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08/02/2024 | FRANCE | N°23DA00457

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 08 février 2024, 23DA00457


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision du 5 février 2021 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de regroupement familial au profit de son épouse, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de faire droit à sa demande de regroupement familial dans le délai d'un mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, enfin, de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre d

e l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler la décision du 5 février 2021 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de regroupement familial au profit de son épouse, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de faire droit à sa demande de regroupement familial dans le délai d'un mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, enfin, de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Par un jugement no 2102899 du 31 janvier 2023, le tribunal administratif de Rouen, d'une part, a annulé la décision du 5 février 2021 du préfet de la Seine-Maritime, d'autre part, a enjoint au préfet territorialement compétent de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. A... au bénéfice de son épouse sous réserve d'un changement dans les circonstances de fait et de droit, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, enfin, a mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. A... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé sa décision du 5 février 2021, enjoint au préfet territorialement compétent de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. A... au bénéfice de son épouse et mis la somme de 1 000 euros à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que :

- les premiers juges ont retenu à tort que la décision refusant de faire droit à la demande de regroupement familial formée par M. A... avait été prise à l'issue d'un examen insuffisamment approfondi et en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- pour les motifs exposés dans les écritures produites au nom de l'Etat en première instance, les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen ne sont pas fondés.

La requête n'a pu être communiquée à M. A..., qui n'a pas pu être identifié à l'adresse qu'il avait communiquée au greffe du tribunal administratif.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu, au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. B... A..., ressortissant algérien né le 6 octobre 1967 à Sidi Lakhdar (Algérie), est entré en France en décembre 1999 et a bénéficié, en dernier lieu, de la délivrance d'un certificat de résidence de dix ans valable jusqu'au 21 mai 2025. Il a formé, le 23 janvier 2020, une demande d'admission exceptionnelle au séjour sur place, au titre du regroupement familial, au bénéfice de son épouse, qui est une compatriote entrée en France le 7 mai 2015 sous le couvert d'un visa de court séjour en cours de validité, avec laquelle il s'est marié à la mairie du Havre le 7 mai 2016 et avec laquelle il a eu une fille née le 27 septembre 2019. Par une décision du 5 février 2021, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de faire droit à cette demande. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du tribunal administratif de Rouen du 31 janvier 2023 en tant qu'il a annulé, sur la demande de M. A..., sa décision du 5 février 2021, enjoint au préfet compétent d'accueillir la demande de regroupement familial présentée par M. A... et mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. A... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Sur le motif d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les membres de la famille qui s'établissent en France sont mis en possession d'un certificat de résidence de même durée de validité que celui de la personne qu'ils rejoignent. / Sans préjudice des dispositions de l'article 9, l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence d'une durée de validité d'au moins un an, présent en France depuis au moins un an sauf cas de force majeure, et l'octroi du certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente. / Le regroupement familial ne peut être refusé que pour l'un des motifs suivants : / 1 - le demandeur ne justifie pas de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Sont pris en compte toutes les ressources du demandeur et de son conjoint indépendamment des prestations familiales. L'insuffisance des ressources ne peut motiver un refus si celles-ci sont égales ou supérieures au salaire minimum interprofessionnel de croissance ; / 2 - le demandeur ne dispose ou ne disposera pas à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France. / Peut être exclu de regroupement familial : / 1 - un membre de la famille atteint d'une maladie inscrite au règlement sanitaire international ; / 2 - un membre de la famille séjournant à un autre titre ou irrégulièrement sur le territoire français. / (...) ".

3. Pour l'application de ces stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui ont une portée équivalente aux dispositions, alors en vigueur, des articles L. 411-1 à L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile posant les conditions dans lesquelles les autres ressortissants étrangers peuvent prétendre, pour un membre éligible de leur famille, au regroupement familial, les dispositions, alors en vigueur, de l'article R. 411-6 de ce code, applicables, dans le silence de l'accord franco-algérien, aux ressortissants algériens, énonçaient que : " Le bénéfice du regroupement familial ne peut être refusé à un ou plusieurs membres de la famille résidant sur le territoire français dans le cas où l'étranger qui réside régulièrement en France dans les conditions prévues aux articles R. 411-1 et R. 411-2 contracte mariage avec une personne de nationalité étrangère régulièrement autorisée à séjourner sur le territoire national sous couvert d'une carte de séjour temporaire d'une durée de validité d'un an. Le bénéfice du droit au regroupement familial est alors accordé sans recours à la procédure d'introduction. Peuvent en bénéficier le conjoint et, le cas échéant, les enfants de moins de dix-huit ans de celui-ci résidant en France, sauf si l'un des motifs de refus ou d'exclusion mentionnés aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-5 leur est opposé. ".

4. Cependant, si le préfet, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises notamment, comme en l'espèce, en cas de présence anticipée sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande, il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les stipulations et dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Pour annuler, par le jugement attaqué, la décision du 5 février 2021 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a refusé d'accorder à M. A... l'autorisation de regroupement familial qu'il sollicitait pour son épouse, le tribunal administratif de Rouen a retenu qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qu'à la date de la décision, les époux ne partageraient pas une communauté de vie et a, en outre, relevé que le préfet ne contestait pas que M. A..., qui travaillait de façon continue sur le territoire français depuis le 15 octobre 2018 au sein de la même entreprise, satisfaisait aux conditions de ressources et de logement posées par les stipulations de l'article 4 de l'accord franco-algérien pour obtenir le bénéfice d'une mesure de regroupement familial en faveur de son épouse. Enfin, les premiers juges ont estimé que, si la décision contestée n'obligeait pas, par elle-même, l'épouse de M. A... à quitter le territoire, elle aurait néanmoins pour effet de la contraindre à devoir quitter la France, pour retourner en Algérie pour une durée indéterminée, le temps que l'autorité administrative se prononce sur la demande de regroupement familial présentée en sa faveur, de sorte que la décision contestée aurait nécessairement pour effet de rompre la cellule familiale et de priver leur enfant, soit de la présence de son père, soit de celle de sa mère.

6. De ces éléments, le tribunal administratif a tiré la conclusion qu'en refusant de faire droit à la demande de regroupement familial formée par M. A..., le préfet de la Seine-Maritime avait porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts en vue desquels la décision a été prise, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Toutefois, d'une part, comme le relève le préfet au soutien de sa requête, la décision de refus de regroupement familial n'a pas pour objet, et n'aura pas davantage, par elle-même, pour effet, de contraindre l'épouse de M. A... à regagner son pays d'origine, ni de la séparer de sa fille, âgée de dix-sept mois à la date de cette décision, et de son mari.

8. D'autre part, en tout état de cause, il est constant que l'épouse de M. A..., si elle devait regagner son pays d'origine le temps nécessaire à l'obtention du visa lui permettant de revenir régulièrement sur le territoire français, n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où résident notamment, selon ses propres déclarations à l'administration, deux de ses quatre frères et sœurs.

9. Dans ces conditions, eu égard à la durée, à la date de la décision de refus de regroupement familial contestée, et aux conditions du séjour en France de l'épouse de M. A..., qui, s'étant maintenue irrégulièrement sur le territoire français en dépit d'une obligation de quitter le territoire français, n'y justifie pas de perspectives sérieuses d'insertion professionnelle, et en dépit de la relative ancienneté du mariage des intéressés, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que, pour annuler cette décision, le tribunal administratif de Rouen a estimé à tort qu'elle avait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen.

11. Il ressort des mentions mêmes de la décision contestée que celle-ci comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet de la Seine-Maritime s'est fondé pour refuser de faire droit à la demande de regroupement familial formée par M. A... pour son épouse et que ses motifs révèlent que le préfet de la Seine-Maritime a examiné, au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'atteinte susceptible d'être portée par sa décision à la situation personnelle et familiale du demandeur. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision au regard des dispositions reprises à l'article L. 211-5 code des relations entre le public et l'administration manque en fait.

12. M. A..., ressortissant algérien, dont la situation, en ce qui concerne le droit au séjour, est régie de manière complète par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ne peut, en tout état de cause, utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 411-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elles ne s'appliquent pas à sa situation.

13. Enfin, eu égard à ce qui a été dit ci-dessus, en prenant la décision de refus de regroupement familial contestée, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas fait une inexacte application de l'article 4 de l'accord franco-algérien et n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de M. A... et de sa famille.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision du 5 février 2021 refusant d'accorder à M. A... l'autorisation de regroupement familial qu'il sollicitait, enjoint au préfet territorialement compétent de faire droit à la demande de regroupement familial présentée par M. A... et mis à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. A... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Par voie de conséquence, la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen doit être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : En tant qu'il annule la décision du 5 février 2021 du préfet de la Seine-Maritime refusant de faire droit à la demande de regroupement familial formée par M. A..., qu'il enjoint au préfet territorialement compétent de faire droit à cette demande et qu'il met à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. A... d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, le jugement no 2102899 du 31 janvier 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, au préfet de la Seine-Maritime, ainsi qu'à M. B... A....

Délibéré après l'audience publique du 25 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 février 2024.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PapinLe président de chambre,

Signé : M. Heinis

Le président de la formation de jugement,

F.-X. Pin

La greffière,

Signé : E. Héléniak

La greffière,

E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

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N°23DA00457


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00457
Date de la décision : 08/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-08;23da00457 ?
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