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02/04/2024 | FRANCE | N°23DA00665

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 02 avril 2024, 23DA00665


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 24 mars 2022 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compte

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 24 mars 2022 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'autre part, d'enjoindre au préfet du Pas-de-Calais, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte.

Par un jugement n° 2204629 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté du 24 mars 2022 du préfet du Pas-de-Calais et lui a enjoint de statuer à nouveau sur la demande de titre de séjour présentée par Mme C... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 12 avril 2023, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la requête présentée par la personne disant se nommer Mme A... C....

Il soutient que :

- c'est à tort que, pour annuler son arrêté du 24 mars 2022, le tribunal a retenu que Mme C... justifiait suffisamment de son identité par la production d'une carte consulaire et d'un passeport, délivrés par la République démocratique du Congo ; ces documents, ont été délivrés sur la base d'un certificat de naissance déclaré contrefait par le service de la fraude documentaire ;

- il existe un doute quant à son identité réelle dès lors qu'il ressort de la base Visabio qu'elle est entrée sur le territoire français sous couvert d'un passeport gabonais dont l'authenticité n'a pas été remise en cause par les autorités consulaires françaises.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2024, Mme C..., représentée par Me Weppe, conclut au rejet de la requête, à la confirmation du jugement et à ce que soit mise à la charge de l'Etat, la somme de 2 500 euros à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle, sur le fondement de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet du Pas-de-Calais ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 octobre 2023.

Par une ordonnance du 10 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 31 janvier 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... C..., qui déclare être ressortissante congolaise née le 11 janvier 2003 à Libreville (Gabon) et être entrée en France le 17 août 2019, a été placée auprès de l'aide sociale à l'enfance du département du Pas-de-Calais. Le 30 mars 2021, elle a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 mars 2022, le préfet du Pas-de-Calais a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Par un jugement du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté et enjoint au préfet du Pas-de-Calais de statuer à nouveau sur la demande de titre de séjour présentée par Mme C... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et, dans l'attente de ce réexamen, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel de ce jugement dont il demande l'annulation.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " La vérification des actes d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". L'article R. 431-10 du même code prévoit que : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

3. Lorsqu'est produit devant l'administration un acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation.

4. En outre, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Par suite, en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

5. A la condition que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient. En particulier, lorsqu'elle est saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient à l'autorité administrative d'y répondre, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur.

6. A l'appui de sa demande de titre de séjour, Mme C... a présenté un passeport en cours de validité au nom de Mme A... C..., née le 11 janvier 2003 à Libreville (Gabon) délivré le 6 août 2021 par l'ambassade de la République démocratique du Congo en France, une carte consulaire congolaise ainsi que deux copies d'un extrait d'acte de naissance numéroté 8945 établi le 2 octobre 2019 par les autorités gabonaises et une copie d'un extrait d'acte de naissance numéroté 5425 établi par ces mêmes autorités. A l'appui de sa demande de titre de séjour, Mme C... a communiqué des éléments exposant les circonstances de sa prise en charge par les services de l'aide sociale à l'enfance, notamment son entrée sur le territoire français le 17 août 2019 sous couvert d'un visa délivré par les autorités consulaires françaises à Libreville, sur la foi d'un passeport gabonais au nom de Mme A... C..., née le 7 mars 2003 à Libreville, fait confirmé par les données du fichier Visabio. Compte tenu de ce récit faisant apparaître la demanderesse sous deux identités différentes, le préfet du Pas-de-Calais a décidé de soumettre les documents relatifs à l'identité et à l'état civil de l'intéressée à l'examen technique de la direction interdépartementale de la police aux frontières (DIDPAF) de Coquelles, qui a rendu successivement deux avis, le 11 mars 2022 puis le 21 juillet 2022. La cellule Fraude documentaire de B..., qui n'a pas remis en cause l'authenticité de la carte consulaire congolaise ni celle du passeport congolais qui lui étaient soumis, a indiqué, s'agissant des trois extraits d'acte de naissance, que leur authenticité matérielle ne pouvait être prouvée s'agissant de photocopies mais que leur formalisme correspondait aux actes délivrés au Gabon. Si, en raison de la différence de numérotation des extraits d'acte de naissance, B... a conclu au caractère contrefait de l'acte de naissance portant le numéro 5425, il ressort toutefois de ses deux rapports, qu'elle n'a émis un avis défavorable en ce qui concerne les deux extraits d'acte de naissance portant le numéro 8945 qu'au seul motif de l'absence de légalisation.

7. Conformément à ce qui a été énoncé au point 5, l'absence ou l'irrégularité de la légalisation d'un acte d'état civil, ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient, éclairés par tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées. En l'occurrence, il résulte du rapport d'évaluation sur l'âge et l'isolement de Mme C..., établi le 17 octobre 2019 à l'issue de son orientation au centre d'accueil des demandeurs d'asile de Liévin, que le récit fait par l'intéressée, en ce qui concerne la nationalité congolaise de ses deux parents et les circonstances qui l'ont conduite à voyager munie d'un passeport gabonais déclinant une nationalité gabonaise et une naissance le 7 mars 2003, permettent de rendre crédibles la date de naissance et la nationalité congolaise mentionnées dans les extraits d'acte de naissance qu'elle a produit à l'appui de sa demande de titre de séjour. Ce faisant, elle doit être regardée comme justifiant suffisamment de son identité.

8. Dans ces circonstances particulières, et alors que l'intéressée s'est constamment présentée sous le nom de Mme A... C..., née en 2003 à Libreville, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, le préfet du Pas-de-Calais a fait une inexacte application des dispositions des articles R. 431-10 et L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en rejetant la demande de titre de séjour de Mme C... au motif qu'il existait un doute quant à son identité et à sa nationalité.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 24 mars 2022 et lui a enjoint de statuer à nouveau sur la demande de titre de séjour présentée par Mme C....

Sur les frais liés au litige :

10. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Weppe, avocate de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Weppe de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet du Pas-de-Calais est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Weppe une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Weppe renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Daphné Weppe.

Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 19 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guerin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M-P. Viard

Le greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

F. Cheppe

N° 23DA00665 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00665
Date de la décision : 02/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : WEPPE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-02;23da00665 ?
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