La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/02/2024 | FRANCE | N°23DA00007

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 15 février 2024, 23DA00007


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... et la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Geodia Conseils ont demandé au tribunal administratif de Rouen :



1°) d'annuler la décision tacite du 4 mars 2021 et l'arrêté exprès du 11 mars 2021 par lesquels le maire de Vernon a rejeté leur demande de permis d'aménager portant sur la création d'un terrain à bâtir sur un terrain situé rue Sainte Catherine, cadastré section AW 108 et AW 282 ;



2°) d'enjoindre au maire de Vernon de délivrer le permis d'aménager sollicité ou, à défaut et dans les mêmes condit...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... et la société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Geodia Conseils ont demandé au tribunal administratif de Rouen :

1°) d'annuler la décision tacite du 4 mars 2021 et l'arrêté exprès du 11 mars 2021 par lesquels le maire de Vernon a rejeté leur demande de permis d'aménager portant sur la création d'un terrain à bâtir sur un terrain situé rue Sainte Catherine, cadastré section AW 108 et AW 282 ;

2°) d'enjoindre au maire de Vernon de délivrer le permis d'aménager sollicité ou, à défaut et dans les mêmes conditions, d'instruire à nouveau la demande.

Par un jugement du 10 novembre 2022 sous le n° 2101580, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à leur demande, annulé l'arrêté du 11 mars 2021 et enjoint à la commune de Vernon de délivrer un permis d'aménager pour le projet en cause à M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2023 et des mémoires enregistrés les 19 et 27 janvier 2023 et 28 septembre 2023, la commune de Vernon, représentée par le cabinet Richer et associés droit public, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 novembre 2022 ;

2°) de rejeter la demande de M. B... A... et de la SELARL Geodia Conseils ;

3°) de mettre à la charge de M. B... A... et de la SELARL Geodia Conseils la somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué méconnaît le principe du caractère contradictoire de la procédure et le droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part, en tenant compte de la note en délibéré produite par M. B... A... et la SELARL Geodia Conseils, sans la lui avoir communiquée, d'autre part, en n'ayant pas tenu compte de sa propre note en délibéré ;

- il est entaché d'une erreur d'appréciation ;

- le maire ne pouvait que refuser le certificat d'urbanisme en application des articles 7.2, UD 1.1 et UD 13.4 du PLU.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 février 2023, M. B... A... et la SELARL Geodia Conseils, représentés par Me Quentin André, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Vernon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 21 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- et les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... est propriétaire d'un terrain situé 40 rue Sainte Catherine à Vernon, cadastré section AW nos 108 et 282, d'une superficie de 1 135 m². Le 14 janvier 2020, la SELARL Geodia Conseils a déposé une demande de certificat d'urbanisme opérationnel auprès des services de la commune en vue de la création d'un lot à bâtir sur ce terrain. Par un certificat d'urbanisme du 19 mars 2020, le maire de Vernon a déclaré l'opération projetée non réalisable. Le 4 novembre 2020, M. A... a déposé une demande de permis d'aménager relative au même projet qui a été implicitement rejetée le 4 mars 2021, avant que le maire ne prenne, le 11 mars 2021, une décision expresse de refus, qui s'est substituée à la décision tacite. M. A... et la SELARL Geodia Conseils ont demandé l'annulation de ces deux décisions. Par un jugement du 10 novembre 2022 rendu sous le n° 2101580, dont la commune de Vernon interjette appel, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à leur demande, annulé l'arrêté du 11 mars 2021, dont il a constaté qu'il s'était substitué à la décision tacite du 4 mars 2021, et enjoint à la commune de délivrer un permis d'aménager pour le projet en cause à M. A....

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, la commune de Vernon fait grief au jugement attaqué d'avoir visé une note en délibéré produite le 21 octobre 2022 par M. B... A... et la SELARL Geodia Conseils, sans la lui avoir communiquée, et de ne pas avoir fait mention de la note en délibéré qu'elle-même a produite à cette date, en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure et du respect de son droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3. Cependant, il ressort des pièces du dossier que M. B... A... et la SELARL Geodia n'ont transmis aucune note en délibéré au tribunal administratif de Rouen, mais que la commune de Vernon en a fait parvenir une à la date du 21 octobre 2022, qui n'a pas été communiquée.

4. D'une part, en imputant à une autre partie l'origine de la note en délibéré qu'il a visée, le tribunal a entaché son jugement d'une erreur qui présente un caractère matériel, nonobstant l'absence de mise en œuvre de la procédure de rectification d'erreur matérielle, et qui n'a, en tout état de cause, pas eu d'influence sur la régularité du jugement.

5. D'autre part, dès lors que le tribunal n'entendait pas soumettre au débat contradictoire la note en délibéré produite par la commune, qui ne comportait aucune circonstance de fait dont elle n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge n'aurait pu ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, ni aucune circonstance de droit nouvelle ou que le juge aurait dû relever d'office, il n'avait pas à en analyser le contenu, ni à la communiquer aux autres parties.

6. La commune de Vernon n'est, ainsi, pas fondée à soutenir que le caractère contradictoire de la procédure et son droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnus.

7. En second lieu, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation qu'auraient commise les premiers juges en ce qui concerne le caractère naturel de la parcelle d'assiette du projet relève du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

8. Le refus de permis d'aménager est fondé, d'une part, sur la méconnaissance des dispositions de l'article 7.2 du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) de Vernon, d'autre part, sur le motif tiré de ce que " le projet s'inscrit dans un îlot urbain où les jardins et espaces boisés situés à l'arrière des maisons d'habitation de la rue Sainte Catherine composent, en partie centrale de l'îlot, un vaste ensemble d'espaces verts. La création d'un lot à bâtir à l'arrière de la parcelle située au 40, rue Sainte Catherine aurait pour conséquence de porter atteinte à cet ensemble d'espace vert, qui constitue un élément essentiel de l'environnement paysager existant ".

En ce qui concerne les moyens d'annulation retenus par le tribunal administratif de Rouen :

S'agissant du moyen tiré de la méconnaissance de l'article 7.2 du règlement du PLU de Vernon :

9. Aux termes de l'article 7 du règlement du PLU de Vernon : " Protection des éléments du paysage, îlots, espace public, bâtiments à préserver, mettre en valeur ou requalifier / Article L. 151-19 du code de l'urbanisme / 7.1 Les projets de constructions et d'utilisations des sols situés dans le périmètre de protection d'un monument classé ou inscrit à l'inventaire historique font l'objet d'une consultation auprès de l'Architecte des Bâtiments de France. / 7.2 Les autres projets de construction ne devront en outre pas porter atteinte : / - aux maisons ou ensembles bâtis présentant un caractère patrimonial (...) ; / - au caractère du secteur concerné par le périmètre de sensibilité architecturale indiqué au plan de zonage ; / - aux éléments de paysages, espaces publics, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d'ordre culturel, historique ou écologique définis conformément à l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme. ". Cet article dispose que : " Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à conserver, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d'ordre culturel, historique ou architectural et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation leur conservation ou leur restauration. Lorsqu'il s'agit d'espaces boisés, il est fait application du régime d'exception prévu à l'article L. 421-4 pour les coupes et abattages d'arbres. ".

10. Il est constant que le projet en cause se situe dans les abords de monuments historiques, soit " dans le périmètre de protection d'un monument classé ou inscrit à l'inventaire historique " et relève ainsi de l'application des dispositions précitées de l'article 7.1 du règlement du PLU qui imposent la consultation de l'architecte des bâtiments de France, qui a, en l'occurrence, émis un avis, au demeurant favorable, le 16 novembre 2020 à la demande de permis d'aménager. Par suite, le maire de Vernon ne pouvait fonder sa décision de refus sur les dispositions de l'article 7.2 du règlement du PLU, inapplicables au projet en cause.

S'agissant de la substitution de motifs demandée par la commune de Vernon en première instance :

11. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

12. En affirmant que la méconnaissance de l'article UD 1.1 du PLU est le second motif de refus du permis d'aménager, la commune de Vernon doit être regardée comme ayant demandé en première instance une substitution de motifs.

13. Aux termes de l'article UD 1.1 du règlement du PLU de Vernon : " Sont interdits : / 1.1 Les constructions et établissements qui sont de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants. ". Ces dispositions ont le même objet que celles de l'article R. 111-21 du code de l'urbanisme et prévoient des exigences qui ne sont pas moindres. Dès lors, la légalité de la décision attaquée doit être appréciée par rapport à ces dispositions du plan local d'urbanisme, le juge exerçant alors un contrôle normal sur le respect de ces dispositions. Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte au caractère des lieux avoisinants, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l'existence d'une atteinte au caractère des lieux de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d'apprécier, dans un premier temps, la qualité des lieux sur lesquels la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur ceux-ci.

14. Il ressort des pièces du dossier que la parcelle d'assiette du projet est située en zone UD du PLU, constituée de " tissu résidentiel à dominante pavillonnaire ", comportant des " quartiers peu denses, très aérés ", mais à l'écart de la " trame verte " que les auteurs du PLU ont instaurée pour les préserver. Cette parcelle et celles qui la jouxtent ne bénéficient pas d'une protection particulière dans le PLU qui n'a pas identifié le " vaste ensemble d'espaces verts " visé par l'arrêté attaqué parmi les éléments du paysage ou les secteurs à protéger au titre de l'article L.151-19 du code de l'urbanisme. En se bornant à faire valoir que les jardins et espaces boisés situés à l'arrière des maisons d'habitation de la rue Sainte Catherine constituent un élément essentiel de l'environnement paysager existant et à joindre des photographies démontrant que la parcelle d'assiette du projet et les parcelles voisines disposent d'arbres et d'un jardin, la commune ne justifie pas en quoi le projet serait de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants. Il suit de là que l'article UD 1.1 du règlement du PLU n'est pas de nature à fonder le refus de permis d'aménager attaqué. La demande de substitution de motif ne saurait donc être accueillie.

En ce qui concerne la substitution de motifs demandée par la commune de Vernon en appel :

15. En affirmant que le projet méconnaît les dispositions de l'article UD 13.4 du PLU, la commune doit être regardée comme demandant en appel une nouvelle substitution de motifs.

16. Aux termes de l'article UD 13.4 du règlement du PLU de Vernon : " Les plantations existantes doivent être maintenues en bon état de conservation. Cependant, l'abattage d'arbres est autorisé s'il est indispensable à l'implantation des constructions ou à l'établissement d'un accès. Tout abattage d'arbre doit donner lieu à une compensation sur le terrain à raison d'un arbre planté pour un arbre abattu. L'arbre planté sera, à terme, de même gabarit que l'arbre abattu. Les aires de stationnement ouvertes au public doivent être plantées à raison d'un arbre pour cinq places. (...) ".

17. En se bornant à faire valoir que les jardins et espaces boisés situés à l'arrière des maisons d'habitation de la rue Sainte Catherine constituent un élément essentiel de l'environnement paysager existant et à joindre des photographies démontrant que la parcelle d'assiette du projet et les parcelles voisines disposent d'arbres et d'un jardin, la commune ne justifie pas en quoi le projet ne permettrait pas de respecter les dispositions de l'article UD 13.4 du PLU. La demande de substitution de motifs présentée en appel ne saurait donc être accueillie.

18. Il résulte de ce qui précède que la commune de Vernon n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 11 mars 2021 par lequel le maire de Vernon a rejeté la demande de permis d'aménager portant sur la création d'un terrain à bâtir sur un terrain situé rue Sainte Catherine et a enjoint à la commune de délivrer un permis d'aménager pour le projet en cause à M. A....

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Vernon, qui est la partie perdante à la présente instance, voie accueillies ses conclusions en remboursement de ses frais d'instance.

20. Il y a, en revanche, lieu de mettre à la charge de la commune de Vernon la somme de 2 000 euros à verser à M. B... A... et à la SELARL Geodia Conseils au titre des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Vernon est rejetée.

Article 2 : La commune de Vernon versera la somme de 2 000 euros à M. B... A... et à la SELARL Geodia Conseils en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la SELARL Geodia Conseils et à la commune de Vernon.

Délibéré après l'audience publique du 1er février 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 février 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : I. LegrandLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : N. Roméro

La République mande et ordonne au préfet de l'Eure en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Nathalie Roméro

N°23DA00007 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00007
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: Mme Isabelle Legrand
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CABINET RICHER ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;23da00007 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award