La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/12/2023 | FRANCE | N°22DA02492

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 21 décembre 2023, 22DA02492


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 19 juin 2019 par laquelle la commission pluridisciplinaire unique a ordonné le changement de son régime carcéral au sein du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.



Par un jugement n° 1909114 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregist

rée le 29 novembre 2022, M. A... B..., représenté par Me Benoît David, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 19 juin 2019 par laquelle la commission pluridisciplinaire unique a ordonné le changement de son régime carcéral au sein du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

Par un jugement n° 1909114 du 15 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 29 novembre 2022, M. A... B..., représenté par Me Benoît David, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 juillet 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 19 juin 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros à verser à son conseil, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier ;

- il n'est pas revêtu des signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- l'imprécision du sens des conclusions du rapporteur public méconnaît les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative ;

- le tribunal a retenu à tort l'irrecevabilité de sa requête, alors qu'il a attaqué le seul acte qui lui a été communiqué avec la mention des voies et délais de recours, et a omis de lui communiquer un moyen d'ordre public tiré de cette irrecevabilité ;

- il est recevable à contester la décision du 19 juin 2019 qui lui fait grief ;

- la décision du 19 juin 2019 est illégale :

- elle n'est pas signée et ne comporte aucune mention permettant d'attester de l'identité et de la qualité de son auteur, en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est entachée d'incompétence : d'une part, les décisions d'affectation en régime différencié relèvent du chef d'établissement et non de la commission pluridisciplinaire unique du centre pénitentiaire ; d'autre part, la délégation de signature éventuellement consentie n'a pas fait l'objet d'une publication régulière et suffisante ;

- elle n'a pas été précédée d'un débat préalable ou du recueil de ses observations préalables, en violation des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle n'est pas motivée, en méconnaissance des prescriptions des articles L. 211-2 et L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors qu'elle ne précise pas sa durée, ne procède pas de considérations liées à la sécurité de l'établissement et ne prend pas en compte ses perspectives de réinsertion et son parcours d'exécution de peine.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 juin 2023, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors que l'acte attaqué est la synthèse de la commission pluridisciplinaire unique qui exprime seulement un avis et n'est donc pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;

- les moyens soulevés par le requérant tant sur la régularité du jugement que sur la légalité de la décision du 19 juin 2019 ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 26 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 août 2023.

M. B... a obtenu l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Douai du 29 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., incarcéré au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil depuis le 22 mai 2017, a été affecté le 19 juin 2019 en régime contrôlé au sein du quartier Maison centrale 3 (QMC3). Il interjette appel du jugement du tribunal administratif de Lille du 15 juillet 2022 qui a rejeté sa demande d'annulation de la " décision " du 19 juin 2019 par laquelle la commission pluridisciplinaire unique a ordonné le changement de son régime carcéral au sein du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué est revêtu de la signature du rapporteur, du président de la formation de jugement et de la greffière, et qu'il satisfait ainsi aux exigences des dispositions précitées de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée aux parties ne comporte pas ces signatures originales est sans incidence sur la régularité du jugement. Par suite, le moyen, qui manque en fait, doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne. (...) ".

5. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par ailleurs, pour l'application de ces dispositions et eu égard à leurs objectifs, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. La communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

6. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les parties ont été mises en mesure de savoir, par l'intermédiaire du système informatique de suivi de l'instruction, que le rapporteur public conclurait au " rejet au fond " de la requête introduite par M. B... devant le tribunal administratif de Lille. Eu égard aux caractéristiques du litige, cette mention indiquait de manière suffisamment précise le sens de la solution que le rapporteur public envisageait de proposer à la formation de jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article D. 82 du code de procédure pénale : " L'affectation peut être modifiée soit à la demande du condamné, soit à la demande du chef de l'établissement dans lequel il exécute sa peine. (...) ". Aux termes de l'article D. 87 du même code : " La personne détenue dont le comportement se révèle incompatible avec l'application du régime propre à l'établissement pour peines au sein duquel elle est placée peut faire l'objet d'une procédure de changement d'affectation ". Aux termes de l'article D. 89 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " Le parcours d'exécution de la peine est élaboré après avis de la commission pluridisciplinaire unique mentionnée à l'article D. 90 ". Aux termes de l'article D. 90 du même code, dans sa rédaction alors applicable : " Il est institué auprès du chef de chaque établissement pénitentiaire, pour une durée de cinq ans, une commission pluridisciplinaire unique. / La commission pluridisciplinaire unique est présidée par le chef d'établissement ou son représentant (...) ". Aux termes de l'article D. 91 du même code, alors en vigueur : " La commission pluridisciplinaire unique se réunit au moins une fois par mois pour examiner les parcours d'exécution de la peine ". Il résulte de ces dispositions que la commission pluridisciplinaire revêt un caractère consultatif dont les avis ont pour objet d'éclairer le choix du chef d'établissement dans l'édiction des décisions qui relèvent de sa compétence.

8. Dans sa demande de première instance, M. B... a conclu à l'annulation de la " décision " du 19 juin 2019 de la commission pluridisciplinaire unique (CPU) ordonnant son changement de régime carcéral au sein du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil, en soulignant que " les décisions de la CPU ne sont nullement des mesures d'ordre intérieur [mais] peuvent être déférées devant le juge de l'excès de pouvoir ". Cependant, s'il s'est borné à produire la " synthèse issue de la CPU du 19 juin 2019 " relative à son affectation au QMC3, vierge de toute signature, le ministre de la justice a produit en défense la décision du 19 juin 2019 signée par le chef d'établissement et la synthèse issue de la CPU du même jour, signée par l'agent transmetteur et indiquant, à la place de la signature du détenu, la mention " refuse de signer ". La " synthèse issue de la CPU " dont M. B... a demandé l'annulation, même si elle est revêtue de la mention des voies et délais de recours, ne revêt qu'un caractère préparatoire à la décision d'affectation prise le même jour par le chef d'établissement, seule susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir. En dépit de la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice, tirée du caractère non décisoire de l'acte attaqué, le requérant n'a pas redirigé ses conclusions à fin d'annulation contre cette dernière décision. M. B... n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal, administratif de Lille a, par le jugement attaqué, rejeté sa demande pour irrecevabilité. Par ailleurs, dès lors que le ministre a opposé, dans son mémoire en défense du 5 juillet 2021, une fin de non-recevoir tirée du caractère non décisoire de l'acte attaqué et que ce mémoire a été communiqué le lendemain au requérant afin qu'il puisse, le cas échéant, y répliquer, le tribunal n'avait pas à soulever d'office un moyen d'ordre public tiré de cette même irrecevabilité, ni à inviter le requérant à régulariser ses conclusions.

9. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont considéré que la " synthèse issue de la CPU du 19 juin 2019 " relative à l'affectation au QMC3 de M. B... n'était pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, accueilli la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice et rejeté la demande de M. B... comme irrecevable.

Sur le retrait de l'aide juridictionnelle et les frais liés au litige :

10. D'une part, l'article 50 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique détermine les hypothèses dans lesquelles, sans préjudice des sanctions prévues à l'article 441-7 du code pénal, le bénéfice de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention de l'avocat est retiré, en tout ou partie, même après l'instance ou l'accomplissement des actes pour lesquels il a été accordé. En sus des cas où la procédure a été jugée dilatoire ou abusive, les dispositions de l'article 243 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 ajoutent, au sein de cet article, un nouveau cas de retrait de l'aide juridictionnelle, lorsque la procédure a été jugée manifestement irrecevable. Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021 en vertu des dispositions de l'article 190 du décret du 28 décembre 2020. Dès lors qu'elles concernent des procédures pour lesquelles l'aide juridictionnelle n'est en principe pas accordée, conformément à l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991, ces dispositions n'affectent pas la substance du droit de former un recours contre une décision administrative ou un agissement de l'administration et sont, en l'absence de dispositions contraires expresses, applicables aux instances en cours.

11. D'autre part, aux termes de l'article 51 de la loi du 10 juillet 1991 : " Le retrait de l'aide juridictionnelle ou de l'aide à l'intervention de l'avocat peut intervenir jusqu'à quatre ans après la fin de l'instance ou de la mesure. Il peut être demandé par tout intéressé. Il peut également intervenir d'office. / Le retrait est prononcé : / (...) / 2° Par la juridiction saisie dans le cas mentionné au 4° du même article 50. ".

12. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle le 26 août 2019 au titre de la première instance et le 29 septembre 2022 au titre de sa requête d'appel. Mais il résulte de ce qui a été dit au point 8 que la procédure qu'il a engagée est manifestement irrecevable. Par suite, il y a lieu de retirer l'aide juridictionnelle qui lui a été accordée à l'occasion de ces deux instances.

13. Il résulte de ce qui vient d'être dit que M. B... n'étant pas bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, son avocat ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. En outre, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. B... la somme qu'il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : L'aide juridictionnelle accordée à M. B... est retirée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Benoît David et au garde des Sceaux, ministre de la justice.

Copie pour information sera adressée au bâtonnier de Paris et aux bureaux d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Lille et de Douai.

Délibéré après l'audience publique du 7 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

2

N°22DA02492


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02492
Date de la décision : 21/12/2023
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2023-12-21;22da02492 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award