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05/03/2024 | FRANCE | N°23DA00975

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 05 mars 2024, 23DA00975


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 14 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être renvoyé en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement.



Par un jugement n° 2204774 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen

a annulé l'arrêté du 14 avril 2022 et a enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer un titre de s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 14 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être renvoyé en cas d'exécution forcée de la mesure d'éloignement.

Par un jugement n° 2204774 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 14 avril 2022 et a enjoint au préfet de la Seine-Maritime de délivrer un titre de séjour à M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 mai 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 4 mai 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que les documents d'état civil présentés par M. B... à l'appui de sa demande de titre de séjour sont falsifiés, de sorte qu'il n'établit pas avoir été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance dans les conditions prévues par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2023, M. B..., représenté par Me Leroy, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 050 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que le moyen soulevé par le préfet n'est pas fondé.

Par une ordonnance du 5 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 9 janvier 2024, à 12 heures.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle, au taux de 25 %, par une décision du 5 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant ivoirien entré en France en décembre 2017 selon ses déclarations, a été pris en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance le 12 janvier 2018. Le 24 avril 2019, il a présenté une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions ont été reprises depuis à l'article L. 435-3 du même code. Le préfet de la Seine-Maritime a rejeté cette demande par un arrêté du 17 septembre 2020. Par un jugement du 14 octobre 2021, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté au motif qu'en limitant son appréciation aux liens familiaux de M. B... en Côte-d'Ivoire, le préfet avait omis de procéder à une appréciation d'ensemble de la situation de l'intéressé et entaché sa décision d'une erreur de droit. Procédant au réexamen de la demande de M. B..., le préfet de la Seine-Maritime a pris à son encontre un arrêté du 14 avril 2022 refusant de lui accorder un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d'origine. Le préfet relève appel du jugement du 4 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".

3. Il ressort des termes de l'arrêté du 14 avril 2022 que, pour rejeter la demande présentée par M. B... sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-3, le préfet de la Seine-Maritime a estimé, d'une part, que l'intéressé ne justifie pas de son identité et donc de la circonstance qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre seize et dix-huit ans et, d'autre part, qu'un examen approfondi de sa situation permet de conclure que M. B... ne peut se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de ces mêmes dispositions. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 14 avril 2022 au motif notamment que le préfet n'établit pas le caractère irrégulier ou falsifié des documents d'état civil produits par l'intéressé qui, par voie de conséquence, doit être regardé comme ayant été confié à l'aide sociale à l'enfance entre seize et dix-huit ans.

4. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil qui dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Pour estimer que M. B... n'était pas en mesure de justifier de son identité et de son âge, le préfet de la Seine-Maritime a mis en cause l'authenticité de l'extrait du registre des actes d'état-civil ivoirien daté du 26 juillet 2017, établi au vu d'un jugement supplétif n° 940 du 21 décembre 2016 non produit par l'intimé à l'appui de sa demande de titre de séjour. Il ressort du rapport établi le 29 juin 2020 par un analyste en fraude documentaire de la direction interdépartementale de la police aux frontières que cet extrait est intégralement imprimé au moyen d'un équipement Laser Toner, alors que le fond d'écran doit en principe faire l'objet d'une impression Offset. Si M. B... soutient que les documents d'état-civil ivoiriens sont établis selon plusieurs modalités et produit un nouvel extrait du registre d'état-civil en date du 3 janvier 2023, il ressort encore des constatations de l'analyste que la lecture du code barre apposé sur le premier extrait fait apparaître des numéros incohérents au regard de la date d'établissement de cet acte. En outre, le jugement supplétif n° 940 du 31 décembre 2016 ordonnant la transcription de l'acte de naissance de M. B... dans les registres d'état-civil, produit devant le juge par l'intéressé, mentionne que le tribunal d'Abidjan Plateau a rendu sa décision à l'issue d'une audience du 15 octobre 2020. L'incohérence entre la date de l'audience et celle du jugement supplétif ne permet pas de regarder celui-ci comme authentique et, par voie de conséquence, affecte la crédibilité des extraits du registre d'état-civil, établis au vu de ce jugement. Le préfet pouvait donc considérer que les actes d'état-civil produits par M. B... étaient irréguliers, falsifiés ou inexacts et ne permettaient pas de justifier de son identité et de son âge, quand bien même celui-ci n'a pas été mis en doute par les services de l'aide sociale lors de sa prise en charge. Si M. B... se prévaut de son passeport et d'un certificat de nationalité ivoirienne, il ressort des pièces du dossier que ces documents ont été établis au vu du jugement supplétif et de l'extrait du registre d'état-civil précités. Contrairement à ce que soutient M. B..., l'autorité de chose jugée dont est revêtu le jugement du tribunal administratif de Rouen du 14 octobre 2021 ne faisait pas obstacle, eu égard au motif retenu pour annuler la précédente décision de refus de séjour du 17 septembre 2020, à ce que le préfet rejette à nouveau sa demande au motif qu'il ne justifie pas de son état-civil et de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance. Par suite, le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur le caractère illégal d'un tel motif pour annuler son arrêté du 14 avril 2022.

6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... à l'encontre de l'arrêté du 14 avril 2022.

7. Alors même que M. B... a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance sans pouvoir justifier qu'il avait alors entre seize et dix-huit ans, il ressort des termes de l'arrêté contesté que le préfet de la Seine-Maritime a procédé à un examen de sa demande de titre de séjour en portant une appréciation globale sur la situation de l'intéressé qui, outre les éléments se rapportant à sa vie privée et professionnelle en France, prend en compte, ainsi qu'il est prévu à l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le caractère réel et sérieux du suivi de la formation, la nature des liens avec la famille restée dans le pays d'origine et l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion dans la société française. Si, après avoir procédé à cet examen d'ensemble de la situation de M. B..., le préfet a décidé de refuser de lui accorder une admission exceptionnelle au séjour, le tribunal administratif a considéré que, eu égard notamment au caractère réel et sérieux de la formation suivie par l'intéressé, à la nature de ses liens avec sa famille restée en Côte-d'Ivoire et aux rapports favorables des services chargés de la prise en charge des mineurs isolés, le préfet avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation de l'intéressé. Dans ces conditions, alors que le préfet ne conteste pas en appel l'erreur manifeste d'appréciation retenue par les premiers juges, qui suffit à elle seule à entraîner l'annulation de l'arrêté du 14 avril 2022, il n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé cet arrêté.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 % par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 5 juillet 2023. Il n'allègue pas avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre. D'autre part, l'avocate de M. B... n'a pas demandé que lui soit versée par l'Etat la somme correspondant aux frais exposés qu'elle aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait pas bénéficié de l'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, dans la limite du montant de 1 050 euros demandé par M. B..., le remboursement à celui-ci de la part des frais exposés par lui, non compris dans les dépens et laissés à sa charge par le bureau d'aide juridictionnelle.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. B..., dans la limite d'une somme de 1 050 euros, la part des frais exposés par lui, non compris dans les dépens et laissés à sa charge par la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 5 juillet 2023.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Leroy.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mars 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

Le greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier

F. Cheppe

2

N° 23DA00975


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00975
Date de la décision : 05/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : LEROY

Origine de la décision
Date de l'import : 13/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-05;23da00975 ?
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