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16/01/2024 | FRANCE | N°23DA00798

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 16 janvier 2024, 23DA00798


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler l'arrêté du 16 août 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter du jugement à

intervenir, ou à défaut de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler l'arrêté du 16 août 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi de cette mesure d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, ou à défaut de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois et dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai de huit jours. Enfin, M. A... a demandé au tribunal de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 000 euros hors taxes à verser à son conseil, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2204558 du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 16 août 2022 du préfet de la Seine-Maritime, lui a enjoint ou à tout autre préfet compétent au regard du lieu de résidence de M. A..., de délivrer à l'intéressé un titre de séjour portant la mention " salarié ", dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de le munir, dans l'attente, dans un délai de quinze jours, d'un récépissé ou d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Enfin, le tribunal a mis à la charge de l'Etat, à verser au conseil de M. A..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 mai et 18 septembre 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Rouen par " X se disant M. B... A... ", tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 août 2002 refusant son admission au séjour et lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours.

Il soutient que :

- c'est à tort que, pour annuler son arrêté du 16 août 2022, le tribunal a retenu que la détention, par l'intéressé, d'un passeport en cours de validité suffisait à justifier de son état civil ;

- un passeport ne constitue pas un document d'état civil susceptible d'établir la date de naissance réelle et l'identité du demandeur ; ce passeport a été délivré sur la base d'un certificat de naissance déclaré contrefait par le service de la fraude documentaire ;

- le passeport délivré le 1er août 2022 n'a été produit qu'en cours d'instance de sorte qu'il ne pouvait être pris en compte lors de la rédaction de l'arrêté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Leroy, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et à ce que soit mise à la charge de l'Etat, la somme de 1 200 euros toutes taxes comprises à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Seine-Maritime ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 juin 2023.

Par une ordonnance du 2 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 23 octobre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant sierra-léonais né le 16 avril 2003, qui déclare être entré irrégulièrement en France en décembre 2019, a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance. Le 26 avril 2021, il a déposé une demande d'admission au séjour sur le fondement des articles L. 435-3 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 16 août 2022, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Par un jugement du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " salarié ", dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement.

Sur les moyens d'annulation retenus par le tribunal administratif de Rouen :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".

3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

4. D'autre part, l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

5. Lorsqu'est produit devant l'administration un acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation.

6. En outre, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Par suite, en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

7. A la condition que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient. En particulier, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'autorité administrative d'y répondre, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire, sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur.

8. A l'appui de sa demande de titre de séjour, M. A... a présenté un acte de naissance délivré en 2017. Ce document a été soumis par le préfet de la Seine-Maritime, à l'examen technique de la direction interdépartementale de la police aux frontières (DIDPAF) du Havre, qui a estimé qu'il était contrefait. Pour parvenir à cette conclusion, l'analyse documentaire de la cellule Fraude documentaire de la DIDPAF du Havre s'est fondée sur la comparaison de ce document avec un spécimen authentique d'acte de naissance délivré par la République de Sierra Léone. Concernant le fond d'impression et les mentions pré-imprimées, le document authentique est réalisé en offset alors que sur le document analysé, le fond d'impression et les mentions pré-imprimées ont été réalisés en impression jet d'encre. En outre, s'agissant de la numérotation, alors qu'elle se présente sous forme typographique sur un document authentique, il a été constaté, sur le document analysé, une impression en jet d'encre. Ces trois non-conformités, et l'absence de légalisation ont conduit les analystes du service de la fraude documentaire à conclure au caractère contrefait de l'acte de naissance établi au nom de M. B... A..., né le 16 avril 2003 à Kamakwie.

9. Afin de justifier de son âge, M. A... produit, devant la cour, l'acte de naissance précité revêtu d'un certificat daté du 8 juin 2023, émanant de l'ambassade de Sierra Léone, attestant de l'authenticité et de la validité de son acte de naissance. Bien que postérieure à la décision contestée, cette légalisation, dont l'authenticité n'est pas remise en cause par le préfet, atteste notamment de la régularité formelle de l'acte de naissance et, comme telle, constitue un élément objectif pouvant être regardé comme étant de nature à contredire les éléments sur lesquels le service de la fraude documentaire s'est fondé pour conclure au caractère contrefait du document d'état civil présenté par M. A... au soutien de sa demande de titre de séjour. En outre, l'intimé produit un second certificat, également établi par l'ambassade le 8 juin 2023 justifiant de la validité et de l'authenticité du passeport délivré le 1er août 2022. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le préfet de la Seine-Maritime a fait une inexacte application des dispositions des articles L. 435-3, R. 431-10 et L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en rejetant la demande de titre de séjour de M. A... au motif qu'il ne justifiait pas de sa date de naissance et donc de son état civil.

10. Le préfet de la Seine-Maritime ne conteste pas en appel le motif d'annulation, également retenu par les premiers juges, tiré de l'erreur manifeste commise dans l'appréciation de la situation globale de M. A..., au regard des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, il résulte de ce qui précède que le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 13 avril 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 16 août 2022 et lui a enjoint de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " salarié ".

Sur les frais liés au litige :

11. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Leroy, avocat de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Leroy de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Leroy une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Leroy renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Magali Leroy.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 19 décembre 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

Le président-assesseur,

Signé : J-M. Guérin-Lebacq

La greffière,

Signé : N. Roméro La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

La greffière,

N. Roméro

N° 23DA00798 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00798
Date de la décision : 16/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : LEROY

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-16;23da00798 ?
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