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16/04/2024 | FRANCE | N°23DA01378

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 16 avril 2024, 23DA01378


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir, l'arrêté du 23 novembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la menti

on " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter du jugement, sous astrein...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir, l'arrêté du 23 novembre 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de deux mois et, en tout état de cause, de lui remettre, au plus tard dans un délai de huit jours, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à exercer une activité professionnelle.

Par un jugement n° 2300970 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 23 novembre 2022 du préfet de la Seine-Maritime et enjoint à l'autorité préfectorale territorialement compétente de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 13 juillet 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que c'est à tort que, pour annuler son arrêté du 23 novembre 2022, le tribunal a retenu la violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 janvier 2024, M. A..., représenté par Me Leroy, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 200 euros TTC, soit versée à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de sa renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que le moyen soulevé par le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé.

Par une ordonnance du 24 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 15 février 2024 à 12 heures.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 25 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant ivoirien né le 21 décembre 2002, est entré sur le territoire français le 17 mai 2017 selon ses déclarations. Il a été pris en charge par les services départementaux de l'aide sociale à l'enfance jusqu'à sa majorité et le 30 novembre 2020, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 23 novembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 4 juillet 2023, par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré sur le territoire français à l'âge de quatorze ans, accompagné de son frère âgé de treize ans et que, d'abord accueillis au domicile de leur oncle désigné tiers de confiance, ils ont ensuite fait l'objet, en raison de violences subies de la part de cet oncle, d'une mesure de placement provisoire auprès de l'aide sociale à l'enfance le 19 novembre 2018, qui a été confirmée par un jugement du tribunal judiciaire de Rouen du 11 octobre 2019. Si M. A... a d'abord rencontré de grandes difficultés dans son cursus scolaire et son apprentissage, en raison d'un bégaiement altérant ses capacités d'expression et ses relations avec les autres élèves, il ressort toutefois du certificat de scolarité délivré le 10 mai 2021 par le directeur du Centre de formation d'apprentis Marcel Sauvage que dans l'objectif d'obtenir un CAP " cuisine ", il a suivi durant vingt-trois mois, une formation par la voie d'un contrat en alternance en entreprise, du 23 septembre 2020 au 31 août 2022. Il ressort de ses bulletins scolaires qu'il a toujours obtenu de bons résultats, les professeurs soulignant notamment son assiduité, son sérieux et son implication dans son parcours de formation, à l'issue duquel il s'est vu décerner, le 1er juillet 2022, le certificat d'aptitude professionnelle dans la spécialité cuisine. Il ressort aussi des pièces du dossier que dans le cadre d'une nouvelle orientation professionnelle visant à obtenir un Bac Pro " maintenance des systèmes de production connectée " (MSPC), M. A... a pu bénéficier d'un dispositif d'accompagnement mis en place par la Chambre des métiers, lui permettant de s'inscrire dans un cursus de formation en alternance, qu'il a intégré en septembre 2022. Le caractère sérieux de son début d'apprentissage dans cette nouvelle voie professionnelle est attesté par ses relevés de notes pour le premier semestre et par le directeur de production de l'entreprise accueillant M. A... en formation par alternance, selon lequel l'élève, très bien intégré, se montre très courageux et fait les efforts nécessaires pour réussir. L'ensemble de ces éléments révèle le caractère réel et sérieux de la formation suivie par M. A... depuis son entrée sur le territoire français et sa volonté d'intégration professionnelle. En outre, il ressort des autres pièces produites par M. A..., qu'il justifie d'une insertion réelle dans la société française par la pratique sportive dans un club de football où il a tissé des liens d'amitié mais aussi par les liens sentimentaux qu'il a noué avec une ressortissante française depuis près de trois ans. En outre, les nombreuses notes d'évaluation sociale de l'association chargée de le suivre depuis la fin de l'année 2018 attestent de son bon comportement et de sa volonté de s'intégrer et de réussir, de même que des liens particuliers de proximité qu'il entretient avec son frère cadet également confié à l'ASE. Si le préfet soutient que M. A... n'est pour autant pas isolé dans son pays d'origine où réside son père, ce critère ne saurait être regardé comme déterminant. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que depuis que leur mère est décédée le 20 avril 2008, le seul autre membre de sa famille avec lequel il a des liens est son unique frère cadet, présent sur le territoire français. Par suite, au vu de l'ensemble des éléments relatifs à la vie privée et familiale de M. A..., c'est à bon droit que le tribunal a considéré qu'en refusant à l'intéressé un titre de séjour, le préfet de la Seine-Maritime a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 23 novembre 2022 et lui a enjoint de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

5. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Leroy, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Leroy de la somme de 1 000 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Leroy une somme de 1 000 euros au titre des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... A... et à Me Leroy.

Copie en sera délivrée au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 2 avril 2024 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : F. Malfoy

La présidente de chambre,

Signé : M-P. Viard

Le greffier,

Signé : F. Cheppe

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme, Pour la greffière en chef,

par délégation,

Le greffier,

F.Cheppe

No 23DA01378 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01378
Date de la décision : 16/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Frédéric Malfoy
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : LEROY

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-16;23da01378 ?
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