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14/05/1990 | FRANCE | N°89LY00729

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3e chambre, 14 mai 1990, 89LY00729


Vu l'ordonnance du président de la 6ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat en date du 2 janvier 1989 transmettant le dossier de la requête ci-après visée à la cour administrative d'appel de Lyon ;
Vu la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 24 juillet 1987 et le mémoire complémentaire enregistré le 24 novembre 1987, présentés pour la commune de Moulins par Me X... Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la cour de cassation, et tendant :
1°) à la réformation du jugement du 30 avril 1987 par lequel le tribunal a

dministratif de Clermont-Ferrand n'a que partiellement accueilli sa dem...

Vu l'ordonnance du président de la 6ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat en date du 2 janvier 1989 transmettant le dossier de la requête ci-après visée à la cour administrative d'appel de Lyon ;
Vu la requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 24 juillet 1987 et le mémoire complémentaire enregistré le 24 novembre 1987, présentés pour la commune de Moulins par Me X... Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la cour de cassation, et tendant :
1°) à la réformation du jugement du 30 avril 1987 par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand n'a que partiellement accueilli sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'Etat, de la société Sobea et de la société Pont-à-Mousson à réparer le préjudice subi par elle du fait de la destruction, lors d'une crue de l'Allier, d'une canalisation d'eau posée au fond du fleuve,
2°) à la condamnation solidaire de l'Etat, de la société Sobea et de la société Pont-à-Mousson au paiement, d'une part, de la somme de 1 857 208,80 Francs avec les intérêts à compter du 11 janvier 1982 et la capitalisation des intérêts, d'autre part, des frais d'expertise exposés en première instance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 3 avril 1990 :
- le rapport de M. Jannin, président-rapporteur ;
- et les conclusions de M. Richer, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné en première instance que la rupture, en janvier 1982, de la canalisation d'eau alimentant la ZAC "Les Champins" à Moulins a pour cause une conception défectueuse de l'ouvrage, qui avait simplement été posé au fond du lit de l'Allier et dont l'enfouissement escompté n'a pu se réaliser de façon satisfaisante tant en raison de la nature du sol alluvionnaire, qui n'était pas absolument uniforme, que du matériau choisi, la fonte ductile avec joints verrouillés, qui offrait une moindre résistance aux mouvements du fleuve qu'une canalisation en acier sans joints ; que, contrairement à ce qu'a estimé la société Sobea, entreprise chargée des travaux, dont le point de vue a été partagé par la direction départementale de l'équipement de l'Allier, maître d'oeuvre, l'importante épaisseur de sable dont était constitué le sous-sol du fleuve n'empêchait pas d'y pratiquer une fouille dans laquelle aurait pu être déposée sans risques une canalisation en fonte ductile, conformément à la suggestion initiale du devis-programme établi par la direction départementale de l'équipement ;
Sur les responsabilités :

Considérant que la rupture de la canalisation intervenue en janvier 1982, postérieurement à la réception définitive de l'ouvrage qui avait été prononcée le 20 novembre 1974, était de nature à engager la responsabilité des constructeurs envers la ville de Moulins, maître d'ouvrage, sur le seul fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ; qu'en vertu de l'article 6 du devis-programme il appartenait à l'entreprise de proposer le choix de la solution technique à retenir pour la traversée du lit de l'Allier ainsi que les matériaux susceptibles d'être utilisés ; que son attention avait été attirée sur les dispositions spéciales à prendre pour assurer le maintien en place de la canalisation, malgré les affouillements éventuels ; qu'en proposant ainsi la solution inappropriée d'une canalisation en fonte ductile avec joints verrouillés simplement posée au fond du lit du fleuve, la société Sobea a engagé sa responsabilité envers le maître de l'ouvrage ; que, pour s'en exonérer même partiellement, elle ne saurait utilement se prévaloir de ce que sa proposition a été agréée par le maître d'oeuvre ; que, cependant, la direction départementale de l'équipement de l'Allier, qui avait reçu une mission complète de maîtrise d'oeuvre, a engagé la responsabilité de l'Etat en approuvant la solution inadaptée proposée par l'entreprise, nonobstant la clause exonératoire de responsabilité décennale stipulée à son profit dans la convention qu'elle avait passée le 13 mars 1967 avec la société d'équipement du Bourbonnais, maître d'ouvrage délégué, qui doit être tenue pour nulle et de nul effet en vertu de l'article 16 de la loi du 23 décembre 1972, applicable en l'espèce alors même que la convention en cause lui est antérieure ; qu'ainsi l'imputabilité commune du sinistre à la Sobea et à l'Etat justifie que leur responsabilité soit solidairement engagée envers la ville de Moulins ; qu'il s'ensuit que la société Sobea n'est pas fondée à soutenir, par la voie du recours incident, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand l'a condamnée à réparer le préjudice subi par la ville de Moulins et que celle-ci, appelante principale, est fondée à soutenir que c'est à tort que ledit jugement a rejeté ses conclusions dirigées contre l'Etat ;
Considérant que, devant le tribunal administratif, la ville de Moulins a également demandé réparation de son préjudice à la société Pont-à-Mousson, fournisseur de soixante-treize tuyaux en fonte et de soixante-treize joints en exécution d'une commande qui lui avait été passée par la Sobea le 13 juin 1973 ; que c'est à tort que le tribunal a estimé que de telles conclusions ne lui avaient pas été présentées et que, subsidiairement, il les a tenues pour irrecevables en raison de l'absence de lien de droit direct entre le maître de l'ouvrage et la société Pont-à-Mousson ; que le jugement attaqué doit être annulé sur ce point et qu'il y a lieu pour la cour d'évoquer lesdites conclusions et d'y statuer immédiatement ;

Considérant que ces conclusions ressortissent à la compétence du juge administratif, du fait de la participation de la société Pont-à-Mousson à une opération de travail public ; que, toutefois, en l'absence de tout lien contractuel entre cette société et le maître de l'ouvrage, sa responsabilité ne peut être recherchée par la ville sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs ; que si la ville soutient, en outre, que la responsabilité de la société Pont-à-Mousson est engagée envers elle, sur un fondement non contractuel, à raison d'un démarchage commercial abusif, la faute ainsi invoquée à l'encontre de ladite société n'est pas établie ; que les conclusions dirigées par la ville de Moulins contre la société Pont-à-Mousson ne sont, dès lors, pas fondées ;
Considérant, enfin, qu'aucune faute de nature à atténuer la responsabilité des constructeurs ne peut être retenue à la charge des maîtres d'ouvrage successifs, le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) Moulins-Yzeure-Avermes, la société d'équipement du Bourbonnais et la ville de Moulins ; qu'en effet le choix par le SIVOM d'une canalisation sous-fluviale, de préférence à une canalisation aérienne, n'a pas constitué une erreur et le sinistre ne lui est pas imputable ; que l'acceptation par la société d'équipement du Bourbonnais de la proposition inappropriée de l'entreprise ne saurait être regardée comme fautive, dès lors qu'il n'est pas établi que les services techniques de la ville de Moulins, qui avaient été mis à la disposition de cette société, avaient les qualifications suffisantes pour apprécier en toute connaissance de cause, eu égard à la technicité particulière de l'ouvrage à construire, les risques que pouvait présenter la solution proposée ; qu'il n'est pas établi non plus que lesdits services techniques auraient pris une part significative dans la maîtrise d'oeuvre de l'opération ; que s'il avait été envisagé initialement de lester la canalisation, c'est sur la recommandation expresse du maître d'oeuvre que le SIVOM y a renoncé, compte tenu de ce que la conduite ne devait pas être vidangée ; qu'aucune faute ne peut donc lui être reprochée à cet égard ; qu'enfin aucune insuffisance d'entretien susceptible d'avoir joué un rôle dans la rupture de la canalisation n'est établie ; que la ville de Moulins est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand l'a tenue pour partiellement responsable du préjudice dont elle demande réparation ;
Sur le préjudice :

Considérant que l'évaluation du préjudice subi par la ville de Moulins doit être faite à la date où, sa cause ayant pris fin et son étendue étant connue, il a pu être procédé aux travaux destinés à le réparer ; qu'il résulte de l'instruction que cette date doit être fixée au 5 octobre 1982, date du rapport de l'expert désigné en première instance, qui a estimé que la canalisation endommagée était irréparable et préconisé son remplacement par une conduite aérienne empruntant un pont de chemin de fer pour un coût de 1 757 652 Francs TTC ; que la ville de Moulins, qui a attendu le mois d'août 1984 pour faire exécuter les travaux dont le montant s'est élevé à 1 857 208,80 Francs TTC, n'établit pas que lesdits travaux auraient été retardés par une impossibilité financière, matérielle ou juridique ; que l'indemnité à laquelle elle a droit doit, dès lors, être calculée sur la base de l'évaluation de l'expert, sous déduction toutefois de la TVA, dont la ville n'a pas justifié qu'elle devait demeurer à sa charge ; qu'en outre la construction d'une canalisation aérienne, plus onéreuse que la conduite subaquatique prévue par le marché initial, est constitutive d'une plus-value qui ne saurait être supportée par les constructeurs ; que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation de l'indemnité due à la ville de Moulins en la fixant à la somme de 1 390 000 Francs en principal ; que la ville de Moulins est, dès lors, fondée à demander que la société Sobea et l'Etat, dont la responsabilité n'est pas recherchée qu'à titre subsidiaire, soient condamnés solidairement à lui payer la somme de 1 390 000 Francs ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant qu'ainsi qu'en ont décidé les premiers juges, l'indemnité accordée à la ville de Moulins portera intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 1983, date d'enregistrement de la demande de première instance au tribunal administratif de Clermont-Ferrand, et les intérêts échus le 21 mars 1985 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts ;
Considérant qu'une nouvelle demande de capitalisation des intérêts a été présentée en appel le 24 juillet 1987 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur l'appel en garantie formé par l'Etat à l'encontre de la société Sobea :
Considérant qu'eu égard à la faute commise par la Sobea en proposant une solution inappropriée pour la traversée du lit de l'Allier, le ministre d'Etat, ministre de l'équipement et du logement est fondé à demander, pour l'Etat, la garantie de cette société ; que, toutefois, eu égard à la faute commise par la direction départementale de l'équipement en acceptant sans réserves la proposition de la société, cette garantie sera limitée à 50 % du montant de la condamnation ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre les frais d'expertise exposés en première instance à la charge conjointe et solidaire de la société Sobea et de l'Etat ; que la Sobea devra garantir l'Etat à concurrence de 50 % des frais ainsi mis à sa charge ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 30 août 1987 est annulé en tant qu'il a mis hors de cause l'Etat et la société Pont-à-Mousson.
Article 2 : Les conclusions formées par la ville de Moulins contre la société Pont-à-Mousson devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand sont rejetées.
Article 3 : La somme de 619 069,60 Francs que la société Sobea a été condamnée à verser à la ville de Moulins par le jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 30 avril 1987 est portée à 1 390 000 Francs. Le paiement de cette somme est mis à la charge conjointe et solidaire de la société Sobea et de l'Etat.
Article 4 : La somme de 1 390 000 Francs mentionnée à l'article 3 ci-dessus portera intérêts au taux légal à compter du 7 janvier 1983. Les intérêts échus les 21 mars 1985 et 24 juillet 1987 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : La société Sobea garantira l'Etat à concurrence de 50 % de la condamnation prononcée contre lui.
Article 6 : Le surplus du jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 30 avril 1987 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de la ville de Moulins est rejeté, ainsi que le recours incident de la société Sobea et le surplus de l'appel provoqué de l'Etat.
Article 8 : Les frais d'expertise exposés en première instance sont mis à la charge conjointe et solidaire de la société Sobea et de l'Etat. La Sobea garantira l'Etat à concurrence de 50 % du montant de ces frais.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 89LY00729
Date de la décision : 14/05/1990
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04-05-01 MARCHES ET CONTRATS ADMINISTRATIFS - RAPPORTS ENTRE L'ARCHITECTE, L'ENTREPRENEUR ET LE MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS A L'EGARD DU MAITRE DE L'OUVRAGE - RESPONSABILITE DECENNALE - RESPONSABILITE DE L'ENTREPRENEUR - FAITS DE NATURE A ENGAGER SA RESPONSABILITE -Entrepreneur ayant proposé le choix de la solution technique à retenir.

39-06-01-04-05-01 Entreprise chargée de proposer le choix de la solution technique à retenir pour la traversée du lit d'un fleuve par une canalisation ainsi que les matériaux susceptibles d'être utilisés. En proposant la solution inappropriée d'une canalisation en fonte ductile avec joints verrouillés simplement posée au fond du lit du fleuve, cette entreprise a engagé sa responsabilité envers le maître de l'ouvrage, alors même que sa proposition a été agréée par le maître d'oeuvre.


Références :

Code civil 1792, 2270, 1154
Loi du 23 décembre 1972 art. 16


Composition du Tribunal
Président : M. Gentot
Rapporteur ?: M. Jannin
Rapporteur public ?: M. Richer

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1990-05-14;89ly00729 ?
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