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26/03/2024 | FRANCE | N°22DA01912

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 26 mars 2024, 22DA01912


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société anonyme (SA) Pompes funèbres de l'Avesnois a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler le contrat de concession de service public portant sur la remise aux normes et l'exploitation du crématorium communal, conclu le 20 février 2020 par la commune d'Hautmont avec la société Etablissements Frère.



Par un jugement n° 2003049 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.



Procédure d

evant la cour :



Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2022, la SA Pompes funèbres de l'Avesnoi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme (SA) Pompes funèbres de l'Avesnois a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler le contrat de concession de service public portant sur la remise aux normes et l'exploitation du crématorium communal, conclu le 20 février 2020 par la commune d'Hautmont avec la société Etablissements Frère.

Par un jugement n° 2003049 du 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2022, la SA Pompes funèbres de l'Avesnois, représentée par Me Annaïg Donval, demande à la cour :

1°) d' annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la convention de concession de service public portant sur la remise aux normes et l'exploitation du crématorium communal, conclue le 20 février 2020 par la commune d'Hautmont avec la société Etablissements Frère ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Hautmont le paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le cheminement initial envisagé par la commune dans les documents de la consultation pour le transfert des cercueils de la salle de cérémonie à la partie technique n'était pas réglementaire, ce qui a nécessité une modification substantielle en cours de procédure de passation et aurait dû justifier la prolongation des délais de remise des offres au-delà des neuf jours octroyés par la commune ;

- cette modification, qui l'a privée de la possibilité de présenter une offre, a entraîné une rupture d'égalité de traitement des candidats et a restreint la liberté d'accès à la commande publique ;

- l'insuffisance des documents de la consultation et l'absence de réponse de la commune aux questions qu'elle a posées au cours de la procédure de consultation ont porté atteinte aux principes de transparence, d'égalité de traitement et de liberté d'accès à la commande publique ;

- la configuration du crématorium, nécessitant de traverser des locaux appartenant à la société Etablissement Frère, constitue un avantage pour l'exploitant en place qui est favorisé par rapport aux autres candidats.

Par un mémoire, enregistré le 3 février 2023, la SARL Etablissement Frère, représentée par Me Eric Lanzarone, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de la société Pompes funèbres de l'Avesnois le paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

La commune d'Haumont n'a pas produit de mémoire, en dépit d'une mise en demeure du 4 janvier 2023 dont elle a accusé réception le 14 février suivant.

Par une ordonnance du 5 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 juillet 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;

- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Annaïg Donval, représentant la société Pompes funèbres de l'Avesnois.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention du 23 novembre 1989, la commune d'Hautmont a confié la concession du crématorium municipal à la société à responsabilité limitée (SARL) Etablissements Frère pour une durée de trente années. Le 2 octobre 2018, la concession a été une nouvelle fois confiée à cette société, mais la procédure de passation a été annulée par l'ordonnance n° 1809434 du 23 novembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Lille, compte tenu de l'absence de mise en concurrence. Par délibération du 6 février 2019, le conseil municipal d'Hautmont a approuvé le principe du recours à une délégation de service public pour l'exploitation sur une durée de quinze ans du crématorium. Le 25 mars 2019, un avis d'appel public à la concurrence a été publié au bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) en vue de conclure un contrat de concession de service public portant sur la mise aux normes et l'exploitation du crématorium communal. Bien que n'ayant pas présenté d'offre, la société Pompes funèbres de l'Avesnois a saisi, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Lille qui, par une ordonnance du 12 juillet 2019, a annulé la procédure de passation de la convention de concession de service public du crématorium. Par une décision n° 432996 du 27 novembre 2019, le Conseil d'Etat a annulé cette ordonnance et a rejeté le recours en référé précontractuel de la société requérante. Le contrat de concession a été conclu entre la commune d'Hautmont et la SARL Etablissements Frère le 20 février 2020. La société Pompes funèbres de l'Avesnois relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce contrat.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Aux termes de l'article 4 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession : " I. Les documents de la consultation sont constitués de l'ensemble des documents fournis par l'autorité concédante ou auxquels elle se réfère, pour définir l'objet, les spécifications techniques et fonctionnelles, les conditions de passation et d'exécution du contrat de concession, ainsi que le délai de remise des candidatures ou des offres et, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager. Ils comprennent notamment l'avis de concession, le cahier des charges de la concession et, le cas échéant, l'invitation à présenter une offre. / Toute modification des documents de la consultation est communiquée à l'ensemble des opérateurs économiques, aux candidats admis à présenter une offre ou à tous les soumissionnaires, dans des conditions garantissant leur égalité et leur permettant de disposer d'un délai suffisant pour remettre leurs candidatures ou leurs offres. / II. L'autorité concédante communique, au plus tard six jours avant la date limite fixée pour la réception des candidatures ou des offres, les renseignements complémentaires sur les documents de la consultation sollicités en temps utile par les candidats ou soumissionnaires ". Aux termes de l'article D. 2223-103 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors en vigueur : " La partie technique du crématorium comprend, outre un four de crémation, au minimum, un pulvérisateur de calcius, une salle d'introduction du cercueil et un local de dépôt provisoire des urnes cinéraires. / Les pièces de la partie technique du crématorium communiquent entre elles pour permettre la circulation du personnel hors de la vue du public. / L'accès des cercueils au crématorium doit s'effectuer, en position horizontale, par la partie technique. / Les couloirs de la partie technique du crématorium ont, au minimum, une largeur de 120 centimètres. / Le libre passage des portes de la partie technique du crématorium a, au minimum, une largeur de 110 centimètres. ".

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de la visite du site qui s'est déroulée le 15 avril 2019, l'une des sociétés ayant manifesté son intérêt a adressé une liste de questions à la commune dont la dernière portait sur les modalités de déplacement des cercueils vers la partie technique du crématorium, qui devaient, d'après les informations alors fournies par la commune, suivre un chemin situé à l'extérieur des bâtiments sur environ soixante mètres. La commune a, d'une part, répondu aux premières questions dès le 19 avril suivant en produisant notamment les documents financiers et techniques sollicités et, d'autre part, réservé sa réponse à la dernière question dans l'attente d'une réponse de la préfecture sur la conformité du dispositif de déplacement des cercueils envisagé aux dispositions précitées de l'article D. 2223-103 du code général des collectivités territoriales, qui prévoient que les pièces de la partie technique d'un crématorium communiquent entre elles pour permettre la circulation du personnel hors de la vue du public et que l'accès des cercueils au crématorium doit s'effectuer, en position horizontale, par la partie technique. Bien que les modalités de transit des cercueils initialement envisagées aient été validées par les services préfectoraux, la commune a choisi de modifier le circuit d'acheminement des cercueils vers la partie technique pour le rendre plus court et faciliter l'activité du délégataire, grâce à la création d'une servitude de passage accordée par le propriétaire du terrain au complexe funéraire. La commune a porté ces éléments le 20 mai 2019 à la connaissance de l'ensemble des participants, en repoussant par ailleurs au 29 mai suivant la date limite de dépôt des candidatures et des offres. La modification ainsi apportée par la commune au dossier de consultation, qui a porté uniquement sur les modalités de cheminement des cercueils au sein de l'établissement, ne peut être regardée comme une modification substantielle des conditions de consultation. Dans ces conditions, la commune, en prolongeant de neuf jours le délai de remise des offres, a laissé un délai suffisant, compte tenu de la nature et de la portée de cette modification d'ordre matériel, pour permettre aux participants d'en prendre connaissance et d'adapter leur offre. Par suite, la société Pompes funèbres de l'Avesnois n'est pas fondée à soutenir que la commune a méconnu les dispositions de l'article 4 du décret du 1er février 2016 en ne prolongeant pas suffisamment le délai de remise des offres.

5. En deuxième lieu, si la commune d'Hautmont n'a produit ni les comptes d'exploitation, ni les rapports annuels de l'exploitant, ni la liste des biens de retour, elle a complété les documents de la consultation prévus par les dispositions citées au point 3 en communiquant à la société Pompes funèbres de l'Avesnois, par courriel du 6 mai 2019, le dernier rapport de conformité des équipements de sécurité de l'appareil de crémation, les trois derniers rapports de contrôle de conformité des rejets atmosphériques, le dernier rapport de contrôle de conformité des installations de gaz, une copie du carnet d'entretien de l'appareil de crémation, le nombre de crémations annuel depuis les cinq dernières années et les tarifs applicables. Les services municipaux ont en outre confirmé à la société appelante qu'aucun personnel ne devait être repris par le futur concessionnaire et ont ainsi apporté des précisions suffisantes aux entreprises candidates pour leur permettre de formuler leur offre dans des conditions conformes aux principes de libre accès à la commande publique, de transparence et d'égalité de traitement. Par suite, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que les informations données aux candidats étaient insuffisantes pour leur permettre d'élaborer une offre satisfaisante.

6. En dernier lieu, les dispositions précitées de l'article D. 2223-103 du code général des collectivités territoriales ne font pas obstacle à ce qu'une partie des locaux comprenant le crématorium municipal appartienne à une entreprise privée. Si l'agence régionale de santé des Hauts-de France a estimé dans un rapport de contrôle du 24 novembre 2020 que la configuration des locaux n'était pas conforme, ce document est postérieur à la signature de la convention de concession. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 4, la commune a décidé de modifier le circuit d'acheminement des cercueils vers la partie technique pour le rendre plus court et faciliter l'activité du délégataire, grâce à la création d'une servitude de passage accordée par le propriétaire du terrain au complexe funéraire. Par ailleurs, l'irrégularité de la configuration des locaux alléguée par la société appelante ne faisait pas obstacle à la présentation d'une offre et ne constituait pas une atteinte à la libre concurrence entre opérateurs. Dès lors, la société Pompes funèbres de l'Avesnois n'établit pas que la commune d'Hautmont aurait imposé des conditions d'exploitation de l'ouvrage afin de favoriser le délégataire sortant et de faire obstacle à ce que d'autres candidats présentent une offre. Par suite, le moyen doit être écarté.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société Pompes funèbres de l'Avesnois n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à annuler le contrat de concession de service public conclu le 20 février 2020.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune d'Hautmont, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Pompes funèbres de l'Avesnois une somme de 2 000 euros à verser à la société Etablissement Frère.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société Pompes funèbres de l'Avesnois est rejetée.

Article 2 : La société Pompes funèbres de l'Avesnois versera à la société Etablissement Frère une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Pompes funèbres de l'Avesnois, à la SARL Etablissement Frère et à la commune d'Hautmont.

Délibéré après l'audience publique du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLe président de la formation de jugement,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne du préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

2

N°22DA01912


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01912
Date de la décision : 26/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Baronnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SELARL WAGNER DONVAL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-26;22da01912 ?
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