a eu pour effet que chacun des associés détienne un tiers du capital, est intervenue au prix de la valeur d'inscription de ces parts au capital social. L'administration relève, sans être contredite, qu'au vu des conditions de cette cession, la valeur des parts cédées ne reflète pas la valeur de marché. En outre, si les études établies par l'organisme Interfimo, dont la requérante fait état, qui relèvent une diminution globale du prix de cession des officines de pharmacie en France ainsi que dans la région Nord-Pas-de-Calais, peuvent servir d'indices en vue de la valorisation de son bien, ces éléments ne suffisent pas à établir que le fonds de commerce concerné a subi une réelle dépréciation sur la période litigieuse, alors que ses chiffres d'affaires étaient en progression constante depuis la clôture de l'exercice 2012 et que, selon les indications fournies par le cabinet d'expertise comptable Adequa, le taux de marge réalisé par la société requérante se situe au-dessus de la moyenne de la profession, de même que la rentabilité de l'entreprise, qualifiée " d'honorable " par cet organisme. Il n'est pas établi que les modifications invoquées dans la gestion de l'entreprise, en particulier en termes de masse salariale, auraient été motivées par des difficultés économiques de la société. Dans ces conditions, la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire, qui n'établit pas que la valeur actuelle de son fonds de commerce serait inférieure à la valeur nette comptable, ne justifie pas du bien-fondé de la provision constituée au titre de la dépréciation de son fonds de commerce. Par ailleurs, la société requérante ne se prévaut d'aucune circonstance exceptionnelle justifiant, en application de l'article L. 123-14 du code de commerce, de déroger à ces prescriptions. Par suite, l'administration était fondée à remettre en cause la déduction de la provision en litige.

8. En deuxième lieu, la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de l'instruction référencée BOI-BIC-PROV-40-10-10, et plus particulièrement de son paragraphe n° 50, laquelle ne comporte pas d'interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt.

9. En dernier lieu, lorsqu'une provision a été constituée dans les comptes de l'exercice, et sauf si les règles propres au droit fiscal y font obstacle, notamment les dispositions particulières du 5° du 1 de l'article 39 du code général des impôts limitant la déductibilité fiscale de certaines provisions, le résultat fiscal de ce même exercice doit, en principe, être diminué du montant de cette provision dont la reprise, lors d'un ou de plusieurs exercices ultérieurs, entraîne en revanche une augmentation de l'actif net du ou des bilans de clôture du ou des exercices correspondants.

10. Dès lors, ainsi qu'il a été dit précédemment, que la provision qui avait été constituée par la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire n'était pas justifiée et que c'est à bon droit que l'administration a remis en cause sa déduction, la société n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la reprise, au cours d'un exercice ultérieur, de cette même provision, serait susceptible d'entraîner une double imposition.

11. Il résulte de ce qui précède que la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SELARL Pharmacie Denoyelle Lefaire est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Pharmacie Denoyelle Lefaire et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice générale des finances publiques chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience du 1er septembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

M. Bertrand Baillard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

La présidente de la cour,

Signé : N. MassiasLa greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N°22DA00260


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00260
Date de la décision : 14/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIDAL

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-09-14;22da00260 ?
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