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07/11/2023 | FRANCE | N°22DA01854

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 07 novembre 2023, 22DA01854


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la commune de Louviers à lui verser la somme de 30 337,32 euros en réparation des pertes de revenus résultant du refus de reconnaître l'imputabilité au service de ses congés de maladie et la somme de 18 669,12 euros en réparation des préjudices en lien avec la perte de son emploi pour invalidité.

Par un jugement n° 2004381 du 6 juillet 2022, le tribunal administratif de Rouen a condamné la commune de Louviers à verser à Mme

A..., dans un délai de deux mois, une indemnité correspondant aux traitements dus...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la commune de Louviers à lui verser la somme de 30 337,32 euros en réparation des pertes de revenus résultant du refus de reconnaître l'imputabilité au service de ses congés de maladie et la somme de 18 669,12 euros en réparation des préjudices en lien avec la perte de son emploi pour invalidité.

Par un jugement n° 2004381 du 6 juillet 2022, le tribunal administratif de Rouen a condamné la commune de Louviers à verser à Mme A..., dans un délai de deux mois, une indemnité correspondant aux traitements dus au titre de ses congés de maladie imputables au service et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 août 2022 et un mémoire en réplique enregistré le 16 juin 2023, la commune de Louviers, représentée par Me Enard-Bazire, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 6 juillet 2022 en tant qu'il la condamne à indemniser Mme A... ;

2°) de rejeter la demande présentée par l'intéressée devant le tribunal administratif en vue de l'indemnisation de ses pertes de revenus ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions indemnitaires présentées devant les premiers juges étaient irrecevables dès lors que les arrêtés plaçant Mme A... en congé de maladie ordinaire à demi-traitement étaient devenus définitifs, en l'absence de demande d'annulation présentée dans le délai de recours contentieux, et que le recours indemnitaire n'a pas été introduit dans un délai raisonnable ;

- l'administration n'a commis aucune faute en plaçant l'intéressée en congé de maladie ordinaire à demi-traitement dès lors que, eu égard à son état antérieur, ses arrêts de travail ne présentent pas de lien suffisamment direct avec l'accident de service survenu le 5 mai 2014 ;

- les congés de maladie postérieurs à la date de consolidation du 17 mai 2015 ne peuvent être pris en charge au titre de l'accident de service ;

- les préjudices invoqués ne sont pas imputables à la pathologie de l'intimée ;

- l'administration n'a pas manqué à ses obligations d'aménagement de poste et de reclassement dès lors que Mme A... n'a pas demandé à travailler dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, que la fiche de poste a été modifiée à plusieurs reprises afin de tenir compte des restrictions médicales, que l'intéressée a été déclarée définitivement inapte à son poste le 7 avril 2017 et à tous postes le 10 novembre suivant et que la mise à la retraite pour invalidité résulte pour l'essentiel de l'état antérieur non imputable au service ;

- un éventuel manquement à ses obligations d'aménagement et de reclassement ne pourrait concerner que la période du 22 février 2016 au 19 septembre 2017 ;

- l'inaptitude définitive de Mme A... et sa mise à la retraite pour invalidité résultent de son syndrome dépressif et de l'aggravation de sa lombalgie qui ne sont pas imputables au service ;

- les pertes de revenus subies au cours de la période du 22 février 2016 au 31 décembre 2018 doivent être évaluées à la somme de 21 729,28 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 avril 2023, Mme A..., représentée par Me Levesques, conclut :

1°) au rejet de la requête et à la condamnation de la commune de Louviers à lui verser la somme de 27 278,26 euros en réparation des pertes de revenus résultant du refus de reconnaître l'imputabilité au service de ses congés de maladie, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du jugement attaqué ;

2°) à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen du 6 juillet 2022 en tant qu'il rejette ses conclusions en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi, et à la condamnation de la commune de Louviers à lui verser la somme de 18 669,12 euros à ce titre ;

3°) à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la commune de Louviers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande présentée devant le tribunal administratif était recevable dès lors que le caractère définitif des décisions la plaçant en congé de maladie ordinaire ne faisait pas obstacle à l'exercice d'un recours indemnitaire, que la responsabilité de la commune est engagée pour ne pas avoir envisagé l'aménagement de son poste ou un éventuel reclassement, et qu'aucun délai raisonnable ne lui est opposable ;

- la commune de Louviers n'a pas exécuté le jugement attaqué, justifiant qu'elle demande la condamnation de la collectivité à lui verser la somme de 27 278,26 euros en réparation de ses pertes de revenus ;

- la commune a commis une faute en la maintenant en congé de maladie ordinaire depuis le 28 septembre 2015, alors que ses congés sont imputables à l'accident de service du 5 mai 2014 ;

- elle a également commis une faute en s'abstenant de procéder à l'aménagement de son poste ou à un reclassement tenant compte des prescriptions médicales ;

- les manquements de la commune sont à l'origine de pertes de revenus au titre de la période du 22 février 2016 au 31 décembre 2018, pour un montant de 27 278,26 euros, et de sa mise à la retraite pour invalidité, dont le préjudice est évalué à la somme de 18 669,12 euros.

Par une ordonnance du 20 juin 2023, l'instruction a été close à la date du 10 juillet 2023, à 12 heures.

Par une décision du 26 janvier 2023, le président du bureau d'aide juridictionnelle a maintenu, pour la présente instance, la décision du 25 janvier 2021 admettant Mme A... à l'aide juridictionnelle totale devant le tribunal administratif de Rouen.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Adjointe technique de 2ème classe affectée à la commune de Louviers, où elle exerçait les fonctions d'agent d'entretien, Mme A... a été victime d'un accident sur son lieu de travail le 5 mai 2014. L'imputabilité au service de cet accident a été reconnue par la commune de Louviers, qui a placé Mme A... en congé de maladie à plein traitement, avec prise en charge des soins, jusqu'au 27 septembre 2015. L'intéressée a ensuite bénéficié d'un congé de maladie ordinaire puis, à la suite de deux jugements du tribunal administratif de Rouen des 16 janvier et 27 février 2018 annulant les mesures de gestion prises sur ce point, elle a été placée en congé de maladie imputable au service, avec maintien d'un plein traitement, jusqu'au 21 février 2016. Mme A... a été de nouveau placée en congé ordinaire de maladie après cette date, puis en disponibilité d'office du 28 septembre 2016 au 27 septembre 2018, avec le bénéfice d'un demi-traitement. Maintenue ensuite dans les effectifs de la commune, toujours à mi-traitement, dans l'attente que la commission de réforme donne son avis, Mme A... a été admise à la retraite pour invalidité à compter du 1er janvier 2019. Relevant divers manquements se rapportant à la prise en charge de ses arrêts de travail, à l'adaptation de son poste et à l'absence de reclassement, Mme A... a saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande tendant à la condamnation de la commune de Louviers à réparer les préjudices résultant de ses pertes de traitement et de la perte de son emploi. Par un jugement du 6 juillet 2022, le tribunal administratif de Rouen a condamné la commune de Louviers à verser à Mme A..., dans un délai de deux mois, une indemnité correspondant aux traitements dus au titre de ses congés de maladie imputables au service pour la période du 22 février 2016 au 31 décembre 2018 et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. La commune de Louviers relève appel de ce jugement. Mme A... saisit la cour de conclusions incidentes tendant à la réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande présentée devant le tribunal administratif :

2. D'une part, et contrairement à ce que soutient la commune de Louviers, les arrêtés plaçant Mme A... en congé de maladie ordinaire à demi-traitement ont emporté des effets juridiques sur sa situation individuelle qui ne sont pas exclusivement financiers, de sorte qu'ils ne sauraient être regardés comme ayant un objet purement pécuniaire. Par suite, la circonstance que ces arrêtés sont devenus définitifs n'a pas pour effet de priver Mme A... de la possibilité de demander l'indemnisation des préjudices résultant de leur caractère illégal.

3. D'autre part, si le recours visant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique doit être précédé d'une réclamation auprès de l'administration, il ne tend pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968. Il s'ensuit que la commune de Louviers ne saurait utilement se prévaloir de la règle selon laquelle, pour un recours tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision, le principe de sécurité juridique impose au destinataire de la décision de saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an.

4. Il résulte de ce qui précède que la commune de Louviers n'est pas fondée à soutenir que la demande présentée par Mme A... devant les premiers juges était irrecevable.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Louviers :

5. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident, même après la date de radiation des cadres pour mise à la retraite. / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales (...) ". Aux termes de l'article 81 de la loi du 26 janvier 1984, dans sa rédaction applicable : " Les fonctionnaires territoriaux reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions peuvent être reclassés dans les emplois d'un autre cadre d'emploi, emploi ou corps s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé ". Aux termes de l'article 30 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales : " Le fonctionnaire qui se trouve dans l'impossibilité définitive et absolue de continuer ses fonctions par suite de maladie, blessure ou infirmité grave dûment établie peut être admis à la retraite soit d'office, soit sur demande. / (...) La mise en retraite d'office pour inaptitude définitive à l'exercice de l'emploi ne peut être prononcée qu'à l'expiration des congés de maladie, des congés de longue maladie et des congés de longue durée dont le fonctionnaire bénéficie en vertu des dispositions statutaires qui lui sont applicables (...) ". Enfin, aux termes de l'article 36 du même décret : " Le fonctionnaire qui a été mis dans l'impossibilité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées (...) en service (...) peut être mis à la retraite par anticipation soit sur sa demande, soit d'office, à l'expiration des délais prévus au troisième alinéa de l'article 30 et a droit à la pension rémunérant les services prévue au 2° de l'article 7 et au 2° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Par dérogation à l'article 19, cette pension est revalorisée dans les conditions fixées à l'article L. 341-6 du code de la sécurité sociale ".

6. Le droit, prévu par les dispositions du deuxième alinéa du 2° de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, d'un fonctionnaire en congé de maladie à conserver l'intégralité de son traitement en cas de maladie provenant d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions est soumis à la condition que la maladie mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'accomplir son service soit en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions.

7. Il résulte en outre de la combinaison des dispositions citées au point 5 que le fonctionnaire dont les blessures ou la maladie proviennent d'un accident de service et qui se trouve dans l'incapacité permanente d'exercer ses fonctions au terme d'un délai de douze mois à compter de sa mise en congé maladie, sans pouvoir bénéficier d'un congé de longue maladie ou d'un congé de longue durée, doit bénéficier de l'adaptation de son poste de travail ou, si celle-ci n'est pas possible, être mis en mesure de demander son reclassement dans un emploi d'un autre corps ou cadre d'emploi, s'il a été déclaré en mesure d'occuper les fonctions correspondantes. S'il ne demande pas son reclassement ou si celui-ci n'est pas possible, il peut être mis d'office à la retraite par anticipation. Il appartient à l'autorité compétente de se prononcer sur la situation de l'intéressé au vu des avis émis par le comité compétent, sans être liée par ceux-ci. En l'absence de modification de la situation de l'agent, l'administration a l'obligation de le maintenir en congé de maladie avec plein traitement jusqu'à la reprise de service ou jusqu'à sa mise à la retraite, qui ne peut prendre effet rétroactivement.

8. D'une part, Mme A..., qui exerçait les fonctions d'agent d'entretien, a été victime d'un accident de service le 5 mai 2014, qui a entrainé l'apparition de lombalgies et son placement en congé de maladie. Pour contester tout lien entre cet accident de service et les arrêts de travail de Mme A..., après le 22 février 2016 et jusqu'au 31 décembre 2018, la commune de Louviers se prévaut de l'expertise médicale réalisée le 29 décembre 2015 et des avis rendus par la commission de réforme les 15 février et 12 avril 2018, dont il ressort que les congés de maladie et les soins postérieurs à la date de consolidation, fixée au 17 mai 2015, ne sont pas imputables à cet accident. Toutefois, la consolidation retenue pour les lésions imputables à un accident de service ne fait pas obstacle à ce que des douleurs ressenties après cette consolidation et relevant de la même symptomatologie que celles ayant conduit à la reconnaissance de l'imputabilité, présentent un lien direct et certain avec l'accident de service initial et soient reconnues comme également imputables. Si dans son avis précité du 15 février 2018, la commission de réforme retient que l'incapacité résultant de la pathologie lombaire de l'intéressée est imputable à un état antérieur, pour un taux de 7 %, et à l'accident de service, pour un taux de 8 %, il ne résulte pas de l'instruction que Mme A... aurait présenté une lombalgie avant la survenue de cet accident. Il n'est pas non plus établi, ni même soutenu par la commune, que le syndrome dépressif également retenu par la commission de réforme le 15 février 2018 expliquerait à lui seul les arrêts de travail de Mme A..., alors que, dans des avis antérieurs des 10 septembre 2015 et 10 mars 2016, la commission envisage une reprise d'activité sur un poste aménagé tenant compte de restrictions médicales en lien avec ses seules douleurs lombaires. Dans ces conditions, la maladie qui a mis l'intimée dans l'impossibilité d'accomplir son service d'agent d'entretien pendant la période litigieuse est en lien direct avec l'accident survenu dans l'exercice de ses fonctions, quand bien même ce lien ne serait pas exclusif.

9. D'autre part, Mme A..., dont la maladie provient d'un accident de service et qui s'est trouvée dans l'incapacité permanente d'exercer ses fonctions initiales d'agent d'entretien au terme de douze mois de congé maladie, n'a pu être placée en congé de longue maladie ou de longue durée, et devait donc bénéficier de l'adaptation de son poste de travail ou, si celle-ci n'était pas possible, être mise en mesure de demander son reclassement. Il ressort des rapports d'expertise médicale des 19 mai et 20 décembre 2015 et des avis de la commission de réforme des 10 septembre 2015 et 10 mars 2016 qu'une reprise d'activité était envisageable sur un poste aménagé excluant le port de charges supérieures à cinq kilogrammes et des flexions et rotations du tronc, d'abord dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique à compter de septembre 2015 puis à temps plein à compter de mars 2016. La commune de Louviers soutient avoir proposé un tel poste aménagé dès le 26 mai 2015. Toutefois, elle renvoie sur ce point à une fiche de poste décrivant les missions d'agent d'entretien assurées par Mme A... avant son accident, et qui ne prend pas en compte les restrictions médicales précitées. Si la fiche de poste proposée le 31 mars 2016 retient ces restrictions, le médecin de prévention a estimé le 18 avril 2016 que le poste ainsi aménagé était incompatible avec l'état de santé de Mme A... qui devait être hospitalisée pendant un mois pour recevoir des soins en lien avec sa lombalgie et permettant une rééducation et une réadaptation à l'effort physique. Il ne résulte pas de l'instruction que les fiches de poste des 29 novembre 2016 et 17 janvier 2017, en tous points identiques à celle du 31 mars 2016, auraient correspondu à l'état de santé de Mme A.... Au demeurant, le comité médical s'est prononcé le 7 avril 2017 pour une inaptitude totale de l'intéressée à ses fonctions d'agent d'entretien, impliquant un reclassement dans un emploi sans port de charges, ni position penchée en avant ou exposition aux trépidations. La commune de Louviers ne démontre pas avoir mis à même Mme A... de demander un tel poste de reclassement avant le 10 novembre 2017, date à laquelle le comité médical a constaté qu'elle était inapte à tous postes. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'a pu bénéficier de l'adaptation de son poste de travail et, à supposer qu'il fut possible, n'a pas été mise en mesure de demander son reclassement. Ainsi qu'il a été dit au point 7, il appartenait donc à la commune de Louviers, en l'absence de toute possibilité de reprise, de la maintenir en congé de maladie avec plein traitement jusqu'à sa mise à la retraite, intervenue le 1er janvier 2019.

10. Il résulte de ce qui précède qu'en plaçant Mme A... en congé de maladie ordinaire non imputable au service puis en disponibilité d'office, avec le bénéfice d'un demi-traitement, la commune de Louviers a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne les préjudices :

11. En premier lieu, Mme A... n'a perçu qu'un demi traitement du 22 février 2016, date à laquelle elle est arrivée au terme de la période de congé de maladie ordinaire à plein traitement, au 31 décembre 2018, avant sa mise à la retraite pour invalidité. Si elle demande en appel la condamnation de la commune à lui verser à ce titre la somme de 27 278,26 euros, sans en expliciter le mode de calcul et en renvoyant à ses bulletins de paie, la commune de Louviers produit sur ce point des éléments financiers, non contestés par l'intéressée, dont il ressort que les pertes de revenus subies pendant la période litigieuse s'établissent à la somme totale de 21 729,28 euros. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir ce montant pour fixer l'indemnité due à Mme A....

12. En second lieu, invoquant le refus fautif de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de travail, ainsi que des manquements de la commune aux obligations d'aménagement de poste et de reclassement, Mme A... soutient qu'elle s'est trouvée dans une situation de déclassement économique et social, qu'elle n'a pas pu entreprendre le programme médical de restauration fonctionnelle de son rachis, et qu'elle a développé un syndrome dépressif, ces circonstances ayant conduit à son inaptitude professionnelle et à la perte de son emploi. Il résulte de l'instruction que la mise à la retraite de Mme A... pour invalidité résulte de sa pathologie lombaire correspondant à une incapacité globale de 15 %, en partie seulement imputable au service à hauteur de 8 %, et à un syndrome dépressif représentant un déficit fonctionnel de 20 %. Si le certificat médical du 9 février 2018, que l'intéressée produit à l'instance, fait état de ses lombalgies et de sa pathologie psychiatrique, il n'en ressort aucunement que ses lésions lombaires, pour la partie non imputable au service, et son syndrome dépressif auraient pour origine le refus de la commune de prendre en charge l'ensemble de ses arrêts de travail au titre de l'accident de service du 5 mai 2014 ou les manquements allégués dans l'aménagement de poste ou la procédure de reclassement. Il n'est pas plus établi par Mme A..., qui renvoie sur ce point à ses propres déclarations, que ce refus de prise en charge aurait rendu impossible la réalisation d'un programme médical de restauration lombaire et aurait ainsi fait obstacle à une reprise d'activité. Dans ces conditions, en l'absence de démonstration d'un lien de causalité entre son inaptitude professionnelle définitive et un comportement fautif de l'administration, elle n'est pas fondée à solliciter une indemnisation à ce titre.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Louviers n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen l'a condamnée à verser à Mme A... une indemnité correspondant à ses pertes de revenus entre le 22 février 2016 et le 31 décembre 2018. Il résulte encore de ce qui précède que le montant de cette indemnité doit être fixé à la somme de 21 729,28 euros.

Sur les intérêts :

14. Aux termes de l'article 1231-7 du code civil : " En toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement (...) ".

15. Tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts au taux légal au jour de son prononcé jusqu'à son exécution, même en l'absence de demande tendant à l'allocation d'intérêts. Dès lors, la demande de Mme A... tendant à ce que lui soient alloués, à compter de la date du jugement attaqué, des intérêts au taux légal sur la somme que la commune de Louviers a été condamnée à lui verser est dépourvue de tout objet et doit être rejetée

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la commune de Louviers demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

17. Par ailleurs, Mme A... n'allègue pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée. L'avocat de Mme A... n'a pas demandé que lui soit versée par la commune de Louviers la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à sa cliente si celle-ci n'avait pas bénéficié d'une aide juridictionnelle totale. Dans ces conditions, les conclusions de Mme A... tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Louviers est rejetée.

Article 2 : La commune de Louviers est condamnée à verser la somme de 21 729,28 euros à Mme A... en réparation des pertes de revenus subies du 22 février 2016 au 31 décembre 2018.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 6 juillet 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Louviers, à Mme B... A... et à Me Levesques.

Délibéré après l'audience publique du 17 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2023.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq La présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière

N. Roméro

2

N° 22DA01854


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01854
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : LEVESQUES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-11-07;22da01854 ?
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