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11/04/2024 | FRANCE | N°23DA00573

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 4ème chambre, 11 avril 2024, 23DA00573


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... et Mme E... C... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013, dans la catégorie des plus-values de cession de biens immobiliers, ainsi que des pénalités correspondantes.



Par un jugement n° 1710316 du 19 mai 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté ce

tte demande.



Procédure devant la cour avant renvoi :



Par une requête et des mém...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme E... C... épouse D... ont demandé au tribunal administratif de Lille de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013, dans la catégorie des plus-values de cession de biens immobiliers, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1710316 du 19 mai 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour avant renvoi :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 août 2020, le 13 mai 2022, le 10 juin 2022, le 30 août 2022, le 21 octobre 2022 et le 4 novembre 2022, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, M. et Mme D..., représentés par Me Stienne-Duwez, demandent à la cour d'annuler ce jugement et de prononcer, à titre principal, la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales en litige, à titre subsidiaire, une réduction de ces impositions et contributions.

Ils soutiennent que :

- la requête n'est pas tardive ;

- l'absence de reprise de la partie de la plus-value correspondant à la période séparant l'acquisition du bien et l'inscription de celui-ci à l'actif professionnel de M. D... dans le cadre de la vérification de comptabilité dont cette activité a fait l'objet les a privés des garanties liées au recours hiérarchique et à la possibilité recueillir l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;

- la méthode retenue par l'administration pour déterminer la valeur du bien, qui consiste en une règle de proportionnalité ne prenant pas en compte l'existence de différentes constructions, est erronée ;

- la valeur de la parcelle cédée s'établit à 258 000 euros, soit le prix convenu dans le compromis de vente, ou, à tout le moins, en tenant compte d'une pondération, à 195 909 euros ;

- à titre subsidiaire, la valeur d'inscription du bien à l'actif inclut le montant des travaux réalisés, qui, en conséquence, n'ont pas fait l'objet d'une déduction à titre professionnel, compte-tenu de leur immobilisation ; ils justifient avoir acquitté au moyen de leurs comptes bancaires personnels des travaux à hauteur d'une somme de 131 717,16 euros dont il devait être tenu compte en majoration du prix d'acquisition ;

- M. D... ne peut pas être regardé comme ayant, antérieurement à l'année 2008, date à laquelle il a opté pour le régime simplifié, exercé, à titre professionnel, l'activité de loueur de locaux meublés, de sorte que les dispositions de l'article 151 sexies du code général des impôts ne sont pas applicables ; en conséquence, ils sont fondés à se prévaloir des énonciations des paragraphes n°460 et n°480 de la documentation administrative publiée sous la référence BOI-BIC-CHAMP-40-20, qui préconisent l'imposition de la plus-value de cession suivant le seul régime applicable à l'activité du cédant au jour de la cession.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 décembre 2020, et par des mémoires, enregistrés le 30 mai 2022, le 13 juin 2022 et le 16 septembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- il appartient à la cour de s'assurer que la requête n'est pas tardive ;

- les moyens soulevés par M. et Mme D... ne sont pas fondés.

Par un arrêt n° 20DA01187 du 30 juin 2022, la cour administrative d'appel de Douai, saisie par M. et Mme D..., a prescrit avant dire droit un supplément d'instruction aux fins, pour les requérants, de produire dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de cet arrêt, les relevés de compte bancaire se rapportant aux opérations détaillées dans le tableau joint à leurs dernières écritures, ainsi que les éléments de nature à justifier que ces opérations se rapportent bien à la parcelle dont la plus-value de cession fait l'objet des impositions contestées, et, pour le ministre, de produire, dans le même délai, les factures fournies par M. et Mme D... en ce qui concerne ces travaux.

Par une décision n° 467175 du 31 mars 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi par M. et Mme D..., a annulé cet arrêt avant dire droit du 30 juin 2022 et a renvoyé l'affaire à la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 23DA00573.

Par un arrêt n° 20DA01187 du 17 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Douai a réduit le montant de la plus-value de cession de biens immobiliers à raison de laquelle M. et Mme D... ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contribution sociale au titre de l'année 2013 à concurrence de la prise en compte d'une valeur d'acquisition de la parcelle en litige, y compris travaux, de 122 803,46 euros, a prononcé la réduction correspondante de ces impositions, a réformé le jugement en ce qu'il avait de contraire et a rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par M. et Mme D....

Par une décision n° 470602 du 18 octobre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi par M. et Mme D..., a annulé cet arrêt du 17 novembre 2022 et a renvoyé l'affaire à la cour, où elle a été enregistrée sous le n° 23DA01972.

Procédures devant la cour après renvoi de l'affaire :

I. Dans l'instance n° 23DA00573, par des mémoires, enregistrés le 23 mai 2023 et le 21 juillet 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens.

Il soutient, en outre, qu'à défaut d'éléments que seuls M. et Mme D... sont en mesure de produire, le rapport d'expertise qu'ils versent au débat étant dénué de pertinence, le service a déterminé au mieux la valeur d'acquisition de la parcelle litigieuse, de sorte qu'il convient de confirmer la pertinence d'une valeur de 44 128 euros.

Par des mémoires, enregistrés le 2 juin 2023 et le 5 janvier 2024, M. et Mme D..., représentés par Me Stienne-Duwez, concluent aux mêmes fins.

Ils soutiennent, en outre, que :

- ils sollicitent, en dernier lieu, que la valeur d'acquisition de la parcelle litigieuse soit fixée à la somme de 161 000 euros, conformément à l'évaluation faite par un expert qu'ils ont mandaté et qui s'est fondé, pour procéder à cette évaluation, sur des cessions de biens immobiliers antérieures à l'acte d'acquisition du 2 janvier 2002 ;

- M. D... ayant la qualité de loueur en meublé non professionnel en 2008, voire en 2009, les gîtes en litige ne peuvent pas être regardés comme relevant du régime des biens migrants, de sorte que le service ne pouvait pas appliquer le régime prévu à l'article 151 sexies du code général des impôts ;

- l'absence d'application du régime des biens migrants conduit à qualifier la plus-value réalisée de plus-value professionnelle et non de plus-value privée de sorte qu'elle devait être reprise au titre de la vérification de comptabilité et était éligible à l'interlocution ainsi qu'au recours à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.

Un courrier du 13 décembre 2023 a informé les parties, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa des articles R. 613-1 et R. 613-2 de ce code.

Par une ordonnance du 25 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire présenté par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a été enregistré le 6 février 2024, postérieurement à la clôture d'instruction, et n'a pas été communiqué en application de l'article R. 613-3 du code de justice administrative.

II. Dans l'instance n° 23DA01972, un courrier du 29 novembre 2023 a informé les parties, en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa des articles R. 613-1 et R. 613-2 de ce code.

Par une ordonnance du 25 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, président-assesseur,

- les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public,

- et les observations de Me Guey-Balgairies, substituant Me Stienne-Duwez, représentant M. et Mme D....

Des notes en délibéré, présentées pour M. et Mme D... dans les instances nos 23DA00573 et 23DA01972, ont été enregistrées le 4 avril 2024.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. M. et Mme D... ont acquis le 2 janvier 2002, pour un prix hors mobilier de 557 964 euros, un terrain situé à Lambersart, couvrant une surface totale de 3 553 m2, sur laquelle étaient bâtis une maison principale et plusieurs dépendances. L'une de ces dépendances a fait l'objet de travaux en vue d'y aménager cinq gîtes et des parties communes. M. D... a progressivement inscrit, entre 2008 et 2011, les différents lots composant cette dépendance à l'actif de son entreprise individuelle de loueur de locaux meublés, pour une valeur totale de 430 000 euros. Le bâtiment abritant cette dépendance a ensuite été vendu le 6 août 2013, avec son terrain d'assiette d'une surface de 281 m2, l'ensemble composant, à la suite d'une division parcellaire, la parcelle cadastrée AN 441.

2. Ayant estimé qu'en raison de l'inscription du bien cédé à l'actif de l'entreprise individuelle de location de meublés exploitée par M. D..., la plus-value réalisée à l'occasion de cette vente était de nature professionnelle et qu'elle était exonérée en application des dispositions de l'article 151 septies du code général des impôts, M. et Mme D... n'ont procédé à aucune déclaration à ce titre. Mais à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur l'activité de loueur en meublé de M. D..., suivie d'un contrôle sur pièces de la situation fiscale personnelle de M. et Mme D..., l'administration a remis partiellement en cause cette exonération. L'administration a estimé que la part de la plus-value de cession correspondant à la différence entre le montant pour lequel le bien avait été inscrit à l'actif de l'entreprise individuelle de M. D..., soit 430 000 euros, et son prix de revient, qu'elle a évalué à 44 128 euros, devait être regardée non comme une plus-value professionnelle, mais comme une plus-value imposable entre les mains de M. et Mme D... selon le régime des plus-values de particuliers en application de l'article 151 sexies du code général des impôts. Les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales en résultant ont été mis en recouvrement pour un montant de 174 974 euros, intérêts de retard et majoration de 10 % compris.

3. Par un jugement du 19 mai 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de M. et Mme D... tendant à la décharge de ces impositions.

4. La cour, après avoir ordonné, par un jugement avant dire droit du 30 juin 2022, un supplément d'instruction sur la prise en compte des travaux entrepris par les contribuables antérieurement à l'inscription des biens en litige à l'actif de l'entreprise individuelle de M. D..., a jugé, par un arrêt du 17 novembre 2022, que, pour calculer le prix de revient des biens en litige, le prix d'acquisition initial de 44 128 euros devait être majoré d'un montant de travaux de 78 675,46 euros. La cour a ainsi réduit la plus-value soumise à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales entre les mains des époux D... au titre de 2013 à concurrence de la prise en compte d'un prix de revient des biens cédés de 122 803,46 euros, a réduit en conséquence les impositions en litige, a réformé le jugement du tribunal administratif de Lille en ce qu'il avait de contraire à cet arrêt et a rejeté le surplus des conclusions de l'appel formé par M. et Mme D....

5. Par deux décisions des 31 mars 2023 et 18 octobre 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi par M. et Mme D..., a annulé respectivement l'arrêt avant dire droit du 30 juin 2022 et l'arrêt du 17 novembre 2022 et a renvoyé le jugement de l'affaire à la cour, où elle a été enregistrée sous deux instances, portant les nos22DA00573 et 22DA01972, qu'il y a lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête :

6. En premier lieu, aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 à R. 751-4-1 (...) ". L'article R. 751-3 du même code dispose : " Sauf disposition contraire, les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause et adressées à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sans préjudice du droit des parties de faire signifier ces décisions par acte d'huissier de justice (...) ".

7. Toutefois, l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions administratives, applicable aux juridictions administratives durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire en vertu de l'article 2 de cette ordonnance dispose : " Lorsqu'une partie est représentée par un avocat, la notification prévue à l'article R. 751-3 du code de justice administrative est valablement accomplie par l'expédition de la décision à son mandataire (...) ".

8. En deuxième lieu, le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus, date de la publication de la loi du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire.

9. En application des dispositions combinées de l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 et des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, les appels contre les décisions des tribunaux administratifs qui auraient dû être accomplis pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire seront réputés avoir été faits à temps s'ils ont été effectués dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. Ces dispositions sont applicables aux délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

10. Il résulte des pièces du dossier de première instance, en particulier du document intitulé " accusé de réception d'un courrier du greffe ", que le jugement attaqué a été notifié le 19 mai 2020 au conseil de M. et Mme D... alors que le régime de l'état d'urgence sanitaire était encore en vigueur. Cette notification mentionnait le délai d'appel de deux mois ainsi que les dispositions précitées de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020. Or la requête d'appel de M. et Mme D... a été enregistrée le 6 août 2020, soit avant l'expiration du délai de recours prorogé dans les conditions rappelées ci-dessus, n'est pas tardive. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par le ministre doit être écartée.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

11. Il résulte de l'instruction que M. D... a procédé, au cours de la période couvrant les années 2008 à 2011, à l'inscription progressive, à l'actif de son activité individuelle de loueur de locaux meublés, de certains des biens immobiliers qu'il avait conjointement acquis avec son épouse le 2 janvier 2002, dans lesquels ils avaient fait aménager des locaux meublés, ainsi que des dépendances de ceux-ci. Cette inscription, qui a la nature d'une décision de gestion, est opposable à M. et Mme D.... Ainsi, l'administration était fondée à estimer que la plus-value résultant de la cession de la parcelle cadastrée AN 441 revêtait une nature professionnelle en tant qu'elle se rapportait à la période postérieure à l'inscription, à cet actif, des biens correspondants, et une nature personnelle en tant qu'elle se rapportait à la période antérieure, comprise entre l'acquisition du fonds et cette inscription.

12. Par suite, le moyen tiré de ce qu'en examinant pas, dans le cadre de la vérification de comptabilité dont a fait l'objet l'activité de loueur de meublés exercée, à titre individuel, par M. D..., la question de l'évaluation de la part personnelle de la plus-value de cession, l'administration aurait privé M. et Mme D... des garanties que la loi accorde aux contribuables qui font l'objet d'une vérification de comptabilité ne peut qu'être écarté, la question à laquelle les appelants font référence étant, par nature, étrangère à l'examen critique de la comptabilité de l'activité individuelle exercée par M. D....

13. Pour le même motif, M. et Mme D... ne peuvent utilement soutenir, à l'appui de leur critique de la régularité de la procédure d'imposition mise en œuvre à leur égard en ce qui concerne la part personnelle de la plus-value de cession, qu'ils n'ont pas eu la possibilité de discuter de cette question avec l'interlocuteur départemental en méconnaissance des dispositions, applicables en cas de vérification de comptabilité, de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales et de la charte du contribuable vérifié, dans le cadre du recours que M. D... a exercé à la suite de la vérification de comptabilité dont son activité individuelle a fait l'objet, la circonstance que le supérieur hiérarchique du vérificateur, qui l'a reçu dans le même cadre, ait accepté d'examiner cette question demeurant sans incidence à cet égard.

14. Enfin, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires étant incompétente pour connaître des plus-values immobilières réalisées par les particuliers, dès lors que ce point ne relève pas du domaine de compétence défini, pour cette commission, par l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales, M. et Mme D... ne peuvent utilement soutenir qu'ils auraient été privés de la possibilité de soumettre cette même question à l'avis de cette commission.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

15. Aux termes du I de l'article 151 sexies du code général des impôts : " La plus-value réalisée dans le cadre d'une activité agricole, artisanale, commerciale, industrielle ou libérale est calculée, si le bien cédé a figuré pendant une partie du temps écoulé depuis l'acquisition dans le patrimoine privé du contribuable, suivant les règles des articles 150 U à 150 VH, pour la partie correspondant à cette période (...) ". Aux termes du I de l'article 74 SG de l'annexe II au code général des impôts : " Lorsque le bien ou le droit cédé a fait partie du patrimoine privé du cédant avant d'être inscrit à l'actif d'une entreprise, la plus-value imposable au titre des articles 150 U à 150 UB du code général des impôts est déterminée par différence entre la valeur d'inscription à l'actif au jour de cette inscription et le prix d'acquisition du bien ".

16. Aux termes du I de l'article 150 U de ce code : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices agricoles et aux bénéfices non commerciaux, les plus-values réalisées par les personnes physiques ou les sociétés ou groupements qui relèvent des articles 8 à 8 ter, lors de la cession à titre onéreux de biens immobiliers bâtis ou non bâtis ou de droits relatifs à ces biens, sont passibles de l'impôt sur le revenu dans les conditions prévues aux articles 150 V à 150 VH ".

17. L'article 150 V du code général des impôts dispose que : " La plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits mentionnés aux articles 150 U à 150 UC est égale à la différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition par le cédant ". Aux termes du I de l'article 150 VA de ce code : " Le prix de cession à retenir est le prix réel tel qu'il est stipulé dans l'acte. (...) ". Aux termes de l'article 150 VB du même code : " I. - Le prix d'acquisition est le prix effectivement acquitté par le cédant, tel qu'il est stipulé dans l'acte, étant précisé que ce prix s'entend de l'existant et des travaux dans le cas d'une acquisition réalisée selon le régime juridique de la vente d'immeuble à rénover. (...) II. - Le prix d'acquisition est, sur justificatifs, majoré : (...) 4° Des dépenses de construction, de reconstruction, d'agrandissement ou d'amélioration, supportées par le vendeur et réalisées par une entreprise depuis l'achèvement de l'immeuble ou son acquisition si elle est postérieure, lorsqu'elles n'ont pas été déjà prises en compte pour la détermination de l'impôt sur le revenu et qu'elles ne présentent pas le caractère de dépenses locatives. Lorsque le contribuable, qui cède un immeuble bâti plus de cinq ans après son acquisition, n'est pas en état d'apporter la justification de ces dépenses, une majoration égale à 15 % du prix d'acquisition est pratiquée. (...) ".

S'agissant de la détermination de la valeur d'acquisition de la parcelle cédée :

18. Il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 20 juin 2016, que, pour retenir un prix de revient de 44 128 euros de la parcelle AN 441 détachée de l'ensemble immobilier acquis en 2002 par M. et Mme D..., en vue de la détermination de la fraction de la plus-value de cession de ce bien correspondant à la période, comprise entre son acquisition et son inscription à l'actif professionnel de M. D..., pendant laquelle il est demeuré dans patrimoine privé de ce dernier, l'administration s'est bornée à appliquer au prix total d'acquisition de ce bien, soit 557 964 euros, le rapport entre la superficie de cette parcelle, soit 281 m², et les 3 553 m² de surface totale du terrain d'assiette de l'ensemble immobilier initial.

19. Toutefois, la méthode ainsi mise en œuvre par l'administration et contestée par M. et Mme D..., ne tient pas compte de la différence de nature des constructions présentes sur le terrain initial ni de la part prépondérante du bâti dans le prix d'acquisition et ne permet pas, dans ces conditions, de traduire fidèlement le prix de revient de la parcelle cédée.

20. M. et Mme D... font valoir, dans le dernier état de leurs écritures, que le prix de revient de la parcelle AN 441 doit être évalué, à la date de son acquisition le 2 janvier 2002, à la somme de 161 000 euros. A cet égard, ils produisent une étude, réalisée le 3 janvier 2024 par un expert en immobilier, qui précise que la parcelle en question, d'une contenance de 281 m² et avec une faible superficie non bâtie, supportait, le 2 janvier 2002, un bâtiment à usage de dépendances et de garages, doté de combles aménageables et d'une pièce indépendante, d'une surface au sol de 145 m² et pour lequel des travaux de rénovation étaient à prévoir.

21. Pour évaluer à 161 000 euros le prix de revient de cette parcelle, l'expert immobilier mandaté par M. et Mme D... a eu recours à une méthode d'évaluation par voie de comparaison, en se référant à des transactions portant sur des immeubles à usage d'habitation, et a retenu huit termes de comparaison sur des cessions d'immeubles à usage d'habitation ayant eu lieu entre le 30 juin 2000 et le 22 décembre 2001 à proximité de la parcelle en cause. Si deux des termes de comparaison retenus font état de cessions intervenues au cours de l'année 2020, cette indication erronée relève d'une simple erreur de plume dès lors qu'il résulte des autres indications de l'étude que les termes de références portent toutes sur des transactions intervenues à des dates antérieures à l'acquisition de l'ensemble immobilier le 2 janvier 2002.

22. M. et Mme D... ont également produit, le 2 juin 2023, une étude réalisée par le même expert, qui avait alors évalué le bien à la date de sa cession en 2002 à la somme de 140 000 euros en prenant, comme termes de comparaison, des cessions d'immeubles d'habitation intervenues au cours des années 2014 et 2015 et en y appliquant l'indice du prix des logements applicable en janvier 2022.

23. Si le ministre a critiqué la première étude fournie par M. et Mme D... au motif que les termes de comparaison retenus portaient sur des cessions intervenues en 2014 et 2015, de sorte qu'elle ne permettait pas de fournir une évaluation pertinente du prix de revient de la parcelle à la date de son acquisition en 2002, il n'a en revanche apporté, avant la clôture de l'instruction, aucun élément permettant de remettre en cause la pertinence de l'étude du 3 janvier 2024 fournie par M. et Mme D....

24. D'ailleurs, dans son mémoire déposé après la clôture de l'instruction, le ministre n'a lui-même invoqué aucun terme de comparaison et s'est borné à critiquer l'étude produite par M. et Mme D... au motif qu'elle conduisait à retenir un prix au m2 largement supérieur à celui que le service avait lui-même calculé en utilisant sa méthode initiale, alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 19 que cette méthode ne peut pas être admise.

25. Toutefois, ces deux études utilisent, comme termes de comparaison, non pas des immeubles à usage de garages et de dépendances, comme celui à évaluer à la date de son acquisition, mais des immeubles à usage d'habitation, dont le montant de la cession était nécessairement plus élevé.

26. Au vu des développements contenus dans l'étude du 3 janvier 2024 produite par M. et Mme D..., qui ainsi qu'il a été dit n'a pas été sérieusement critiquée par le ministre, même après la clôture de l'instruction, et de l'ensemble des autres éléments du dossier, il sera fait une juste appréciation du prix de revient de la parcelle AN 441 au 2 janvier 2002 en l'évaluant à la somme de 120 000 euros.

S'agissant de la prise en compte du coût des travaux :

27. Dans le dernier état de leurs écritures, M. et Mme D... demandent que, pour calculer, en application des articles 150 U, 150 V et 150 VB du code général des impôts, la plus-value réalisée à l'occasion de la cession des biens immobiliers en litige et imposée entre leurs mains, il soit tenu compte, dans le prix de revient de ces biens, de travaux d'amélioration, au sens des dispositions du II de l'article 150 VB du code général des impôts, d'un montant global de 131 717,16 euros et pour lesquels ils produisent des factures dont ils justifient le paiement.

28. Il n'est pas sérieusement contesté par le ministre que ces factures n'ont donné lieu à aucune déduction en charges de l'activité individuelle de loueur de meublés exercée par M. D..., les appelants confirmant, sans être contredits, que seuls les intérêts des emprunts professionnels contractés par M. D... ont fait l'objet d'une telle déduction en charges, de sorte que les dépenses correspondant à ces factures n'ont pas, par elles-mêmes, été déjà prises en compte pour la détermination de l'impôt sur le revenu, quand bien même certaines ont fait l'objet dans la comptabilité d'une inscription en immobilisation.

29. La circonstance que certaines de ces factures ont été réglées à partir du compte bancaire professionnel de M. D... demeure sans incidence sur leur prise en compte pour la détermination de la valeur d'acquisition de la parcelle cédée.

30. Toutefois, les mentions de certaines des factures produites ne permettent pas, ainsi que le relève le ministre, d'établir que les travaux correspondants ont tous été exécutés dans les dépendances bâties situées sur la parcelle cédée, ce que des attestations rédigées, près de dix années après celle en litige, par les entrepreneurs concernés ne peuvent suffire à établir.

31. Ainsi, les factures établies les 1er juin, 22 juin, 30 août et 30 octobre 2008 par la société Vecteur Cuivre, pour un montant total de 17 463,01 euros, qui se rapportent, sans précision sur le lieu de réalisation de ces travaux, à des travaux de protection de tuyauterie, à des travaux effectués dans " la chaufferie " et à des travaux de pose d'une ventilation mécanique contrôlée, ne peuvent pas être admises. Il en est de même des deux factures établies le 20 décembre 2010 par la société AD Bois pour un montant de 15 151 euros, portant, sans autre précision, sur le remplacement de menuiseries. Enfin, la facture d'un montant de 3 750 euros établie le 7 février 2011 par la société Abjat se borne à faire état de travaux en lien avec la fourniture et la pose d'un revêtement de sol, sans préciser le bâtiment concerné par ces travaux.

32. En revanche, les autres factures, dont M. et Mme D... établissent le paiement pour un montant total de 95 353,45 euros, y compris celles établies par la société AD Bois, d'une part le 20 décembre 2010 concernant la fourniture et la pose de fenêtres de toit pour 1 582 euros, de telles prestations étant induites par l'aménagement des studios, et d'autre part le 9 mars 2011 pour le remplacement de menuiseries dont les appartements concernés sont précisés, à hauteur de 2 449 euros, doivent être regardées comme correspondant à des travaux d'aménagement, éligibles, effectués sur les immeubles situés sur la parcelle cédée.

33. Dans ces conditions, il y a lieu de majorer de la somme de 95 353,45 euros le prix d'acquisition de la parcelle, qui doit être retenu, ainsi qu'il a été dit précédemment, à hauteur de la somme de 120 000 euros.

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

34. M. et Mme D... invoquent, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, les paragraphes n°460 et n°480 de la documentation administrative publiée le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-BIC-CHAMP-40-20, selon lesquels " en cas de cession d'immeuble par un contribuable ayant eu alternativement la qualité de loueur en meublé professionnel et de loueur en meublé non-professionnel, la plus-value afférente à cette cession est soumise au régime d'imposition applicable lors de la cession " et " sauf dans l'hypothèse où le bien aurait figuré successivement dans le patrimoine privé puis dans le patrimoine professionnel du loueur en meublé, l'article 151 sexies du code général des impôts n'est pas applicable en cas de cession d'un bien par une personne ayant eu successivement la qualité de loueur en meublé non professionnel et de loueur en meublé professionnel ".

35. Toutefois, M. et Mme D... ne sont pas fondés à se prévaloir des paragraphes n°460 et n°480 de l'instruction BOI-BIC-CHAMP-40-20 dès lors qu'ils ne comportent pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application par le présent arrêt.

36. Il résulte de tout ce qui précède M. et Mme D... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille ne leur a pas accordé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 et des pénalités correspondantes à concurrence de la prise en compte d'une valeur d'acquisition de la parcelle cédée de 215 353,45 euros.

DECIDE :

Article 1er : Il est accordé à M. et Mme D... une réduction de la base sur laquelle ont été établies les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013, dans la catégorie des plus-values de cession de biens immobiliers, laquelle réduction prendra en compte une valeur d'acquisition de la parcelle cédée s'élevant à 215 353,45 euros.

Article 2 : M. et Mme D... sont déchargés, dans la mesure de la réduction de base définie à l'article 1er ci-dessus, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, ainsi que des pénalités afférentes, auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013, dans la catégorie des plus-values de cession de biens immobiliers.

Article 3 : Le jugement n° 1710316 du 19 mai 2020 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme D... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... D... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera transmise à l'administratrice de l'Etat chargée de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

Délibéré après l'audience du 28 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- M. François-Xavier Pin, président-assesseur,

- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : F.-X. Pin

Le président de chambre,

Signé : M. A...La greffière,

Signé : E. Héléniak

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Elisabeth Héléniak

2

N°23DA00573, 23DA00573


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00573
Date de la décision : 11/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. François-Xavier Pin
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : STIENNE-DUWEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-11;23da00573 ?
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