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30/01/2024 | FRANCE | N°22DA02640

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 30 janvier 2024, 22DA02640


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil départemental de l'Eure a rejeté sa demande tendant à sa réintégration dans ses anciennes fonctions et l'arrêté du 8 juin 2020 par lequel cette autorité a mis fin à sa mise à disposition à la maison départementale des personnes handicapées et l'a affectée, à compter du 1er janvier 2019, dans un emploi de secrétaire à la délég

ation sociale de la direction des territoires, de l'inclusion et du développement social, d'autr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle le président du conseil départemental de l'Eure a rejeté sa demande tendant à sa réintégration dans ses anciennes fonctions et l'arrêté du 8 juin 2020 par lequel cette autorité a mis fin à sa mise à disposition à la maison départementale des personnes handicapées et l'a affectée, à compter du 1er janvier 2019, dans un emploi de secrétaire à la délégation sociale de la direction des territoires, de l'inclusion et du développement social, d'autre part, d'enjoindre au département de l'Eure de la réintégrer dans ses anciennes fonctions et de procéder à diverses mesures de régularisation dans le grade d'attaché territorial, et, enfin, de condamner le département de l'Eure à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Par un jugement n° 2001827 du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a donné acte du désistement des conclusions de Mme B... tendant à sa réintégration dans ses anciennes fonctions, a annulé la décision implicite rejetant la demande de l'intéressée visant à obtenir cette réintégration et l'arrêté du 8 juin 2020 en tant qu'il prononce son affectation dans un poste de secrétaire, et a rejeté le surplus de ses conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et de condamnation.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 décembre 2022, et un mémoire en réplique enregistré le 30 novembre 2023, Mme B..., représentée par Me Delpech, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer ce jugement du 2 novembre 2022 en ce qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions aux fins d'injonction et de condamnation ;

2°) d'enjoindre au département de l'Eure de reconstituer sa carrière à compter du 1er janvier 2019 en lui accordant l'ensemble des droits attachés à son grade de rédactrice territoriale, en rétablissant les vingt-cinq points de bonification indiciaire qui lui sont dus, en lui versant les salaires auxquels elle peut prétendre depuis octobre 2021 et en l'accompagnant dans son projet de mutation dans un emploi de catégorie A au département des Hautes-Pyrénées ;

3°) d'ordonner au département de l'Eure de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle ;

4°) de condamner le département de l'Eure à lui verser la somme de 7 029 euros, correspondant à la bonification indiciaire qui lui est due depuis le 1er janvier 2019 pour un montant mensuel de 117,15 euros, et la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts ;

5°) de mettre à la charge du département de l'Eure une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'annulation des décisions contestées devant le tribunal administratif implique qu'il soit enjoint à l'administration de procéder à la reconstitution de sa carrière et à la régularisation de sa situation financière ;

- elle a présenté une demande préalable d'indemnisation ;

- l'illégalité des décisions litigieuses, le harcèlement moral dont elle est victime et le manquement de l'employeur à son devoir de protection présentent un caractère fautif et sont de nature à engager la responsabilité de l'administration ;

- la responsabilité sans faute de l'administration est également engagée ;

- elle justifie d'un préjudice moral évalué à la somme de 5 000 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 18 octobre 2023 et le 8 janvier 2024, le département de l'Eure, représenté par Me Pierson, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'annulation des décisions litigieuses n'implique aucune mesure de réintégration dès lors que la requérante n'appartient plus aux effectifs de la collectivité, ni aucune reconstitution de carrière en l'absence de conséquence de ces décisions sur la situation administrative et financière de l'intéressée ;

- la requérante ne conteste pas l'irrecevabilité retenue par les premiers juges pour rejeter ses conclusions indemnitaires ;

- les conclusions tendant à obtenir la protection professionnelle sont irrecevables ;

- les moyens soulevés dans la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,

- et les observations de Me Delpech, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Rédactrice territoriale principale de 1ère classe, Mme B... a été recrutée le 1er septembre 2015, par voie de mutation, par le département de l'Eure afin d'exercer, dans le cadre d'une mise à disposition, les fonctions de coordinatrice administrative et financière à la maison départementale des personnes handicapées. Affectée comme secrétaire dans les services du département à compter de janvier 2019, Mme B... a sollicité le 11 février 2020 sa réintégration dans son ancien poste de coordinatrice administrative et financière. Par un arrêté du 8 juin 2020, le président du conseil départemental de l'Eure a mis fin à sa mise à disposition à compter du 1er janvier 2019, et a prononcé, à la même date, son affectation dans le poste de secrétaire à la délégation sociale de la direction des territoires, de l'inclusion et du développement social. Mme B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite née du silence gardé sur sa demande du 11 février 2020, ainsi que l'arrêté du 8 juin 2020, de prendre diverses mesures de reconstitution de sa carrière, et de condamner le département de l'Eure à l'indemniser de son préjudice moral. Par un jugement du 2 novembre 2022, le tribunal administratif de Rouen a annulé la décision implicite précitée et l'arrêté du 8 juin 2020 en tant qu'il affecte l'intéressée dans un emploi de secrétaire, et a rejeté le surplus de ses conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et de condamnation. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions aux fins d'injonction et de condamnation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'en l'absence d'une décision de l'administration rejetant une demande formée devant elle par le requérant ou pour son compte, une requête tendant au versement d'une somme d'argent est irrecevable et peut être rejetée pour ce motif même si, dans son mémoire en défense, l'administration n'a pas soutenu que cette requête était irrecevable, mais seulement que les conclusions du requérant n'étaient pas fondées. Par ailleurs, les dispositions précitées du second alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'impliquent pas que la condition de recevabilité de la requête tenant à l'existence d'une décision de l'administration s'apprécie à la date de son introduction. Cette condition doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle. Par suite, l'intervention d'une telle décision en cours d'instance régularise la requête, sans qu'il soit nécessaire que le requérant confirme ses conclusions et alors même que l'administration aurait auparavant opposé une fin de non-recevoir fondée sur l'absence de décision.

3. Il résulte de l'instruction et il n'est pas contesté que Mme B... n'a présenté aucune demande indemnitaire en raison des dommages qui résulteraient des décisions contestées, du harcèlement moral dont elle s'estime victime ou du manquement allégué de son employeur aux règles de protection contre de tels agissements constitutifs de harcèlement. Aucune demande en ce sens n'a été présentée à l'administration par la requérante en cours d'instance devant le tribunal administratif, dont aurait pu naître une décision, expresse ou implicite, à la date à laquelle les premiers juges ont statué le 2 novembre 2022. A cet égard, la circonstance que Mme B... a présenté une demande préalable au département de l'Eure le 30 novembre 2023, en cours d'instance devant la cour, est sans conséquence sur l'irrecevabilité de ses conclusions indemnitaires, dès lors qu'aucune décision liant le contentieux devant le tribunal administratif n'est susceptible de résulter de cette demande dans le cadre de la présente instance. Enfin, Mme B... ne saurait utilement se prévaloir de ce que, dans son mémoire en défense présenté devant le tribunal administratif, l'administration a seulement soutenu que ses conclusions n'étaient pas fondées, sans opposer de fin de non-recevoir tirée de l'absence de liaison du contentieux. Par suite, les premiers juges n'ont commis aucune irrégularité en rejetant comme irrecevables les conclusions de Mme B... tendant à la réparation des préjudices allégués.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Mme B... demande, en exécution du jugement attaqué, qu'il soit enjoint à l'administration de procéder à la reconstitution de sa carrière à compter du 1er janvier 2019, ce qui implique selon elle le rétablissement de l'ensemble des droits attachés à son grade de rédactrice territoriale, la " régularisation de sa grille indiciaire " et le bénéfice des vingt-cinq points de la nouvelle bonification indiciaire qui lui avaient été accordés dans son emploi précédent de coordinatrice administrative et financière. Toutefois, le tribunal administratif a prononcé l'annulation de la décision implicite rejetant la demande du 11 février 2020 et l'annulation partielle de l'arrêté du 8 juin 2020 au motif que Mme B... a été affectée dans un emploi d'un niveau inférieur à celui que son grade de rédactrice territoriale principale de 1ère classe lui donnait vocation à occuper. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction, notamment des bulletins de paie produits à l'instance, que Mme B... aurait été privée de la rémunération et des avantages correspondant à son grade de rédactrice territoriale principale de 1ère classe après son affectation comme secrétaire à compter du 1er janvier 2019. D'autre part, Mme B... a définitivement quitté le service le 6 octobre 2021, date de sa radiation des cadres. Dans ces conditions, les obligations résultant pour l'administration des annulations prononcées par le tribunal administratif, et impliquant seulement qu'un poste correspondant à son grade soit proposé à Mme B..., ont nécessairement pris fin à la date du 6 octobre 2021, avant que le tribunal ne statue. En outre, la requérante, qui a quitté son emploi de coordinatrice administrative et financière le 1er janvier 2019 ne saurait bénéficier, après cette date, de la nouvelle bonification indiciaire attachée à son ancien emploi. Enfin, le jugement attaqué n'implique aucunement, pour son exécution, que le bénéfice de la protection fonctionnelle soit reconnu à Mme B..., ou qu'un accompagnement lui soit accordé aux fins d'une mutation dans une autre collectivité. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué implique l'énoncé des mesures qu'elle demande en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative.

5. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses conclusions aux fins d'injonction et de condamnation de l'administration. Par suite, ces mêmes conclusions aux fins d'injonction, réitérées en appel, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de l'Eure, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme B... demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B... la somme dont le département de l'Eure demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du département de l'Eure présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au département de l'Eure.

Délibéré après l'audience publique du 16 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur, président-assesseur, assurant la présidence de la formation du jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Dominique Bureau, première conseillère,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 janvier 2024.

L'assesseure la plus ancienne,

Signé : D. BureauLe président de la formation de jugement,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLe greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier

F. Cheppe

2

N° 22DA02640


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA02640
Date de la décision : 30/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Guerin-Lebacq
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : DELPECH

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-30;22da02640 ?
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