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28/09/2023 | FRANCE | N°22DA00181

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 28 septembre 2023, 22DA00181


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme F... C... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 2001255 du 7 décembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a déchargé M. et Mme D... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales

auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013, ainsi que des pé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme F... C... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 2001255 du 7 décembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a déchargé M. et Mme D... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 27 janvier 2022, et un mémoire, enregistré le 22 août 2022, qui n'a pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de remettre à la charge de M. et Mme D... les impositions dont la décharge a été prononcée par ce jugement.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'inspectrice des finances publiques, mise à disposition du groupe d'intervention régional de Picardie et ayant apporté son concours technique dans le cadre d'une réquisition à un sachant, demeurait rattachée à la direction générale des finances publiques de telle sorte que l'administration fiscale disposait d'éléments lui permettant d'établir les insuffisances ou omissions dans le délai normal de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ;

- pour les motifs exposés dans les écritures produites par l'administration en première instance, les autres moyens soulevés par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Rouen, dont la cour se trouve saisie par l'effet dévolutif de l'appel, ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2022, et un mémoire, enregistré le 27 juin 2022, M. et Mme D..., représentés par la SCP Bejin-Camus-Belot, concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- à titre principal, la requête d'appel du ministre est relative à un autre dossier et est irrecevable en ce qu'elle n'est pas motivée et n'a pas été régularisée dans le délai d'appel ;

- à titre subsidiaire, les moyens soulevés par l'administration ne sont pas fondés ;

- l'administration, en ne leur communiquant pas, dans leur intégralité, les documents qu'elle a obtenus à l'occasion de l'exercice de son droit de communication, a méconnu l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ;

- l'administration ne pouvait pas se prévaloir du délai de reprise spécial prévu à l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales dès lors, d'une part, que les procès-verbaux sur lesquels s'est fondé le service ont été établis au stade de l'enquête préliminaire et non d'une instance judiciaire et, d'autre part, qu'elle disposait, du fait de la supervision de l'enquête pénale par un agent de l'administration fiscale, d'éléments suffisants pour mettre en œuvre les procédures d'investigation dont elle disposait ;

- les rehaussements entrepris ne sauraient constituer des distributions occultes au sens du c. de l'article 111 du code général des impôts ;

- il convient de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la contestation d'assiette initiée par la société G... devant le tribunal administratif d'Amiens ;

- les rehaussements portant sur l'absence de comptabilisation de factures de subrogation émanant de la SARL Artois métaux ne sont pas fondés ;

- l'administration n'apporte pas la preuve du caractère excédentaire des résultats des exercices clos en 2012 et 2013, de sorte que la présomption de distribution ne trouve pas à s'appliquer ;

- la notion de maître de l'affaire ne trouve pas application en l'espèce alors que la société B... D... services et une société unipersonnelle et qu'en outre, l'administration ne démontre pas un enrichissement de M. D... ni une confusion de patrimoine ; ainsi, l'administration n'apporte pas la preuve de l'appréhension des revenus distribués en cause ;

- Mme D... ne saurait être concernée par les rehaussements en cause, en droits et pénalités ;

- c'est à tort que le service n'a pas pris en compte l'abattement de 40 % prévu au 2° du 3 de l'article 158 du code général des impôts ;

- la majoration de 25 % prévue au 2° du 7. de l'article 158 du code général des impôts n'était pas applicable à l'espèce ;

- les contributions sociales ne pouvaient être réclamées au foyer fiscal ;

- la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses n'est pas justifiée.

Par ordonnance du 30 juin 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 16 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de la sécurité sociale ;

- l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D... ont été assujettis, au titre des années 2012 et 2013, à des compléments d'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus des capitaux mobiliers résultant de l'imposition entre les mains de M. D..., sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts, de revenus distribués par l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) B... D... services, qui exerce notamment une activité de transport et de négoce de matériaux de construction et de métaux, dont il était le gérant et l'unique associé. Les compléments d'impôt sur le revenu assignés à M. et Mme D... à raison des distributions irrégulières, notifiés suivant la procédure contradictoire, ainsi que les prélèvements sociaux mis à leur charge, ont été assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manœuvres frauduleuses prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts. M. et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013. Par un jugement du 7 décembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à leur demande au motif que l'administration n'était pas fondée à se prévaloir du délai spécial de reprise prévu par l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ce jugement.

Sur la fin de non-recevoir opposée par M. et Mme D... :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, applicable à l'introduction de l'instance devant le juge d'appel en vertu de l'article R. 811-13 du même code : " (...) La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".

3. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance a présenté, le 27 janvier 2022, une requête dirigée contre le jugement n° 2001255 du 7 décembre 2021 du tribunal administratif de Rouen, qui a été communiquée à M. et Mme D... le 10 mai 2022. Cette requête répond aux exigences posées à l'article R. 411-1 du code de justice administrative. Par suite, la fin de non-recevoir tirée par M. et Mme D... de ce que la requête présentée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance serait entachée d'un défaut de motivation doit être écartée.

Sur le motif de décharge retenu par les premiers juges :

4. Aux termes de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 applicable aux délais de reprise venant à expiration à compter du 30 décembre 2015 : " Même si les délais de reprise sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une procédure judiciaire, par une procédure devant les juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos la procédure et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ". Des insuffisances ou omissions d'imposition ne peuvent pas être regardées comme révélées par une procédure judiciaire au sens de cet article lorsque l'administration dispose d'éléments suffisants lui permettant, par la mise en œuvre des procédures d'investigations dont elle dispose, d'établir ces insuffisances ou omissions d'imposition dans le délai normal de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales.

5. Il résulte de l'instruction que, dans le cadre de l'exercice le 7 novembre 2017, sur le fondement des articles L. 81 et L. 82 C du livre des procédures fiscales, du droit de communication auprès du tribunal de grande instance d'Amiens, le service a obtenu, le 17 novembre 2017, l'autorisation du procureur de la République de consulter les pièces et de prendre copie de l'instance pénale visant l'EURL B... D... services pour des faits d'abus de biens, faux, blanchiment, recel de biens et corruption active, ayant donné lieu à une ordonnance, le 29 juin 2017, prise au terme d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Pour prononcer la décharge des impositions litigieuses, les premiers juges ont relevé qu'une inspectrice des finances publiques, alors mise à disposition du groupe d'intervention régional (GIR) de Picardie, avait apporté son concours à l'enquête préalable diligentée en 2015, et que l'administration fiscale n'établissait pas que, par l'intermédiaire de cet agent des finances publiques qui restait rattachée à son administration d'origine, elle n'aurait pas disposé, avant la consultation en 2017 du dossier pénal en application de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, d'informations lui permettant d'établir les insuffisances ou omissions dans le délai normal de reprise prévu à l'article L. 169 de ce livre, alors que les pouvoirs conférés à l'administration par les dispositions dérogatoires de l'article L. 188 C sont d'interprétation stricte.

6. Toutefois, il résulte de l'instruction que cette inspectrice des finances publiques, qui n'était pas affectée dans un service relevant de la direction générale des finances publiques mais était mise à disposition du groupe d'intervention régional (GIR) de Picardie, structure rattachée à la section de recherches de la gendarmerie d'Amiens, a été requise par le procureur de la République, au stade de l'enquête préliminaire, en qualité de sachant, sur le fondement de l'article 77-1 du code de procédure pénale, aux fins d'assister les services d'enquête et qu'elle a, à ce titre, en particulier, communiqué aux services de gendarmerie des extraits du fichier national des comptes bancaires et assimilés et assisté les enquêteurs lors de l'audition de M. D.... Or, les agents des finances publiques mis à disposition des GIR et chargés d'apporter une assistance technique aux enquêtes, ne relèvent pas, pour les missions qu'ils y accomplissent, de la direction générale des finances publiques et sont, en outre, tenus au secret de l'enquête prévu à l'article 11 du code de procédure pénale. Ainsi, ces agents n'ont pas, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme D..., à rendre compte aux services de la direction générale des finances publiques des informations issues des enquêtes judiciaires dont ils ont à connaître lorsqu'ils sont placés sous l'autorité du chef du GIR. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction, en l'absence de tout élément contraire, que l'administration fiscale aurait disposé d'éléments qui lui auraient permis de procéder aux rectifications litigieuses dans le délai normal de reprise. Par suite, l'administration était fondée à faire application du délai spécial de reprise et les impositions relatives aux années 2012 et 2013 n'étaient pas atteintes par la prescription à la date à laquelle elles ont été mises en recouvrement. Dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur le moyen tiré de l'inapplicabilité du délai dérogatoire de reprise prévu à l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales pour prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. et Mme D... ont été assujetties au titre des années 2012 et 2013.

7. Toutefois, il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Rouen et la cour.

Sur les autres moyens soulevés par M. et Mme D... :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

8. En premier lieu, la circonstance que les procès-verbaux d'audition faisant apparaître des renonciations à recettes de la part de l'EURL B... D... services ont été dressés au stade de l'enquête préliminaire dirigée par le procureur de la République avant l'engagement de poursuites ayant la nature d'une instance, est, en tout état de cause, sans incidence sur la possibilité pour l'administration fiscale de se prévaloir du délai spécial de reprise prévu à l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable aux années 2012 et 2013 issue de la loi 29 décembre 2015.

9. En second lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration. Dans cette dernière hypothèse, si le contribuable établit qu'il ne peut avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration, celle-ci est alors tenue de les lui communiquer.

10. Il ressort des termes mêmes de la proposition de rectification du 25 janvier 2018 adressée à M. et Mme D..., que le service a obtenu, dans le cadre de son droit de communication exercé auprès de l'autorité judiciaire sur le fondement de l'article L. 82 C du livre des procédures fiscales, la copie de plusieurs documents, le 24 novembre 2017, transmis sur un support CD-Rom. M. et Mme D... ont sollicité, par courriers des 2 février et 16 mars 2018, la communication de toutes les pièces ainsi obtenues. Les 2 et 6 novembre 2018, soit avant la mise en recouvrement des impositions contestées, le service a communiqué aux intéressés une partie de ces documents. Si M. et Mme D... soutiennent que la communication partielle des documents obtenus auprès de l'autorité judiciaire a entaché la procédure d'imposition d'irrégularité, il résulte de l'instruction que les documents qui leur ont été communiqués correspondent à ceux dont le contenu a été cité dans la proposition de rectification et qui ont été utilisés pour fonder les rehaussements en litige. En outre, l'administration doit être regardée comme apportant des éléments d'information appropriés sur la nature des passages occultés et les raisons de leur occultation, en relevant qu'ont été occultés, pour des motifs liés au secret professionnel, les éléments des procès-verbaux communiqués qui ne venaient pas à l'appui des rectifications en litige et qui étaient sans lien avec la procédure fiscale. Il résulte de l'instruction que les occultations pratiquées par l'administration étaient limitées et ne rendaient pas les documents transmis aux contribuables, et notamment les procès-verbaux d'audition, inexploitables. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales doit, en tout état de cause, être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant de l'existence et du montant des distributions :

11. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes ; / (...) ".

12. Il résulte de l'instruction, notamment des mentions concordantes des procès-verbaux d'audition du gérant de la société à responsabilité limitée (SARL) Artois métaux et de M. D..., obtenus par l'administration dans le cadre de l'exercice du droit de communication, que la SARL Artois métaux, cliente de l'EURL B... D... services, achetait à cette dernière de la ferraille, des cartons et des matières plastiques et qu'à la demande de M. D..., la société de droit marocain ... et l'EURL ..., dont les gérants étaient respectivement M. et Mme D..., étaient chargées d'établir les factures de vente de ces objets à la SARL Artois métaux afin que le produit de ces ventes n'apparaisse pas dans la comptabilité de l'EURL B... D... services. Ces faits ont été expressément admis par M. D... lors de la procédure judiciaire. Si les intimés soutiennent que le service devait tenir compte des factures telles qu'elles ont été établies et que celles-ci étaient opposables à l'administration, il appartient à cette dernière, lorsque se révèle, comme en l'espèce, une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé. Dès lors que le produit de ces ventes n'a pas été inscrit en comptabilité, il peut être qualifié d'occulte. Par suite, l'administration pouvait à bon droit fonder sa rectification sur les dispositions du c. de l'article 111 du code général des impôts qui prévoit que les rémunérations et avantages occultes sont considérés comme des revenus distribués.

S'agissant de l'appréhension des revenus distribués :

13. En cas de refus des propositions de rectifications par le contribuable, qu'elle entend imposer comme bénéficiaire des sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.

14. Il résulte de l'instruction que M. D... est l'unique détenteur des parts sociales de l'EURL B... D... services dont il est également le gérant. L'administration relève, en outre, dans la réponse aux observations du contribuable, que M. D... assure effectivement la direction de l'entreprise et exerce un contrôle effectif et constant sur la marche de celle-ci, ce que les intimés ne contestent pas. En soutenant que M. D... n'a fait qu'exercer les fonctions de dirigeant de l'EURL B... D... services, sans outrepasser les limites de ces fonctions et sans qu'aucun enrichissement personnel ni aucune confusion de patrimoine ne puisse leur être imputé, M. et Mme D... ne contestent pas sérieusement les indices avancés par l'administration, qui doivent être regardés comme établissant que M. D... était, au cours des années d'imposition en litige, le seul maître de l'affaire, laquelle qualification n'est, contrairement à ce qui est allégué, pas privée de sa portée au seul motif qu'elle est invoquée pour établir l'appréhension, par un contribuable, de revenus distribués par une société unipersonnelle. La circonstance, à la supposer même établie, que les résultats de l'EURL B... D... services n'auraient pas été excédentaires au titre des exercices clos en 2012 et 2013 est sans incidence sur l'application du c. de l'article 111 du code général des impôts. Il suit de là que l'administration fiscale a pu, à bon droit, considérer M. D... comme le seul maître de l'affaire et, par suite, le regarder comme ayant appréhendé les revenus distribués par l'entreprise.

S'agissant de l'imposition de Mme D... :

Quant à l'impôt sur le revenu :

15. Aux termes du 1 de l'article 6 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) les personnes mariées sont soumises à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d'elles (...) ; cette imposition est établie au nom de l'époux, précédée de la mention " Monsieur ou Madame " / (...) ". Aux termes du 4 de ce même article : " Les époux font l'objet d'impositions distinctes : / a. Lorsqu'ils sont séparés de biens et ne vivent pas sous le même toit ; / (...) ".

16. M. et Mme D..., mariés sous le régime de la séparation de biens et dont il est constant qu'ils vivent sous le même toit au sens de ces dispositions au cours des années en cause, devaient faire l'objet d'une imposition commune. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir qu'elle devait faire l'objet d'une imposition distincte à raison des revenus distribués appréhendés par son époux.

Quant aux contributions sociales :

17. Aux termes de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à une contribution sur les revenus du patrimoine assise sur le montant net retenu pour l'établissement de l'impôt sur le revenu (...) / III. - La contribution portant sur les revenus mentionnés aux I et II ci-dessus est assise, contrôlée et recouvrée selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que l'impôt sur le revenu. (...) ". Aux termes de l'article 1600-0 C du code général des impôts : " La contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine est établie, contrôlée et recouvrée conformément aux dispositions de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article 15 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Il est institué une contribution perçue à compter de 1996 et assise sur les revenus du patrimoine définis au I de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale (...) / II. - La contribution est mise en recouvrement et exigible en même temps, le cas échéant, que la contribution sociale instituée par l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ". Aux termes de l'article 1600-0 G du code général des impôts : " La contribution pour le remboursement de la dette sociale assise sur les revenus du patrimoine est établie, contrôlée et recouvrée conformément à l'article 15 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale ". Aux termes de l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale, alors applicable : " Les personnes physiques fiscalement domiciliées en France au sens de l'article 4 B du code général des impôts sont assujetties à un prélèvement sur les revenus et les sommes visés à l'article L. 136-6. Les dispositions du III de l'article L. 136-6 sont applicables à ce prélèvement ". Aux termes de l'article 1600-0 F bis du code général des impôts, alors applicable : " I. - Le prélèvement social sur les revenus du patrimoine est établi conformément aux dispositions de l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale. / (...) ". Aux termes de l'article L. 14-10-4 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au litige : " Les produits affectés à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie sont constitués par : / (...) / 2° Une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale et une contribution additionnelle au prélèvement social mentionné à l'article L. 245-15 du même code. Ces contributions additionnelles sont assises, contrôlées, recouvrées et exigibles dans les mêmes conditions et sous les mêmes sanctions que celles applicables à ces prélèvements sociaux ". Aux termes de l'article 1600-0 S du code général des impôts : " I. - Il est institué : / 1° Un prélèvement de solidarité sur les revenus du patrimoine mentionnés à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ; (...) / II. - Le prélèvement de solidarité mentionné au 1° du I est assis, contrôlé et recouvré selon les mêmes règles et sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que la contribution mentionnée à l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale. (...) ".

18. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'en prévoyant, au III de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale, que la contribution sur les revenus du patrimoine est assise selon les mêmes règles que l'impôt sur le revenu, le législateur a rendu applicable à cette contribution sociale, ainsi qu'à celles qui sont mentionnées par les autres dispositions citées au point précédent, le principe de l'imposition commune entre époux prévu à l'article 6 du code général des impôts. Par suite, Mme D... n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne pouvait pas faire l'objet d'une imposition commune à ces contributions avec M. D... et qu'il y avait lieu de distinguer entre les revenus des deux époux.

En ce qui concerne l'application de l'abattement de 40 % prévu au 2° du 3 de l'article 158 du code général des impôts :

19. Aux termes du 3 de l'article 158 du code général des impôts : " 1° Les revenus de capitaux mobiliers comprennent tous les revenus visés au VII de la 1ère sous-section de la présente section (...). / Lorsqu'ils sont payables en espèces les revenus visés au premier alinéa sont soumis à l'impôt sur le revenu au titre de l'année soit de leur paiement en espèces ou par chèques, soit de leur inscription au crédit d'un compte. / 2° Les revenus mentionnés au 1° distribués par les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés (...), ayant leur siège dans un Etat de la Communauté européenne (...) et résultant d'une décision régulière des organes compétents, sont réduits, pour le calcul de l'impôt sur le revenu, d'un abattement égal à 40 % de leur montant brut perçu. (...) ". Le 2° du 3 de l'article 158 du code général des impôts conditionne l'abattement de 40 % consenti sur les revenus de capitaux mobiliers distribués par les sociétés passibles de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt équivalent à une décision régulière des organes compétents.

Pour l'application de ces dispositions, une décision de distribution de dividendes n'est irrégulière que si elle n'a pas été prise par l'organe compétent, si elle est le résultat d'une fraude ou si elle n'entre dans aucun des cas pour lesquels le code de commerce autorise la distribution de sommes prélevées sur les bénéfices.

20. M. et Mme D..., qui ne se prévalent d'aucune décision régulière de distribution de dividendes prise par M. D..., en sa qualité d'associé unique de la société et organe compétent pour décider de procéder à la distribution, ni d'aucun indice de nature à révéler l'existence d'une telle décision, et alors que cette distribution ne s'est pas traduite dans la comptabilité de la société, ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que l'administration a refusé d'appliquer aux revenus en litige l'abattement de 40 % prévu au 2° du 3 de l'article 158 du code général des impôts.

En ce qui concerne l'application aux revenus distribués du coefficient de 1,25 prévu au 7. de l'article 158 du code général des impôts :

21. Aux termes du 7. de l'article 158 du code général des impôts : " Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l'impôt selon les modalités prévues à l'article 197, est multiplié par 1,25. Ces dispositions s'appliquent : / (...) / 2° Aux revenus distribués mentionnés aux c à e de l'article 111, aux bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis et aux revenus distribués mentionnés à l'article 109 résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice ; / (...) ".

22. C'est à bon droit, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme D..., que l'administration a, compte tenu de la nature des revenus en cause, appliqué la majoration de 25 %, prévue au 7. de l'article 158 du code général des impôts, aux revenus distribués imposés entre les mains des intéressés sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts.

En ce qui concerne les majorations :

23. En premier lieu, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ".

24. Pour justifier l'application de la majoration de 80 % prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts aux rehaussements correspondant à l'absence de comptabilisation de la vente de métaux ferreux, cartons et matières plastiques par l'EURL B... D... services à la SARL Artois métaux, l'administration a relevé, en se fondant sur les éléments issus de la procédure judiciaire obtenus au titre de l'exercice du droit de communication, que M. D... avait demandé à la société Artois métaux que le paiement de ces métaux soit adressé non pas au fournisseur, l'EURL B... D... services, mais à la société de droit marocain MCDC et à la société ..., détenues respectivement par M. et Mme D..., par un procédé de factures fictives et d'édition par la société Artois métaux de factures subrogatoires, destiné à minorer le résultat fiscal de l'EURL B... D... services tout en transférant les fonds à destination de sociétés détenues par les intimés. L'ensemble de ces éléments permet de démontrer que M. D... a fait usage de procédés destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle. Dès lors, l'administration a pu, à bon droit, assortir les impositions litigieuses de la majoration de 80 % prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts.

25. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) / 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. / (...) ". Les pénalités fiscales, qui présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles visent et n'ont pas pour objet la seule réparation pécuniaire d'un préjudice, constituent, même si le législateur a laissé le soin de les établir et de les prononcer à l'autorité administrative, des " accusations en matière pénale " au sens des stipulations du 1. de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le principe de personnalité des peines découle du principe de la présomption d'innocence posé au 2. de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

26. D'autre part, aux termes du second alinéa du 1 de l'article 6 du code général des impôts : " Sauf application des dispositions du 4 et du second alinéa du 5, les personnes mariées sont soumises à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d'elles et ceux de leurs enfants et des personnes à charge (...) ". Aux termes de la première phrase du premier alinéa de l'article 156 du même code : " L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque foyer fiscal ". Aux termes du I de l'article 1754 de ce code : " Le recouvrement et le contentieux des pénalités calculées sur un impôt sont régis par les dispositions applicables à cet impôt ".

27. Lorsqu'elle assortit des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu d'une majoration tendant à réprimer le comportement d'un contribuable, l'administration est tenue de respecter le principe de personnalité des peines, lequel s'oppose à ce qu'une sanction fiscale soit directement appliquée à une personne qui n'a pas pris part aux agissements que cette pénalité réprime. Ce principe doit, toutefois, être concilié avec le régime de l'imposition commune prévu à l'article 6 du code général des impôts et avec les modalités de calcul de cette imposition fixées par l'article 156 du même code. Ainsi, lorsqu'un seul des époux a pris part à des agissements fautifs, les sanctions fiscales en résultant doivent être regardées comme ayant été prononcées uniquement à son encontre, même si elles majorent, au titre du revenu concerné par ces agissements, l'impôt qui est dû, par le foyer fiscal formé par les deux époux, sur l'ensemble de leurs revenus.

28. Alors que l'administration a assigné au foyer fiscal que forment M. et Mme D... des majorations pour manœuvres frauduleuses imputables uniquement à M. D..., le principe de personnalité des peines garanti par les stipulations précitées de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être appliqué en tenant compte du principe de l'imposition commune des couples mariés et ne fait pas obstacle à ce que les pénalités encourues à raison des agissements de l'un seulement des conjoints soient mises à la charge commune des membres de ce couple. Par suite, l'administration était fondée à appliquer les pénalités litigieuses aux rectifications touchant le revenu imposable commun de M. et Mme D....

29. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé, d'une part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a déchargé M. et Mme D..., en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013, d'autre part, à demander que ces impositions soient remises à la charge des intéressés. La demande présentée par M et Mme D... devant le tribunal administratif de Rouen doit donc être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2001255 du 7 décembre 2021 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : Les compléments d'impôt sur le revenu et les contributions sociales auxquels M. et Mme D... ont été assujettis au titre des années 2012 et 2013 ainsi que les majorations correspondantes sont remis à leur charge.

Article 3 : La demande présentée par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., à Mme F... C... épouse D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice générale des finances publiques chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. E... A..., premier vice-président,

M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le premier vice-président,

Signé : C. A...

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition,

La greffière,

Nathalie Roméro

2

N°22DA00181


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00181
Date de la décision : 28/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SCP BEJIN CAMUS BELOT

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-09-28;22da00181 ?
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