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20/10/1993 | FRANCE | N°91LY00330

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4e chambre, 20 octobre 1993, 91LY00330


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe de la cour les 2 et 9 avril 1991, présentés pour M. Jean Y... demeurant 20240 GHISONACCIA par Me X..., avocat ;
M. Y... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 25 janvier 1991 par lequel le tribunal administratif de BASTIA a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de la caisse nationale de crédit agricole et de l'Etat à lui payer des indemnités de 29 586 000 francs et 11 725 231 francs en réparation des préjudices qu'il a subis à la suite de leur refus de mettre en oeuvre

son égard les décisions prises dans le cadre des mesures adoptées en...

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au greffe de la cour les 2 et 9 avril 1991, présentés pour M. Jean Y... demeurant 20240 GHISONACCIA par Me X..., avocat ;
M. Y... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 25 janvier 1991 par lequel le tribunal administratif de BASTIA a rejeté ses demandes tendant à la condamnation de la caisse nationale de crédit agricole et de l'Etat à lui payer des indemnités de 29 586 000 francs et 11 725 231 francs en réparation des préjudices qu'il a subis à la suite de leur refus de mettre en oeuvre à son égard les décisions prises dans le cadre des mesures adoptées en faveur des agriculteurs corses en difficulté ;
2°) de condamner la caisse nationale de crédit agricole et l'Etat (ministères de l'agriculture et de l'économie et des finances) à lui payer des indemnités de 29 586 000 francs et 11 525 231 francs ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 78-1240 du 29 décembre 1978 ;
Vu les décrets n° 81-1047 du 3 décembre 1981 constituant une aide exceptionnelle destinée à concourir au rétablissement de certaines exploitations en difficulté et n° 82-45 du 9 février 1982 modifiant le premier ;
Vu le code rural ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 octobre 1993 :
- le rapport de M. COURTIAL, conseiller ;
- les observations de Me KEITA, avocat de M. Y... :
- et les conclusions de M. BONNAUD, commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Jean Y..., qui exploitait alors un domaine agricole et viticole à GHISONACCIA, a contracté en 1965 et 1969 plusieurs emprunts auprès du crédit agricole mutuel ; que la caisse régionale a ultérieurement recouru à des procédures judiciaires de recouvrement forcé de ses créances qui ont conduit notamment à la vente aux enchères, le 10 juin 1974, du domaine et se sont poursuivies devant la juridiction compétente par un contentieux relatif au règlement des comptes entre les parties ; que M. Y... étant intervenu auprès du ministre de l'agriculture, celui-ci, dès le 4 février 1984, puis conjointement avec le ministre de l'économie et des finances, a évoqué son cas dans une lettre en date du 12 juin 1984 adressée au directeur général de la caisse nationale de crédit agricole, dont l'objet était le traitement des dossiers qui n'avaient pu trouver une solution dans le cadre normal de la procédure d'aide exceptionnelle aux agriculteurs corses en difficulté, pour souhaiter que "la caisse nationale fasse le nécessaire pour aboutir à un règlement définitif de cette affaire, comme l'engagement en a été pris et que la somme nécessaire soit également prélevée sur cette enveloppe de 400 millions de francs" ; qu'aucune suite n'ayant été donnée à cette lettre, l'intéressé demande à la cour de condamner l'Etat et la caisse nationale de crédit agricole à réparer les préjudices que lui auraient causés d'une part le refus de l'Etat d'exercer son pouvoir de tutelle sur la caisse et d'autre part, le refus de la caisse de faire ce qui lui était demandé ;
Considérant que le dispositif d'aide exceptionnelle institué par le décret susvisé modifié du 3 décembre 1981 était destiné, aux termes de l'article 1er de ce décret, à "certains agriculteurs qui connaissent des difficultés aiguës menaçant à court terme la survie de leur exploitation " ; que l'instruction ministérielle en date du 5 mai 1982 portant application de ce dispositif national à la Corse a prévu conformément aux dispositions précitées du décret, qu'étaient exclus du bénéfice de l'aide les exploitants en état de liquidation de biens ou qui avaient abandonné leur exploitation depuis plus d'un an ; qu'il est constant que M. Jean Y... a cessé d'exploiter en 1977, année au cours de laquelle il a procédé à l'arrachage de ses vignes ; qu'il ne pouvait donc prétendre légalement au bénéfice de l'aide exceptionnelle, laquelle était d'ailleurs plafonnée et soumise à certaines conditions ; que, par suite, le "règlement de l'affaire" évoqué dans la lettre susmentionnée du 12 juin 1984 ne pouvait que procéder d'une mesure de faveur étrangère au dispositif d'aide aux agriculteurs en difficulté même si le financement prévu devait être imputé sur les crédits affectés à ce dispositif ;
Sur les conclusions dirigées contre l'Etat :

Considérant que si toutes les institutions de crédit agricole mutuel étaient, conformément aux dispositions des articles 737 et suivants du code rural, soumises au contrôle de l'Etat, notamment au contrôle du respect par elles des prescriptions légales et réglementaires en vigueur, les services de l'Etat ne détenaient pas le pouvoir d'imposer à la caisse nationale de crédit agricole l'exécution d'une mesure de faveur envisagée en dehors, comme il a été dit ci-dessus, de la procédure réglementaire d'aide exceptionnelle aux agriculteurs en difficulté ; qu'ainsi, la circonstance que les services de l'Etat se soient abstenus d'agir auprès de la caisse nationale de crédit agricole pour obtenir l'exécution d'une telle mesure, qui avait d'ailleurs été évoquée en termes généraux et dont au surplus la non-réalisation n'entraînait directement, par elle-même, aucun préjudice indemnisable, ne saurait en tout état de cause être regardée comme constitutive d'une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Sur les conclusions dirigées contre la caisse nationale de crédit agricole :
Considérant qu'avant l'entrée en vigueur de la loi n° 88-50 du 18 janvier 1988 qui a transformé la caisse nationale de crédit agricole en société anonyme, cet organisme était un établissement public auquel l'article 23 de la loi n° 78-1240 du 29 décembre 1978 avait reconnu un caractère industriel et commercial ; que le litige né, d'une part, du refus implicite de cet établissement public de concourir, à l'invitation des ministres en charge de sa tutelle et au moyen de fonds publics, à l'exécution d'une mesure qui est présentée comme un engagement de l'Etat, d'autre part, de la méconnaissance par la caisse nationale de sa mission de tutelle sur la caisse régionale de Corse, relève de la compétence du juge administratif ; que, par suite, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. Y... dirigées contre la caisse nationale de crédit agricole comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions précitées de la demande présentée par M. Y... devant le tribunal administratif de BASTIA ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la caisse nationale de crédit agricole aux conclusions de M. Y... :
Considérant d'une part, que l'invitation conjointe adressée par les ministres de l'agriculture et de l'économie et des finances à la caisse nationale de crédit agricole de contribuer à l'exécution d'une mesure gracieuse prise en faveur de M. Y... n'avait pas, et ne pouvait d'ailleurs pas avoir, pour effet de créer à la charge de cet établissement public une obligation dont la méconnaissance aurait été susceptible de constituer une faute de nature à engager sa responsabilité ;

Considérant d'autre part, et en tout état de cause, que le moyen invoqué par M. Y..., relatif à la faute lourde que la caisse nationale aurait commise dans l'exercice de sa fonction de tutelle de la caisse régionale de Corse au sujet des prêts consentis au requérant et de la procédure de recouvrement forcé mise en oeuvre à son encontre, n'est pas assorti des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé ;
Sur les conclusions de la caisse nationale de crédit agricole tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant que le bien-fondé de ces conclusions doit être apprécié au regard des dispositions applicables à la date du présent arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de condamner M. Y... à payer à la caisse nationale de crédit agricole la somme réclamée ;
Article 1er : Le jugement en date du 25 janvier 1991 du tribunal administratif de BASTIA est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. Y... dirigées contre la caisse nationale de crédit agricole comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : La demande dirigée contre la caisse nationale de crédit agricole présentée par M. Y... devant le tribunal administratif de BASTIA et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Les conclusions de la caisse nationale de crédit agricole tendant au bénéfice de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4e chambre
Numéro d'arrêt : 91LY00330
Date de la décision : 20/10/1993
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

CAPITAUX - CREDIT ET INSTRUMENTS FINANCIERS - ETABLISSEMENTS DE CREDITS - Crédit agricole - (1) Responsabilité de la caisse nationale à raison de sa tutelle sur une caisse régionale - Compétence du juge administratif - (2) Responsabilité de la caisse nationale à raison de son refus d'exécuter un engagement de l'Etat - Compétence du juge administratif.

13-03(1), 17-03-02-05-01-01(1), 17-03-02-07-02(1) Le juge administratif est compétent pour statuer sur la responsabilité de la Caisse nationale de crédit agricole recherchée en raison de la méconnaissance, par cet établissement public, alors à caractère industriel et commercial, de sa mission de tutelle sur une caisse régionale.

COMPETENCE - REPARTITION DES COMPETENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPETENCE DETERMINEE PAR UN CRITERE JURISPRUDENTIEL - RESPONSABILITE - RESPONSABILITE EXTRA-CONTRACTUELLE - COMPETENCE ADMINISTRATIVE (1) Actes de tutelle - Tutelle exercée par un établissement public à caractère industriel et commercial sur des organismes locaux - (2) Divers - Refus d'un établissement public à caractère industriel et commercial d'exécuter un engagement de l'Etat.

13-03(2), 17-03-02-05-01-01(2), 17-03-02-07-02(2) Le juge administratif est compétent pour statuer sur la responsabilité de la Caisse nationale de crédit agricole recherchée à raison du refus de cet établissement public, alors à caractère industriel et commercial, de concourir, sur invitation du Gouvernement et au moyen de fonds publics, à l'exécution d'une mesure d'aide présentée comme un engagement de l'Etat.

COMPETENCE - REPARTITION DES COMPETENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPETENCE DETERMINEE PAR UN CRITERE JURISPRUDENTIEL - PROBLEMES PARTICULIERS POSES PAR CERTAINES CATEGORIES DE SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC INDUSTRIEL ET COMMERCIAL - Cas de compétence de la juridiction administrative - Divers - (1) Tutelle exercée par un établissement public à caractère industriel et commercial sur des organismes locaux - (2) Refus d'un établissement public à caractère industriel et commercial d'exécuter un engagement de l'Etat.


Références :

Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1
Code rural 737
Décret 81-1067 du 03 décembre 1981 art. 1
Loi 78-1240 du 29 décembre 1978 art. 23 Finances rectificative pour 1978
Loi 88-50 du 18 janvier 1988


Composition du Tribunal
Président : M. Megier
Rapporteur ?: M. Courtial
Rapporteur public ?: M. Bonnaud

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1993-10-20;91ly00330 ?
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