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09/04/2024 | FRANCE | N°22DA00022

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 09 avril 2024, 22DA00022


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... E... et le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) des Millais ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite du 30 décembre 2018 par laquelle le préfet de la région Normandie a autorisé l'EARL B... à exploiter la parcelle ZA 46 d'une superficie de 8 ha, 42 a et 60 ca située sur le territoire de la commune de Flancourt-Crescy-en-Roumois, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux.



Par un jugemen

t n° 1901138-2001619 du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur dema...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... et le groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) des Millais ont demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision implicite du 30 décembre 2018 par laquelle le préfet de la région Normandie a autorisé l'EARL B... à exploiter la parcelle ZA 46 d'une superficie de 8 ha, 42 a et 60 ca située sur le territoire de la commune de Flancourt-Crescy-en-Roumois, ensemble le rejet implicite de leur recours gracieux.

Par un jugement n° 1901138-2001619 du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 janvier 2022 et 18 février 2023, M. C... E... et le GAEC des Millais, représentés par Me Sophie Hubert, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision implicite d'autorisation d'exploitation, ainsi que la décision de rejet de leur recours gracieux ;

3°) de rejeter les demandes de l'EARL B... ;

4°) et de mettre à la charge de l'EARL B... une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur demande n'est pas forclose ;

- le jugement ne pouvait se fonder sur un calcul de l'excédent brut d'exploitation (EBE) non versé aux débats ;

- la décision tacite d'autorisation d'exploiter a été prise sur le fondement d'un dossier de demande d'autorisation d'exploiter et d'un calcul de l'excédent brut d'exploitation qui ne leur ont jamais été communiqués, en violation du principe d'égalité des armes résultant des stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le calcul de l'EBE figurant dans le mémoire du 1er février 2023 est erroné et, sans cette erreur, ce calcul aurait été favorable au GAEC des Millais ;

- l'autorisation d'exploiter ne pouvait pas, sans être entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une méconnaissance de l'article 5 du schéma directeur des structures agricoles de la région Haute-Normandie et de l'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime, être accordée à l'EARL B... dont M. B... est le seul associé, car la reprise litigieuse porterait la superficie exploitée de 153,5 ha à 161,936 ha, soit une surface par actif exploitant supérieur à 150 ha constitutive d'un agrandissement excessif ;

- l'autorisation litigieuse entraînerait le démembrement d'un îlot de 23 hectares de cultures ;

- l'opération compromet la viabilité de l'exploitation du preneur en place, provoquant une perte de revenus alors que le GAEC des Millais emploie 5 UTA, et que plusieurs jeunes doivent entrer dans l'exploitation agricole à l'avenir ;

- la demande indemnitaire pour procédure abusive est infondée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2022, M. A... B..., exploitant de l'EARL B..., représenté par Me Nelly Leroux-Bostyn, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de condamner M. E... à lui verser une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, au titre de l'article R. 741-12 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge de M. E... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la demande introductive d'instance n° 2001619 était irrecevable car tardive, et que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- l'arrêté du 22 décembre 2015 relatif au schéma directeur régional des structures agricoles de la région Haute-Normandie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marc Baronnet, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Sophie Hubert, représentant M. E... et le GAEC des Millais.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... E... est associé exploitant du GAEC des Millais, qui exploitait la parcelle cadastrée ZA 46 située sur le territoire de la commune de Flancourt-Crescy-en-Roumois d'une superficie de 8 ha 43 a et 60 ca, parcelle objet d'un bail rural dont bénéficiait M. E... et qui a été mis à disposition du GAEC. M. B..., propriétaire de la parcelle, a délivré congé à M. E..., par exploit du 23 octobre 2017, avec prise d'effet au 28 septembre 2019. Le 30 août 2018, l'EARL B... a demandé au préfet de la région Normandie une autorisation d'exploiter la parcelle cadastrée ZA 46. En l'absence de réponse expresse à cette demande, une autorisation tacite est née le 31 décembre 2018. Par un courrier du 15 janvier 2019, la préfète de la région Normandie a informé le GAEC des Millais de ce que l'EARL B... détenait, depuis le 31 décembre 2018, une autorisation tacite d'exploiter, que M. E... et le GAEC des Millais ont contestée d'une part par un recours contentieux introduit le 8 mars 2019 au tribunal administratif de Caen et transmis par ordonnance du 28 mars 2019 au tribunal administratif de Rouen qui l'a enregistré sous le n° 1901138, et d'autre part par un recours gracieux notifié le 13 janvier 2020 suivi d'un second recours contentieux enregistré sous le n° 2001619 introduit le 7 mai 2020. Par un jugement du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Rouen a joint ces deux recours contentieux et les a rejetés.

Sur la régularité du jugement :

2. En motivant sa décision, au point 9, par la circonstance qu'il " ressort des pièces du dossier que la comparaison du calcul de l'excédent brut d'exploitation à laquelle s'est livrée la commission départementale d'orientation et de l'agriculture était favorable à l'EARL B... ", le tribunal administratif de Rouen ne s'est pas fondé sur une pièce qui n'aurait pas été communiquée aux requérants, mais s'est borné à faire référence à un motif consigné dans le procès-verbal de la réunion du 29 novembre 2018 de la commission départementale d'orientation de l'agriculture figurant en page 3 de la pièce n° 4 jointe au mémoire du 14 juin 2021 du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la recevabilité des demandes :

3. Aux termes de l'article R. 331-4 du code rural et de la pêche maritime : " (...) Si la demande porte sur des biens n'appartenant pas au demandeur, celui-ci doit justifier avoir informé par écrit de sa candidature le propriétaire. (...) Le service chargé de l'instruction fait procéder à la publicité de la demande d'autorisation d'exploiter dans les conditions prévues à l'article D. 331-4-1. Cette publicité porte sur la localisation des biens et leur superficie, ainsi que sur l'identité des propriétaires ou de leurs mandataires et du demandeur (...) ". Aux termes de l'article D. 331-4-1 de ce code : " (...) Les demandes d'autorisation d'exploiter sont affichées pendant un mois à la mairie des communes où sont situés les biens qui font l'objet de la demande et publiées sur le site de la préfecture chargée de l'instruction (...) ". Aux termes de l'article R. 331-6 de ce code : " I. Le préfet de région dispose d'un délai de quatre mois à compter de la date d'enregistrement du dossier complet mentionnée dans l'accusé de réception pour statuer sur la demande d'autorisation. (...) III. Le préfet de région notifie sa décision aux demandeurs, aux propriétaires et aux preneurs en place par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise contre récépissé. Cette décision fait l'objet d'un affichage à la mairie de la commune sur le territoire de laquelle sont situés les biens. Elle est publiée au recueil des actes administratifs. / À défaut de notification d'une décision dans le délai de quatre mois à compter de la date d'enregistrement du dossier ou, en cas de prorogation de ce délai, dans les six mois à compter de cette date, l'autorisation est réputée accordée. En cas d'autorisation tacite, une copie de l'accusé de réception mentionné à l'article R. 331-4 est affichée et publiée dans les mêmes conditions que l'autorisation expresse ".

4. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

5. La décision d'autorisation née le 31 décembre 2018 étant une décision tacite, elle n'a nécessairement pas été assortie de la mention des voies et délais de recours. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'affichage du récépissé de la demande d'autorisation d'exploiter à compter du 7 janvier 2019 à la mairie de Flancourt-Crescy-en-Roumois, ni la publication de ce récépissé au recueil des actes administratifs de la préfecture de Normandie le 11 janvier 2019, ni la lettre de la préfète de la région Normandie datée du 15 janvier 2019 adressée aux requérants les informant de la naissance de l'autorisation tacite d'exploiter, aient comporté une quelconque mention relative aux voies et délais de recours. Par suite, si le recours gracieux du 13 janvier 2020 doit être regardé, en l'absence de circonstances particulières, comme tardif, ayant été introduit plus d'un an après la publication du 7 janvier 2019 en mairie et la publication du 11 janvier 2019 au recueil des actes administratifs à la suite desquelles les requérants sont réputés avoir eu connaissance de la naissance de la décision implicite du 31 décembre 2018, la demande introductive d'instance du 8 mars 2019 (n° 1901138) n'était quant à elle pas tardive. Par conséquent, si la demande introductive d'instance n° 2001619 doit être rejetée comme irrecevable car tardive, la demande introductive d'instance n° 1901138 est, contrairement à ce que soutient M. B..., recevable.

En ce qui concerne l'absence de communication de documents :

6. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) ". Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de l'égalité des armes tel que garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales est sans incidence sur la solution du présent litige, ni la commission départementale d'orientation de l'agriculture ni la préfète de la région Normandie ne constituant un tribunal au sens de ces stipulations.

En ce qui concerne l'analyse des critères d'appréciation de la demande d'autorisation :

7. Aux termes de l'article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime : " III. (...) Les critères d'appréciation de l'intérêt économique et environnemental d'une opération, en fonction desquels est établi l'ordre des priorités, sont les suivants : 1° La dimension économique et la viabilité des exploitations agricoles concernées (...) IV. Le schéma directeur régional des exploitations agricoles fixe les critères servant à l'appréciation de la dimension économique et de la viabilité des exploitations concernées par la demande d'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2. Il précise les critères au regard desquels une opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d'exploitations excessifs de nature à diminuer la diversité des productions et le nombre d'emplois des exploitations concernées pour l'application de l'article L. 331-1 et du 3° du I de l'article L. 331-3-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 331-1 de ce code : " Le contrôle des structures des exploitations agricoles s'applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d'une exploitation agricole, quels que soient la forme ou le mode d'organisation juridique de celle-ci et le titre en vertu duquel la mise en valeur est assurée. / L'objectif principal du contrôle des structures est de favoriser l'installation d'agriculteurs, y compris ceux engagés dans une démarche d'installation progressive. / Ce contrôle a aussi pour objectifs de : 1° Consolider ou maintenir les exploitations afin de permettre à celles-ci d'atteindre ou de conserver une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles ; 2° Promouvoir le développement des systèmes de production permettant de combiner performance économique et performance environnementale, dont ceux relevant du mode de production biologique au sens de l'article L. 641-13, ainsi que leur pérennisation ; 3° Maintenir une agriculture diversifiée, riche en emplois et génératrice de valeur ajoutée, notamment en limitant les agrandissements et les concentrations d'exploitations au bénéfice, direct ou indirect, d'une même personne physique ou morale excessifs au regard des critères précisés par le schéma directeur régional des exploitations agricoles ". Aux termes de l'article L. 331-3-1 du même code : " I. L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; 2° Lorsque l'opération compromet la viabilité de l'exploitation du preneur en place ; 3° Si l'opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d'exploitations au bénéfice d'une même personne excessifs au regard des critères définis au 3° de l'article L. 331-1 et précisés par le schéma directeur régional des structures agricoles en application de l'article L. 312-1, sauf dans le cas où il n'y a pas d'autre candidat à la reprise de l'exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place (...) ".

8. Aux termes de l'article 3 du schéma directeur des structures agricoles de la région Haute-Normandie : " Les autorisations d'exploiter sont délivrées selon un ordre de priorité établi en prenant en compte : la nature de l'opération, au regard des objectifs du contrôle des structures et des orientations définies par le présent schéma ; l'intérêt économique et environnemental de l'opération, selon les critères tels que définis à l'article 5. / En application des articles L. 331-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime, les priorités sont définies comme suit : 1- installation aidée, dans la limite, après reprise, de 1,5 fois le seuil de viabilité défini en article 5 ; 2- maintien et consolidation d'une exploitation existante, notamment dans le cas d'une installation progressive (...) ; 3- réinstallation d'un exploitant suite à une expropriation ou une éviction remettant en cause la viabilité de l'exploitation (...) ; 4- autre installation, aidée ou non ; autre réinstallation ; 5- agrandissement non excessif, au sens de l'article 5 (...) Au regard de l'article L. 331-3-1 susvisé : En cas de demandes relevant d'un même rang de priorité, l'autorité administrative compétente pourra s'appuyer sur les orientations listées dans l'article 2 et les critères définis par l'article 5 permettant de départager les demandes entre elles et de dégager celles qui seront plus prioritaires (...) ". L'article 5 du même schéma dispose que : " 1) Les critères d'appréciation de l'intérêt économique et environnemental énoncés à l'article L. 312-1 sont : 1 - la dimension économique et la viabilité des exploitations agricoles concernées (...). La dimension économique visée au 1° sera appréhendée au travers d'un EBE potentiel par actif, calculé comme décrit en annexe au présent arrêté, afin de départager les dossiers de même rang de priorité. 2) Pour l'application, notamment de l'article L. 331-1 1°, la dimension économique viable d'une exploitation à encourager est défini par : - un critère de surface de 70 ha par UTA. 3) Les agrandissements et concentrations d'exploitations excessifs. Seront considérés comme excessifs au sens de l'article L. 312-1 les agrandissements et concentrations d'exploitation conduisant après reprise à une surface par actif exploitant supérieure à 150 ha ou à une surface d'exploitation supérieure à 300 ha ".

9. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'il est saisi de demandes d'autorisation concurrentes par un preneur en place ou un candidat à la reprise répondant à des ordres de priorités différents au regard des prescriptions du schéma directeur régional, le préfet fait en principe application de l'ordre de priorité fixé par le schéma pour rejeter la demande placée à un ordre de priorité inférieur. Il peut toutefois délivrer une autorisation concurrente à une demande de rang inférieur si l'intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du schéma directeur, le justifient.

10. En premier lieu, le moyen tiré de ce que l'autorisation litigieuse entraînerait le démembrement d'un îlot de 23 hectares de cultures manque en fait, dès lors que le restant de l'îlot demeure d'un seul tenant et accessible.

11. En deuxième lieu, la circonstance que plusieurs jeunes agriculteurs seraient susceptibles de rejoindre l'exploitation à l'avenir est, compte tenu de son caractère ultérieur et éventuel, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, qui s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise.

12. Cependant, en troisième lieu, il résulte tant du procès-verbal de la réunion du 29 novembre 2018 de la commission départementale d'orientation de l'agriculture que des écritures en défense que la décision en litige est principalement motivée par le calcul de l'excédent brut d'exploitation par unité de travail humain (EBE / UTH) qui serait favorable à M. B.... Or, il ressort des pièces du dossier que ce calcul est erroné, dès lors que les requérants avaient déclaré non pas 3 UTH dans leurs observations du 28 novembre 2018, ainsi que le soutient le ministre chargé de l'agriculture, mais 5 UTH. Si ce chiffre doit être ramené à 4,2 UTH, compte tenu de la présence de trois associés (3 UTH), d'une conjointe collaboratrice (0,5 UTH) et d'un salarié (0,7 UTH), il ressort des pièces du dossier, et notamment du calcul figurant dans le mémoire du 18 février 2023 qui n'est pas sérieusement contesté, que les EBE par UTH des requérants d'une part, et du défendeur d'autre part, étaient respectivement de 35336,3 et de 40763,5. Le calcul de l'EBE par UTH était donc défavorable à M. B....

13. En quatrième lieu, si le ministre chargé de l'agriculture fait valoir que la surface d'exploitation de M. B... demeure inférieure au seuil de 300 hectares, l'autorisation en litige d'exploiter une parcelle de 8 ha 43 a et 60 outre les 146 hectares déjà exploités porte sa surface par actif exploitant au-delà du seuil de 150 hectares par exploitant, M. B... étant exploitant unique. En revanche, l'autorisation en litige d'exploiter une parcelle de 8 ha 43 a et 60 outre les 410 hectares déjà exploités par le GAEC des Millais composé de trois associés, conduit à une surface inférieure à 140 hectares par actif exploitant. Il résulte de ce qui précède que l'autorisation d'exploiter la parcelle en cause conduit au franchissement du seuil de l'agrandissement excessif pour M. B..., alors que le GAEC des Millais demeure en-deçà.

14. Alors même que d'une part les dispositions de l'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime donnent au préfet une faculté et non une obligation de refuser l'autorisation d'exploiter et que d'autre part M. B... est propriétaire de la parcelle en cause, compte tenu de la situation respective des deux exploitations au regard du calcul de l'EBE par UTH et du seuil d'agrandissement excessif, en l'absence de circonstances particulières ou tenant à l'intérêt général qui le justifieraient, la préfète de la région Normandie ne pouvait, sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, délivrer à M. B... une autorisation tacite d'exploiter la parcelle en cause.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté leur demande d'annulation de la décision implicite du 31 décembre 2018.

Sur la demande indemnitaire de M. B... :

16. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ".

17. M. B... ne peut utilement fonder une demande indemnitaire sur les dispositions de l'article R. 741-12 du code de justice administrative. En tout état de cause, les requérants obtenant l'annulation de la décision du 31 décembre 2018, leur recours en excès de pouvoir ne peut être regardé comme ayant un quelconque caractère abusif.

Sur les frais liés au litige :

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'EARL B... une somme globale de 2 000 euros à verser à M. E... et au GAEC des Millais au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. E....

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 9 novembre 2021 et la décision implicite d'autorisation d'exploiter du 31 décembre 2018 sont annulés.

Article 2 : L'EARL B... versera à M. C... E... et au GAEC des Millais une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de M. B..., exploitant de l'EARL B..., sont rejetées.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E..., au GAEC des Millais, au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à l'EARL B....

Copie en sera adressée au préfet de la région Normandie.

Délibéré après l'audience publique du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Nathalie Massias, présidente de la cour,

M. Marc Baronnet, président-assesseur,

M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : M. D...La présidente de la cour,

Signé : N. Massias

La greffière,

Signé : A-S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière

2

N°22DA00022


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22DA00022
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Massias
Rapporteur ?: M. Marc Baronnet
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : SELARL BONTE ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;22da00022 ?
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