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26/03/2024 | FRANCE | N°22DA01962

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 26 mars 2024, 22DA01962


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille, dans le dernier état de ses écritures, en premier lieu, d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2014 par lequel le maire de Licques a déclaré le péril non imminent de l'immeuble situé au 212 rue Antoine de Lumbres lui appartenant, en deuxième lieu, de condamner la commune de Licques à l'indemniser des préjudices subis du fait de l'illégalité de cet arrêté, en troisième lieu, d'ordonner à la commune de Licques et au

département du Pas-de-Calais de procéder à la réfection de l'intégralité de la voûte du pon...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Lille, dans le dernier état de ses écritures, en premier lieu, d'annuler l'arrêté du 28 novembre 2014 par lequel le maire de Licques a déclaré le péril non imminent de l'immeuble situé au 212 rue Antoine de Lumbres lui appartenant, en deuxième lieu, de condamner la commune de Licques à l'indemniser des préjudices subis du fait de l'illégalité de cet arrêté, en troisième lieu, d'ordonner à la commune de Licques et au département du Pas-de-Calais de procéder à la réfection de l'intégralité de la voûte du pont passant sous sa propriété et sous la voie publique, dès la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, ou, à défaut, de les condamner à lui verser la somme de 54 000 euros afin qu'elle effectue elle-même les travaux, en quatrième lieu, de condamner la commune de Licques et le département du Pas-de-Calais à lui payer la somme globale de 23 263,03 euros à titre de dommages et intérêts en raison du défaut d'entretien normal d'un ouvrage public et, en cinquième lieu, de mettre à la charge de la commune de Licques et du département du Pas-de-Calais les frais d'expertise d'un montant de 3 895,79 euros ainsi que la somme de 3 600 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2100593 du 20 juillet 2022, intervenant après que la cour administrative d'appel de Douai, par un arrêt n° 18DA01857 du 22 décembre 2020 frappé d'un pourvoi que le Conseil d'Etat n'a pas admis par une ordonnance n° 449975 du 12 juillet 2021, a annulé un premier jugement n° 1500466 du 12 juillet 2018 et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de Lille, ce tribunal a, en premier lieu, condamné la commune de Licques à verser à Mme C... une somme de 23 263,03 euros en réparation des préjudices résultant du défaut d'entretien de la voûte du pont passant sous sa propriété, en deuxième lieu, enjoint à la commune de Licques de procéder aux travaux de nature à mettre fin au dommage subi par Mme C... dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, en troisième lieu, mis les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme totale de 3 895,79 euros à la charge définitive de la commune de Licques, en quatrième lieu, mis le versement à Mme C... d'une somme de 1 500 euros à la charge de la commune de Licques au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, en cinquième lieu, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 20 septembre 2022 et 5 janvier 2023, la commune de Licques, représentée par Me Christian Delevacque, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il la condamne à verser à Mme C... une somme de 23 263,03 euros en réparation des préjudices résultant du défaut d'entretien de la voûte du pont passant sous sa propriété, lui enjoint de procéder aux travaux de nature à mettre fin au dommage subi par Mme C... dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement et met à sa charge les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme totale de 3 895,79 euros ainsi que le versement à Mme C... d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) à titre principal, de rejeter ces conclusions présentées par Mme C... en première instance et de mettre à sa charge les frais et honoraires d'expertise ainsi que le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre subsidiaire, de ramener le montant des condamnations prononcées à son encontre à de plus justes proportions, de condamner le département du Pas-de-Calais à la garantir de toutes les condamnations prononcées à son encontre et de mettre à la charge du département les frais et honoraires d'expertise ainsi que le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions indemnitaires présentées par Mme C... en première instance étaient irrecevables en l'absence de liaison préalable du contentieux ; à cet égard, le courrier du 10 mars 2015 dont elle se prévaut n'a pu lier le contentieux dès lors que l'indemnité alors sollicitée était d'un montant de seulement 15 000 euros ;

- ces conclusions, présentées au cours de l'instance que Mme C... avait initialement engagée à fin d'annulation de l'arrêté du 28 novembre 2014, sont également irrecevables pour soulever un litige distinct ; à cet égard, ces conclusions ne peuvent être regardées comme se rattachant à un dommage de travaux publics dès lors que le cours d'eau litigieux et ses aménagements ne constituent pas des ouvrages publics mais appartiennent à chacun des riverains en application de l'article L. 215-2 du code de l'environnement ; en outre, il n'est pas établi que le cours d'eau serve au recueil des eaux pluviales et la route qui le surplombe est une route départementale ;

- la responsabilité de la commune ne saurait être engagée du fait d'un défaut d'entretien du cours d'eau passant sous la propriété de Mme C... et de la voûte le surplombant dès lors que ces derniers ne constituent pas des ouvrages publics mais appartiennent à chacun des riverains en application de l'article L. 215-2 du code de l'environnement ; en outre, il n'est pas établi que le cours d'eau serve au recueil des eaux pluviales et la route qui le surplombe est une route départementale ;

- à supposer que la responsabilité de la commune soit engagée, le département du Pas-de-Calais doit la garantir de l'intégralité des condamnations qui seraient prononcées à son encontre dès lors que l'ouvrage litigieux supporte une route départementale et est dans les faits entretenu par les services du département ; cette demande en garantie n'est nullement prescrite dès lors que le délai de prescription a été interrompu par les conclusions présentées par Mme C... contre le département dans son mémoire enregistré au greffe du tribunal le 14 novembre 2017 ;

- par ailleurs, dès lors qu'il n'est pas certain que, même sans la survenue du dommage, le bien de Mme C... aurait été effectivement remis en location, elle n'est pas fondée à solliciter l'indemnisation d'un préjudice tiré de la perte des loyers à compter d'avril 2018 ;

- le préjudice moral a fait l'objet d'une juste évaluation par les premiers juges en le fixant à 1 000 euros et il n'y a pas lieu de le majorer ;

- Mme C... ne peut pas imposer la réfection de l'intégralité de la voûte mais elle peut uniquement demander l'indemnisation des désordres et des dommages qu'elle a subis ; la juridiction ne peut pas prononcer d'astreinte à l'égard de la commune.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 octobre 2022, 2 décembre 2022 et 27 janvier 2023, Mme C..., représentée par Me Raphaël Tachon, conclut, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à la confirmation du jugement attaqué, sauf à porter le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de la commune de Licques en réparation des préjudices résultant du défaut d'entretien de la voûte du pont passant sous sa propriété à 47 722 euros ;

2°) à ce que l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Lille soit assortie d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) à ce que le versement d'une somme de 2 400 euros soit mis à la charge de la commune de Licques au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle a régulièrement lié le contentieux par son courrier du 11 mars 2015 quand bien même le montant de l'indemnité qu'elle sollicitait alors et les préjudices qu'elle invoquait n'étaient pas parfaitement identiques à ceux de sa demande devant le tribunal ;

- le Sanghem étant utilisé par la commune pour recueillir les eaux pluviales en provenance de plusieurs rues, ce cours d'eau et l'ouvrage maçonné à l'origine du dommage constituent des ouvrages publics dont l'entretien incombe à la commune ;

- ses conclusions indemnitaires avaient un lien suffisant avec ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 28 novembre 2014 pour pouvoir être soulevées dans le cadre de la même instance, ainsi que la cour l'a déjà jugé dans son arrêt du 22 décembre 2020 ;

- la responsabilité sans faute de la commune de Licques est engagée dès lors qu'elle a la qualité de tiers par rapport à l'ouvrage et que les effondrements dont elle a été victime ont pour origine l'absence d'entretien de l'ouvrage, ainsi que l'expert l'a relevé dans son rapport ;

- elle est fondée à solliciter, en réparation des préjudices subis, les indemnités suivantes : 348 euros au titre des travaux qu'elle a réalisés afin de conforter son habitation ; 962 euros au titre des frais engagés pour reloger son locataire ; 36 400 euros représentatifs des loyers qu'elle aurait dû percevoir entre mai 2018 et janvier 2023 si elle avait pu remettre son bien en location ; 10 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral ;

- elle est en outre fondée à demander la condamnation de la commune à lui verser une somme de 54 000 euros afin qu'elle puisse faire réaliser, en ses lieux et place, les travaux nécessaires au niveau de la voûte aménagée sous sa propriété.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2022, le département du Pas-de-Calais, représenté par Me Jean-Sébastien Deloziere, conclut au rejet des conclusions d'appel que la commune de Licques dirige contre lui et à ce que le versement d'une somme de 2 000 euros soit mis à la charge de celle-ci au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la voûte aménagée en surplomb du Sanghem et passant notamment sous la propriété de Mme C... est affectée au service public de collecte des eaux pluviales de la commune et constitue, par suite, un ouvrage public municipal ;

- elle est dès lors insusceptible d'engager la responsabilité du département ou de l'obliger à garantir la commune des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;

- en tout état de cause, la demande en garantie présentée par la commune est prescrite.

Par ordonnance du 5 janvier 2023, la date de clôture de l'instruction a été fixée au 20 février 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Guillaume Toutias, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Adeline Quennehen, représentant la commune de Licques.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... C... est propriétaire d'une maison, mise en location, située au 212 de la rue Antoine de Lumbres sur le territoire de la commune de Licques (Pas-de-Calais). Le 28 novembre 2014, la voûte en briques maçonnées de la galerie souterraine passant sous son habitation et assurant la canalisation d'un cours d'eau s'est affaissée, menaçant d'effondrement une partie de la façade arrière. Le même jour, la maire de Licques a pris un arrêté de péril non imminent assorti d'une interdiction d'habiter ou d'utiliser le bien, mettant Mme C... en demeure de faire cesser dans un délai d'un mois maximum le péril résultant du risque d'effondrement d'un mur de son habitation et l'obligeant à procéder au relogement temporaire de ses locataires. Par un jugement du 20 juillet 2022, le tribunal administratif de Lille a jugé que la responsabilité sans faute de la commune de Licques était engagée à raison des dommages subis par la propriété de Mme C... du fait du défaut d'entretien de la galerie souterraine qui constitue un ouvrage public communal. Il a en conséquence condamné la commune de Licques à verser à Mme C... une somme de 23 263,03 euros en réparation de ses préjudices et lui a enjoint de procéder aux travaux de nature à mettre fin au dommage dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement. La commune relève appel de ce jugement en tant qu'il lui est défavorable et demande à la cour, à titre principal, de rejeter les demandes de première instance de Mme C... ou, à titre subsidiaire, de ramener le montant des condamnations à de plus justes proportions et de condamner le département du Pas-de-Calais à la garantir de toute condamnation. Mme C..., par la voie de l'appel incident, demande à la cour de porter à 47 722 euros le montant de l'indemnité mise à la charge de la commune et d'assortir l'injonction prononcée par le tribunal d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. Le département conclut, quant à lui, au rejet des conclusions que la commune dirige contre lui.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il résulte du dossier de première instance que la demande de Mme C... devant le tribunal administratif de Lille tendait, d'une part, à l'annulation de l'arrêté de péril du 28 novembre 2014 de la maire de Licques et, d'autre part, à la condamnation de la commune ou du département du Pas-de-Calais à mettre un terme au dommage qu'elle subissait en procédant à la réfection de la voûte en briques maçonnées de la galerie souterraine passant sous son habitation et à l'indemniser de ses préjudices. Au soutien de ces dernières conclusions, Mme C... invoquait plusieurs fondements de responsabilité, dont le régime de responsabilité sans faute des maîtres d'ouvrages publics à raison des dommages que les ouvrages dont ils ont la garde peuvent causer aux tiers. Pour condamner la commune de Licques à verser une somme de 23 263,03 euros à Mme C... et lui enjoindre de procéder aux travaux, le tribunal administratif de Lille a partiellement fait droit à ces dernières conclusions en se fondant en particulier sur le fait que l'ouvrage litigieux a le caractère d'un ouvrage public communal. La commune de Licques conteste cette appréciation en appel. Elle en tire la conséquence que, d'une part, les conclusions auxquelles le tribunal a partiellement fait droit, qui ne peuvent pas être regardées comme se rattachant au contentieux des dommages de travaux publics, étaient irrecevables pour ne pas avoir été précédées de la liaison du contentieux et pour soulever un litige distinct des autres demandes présentées par Mme C... devant le tribunal et, d'autre part, que sa responsabilité ne pouvait pas être engagée et qu'il ne pouvait pas lui être enjoint de réaliser des travaux.

En ce qui concerne la nature et la propriété de l'ouvrage litigieux :

3. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 21 décembre 2016, que l'ouvrage litigieux, constitué sur toute sa longueur d'une galerie souterraine sous voûte en briques maçonnées, canalise la rivière Sanghem pour lui permettre de s'écouler sous la rue Antoine de Lumbres, la propriété de Mme C... et la propriété voisine. L'ouvrage assure ainsi la continuité non seulement de la circulation publique au niveau de la rue Antoine de Lumbres mais également de l'écoulement de la rivière Sanghem, dont il ressort des nombreux témoignages apportés par Mme C..., qui ne sont pas utilement infirmés par la commune, qu'elle constitue un exécutoire des eaux pluviales communales. Il s'ensuit que, compte tenu de ces affectations au service public, l'ouvrage litigieux revêt les caractères d'un ouvrage public, indépendamment de la nature des propriétés traversées.

4. D'autre part, la circonstance que l'ouvrage public litigieux soit implanté pour partie sous le domaine public routier du département et pour l'autre partie sous des propriétés privées est à elle seule sans influence sur le régime de propriété applicable. Il en va de même des dispositions de l'article L. 215-2 du code de l'environnement qui régissent seulement la propriété des cours d'eau non domaniaux mais non celle des ouvrages publics réalisés sur ceux-ci. Dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit au point précédent que l'ouvrage public litigieux procède à la canalisation d'un cours d'eau affecté au service public municipal de la collecte des eaux pluviales, il doit être regardé comme relevant de la propriété de la commune. Celle-ci n'apporte en tout état de cause aucun élément de nature à établir qu'elle aurait transféré la propriété de tout ou partie de cet ouvrage au département, aux riverains ou à tout autre tiers. Il est constant également qu'elle a financé la réfection d'une partie de l'ouvrage à la suite d'un autre affaissement survenu en mars 2015 au niveau de la rue Antoine de Lumbres.

5. Il résulte de ce qui précède que l'ouvrage en litige doit être regardé, à l'instar de ce qu'ont retenu les premiers juges, comme constituant, sur toute sa longueur, y compris sa partie passant sous la propriété de Mme C..., un ouvrage public communal.

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions indemnitaires en première instance :

6. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la responsabilité sans faute de la commune de Licques à raison des dommages résultant de l'affaissement d'une partie de l'ouvrage public passant sous la propriété en litige a été invoquée pour la première fois par Mme C... dans un mémoire complémentaire enregistré au greffe du tribunal administratif de Lille le 10 mai 2016. Dans leur rédaction applicable à cette date, les dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative n'imposaient pas à peine d'irrecevabilité que les requêtes " en matière de travaux publics " soient précédées de la liaison obligatoire du contentieux. Si cette dérogation à l'obligation de liaison préalable du contentieux a été abrogée en cours d'instance par l'article 10 du décret du 2 novembre 2016, le II de l'article 35 du même décret prévoit que les nouvelles dispositions ne s'appliquent qu'aux requêtes enregistrées à compter du 1er janvier 2017. Il s'ensuit qu'à la date à laquelle elles ont été présentées, les conclusions indemnitaires de Mme C..., qui se rattachent au contentieux des travaux publics compte tenu de ce qui a été dit aux points 3 à 5 sur la nature et la propriété de l'ouvrage litigieux, n'étaient pas soumises à l'obligation de liaison préalable du contentieux. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en ce sens par la commune de Licques doit être écartée.

7. En second lieu, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 21 décembre 2016, que l'affaissement d'une partie de l'ouvrage public passant sous la propriété de Mme C... est à l'origine de la menace d'effondrement du mur de la façade arrière de cet immeuble, laquelle a motivé le prononcé par la maire de Licques de l'arrêté de péril du 28 novembre 2014, ainsi que des préjudices dont Mme C... demande réparation au titre de la responsabilité sans faute des maîtres d'ouvrages publics à raison des dommages que les ouvrages dont ils ont la garde sont susceptibles d'avoir causés à des tiers. Dès lors que l'arrêté de péril du 28 novembre 2014 et les dommages dont Mme C... demande réparation ont le même fait générateur, les conclusions indemnitaires de Mme C... avaient un lien suffisant avec ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 28 novembre 2014 pour pouvoir être présentées dans le cadre de la même instance. La fin de non-recevoir opposée par la commune tirée de ce que ces conclusions indemnitaires devaient être présentées dans le cadre d'un litige distinct doit, dès lors, être écartée.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Licques :

8. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

9. Ainsi qu'il a été dit aux points 3 à 5, l'ouvrage passant sous la propriété de Mme C... a le caractère d'un ouvrage public communal. Mme C... a la qualité de tiers à cet ouvrage public. Il résulte en outre de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 21 décembre 2016, que cet ouvrage public est " vétuste " et " dépourvu d'entretien ", ce qui expose l'immeuble dont Mme C... est propriétaire à des risques de structure et de déstabilisation. Ces risques se sont réalisés lors d'un affaissement survenu au pied de la façade arrière de l'immeuble le 28 novembre 2014. Il s'ensuit que Mme C... doit être regardée comme subissant, du fait du défaut d'entretien de l'ouvrage public litigieux, des dommages à caractère accidentel, obligeant la commune de Licques à les réparer.

En ce qui concerne la réparation des préjudices de Mme C... :

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'affaissement de l'ouvrage public survenu le 28 novembre 2014 au pied de la façade arrière de l'immeuble dont Mme C... est propriétaire, celle-ci s'est acquittée d'une somme de 348 euros au titre des travaux d'étaiement et de confortement réalisés sur son immeuble le 16 décembre 2014 ainsi que d'une somme totale de 982 euros au titre du relogement temporaire de ses locataires entre le 1er et le 17 décembre 2014. Il s'ensuit qu'il sera fait une exacte évaluation du préjudice financier qu'elle a subi à l'occasion de cet effondrement en lui allouant une indemnité de 1 330 euros.

11. En deuxième lieu, il est constant qu'à compter de la réalisation des travaux d'étaiement et de confortement mentionnés au point précédent, les locataires de Mme C... ont pu réintégrer l'immeuble, qu'ils y sont demeurés jusqu'en avril 2018, qu'aucun désordre n'a été constaté sur l'immeuble pendant cette période et que la commune n'a pas repris d'arrêté de péril. Il ne résulte dès lors pas de l'instruction que l'état de l'immeuble s'opposait à sa remise en location en 2018. Mme C... ne justifie pas des démarches qu'elle aurait entreprises en ce sens. Il s'ensuit que le défaut de remise en location de l'immeuble et de perception de loyers à compter du mois de mai 2018 ne peut être regardé comme étant directement et certainement en lien avec l'état de l'ouvrage public communal passant sous la propriété. Il s'ensuit que Mme C... n'est pas fondée à solliciter une indemnité à ce titre.

12. En troisième lieu, Mme C... subit, du fait du défaut d'entretien par la commune de l'ouvrage public communal passant sous sa propriété et des risques auxquels celle-ci se retrouve exposée, un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation en lui allouant une indemnité d'un montant de 1 000 euros.

En ce qui concerne les mesures d'injonction et d'astreinte sollicitées par Mme C... :

13. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

14. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le défaut d'entretien par la commune de l'ouvrage public communal passant sous la propriété de Mme C... expose celle-ci à des problèmes de structure. Il résulte en outre de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 21 décembre 2016, que, si ces risques ont été écartés grâce aux travaux d'étaiement et de confortement, à caractère temporaire, réalisés par Mme C... en décembre 2014, ils sont susceptibles de l'être de manière plus pérenne par la réfection de la voûte et du trottoir en pied de la façade de l'immeuble, la réfection de la voûte dans la cour de l'immeuble ainsi que la révision complète de la structure de maçonnerie de briques de l'ouvrage situé sous l'immeuble. Alors que la commune de Licques a déjà pris en charge la réfection au niveau du trottoir, son abstention à réaliser les travaux sur le reste de l'ouvrage, qui présente les caractères d'un ouvrage public communal sur toute sa longueur ainsi qu'il a été dit aux points 3 à 5, est fautive. En outre, la commune n'avance aucun motif d'intérêt général justifiant son abstention. Notamment, elle n'établit ni même n'allègue que le coût des derniers travaux à réaliser, dont le montant a été évalué par l'expert à la somme de 54 000 euros dans son rapport du 21 décembre 2016, serait disproportionné et excessif compte tenu des finances de la collectivité. Dans ces conditions, il y a lieu d'enjoindre à la commune de Licques de procéder à la réalisation de ces travaux dans un délai de six mois, sans qu'il soit à ce stade besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée par Mme C....

En ce qui concerne l'appel en garantie du département du Pas-de-Calais par la commune de Licques :

15. Dès lors que, pour les motifs exposés aux points 3 à 5, l'ouvrage litigieux présente sur toute sa longueur le caractère d'un ouvrage public communal et alors que la commune n'établit pas que ses charges d'entretien aient fait l'objet d'une convention de répartition avec le département du Pas-de-Calais, la commune, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription opposée en défense par le département, n'est pas fondée à appeler ce dernier en garantie.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Licques doit seulement être condamnée, à raison des dommages résultant du défaut d'entretien de l'ouvrage public communal passant sous la propriété de Mme C..., à verser à celle-ci une somme totale de 2 330 euros au titre des préjudices subis et à réaliser les travaux de nature à mettre fin au dommage dans les conditions rappelées au point 13. Il s'ensuit qu'en appel, la commune est seulement fondée à demander que la somme de 23 263,03 euros qu'elle a été condamnée à verser à Mme C... par le jugement du 20 juillet 2022 du tribunal administratif de Lille soit ramenée à 2 330 euros. Elle n'est en revanche pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal lui a enjoint de réaliser les travaux de réfection de l'ouvrage passant sous la propriété de Mme C... dans un délai de six mois et a rejeté son appel en garantie dirigé contre le département du Pas-de-Calais. Les conclusions qu'elle réitère en ce sens en appel doivent, dès lors, à leur tour être rejetées. Mme C..., quant à elle, n'est pas fondée à demander la majoration de la condamnation prononcée à l'encontre de la commune de Licques en première instance. En outre, il n'y a pas lieu pour la cour d'assortir l'injonction prononcée par les premiers juges d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

17. En premier lieu, les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 3 895,79 euros par une ordonnance du 3 janvier 2017 de la présidente du tribunal administratif de Lille, doivent, à l'instar de ce qu'ont décidé les premiers juges, être mis définitivement à la charge de la commune de Licques. Les conclusions d'appel de la commune de Licques tendant à la réformation du jugement sur ce point doivent, dès lors, être rejetées.

18. En second lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges aient fait une évaluation exagérée des frais non compris dans les dépens engagés par Mme C... en mettant à la charge de la commune de Licques le versement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions d'appel de la commune tendant à la réformation du jugement sur ce point doivent dès lors être rejetées.

19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions que les parties présentent sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais non compris dans les dépens qu'elles ont engagés dans le cadre de la présente instance d'appel.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 23 263,03 euros que la commune de Licques a été condamnée à verser à Mme C... est ramenée à 2 330 euros (deux mille trois cent trente euros).

Article 2 : Le jugement n° 2100593 du 20 juillet 2022 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 3 895,79 euros (trois mille huit cent quatre-vingt-quinze euros et soixante-dix-neuf centimes), sont mis à la charge définitive de la commune de Licques.

Article 4 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Licques, à Mme B... C... et au département du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Baronnet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. ToutiasLe président de la formation

de jugement,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : A.S. Villette

La République mande et ordonne au préfet du Pas-de-Calais, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

Anne-Sophie VILLETTE

2

N°22DA01962


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01962
Date de la décision : 26/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Baronnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Toutias
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SCP ROBIQUET DELEVACQUE VERAGUE YAHIAOUI

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-26;22da01962 ?
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