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16/11/2023 | FRANCE | N°22DA01860

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 16 novembre 2023, 22DA01860


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... née B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de prononcer la décharge de son obligation solidaire de paiement de la somme globale de 3 656 166,30 euros correspondant, en principal et accessoires, à des cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie avec son époux au titre des années 2009 à 2016 et à des cotisations de taxe d'habitation établies au titre des années 2016 et 2017, d'autre part, de mettre à la charge de l

'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de just...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... C... née B... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, de prononcer la décharge de son obligation solidaire de paiement de la somme globale de 3 656 166,30 euros correspondant, en principal et accessoires, à des cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie avec son époux au titre des années 2009 à 2016 et à des cotisations de taxe d'habitation établies au titre des années 2016 et 2017, d'autre part, de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2002090 du 30 juin 2021, le tribunal administratif de Lille, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de cette demande à concurrence de la remise de l'obligation solidaire de paiement en principal et accessoires, prononcée en cours d'instance, des cotisations de contributions sociales établies au titre des années 2009 à 2011 et de la moitié, représentant une somme de 421 652,50 euros, des cotisations de contributions sociales établies au titre des années 2012 à 2016, a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 août 2022, et par un mémoire, enregistré le 20 octobre 2023 et qui n'a pas été communiqué, Mme C..., représentée par Me Wibaut, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il ne lui a pas donné entière satisfaction ;

2°) de prononcer la décharge de l'obligation solidaire de paiement de la dette fiscale restant en litige ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- pour écarter ses moyens tirés de l'invocation des dispositions de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de même que le moyen tiré de ce que l'imposition commune des époux ne s'étend pas aux contributions sociales, le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement ;

- le tribunal administratif a retenu à tort, en se méprenant sur les règles de dévolution de la charge de la preuve, qu'elle n'avait apporté aucun élément de nature à établir l'absence de manœuvres frauduleuses de sa part pour se soustraire au paiement de la dette fiscale en cause, alors d'ailleurs que la donation de la nue-propriété du logement familial, qui lui est reprochée, a été effectuée par elle, dans un seul but de gestion patrimoniale, plusieurs années avant la mise en recouvrement des cotisations d'impôt sur le revenu constituant cette dette et à une date à laquelle elle n'avait pas connaissance des procédures de contrôle fiscal dont faisaient l'objet les sociétés civiles immobilières détenues par son ex-époux ;

- dès lors que de telles manœuvres ne résultent pas de l'instruction et qu'il existe une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale en cause et, à la date de sa demande, sa situation financière et patrimoniale nette de charges, elle pouvait prétendre de plein droit à la décharge d'obligation solidaire de paiement qu'elle sollicitait ; les termes de la réponse apportée par le ministre le 5 octobre 2021 à M. A..., député, confortent son analyse sur ce point ;

- le refus opposé par l'administration à sa demande est contraire aux dispositions de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi qu'aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la dette fiscale dont le paiement lui est réclamé présente un caractère confiscatoire ;

- dès lors que le principe de l'imposition commune des couples mariés, prévu à l'article 6 du code général des impôts, ne s'étend pas aux prélèvements sociaux, c'est à tort et en méconnaissance du droit communautaire et conventionnel que le tribunal administratif a refusé de faire droit à ses conclusions en décharge de l'obligation solidaire de payer la part de la dette en cause correspondant aux contributions sociales établies au titre des années 2012 à 2016, relevant essentiellement de revenus personnels de son ex-époux ; le paragraphe n°50 de la doctrine administrative BOI-CTX-DRS-20 conforte son analyse sur ce point.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- si l'administration n'entend plus contester que la condition tenant à la rupture de la vie commune, prévue par les dispositions du II de l'article 1691 bis du code général des impôts, était remplie à la date de la demande de décharge de l'obligation solidaire de paiement formée par Mme C..., il résulte en revanche de l'instruction que l'intéressée a tenté de se soustraire frauduleusement au paiement de la dette fiscale en cause, de sorte que ces dispositions faisaient obstacle à ce qu'il soit fait droit à sa demande, comme l'a retenu, à bon droit et sans se méprendre sur la dévolution de la charge de la preuve, le tribunal administratif ; à cet égard, à la date des opérations de contrôle des sociétés civiles immobilières détenues par l'ex-époux de Mme C..., à celle à laquelle leur foyer fiscal a fait l'objet d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014 et à celle à laquelle les rehaussements en résultant ont été notifiés, les intéressés étaient encore mariés et résidaient ensemble, de sorte qu'en l'absence d'élément contraire, Mme C... doit être présumée avoir eu connaissance de ces procédures ; dans ces conditions, le seule circonstance que la donation, par Mme C..., de la nue-propriété du logement familial, ait été opérée plusieurs années avant la mise en recouvrement des impositions constituant la dette fiscale en cause n'est pas de nature à mettre en doute cette analyse, dans un contexte dans lequel l'administration avait relevé de graves manquements des époux à leurs obligations fiscales et alors que Mme C... a en outre clôturé le 11 août 2020, après la mise en recouvrement des impositions, un contrat d'assurance-vie inconnu de l'administration ;

- la demande de décharge de l'obligation solidaire de paiement formée par Mme C... ne comportait pas un état exhaustif de l'état des ressources et du patrimoine immobilier de l'intéressée à la date à laquelle cette demande avait été établie ;

- dès lors que la dette fiscale en cause est constituée d'impositions établies de façon proportionnelle aux revenus du foyer fiscal alors formé par Mme C... et son ex-époux, l'appelante, qui ne présente pas un état exhaustif de ses ressources et de son patrimoine, n'est fondée à se prévaloir ni des dispositions de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- eu égard aux règles gouvernant l'imposition des époux mariés sous le régime de la communauté universelle, Mme C... n'est pas fondée à demander la décharge de son obligation de paiement solidaire de la part de la dette en cause correspondant à la quote-part de 50 % qui lui a été attribuée des contributions sociales établies au titre des années 2012 à 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Mme C... née B... a formé, le 6 décembre 2018, une demande en décharge de son obligation solidaire de paiement de cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que de taxe d'habitation, établies, respectivement, au titre des années 2009 à 2016 et au titre des années 2016 et 2017, au nom du foyer fiscal qu'elle formait avec son ex-époux, cette dette fiscale représentant une somme totale de 3 656 166,30 euros. Cette demande a fait l'objet d'une décision de rejet en date du 14 janvier 2020, aux motifs que Mme C... n'établissait pas la rupture effective de la vie commune avec son ex-époux et qu'elle s'était livrée à une manœuvre frauduleuse destinée à échapper au paiement de la dette fiscale en cause.

2. Sans attendre l'issue du recours hiérarchique qu'elle a exercé contre cette décision, Mme C... a porté le litige devant le tribunal administratif de Lille, en lui demandant de prononcer la décharge de son obligation solidaire de paiement. En cours d'instance, en réponse au recours hiérarchique formé par Mme C..., le ministre a déchargé l'intéressée de l'obligation de payer les contributions sociales afférentes aux années 2009 à 2011, dès lors qu'elles se rattachaient aux seuls revenus de son ex-époux, et a laissé à sa charge l'obligation solidaire de payer la moitié des prélèvements sociaux des années 2012 à 2016, résultant de ses revenus personnels et des revenus communs du foyer fiscal.

3. Par un jugement du 30 juin 2021, le tribunal administratif de Lille, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande à concurrence de la remise de l'obligation solidaire de paiement en principal et accessoires, prononcée en cours d'instance, des cotisations de contributions sociales établies au titre des années 2009 à 2011 et de la moitié, soit une somme de 421 652,50 euros, des cotisations de contributions sociales établies au titre des années 2012 à 2016, a rejeté le surplus des conclusions de la demande. Mme C... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. D'une part, il ressort des motifs énoncés au point 6 du jugement attaqué, lesquels motifs tirent les conséquences de ceux énoncés au point 5 de ce jugement, que le tribunal administratif a apporté une réponse suffisante aux moyens tirés, par Mme C..., de l'invocation des dispositions de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. D'autre part, il ressort des motifs énoncés au point 8 de ce jugement que la réponse apportée par les premiers juges au moyen de Mme C... tiré de ce que l'imposition commune des époux ne s'étend pas aux contributions sociales a été suffisamment précise, un tel moyen étant d'ailleurs inopérant dans le cadre d'un litige afférent à un refus de décharge d'obligation solidaire de paiement.

6. Dans ces conditions, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est, sur ces points, irrégulier comme insuffisamment motivé.

Sur le bien-fondé de la demande de décharge de l'obligation solidaire de paiement :

7. En vertu de l'article 6 du code général des impôts, les personnes mariées sont, en principe, soumises à une imposition commune pour les revenus perçus par chacune d'elles et ceux de leurs enfants et des personnes à charge.

8. Par ailleurs, aux termes de l'article 1691 bis de ce code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. - Les époux (...) sont tenus solidairement au paiement : / 1° De l'impôt sur le revenu lorsqu'ils font l'objet d'une imposition commune ; / 2° De la taxe d'habitation lorsqu'ils vivent sous le même toit. / II. - 1. Les personnes divorcées ou séparées peuvent demander à être déchargées des obligations de paiement prévues au I (...) lorsque, à la date de la demande : / (...) / c) Les intéressés ont été autorisés à avoir des résidences séparées ; / d) L'un ou l'autre des époux (...) a abandonné le domicile conjugal ou la résidence commune. / 2. La décharge de l'obligation de paiement est accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur. Elle est alors prononcée selon les modalités suivantes : / a) Pour l'impôt sur le revenu, la décharge est égale à la différence entre le montant de la cotisation d'impôt sur le revenu établie pour la période d'imposition commune et la fraction de cette cotisation correspondant aux revenus personnels du demandeur et à la moitié des revenus communs du demandeur et de son conjoint (...). / (...) / b) Pour la taxe d'habitation, la décharge est égale à la moitié de la cotisation de taxe d'habitation mise à la charge des personnes mentionnées au I ; / (...) / 3. (...) / La décharge de l'obligation de paiement ne peut pas être accordée lorsque le demandeur et son conjoint (...) se sont frauduleusement soustraits, ou ont tenté de se soustraire frauduleusement, au paiement des impositions mentionnées aux 1° et 2° du I (...), soit en organisant leur insolvabilité, soit en faisant obstacle, par d'autres manœuvres, au paiement de l'impôt. / (...) ".

En ce qui concerne la soustraction frauduleuse au paiement de la dette fiscale :

9. Il résulte de l'instruction que, par un acte notarié de donation-partage établi le 28 février 2013, Mme C... a décidé d'attribuer la nue-propriété de l'immeuble d'habitation situé à Lens, constituant son domicile, à ses trois enfants nés d'un premier mariage, ainsi qu'aux enfants de ceux-ci, l'acte précisant que la valeur de la nue-propriété transmise a été estimée à 300 000 euros.

10. Pour refuser de faire droit à la demande de décharge de l'obligation de paiement de la dette fiscale faisant l'objet du présent litige, l'administration a estimé que cet acte de donation-partage procédait d'une organisation volontaire, par Mme C..., de son insolvabilité, dans le but de se soustraire frauduleusement au paiement de la dette du foyer fiscal qu'elle avait formé avec son ex-époux, dans une situation dans laquelle il n'était pas formellement établi que la communauté de vie avait cessé entre les intéressés.

11. Au soutien de cette appréciation, le ministre, qui admet désormais, en cause d'appel, l'absence de communauté de vie entre Mme C... et son ex-époux à la date de demande de décharge de l'obligation solidaire de paiement, fait cependant valoir que les revenus fonciers perçus par l'ex-époux de Mme C... des sociétés civiles immobilières dont il détenait la majorité des parts avaient, dès avant la date de l'acte de donation-partage du 28 février 2013, fait l'objet de rectifications ayant donné lieu à la notification à l'intéressé, en main propre le 30 janvier 2013, d'une proposition de rectification datée du 27 décembre 2012, qui faisait aussi état d'autres rectifications en matière de revenus de capitaux mobiliers.

12. Mme C... ne conteste pas cette situation, mais soutient que les dissensions déjà fortes, à la date de l'acte de donation-partage, avec son ex-époux ont fait obstacle à ce qu'elle ait connaissance de ces rehaussements afférents à des sociétés gérées en propre par son ex-époux et dans lesquelles elle ne détenait elle-même aucune participation.

13. Toutefois, si la donation-partage du 28 février 2013 n'est postérieure que de quelques semaines à la remise en main propre de la proposition de rectification du 27 décembre 2012 à M. C... et est aussi antérieure à la mise en recouvrement des impositions, cette proposition de rectification a procédé de la vérification, opérée antérieurement, de la comptabilité de sociétés civiles immobilières dont M. C... était l'associé et de l'exercice par l'administration de son droit de communication auprès de locataires de ces sociétés.

14. Il résulte de cette proposition de rectification que, lors de cette vérification de comptabilité, des contrôles sur place ont été réalisés au siège de deux sociétés qui était alors situé à l'adresse même du domicile conjugal de Lens. Le 28 février 2013, date de l'acte de donation-partage, à la conclusion duquel celui qui était encore l'époux de Mme C... était au demeurant présent en tant qu'intervenant, Mme C... et ce dernier étaient encore mariés, d'ailleurs sous le régime de la communauté universelle des biens présents et à venir, et résidaient toujours ensemble à l'adresse du domicile conjugal à Lens. Mme C... doit ainsi être réputée avoir eu connaissance, à la date à laquelle elle a consenti la donation-partage, de la rectification des revenus fonciers de son ex-époux.

15. Enfin, Mme C... n'a apporté aucune précision quant à l'objectif de gestion patrimoniale qu'elle aurait poursuivi en consentant la donation-partage en cause.

16. Ainsi, en réduisant son patrimoine de droits immobiliers valorisés à 300 000 euros, alors que l'administration venait d'informer son époux qu'elle envisageait de mettre à la charge du foyer fiscal un supplément de droits d'impôt sur le revenu de 577 298 euros, Mme C..., qui ne peut utilement soutenir que cette diminution du patrimoine du couple représente moins de 10 % de la dette fiscale dont le paiement a ensuite été demandé, doit être regardée comme ayant frauduleusement tenté de soustraire une partie de ses avoirs au paiement de sa dette fiscale.

17. Dans ces conditions, l'administration était fondée à rejeter, pour ce motif, la demande de décharge de l'obligation solidaire de paiement que lui avait présentée Mme C....

En ce qui concerne la proportion entre la dette fiscale et la situation de l'intéressée :

18. Mme C... soutient que les ressources qu'elle percevait, à la date de sa demande de décharge d'obligation solidaire de paiement, étaient sans commune mesure avec le montant de la dette fiscale dont il lui est demandé le paiement, laquelle s'élève, compte tenu de la remise intervenue en première instance, à la somme de 2 886 403,80 euros.

19. Toutefois, il n'y a pas lieu de rechercher s'il existe une disproportion entre les revenus du contribuable et le montant de sa dette fiscale lorsque ce contribuable est regardé, ce qui est le cas en l'espèce ainsi qu'il a été dit, comme ayant organisé volontairement son insolvabilité, compte tenu de la rédaction de l'article 1691 bis du code général des impôts et aussi puisque la disproportion qui serait mise en évidence est alors artificielle. Le moyen soulevé à ce titre par Mme C... doit donc être écarté comme inopérant.

20. En tout état de cause, il résulte de l'état que Mme C... a joint à sa demande de décharge que celle-ci estimait à la somme mensuelle de 6 667 euros le montant net de ses salaires de l'année 2019 et qu'elle y ajoutait un revenu annuel de 7 500 euros provenant de valeurs mobilières et de la location d'immeubles et de fonds de commerce. En regard, Mme C... faisait mention, dans le même état, de charges courantes qu'elle évaluait à la somme totale de 103 155 euros au titre de l'impôt sur le revenu, de la taxe foncière et de la taxe d'habitation correspondant à sa résidence principale de Lens, et à la somme de 5 000 euros au titre des charges de toutes natures liées à cet immeuble, telles les charges de copropriété, d'électricité, de gaz, de téléphone ou d'assurance.

21. Cependant, les capacités contributives de Mme C... ne peuvent être appréciées qu'en tenant également compte de ce qui était alors son patrimoine personnel. Il résulte, à cet égard, du même état que ce patrimoine était exclusivement constitué de la résidence principale de l'intéressée, qu'elle évaluait à la somme de 500 000 euros, ainsi que de parts dans les sociétés SHM et INF Consulting, que Mme C... évaluait à la somme totale de 100 000 euros.

22. Toutefois, le ministre fait valoir, sans être sérieusement contredit, que l'état ainsi dressé par Mme C... ne présente pas une situation exhaustive du patrimoine de l'intéressée à la date de sa demande de décharge, dès lors, d'une part, que Mme C... et son ex-époux demeuraient, en dépit de leur divorce, propriétaires indivis de plusieurs immeubles situés à Lens et dans les environs de cette ville et, d'autre part, que Mme C... a omis de faire mention, dans l'état produit, de ce qu'elle est la dirigeante et l'associée de la société civile immobilière (SCI) Nolymo, elle-même détentrice de la majorité des parts d'une autre SCI propriétaire de plusieurs immeubles.

23. Enfin, Mme C... n'a pas fait mention de ce qu'elle avait souscrit un contrat d'assurance vie d'un montant de 136 359 euros non porté à la connaissance de l'administration et qui a, au demeurant, été clôturé par elle le 11 août 2022 soit après la notification, par le comptable public le 10 août 2020, d'un avis à tiers détenteur à l'établissement détenteur.

24. Dans ces conditions, le moyen tiré, par Mme C..., de la disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale dont il lui est demandé le paiement et sa situation financière et patrimoniale, nette de charges, ne peut qu'être écarté.

25. Les moyens de Mme C... tirés de la violation de l'article 17 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent également être écartés, dès lors qu'il résulte de ce qui précède que la dette fiscale dont le paiement est réclamé ne peut pas être regardée comme présentant un caractère confiscatoire.

En ce qui concerne les contributions sociales :

S'agissant de l'application de la loi fiscale :

26. D'une part, Mme C... ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l'article 6 du code général des impôts dans le cadre du présent litige, relatif au bien-fondé du refus, opposé par l'administration, à sa demande de décharge de l'obligation de paiement de la dette fiscale en cause, dès lors que ces dispositions, qui énoncent une règle afférente à l'établissement de l'impôt dû par les personnes mariées, ne peuvent être valablement invoquées que dans le cadre d'un contentieux d'assiette.

27. D'autre part, il résulte de l'instruction que les contributions sociales dont l'administration a, après la remise prononcée en première instance, laissé le paiement à la charge de Mme C... correspondent à la moitié des contributions sociales auxquelles le foyer fiscal formé par l'intéressée et son ex-époux a été assujetti au titre des années 2012 à 2016, c'est-à-dire à la somme de 421 625,50 euros en droits et pénalités. Pour les motifs ci-dessus énoncés, Mme C... ne peut, en tout état de cause, être déchargée de son obligation solidaire de paiement pour ce qui concerne cette part de contributions laissées à sa charge.

S'agissant du bénéfice de la doctrine administrative :

28. Mme C... invoque, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les énonciations du paragraphe n°50 de la doctrine administrative publiée le 14 octobre 2015 sous la référence BOI-CTX-DRS-20, qui se rapportent à la décharge de responsabilité solidaire prévue au II de l'article 1691 bis du code général des impôts, selon lesquelles : " Les revenus communs du demandeur et de son conjoint (...) s'entendent des bénéfices ou revenus que le couple a réalisés ou dont il a disposé au cours de la période d'imposition commune. / (...) / Toutefois, ces revenus peuvent ne pas être considérés comme des revenus communs si le demandeur apporte la preuve que les biens, source de ces revenus, sont la propriété exclusive de l'ex-conjoint (...) ".

29. Toutefois, ces énonciations, qui s'insèrent dans une doctrine administrative dont l'objet est d'expliciter les dispositions applicables en ce qui concerne la forme et le contenu de la demande de décharge de l'obligation solidaire de paiement ainsi que les modalités de détermination, par le service, du montant de la décharge accordée, ne peuvent être regardées comme comportant, s'agissant des conditions requises pour prétendre à une telle décharge, une interprétation formelle de la loi fiscale qui soit susceptible d'être valablement opposée à l'administration, dans le présent litige, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Mme C... n'est, par suite, pas fondée à s'en prévaloir.

30. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille, après avoir constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de sa demande à concurrence du montant sur lequel portait la remise prononcée par le comptable public en cours de première instance, a rejeté le surplus des conclusions de cette demande.

31. Par voie de conséquence, les conclusions que Mme C... présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... C..., à la direction départementale des finances publiques du Pas-de-Calais et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience publique du 26 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2023.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : M. D...

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

Elisabeth Héléniak

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N°22DA01860

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01860
Date de la décision : 16/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS FIDAL

Origine de la décision
Date de l'import : 25/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-11-16;22da01860 ?
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