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06/06/1996 | FRANCE | N°95LY00935

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Pleniere, 06 juin 1996, 95LY00935


Vu le recours, enregistré au greffe de la cour le 1er juin 1995, présenté au nom de l'Etat par le ministre de l'intérieur ;
Le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement, en date du 30 mars 1995, par lequel le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à verser à la société de gestion du port de Campoloro la somme de 23 218 085 francs et à la société fermière de Campoloro la somme de 9 498 018 francs, outre intérêts aux taux légal à compter respectivement du 31 juillet 1986 et 8 décembre 1986, en réparation du préjudice subi par

ces deux sociétés du fait de l'inexécution, par le préfet de Haute-Corse, d...

Vu le recours, enregistré au greffe de la cour le 1er juin 1995, présenté au nom de l'Etat par le ministre de l'intérieur ;
Le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement, en date du 30 mars 1995, par lequel le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à verser à la société de gestion du port de Campoloro la somme de 23 218 085 francs et à la société fermière de Campoloro la somme de 9 498 018 francs, outre intérêts aux taux légal à compter respectivement du 31 juillet 1986 et 8 décembre 1986, en réparation du préjudice subi par ces deux sociétés du fait de l'inexécution, par le préfet de Haute-Corse, des décisions de justice condamnant la commune de Santa Maria Poggio à payer à ces deux sociétés, respectivement, les sommes, en principal, de 23 218 085 francs et 9 498 018 francs ;
2°) de rejeter les demandes présentées devant le tribunal administratif de Bastia par la société de gestion du port de Campoloro et la société fermière de Campoloro et tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser les sommes ci-dessus mentionnées ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des communes ;
Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 ;
Vu le décret n° 81-501 du 12 mai 1981 ;
Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 mai 1996 :
- le rapport de M. JOUGUELET, président-rapporteur ;
- les observations de la SCP CELICE, BLANCPAIN, avocat de la société de gestion du port de Campoloro et de la société fermière de Campoloro ;
- et les conclusions de M. RIQUIN, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par deux jugements du 10 juillet 1992 devenus définitifs, le tribunal administratif de Bastia a condamné la commune de Santa Maria Poggio à payer à la société de gestion du port de Campoloro et à la société fermière de Campoloro, des sommes d'un montant respectif de 23 218 085 francs et de 9 498 018 francs, outre intérêts de droit et capitalisation des intérêts, en réparation des préjudices qu'elles ont subis du fait de la résiliation, par une délibération du conseil municipal en date du 25 août 1984, des contrats passés avec ces sociétés ; que les mêmes jugements ont condamné la commune à supporter les dépens s'élevant à 216 798,29 francs ainsi qu'à verser à chacune des sociétés une somme de 8 000 francs au titre des frais irrépétibles ; que les deux sociétés ont saisi, le 18 octobre 1993, le même tribunal de demandes tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser des indemnités représentant les montants en principal, intérêts et capitalisation des intérêts, frais d'expertise et frais irrépétibles des condamnations prononcées contre la commune de Santa Maria Poggio par les deux jugements susmentionnés, en réparation des préjudices qu'elles subissaient du fait des carences du préfet de la Haute-Corse dans l'usage des pouvoirs qu'il tient des dispositions de la loi susvisée du 16 juillet 1980 relatives à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public ; que, par un jugement du 30 mars 1995, le tribunal a retenu la responsabilité de l'Etat en raison de la faute lourde commise par le préfet "en s'abstenant d'exercer sa mission de contrôle budgétaire dès 1985 et en ne prenant aucune mesure réelle d'exécution des jugements de 1992", puis a condamné l'Etat à verser aux deux sociétés les somme de 23 218 085 francs et 9 498 018 francs, outre intérêts et capitalisation des intérêts, ainsi que les frais d'expertise non encore mandatés à la date du jugement ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
En ce qui concerne la période antérieure aux deux jugements du 10 juillet 1992 :
Considérant qu'aucune disposition législative ou réglementaire alors en vigueur n'imposait aux communes de constituer des provisions pour litige en vue du paiement d'éventuelles indemnités prononcées au contentieux ; qu'ainsi, et en tout état de cause, le préfet de la Haute-Corse n'a pas méconnu les pouvoirs qu'il tient des articles 11 et 12 de la loi du 2 mars 1982, dans leur rédaction alors en vigueur, relatifs à l'inscription et au mandatement d'office des dépenses obligatoires, en ne mettant pas en demeure la commune de Santa Maria Poggio de créer sur les budgets de 1985 à 1992 des provisions pour faire face aux condamnations que le tribunal administratif de Bastia pouvait éventuellement prononcer au profit des deux sociétés en cause ;
Considérant que, si depuis l'entrée en vigueur de la loi n°88-13 du 5 janvier 1988 ajoutant un dernier alinéa à l'article 8 de la loi du 2 mars 1982 la section de fonctionnement du budget communal peut, sans être en déséquilibre, reprendre un excédent de l'année précédente, aucune disposition législative ou règlementaire ne permettait au préfet de mettre la commune de Santa Maria Poggio en demeure de dégager chaque année un excédent reportable afin de se préparer au paiement des indemnités réclamées par les deux sociétés dans leurs demandes devant le tribunal administratif de Bastia ;

Considérant, par ailleurs, que ces sociétés soutiennent que le préfet de la Haute-Corse aurait dû mettre en oeuvre la procédure prévue à l'article 8 de la loi du 2 mars 1982 et saisir la chambre régionale des comptes en raison des investissements hasardeux effectués par la commune entre 1985 et 1992 et que cette carence du préfet est en partie à l'origine du mauvais état des finances communales rendant particulièrement difficile l'exécution des deux jugements du 10 juillet 1992 ; que les dispositions de l'article 8 ne s'appliquent qu'en cas de budget voté en déséquilibre ; qu'il n'est pas établi que la section d'investissement des budgets de la commune au cours des années en cause n'était pas en équilibre réel ; que, par suite, et en tout état de cause, les deux sociétés ne peuvent utilement soutenir que le préfet, qui n'a pas un contrôle d'opportunité sur les décisions budgétaires des communes, a commis une quelconque faute dans l'exercice du pouvoir de contrôle qu'il tient dudit article 8 ;
En ce qui concerne la période postérieure aux deux jugements du 10 juillet 1992 :

Considérant qu'aux termes du II de l'article 1er de la loi susvisée du 16 juillet 1980 : "Lorsqu'une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée a condamné une collectivité locale ou un établissement public au paiement d'une somme d'argent dont le montant est fixé par la décision elle-même, cette somme d'argent doit être mandatée ou ordonnancée dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la décision de justice. A défaut de mandatement ou d'ordonnancement dans ce délai, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle procède au mandatement d'office. En cas d'insuffisance de crédits, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle adresse à la collectivité ou à l'établissement une mise en demeure de créer les ressources nécessaires ; si l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement n'a pas dégagé ou créé ces ressources, le représentant de l'Etat dans le département ou l'autorité de tutelle y pourvoit et procède, s'il y a lieu, au mandatement d'office" ; qu'aux termes de l'article 3-1 du décret susvisé du 12 mai 1981 : "Le créancier d'une collectivité locale ou d'un établissement public qui n'aurait pas reçu la lettre prévue au premier alinéa de l'article 1er-2 dans un délai de quatre mois à compter de la notification qui lui a été faite de la décision de justice peut saisir le représentant de l'Etat ou l'autorité chargée de la tutelle d'une demande de paiement de la somme due, sur présentation d'une expédition de la décision revêtue de la formule exécutoire. Le représentant de l'Etat ou l'autorité chargée de la tutelle dispose, à compter de cette saisine, d'un délai d'un mois pour vérifier l'existence, au budget de la collectivité locale ou de l'établissement public, de crédits suffisants et procéder au mandatement d'office prévu au premier alinéa du II de l'article 1er de la loi n°80-539 du 16 juillet 1980 susvisée, ou, le cas échéant, pour effectuer la mise en demeure prévue au second alinéa du II dudit article. La collectivité locale ou l'établissement public dispose, pour se conformer à cette mise en demeure, d'un délai d'un mois qui doit être mentionné dans l'acte qui la notifie. Ce délai est porté à deux mois lorsque la dette est égale ou supérieure à 5 % du montant de la section de fonctionnement du budget de la collectivité locale ou d'un établissement public local. Lorsque la mise en demeure est restée sans effet à l'expiration de ces délais, le représentant de l'Etat ou l'autorité chargée de la tutelle procède à l'inscription de la dépense au budget de la collectivité ou de l'établissement public défaillant. Il dégage, le cas échéant, les ressources nécessaires soit en réduisant des crédits affectés à d'autres dépenses et encore libres d'emploi, soit en augmentant les ressources. Si, dans le délai de huit jours après la notification de l'inscription du crédit, la collectivité locale ou l'établissement public n'a pas procédé au mandatement de la somme due, le représentant de l'Etat ou l'autorité chargée de la tutelle y procède d'office dans le délai d'un mois" ;

Considérant, d'une part, que le dommage causé par la carence alléguée du représentant de l'Etat à mettre en oeuvre dans les délais prévus par l'article 3-I du décret du 12 mai 1981 la procédure instituée par la loi du 16 juillet 1980 est distinct des préjudices que la collectivité a été condamnée à réparer par la décision de justice passée en force de chose jugée ; que, d'autre part, la réparation des conséquences du retard dans le paiement de l'indemnité fixée par cette décision de justice, est assurée par le versement à la charge de cette collectivité des intérêts au taux légal éventuellement majoré dans les conditions prévues par la loi n°75-619 du 11 juillet 1975 ; que, par suite, seul le préjudice indépendant du simple retard subi par les bénéficiaires de la condamnation peut être mis à la charge de l'Etat en cas de refus fautif du préfet à faire exécuter la décision prononçant cette condamnation ; qu'ainsi, en supposant même que le préfet eût commis des fautes dans l'exercice des pouvoirs qu'il tient de la loi susvisée du 16 juillet 1980, ces deux sociétés ne pouvaient utilement réclamer au tribunal administratif la condamnation de l'Etat à leur verser des sommes représentant, d'une part, les montants en principal des indemnités mises à la charge de la commune, d'autre part, les intérêts moratoires produits par ces indemnités à compter des dates fixées par ces deux jugements ainsi que les intérêts des intérêts, enfin, une fraction des frais d'expertise non mandatés par la commune ; que par ailleurs lesdites sociétés n'ont pas demandé au tribunal administratif l'indemnisation d'autres préjudices ;
Considérant enfin que la loi du 16 juillet 1980, éclairée par les travaux préparatoires, n'a ni pour objet, ni pour effet de transférer à l'Etat la charge d'une dette d'une commune née d'une condamnation prononcée par une décision de justice, lorsque l'inexécution de cette décision est imputable aux difficultés financières de cette collectivité ; que, par ailleurs, et contrairement à ce que soutiennent les deux sociétés, la commune de Santa Maria Poggio à laquelle a été transférée du fait de la loi du 22 juillet 1983, la gestion du port de plaisance de Campoloro, n'est pas le concessionnaire de l'Etat ; qu'ainsi, et en tout état de cause, les sociétés ne peuvent utilement demander, tant sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques que de la responsabilité du concédant en cas d'insolvabilité du concessionnaire, la condamnation de l'Etat à leur payer les montants des condamnations prononcées à l'encontre de la commune par les deux jugements du 10 juillet 1992 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat à verser des indemnités aux deux sociétés dont s'agit ; qu'il y a lieu par suite d'annuler le jugement attaqué et de rejeter les demandes présentées devant le tribunal par la société de gestion du port de Campoloro et la société fermière de Campoloro ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, soit condamné à verser une somme quelconque à la société de gestion du port de Campoloro et à la société fermière de Campoloro au titre des frais supportés par elles et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement en date du 30 mars 1995 du tribunal administratif de Bastia est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par la société de gestion du port de Campoloro et la société fermière de Campoloro sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la société de gestion du port de Campoloro et la société fermière de Campoloro tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Pleniere
Numéro d'arrêt : 95LY00935
Date de la décision : 06/06/1996
Type d'affaire : Administrative

Analyses

COLLECTIVITES TERRITORIALES - COMMUNE - FINANCES COMMUNALES - DEPENSES.

COMPTABILITE PUBLIQUE - BUDGETS - BUDGET DES COMMUNES (VOIR COLLECTIVITES LOCALES).

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - EXECUTION DES JUGEMENTS.

RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - REPARATION - PREJUDICE - CARACTERE INDEMNISABLE DU PREJUDICE - AUTRES CONDITIONS - LIEN DE DROIT.


Références :

Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel L8-1
Décret 81-501 du 12 mai 1981 art. 3-1, art. 3
Loi 75-619 du 11 juillet 1975
Loi 80-539 du 16 juillet 1980 art. 1
Loi 82-213 du 02 mars 1982 art. 11, art. 12, art. 8
Loi 83-663 du 22 juillet 1983
Loi 88-13 du 05 janvier 1988


Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. JOUGUELET
Rapporteur public ?: M. RIQUIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;1996-06-06;95ly00935 ?
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