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26/10/2010 | FRANCE | N°06LY01869

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 1ère chambre - formation à 3, 26 octobre 2010, 06LY01869


Vu la requête, enregistrée le 1er septembre 2006, présentée pour la société CLERMONT VIANDES, dont le siège est 62 rue du Sancy à Lempdes (63370) ;

La société CLERMONT VIANDES demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 042005, n° 042116 et n° 042117 du 29 juin 2006 du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant que, par ce jugement, le Tribunal a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 94 827,60 euros en réparation du préjudice qu'elle allègue avoir subi en raison de l'interdiction de commercialiser le thym

us de bovins entre le 10 novembre 2000 et le 1er octobre 2002 ;

2°) de condamne...

Vu la requête, enregistrée le 1er septembre 2006, présentée pour la société CLERMONT VIANDES, dont le siège est 62 rue du Sancy à Lempdes (63370) ;

La société CLERMONT VIANDES demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 042005, n° 042116 et n° 042117 du 29 juin 2006 du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant que, par ce jugement, le Tribunal a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 94 827,60 euros en réparation du préjudice qu'elle allègue avoir subi en raison de l'interdiction de commercialiser le thymus de bovins entre le 10 novembre 2000 et le 1er octobre 2002 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser :

. ladite somme de 94 827,60 euros, outre intérêts et capitalisation des intérêts ;

. une somme de 8 000 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société requérante soutient que :

- la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée pour la période antérieure au 1er juillet 2001 ; qu'en effet, les autorités françaises n'ont pas entendu exclure l'indemnisation des industriels et commerçants de la filière bovine et ont même au contraire prévu une indemnisation ; que le fait que plusieurs entreprises adhérentes de la FNICGV aient été lourdement pénalisées par la réglementation litigieuse n'est pas incompatible avec la reconnaissance de la spécialité du préjudice ; que l'interdiction de commercialisation du ris de veau ne concerne qu'une cinquantaine d'entreprises en France ; qu'en outre, il convient de replacer cette interdiction dans le cadre du marché unique et tenir compte du fait qu'elle a entraîné une distorsion de concurrence ; que le préjudice qu'elle a subi constitue une sujétion grave et importante ; que cette perte permet de répondre à l'exigence d'un préjudice anormal ; qu'à supposer même que la mesure de protection interne soit légale, cette mesure a fait peser sur les industriels de l'abattage une charge anormale, résultant d'un excès de précaution ; qu'ainsi, sont réunies les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité sans faute de l'Etat, pour la période d'interdiction totale de commercialisation du thymus de veau courant du 10 novembre 2000 au 1er juillet 2001 ;

- subsidiairement, la responsabilité pour faute de l'Etat doit être engagée au titre de cette même période ; qu'en effet, l'appréciation de l'Etat français sur l'hypothétique dangerosité du thymus contredisait les observations effectuées au niveau communautaire, par des organismes indépendants ; que, contrairement à ce que qu'affirme le jugement attaqué, le règlement n° 999/2001 du 22 mai 2001 autorisait la commercialisation du thymus des bovins, nés et élevés en France ; que le gouvernement français se trouvait dans l'impossibilité d'invoquer le principe de précaution, dans la mesure où il n'était pas, en premier lieu, compétent pour adopter une réglementation, un texte communautaire réglementant de façon exhaustive la question des encéphalopathies spongiformes transmissibles et de leur éradication ; que, dès 2001, le Comité supérieur directeur a conclu à l'absence de démonstration de l'infectiosité du thymus de bovin ; qu'à ce jour, aucune démonstration n'a été faite de cette infectiosité ; que le prétexte lié à la nécessaire sécurisation de l'alimentation animale révèle un excès de précaution, dès lors que des mesures d'interdiction des farines animales existaient depuis 1991 et avaient été renforcées en 1996 ; qu'à compter de 2001, l'alimentation des veaux était parfaitement sécurisée ; qu'avant l'adoption du règlement n° 999/2001, aucune disposition ne permettait à la France d'adopter des mesures plus contraignantes quant à la prévention de l'encéphalopathie spongiforme bovine ; qu'au moment de l'adoption de l'arrêté du 10 novembre 2001, les autorités françaises étaient parfaitement informées de l'état d'avancement des travaux d'élaboration du règlement

n° 999/2001 ; que, néanmoins, les autorités françaises ont édicté un arrêté radicalement inconciliable avec le futur dispositif communautaire, au mépris de toutes les procédures et de tous les principes communautaires, et notamment de l'obligation de coopérer de bonne foi, prévu par l'article 10 du Traité CE ; que les arrêtés litigieux ne constituent pas des mesures de sauvegarde et ne respectent pas les exigences établies par la directive n° 98/34, ce qui rend les règles techniques en cause inapplicables ;

- s'agissant de la période postérieure au 1er juillet 2001, les premiers juges n'ont tenu aucun compte de son argumentation, selon laquelle le règlement n° 999/2001 autorisait la commercialisation du thymus de bovin issu d'animaux, nés et élevés en France ; que les arrêtés litigieux sont entachés d'erreur manifeste d'appréciation et violent les obligations de la France, tant à l'égard de ce règlement que des engagements communautaires, et notamment de l'obligation de coopération de bonne foi ; que l'édiction d'un règlement interne en méconnaissance des dispositions d'un acte communautaire constitue une illégalité de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que l'interdiction de commercialisation du thymus de bovin a été prorogée par l'arrêté du 7 novembre 2001, puis, partiellement par l'arrêté

du 28 mars 2002, alors que le règlement n° 999/2001 était déjà entré en vigueur et s'imposait aux normes internes existantes ; qu'ainsi, une procédure d'infraction a été ouverte contre la France, pour non respect des dispositions communautaires relatives à la commercialisation du thymus de bovin dans les Etats membres ; que les autorités françaises ne se sont pas ralliées à la position communautaire ; que la responsabilité pour faute ne saurait être écartée en sa fondant sur la nécessaire mise en oeuvre d'une clause de sauvegarde ; qu'en effet, à supposer même que l'Etat français ait pu adopter un dispositif particulièrement restrictif avant l'entrée en vigueur du règlement n° 999/2001, le maintien du principe d'interdiction postérieurement à cette date constitue une violation manifeste du droit communautaire ; que ce règlement ne comporte pas de clause de sauvegarde directement à disposition des Etats membres ; que l'impératif de santé publique était déjà largement, si ce n'est complètement, pris en compte par la réglementation européenne ; que, dès lors, la situation ne pouvait ouvrir droit à l'adoption de mesures de sauvegarde, au sens de la directive n° 90/425 ; que, par suite, la responsabilité pour faute de l'Etat doit être engagée au titre de la période allant du 1er juillet 2001 au 1er octobre 2002 ;

- la réalité de son préjudice ne peut être contestée ; que, pour la période

du 10 novembre 2000 au 1er octobre 2002, elle a abattu 7 950 veaux ; que chaque veau produit en moyenne 0,7 kg de ris de veau ; que le cours moyen du thymus de bovin sur les douze mois précédant l'interdiction a été de 17,04 euros / kg ; que son préjudice s'élève donc à la somme de 94 827,60 euros ; que, devant le Tribunal, l'Etat n'a proposé aucun prix de référence ; qu'elle n'exportait pas de thymus prélevé sur des animaux de provenance étrangère ; que l'arrêté du 28 mars 2002, autorisant la commercialisation du thymus issu d'animaux nés après le 1er janvier 2002, ne pouvait être appliqué qu'après plusieurs mois, au regard de l'âge des veaux abattus sur lesquels est prélevé le thymus ; que les listes d'abattage sont transmises tous les lundis aux services de l'Etat ;

Vu le jugement attaqué ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 31 janvier 2008, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 mars 2008 ;

Vu le mémoire, enregistré le 4 mars 2008, présenté par le ministre de l'agriculture et de la pêche, qui conclut au rejet de la requête ;

Le ministre soutient que :

- la responsabilité sans faute de l'Etat ne peut être engagée ; qu'en effet, les mesures prises dans un but d'intérêt général et prééminent, tel que, comme en l'espèce, la protection de la santé publique, ne sont pas susceptibles d'entraîner une indemnisation sur le fondement de la responsabilité sans faute, sauf si un texte en dispose explicitement autrement ; qu'aucune disposition ne prévoit l'indemnisation des préjudices consécutifs à l'interdiction du thymus ; qu'en tout état de cause, le préjudice invoqué ne peut être considéré comme anormal et spécial ; que l'ensemble des personnes procédant à des activités d'abattage et de valorisation des animaux abattus a été touché ; que la situation de la société requérante ne présente pas de spécificité au sein de l'Union européenne ; que le chiffre d'affaires de la requérante n'a été réduit que de façon très marginale, et pendant une durée limitée ; qu'une telle baisse ne peut être considérée comme constitutive d'une charge particulièrement grave ;

- aucune responsabilité pour faute ne peut être retenue pour la période antérieure

au 1er juillet 2001 ; que l'article 9 de la directive n° 89/662/CEE et l'article 10 de la directive n° 90/425/CEE autorisent un Etat membre à prendre, pour des motifs graves de protection de la santé publique ou de la santé animale, toutes mesures conservatoires qui lui apparaîtraient nécessaires ; que la France disposait d'éléments scientifiques de nature à constituer un motif de cette nature ; que, conformément auxdits articles, les dispositions de l'arrêté du 10 novembre 2000 ont été communiquées à la Commission ; que la modification du point 1 i) de l'annexe I de la décision n° 2000/418/CE, qui fixe la liste des matériels à risques spécifiés, a été demandée ; que la Commission n'a pas estimé que les mesures adoptées étaient illégitimes et disproportionnées ; que ni le Traité ni les directives ne subordonnent la mise en oeuvre d'une clause de sauvegarde à l'introduction d'un recours en annulation ou d'un recours en carence contre la Commission ; que l'avis du 15 mars 2000 de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et l'avis du 28 février 2000 du Comité interministériel français sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles sont postérieurs aux avis scientifiques sur lesquels la Commission s'est fondée pour adopter la décision n° 2000/418/CE ; qu'il était fondé à considérer que ces avis des 28 février et 15 mars 2000, ainsi que l'ensemble des éléments nouveaux intervenus, constituaient des informations nouvelles lui permettant de mettre en oeuvre une clause de sauvegarde ; qu'une augmentation des cas d'encéphalopathies spongiformes bovines a été constatée en France ; que l'alimentation des veaux était susceptible d'être contaminée par l'agent responsable de cette infection ; qu'ainsi, l'interdiction de commercialisation du thymus constituait à l'époque une mesure appropriée et nécessaire à la protection de la santé publique ;

- aucune faute ne peut, de même, être retenue s'agissant de la période

du 1er juillet 2001 à octobre 2002 ; que les mesures d'interdiction ont été prises au regard du fait que la France constitue le plus gros consommateur de Thymus de bovin et des circonstances graves qui justifiaient la mise en oeuvre d'une clause de sauvegarde ; que, si l'infectiosité du thymus n'a toujours pas été démontrée à ce jour, pour autant, il n'a pas été conclu, de façon définitive, à la non infectiosité de cet organe ; qu'en France, les pouvoirs publics ont estimé que la sécurisation des lactoremplaceurs était devenue effective pour les veaux nés et élevés en France après le 30 juin 2002, date limite de consommation des derniers stocks de lactoremplaceurs contenant des graisses animales ; qu'au mois de septembre 2003, la commission a demandé une étude quantitative du risque à l'Autorité de sécurité alimentaire européenne ; qu'il pouvait donc, sans violer les dispositions du règlement n° 999/2001, mettre en oeuvre une clause de sauvegarde en adoptant une mesure conservatoire consistant à maintenir en vigueur les dispositions de l'arrêté du 17 mars 1992 relatives à l'interdiction du thymus ; que les arrêtés litigieux ont été transmis à la Commission ; que ce n'est que par une lettre du 22 octobre 2002 que la Commission a adressé aux autorités françaises un avis motivé, indiquant qu'elle considérait que les dispositions françaises relatives au thymus étaient contraires au règlement n° 999/2001 ; que la France a répondu à cet avis par une note du 20 décembre 2002, invitant la Commission à modifier ce règlement ; que la commission a classé le dossier le 28 juin 2006, reconnaissant ainsi implicitement la validité des mesures de sauvegarde mises en place ; que la requérante n'est donc pas fondée à invoquer une contradiction avec les obligations communautaires de la France ; que le principe de précaution implique de tenir compte de l'état des connaissances scientifiques alors disponibles ;

- l'évaluation du préjudice n'est pas sérieuse ; qu'il est probable que le préjudice a été compensé partiellement ou totalement par la baisse du prix d'achat des bovins vivants, en période de crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine ; que, dans l'hypothèse dans laquelle la requérante aurait continué d'acheter les bovins vivants au même prix après l'interdiction du thymus, le préjudice résulterait alors de sa propre faute ; que le calcul du préjudice ne tient pas compte de l'assouplissement dans le temps de l'interdiction, après l'arrêté du 28 mars 2002 ; que le prix de référence, soit le prix moyen du thymus avant son interdiction, n'est pas pertinent ; qu'en effet, la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine a conduit à une baisse très importante de la valeur de la viande bovine, et spécifiquement des abats, d'au moins 40 % ; qu'on peut même se demander si des débouchés auraient subsisté pour les thymus de bovin ; que l'estimation du cours moyen apparaît également sujette à caution, l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture mentionnant un cours moyen, au cours de l'année 2000, oscillant entre 12,96 euros et 14,48 euros ; qu'en outre, le prix varie en fonction de la qualité du thymus ; que la requérante ne précise pas la qualité des thymus qu'elle produit ; que la cotation des ris de veau est largement supérieure à celle des ris de jeunes bovins ; qu'il est probable que de jeunes bovins figurent dans le total des animaux mentionné par la requérante ; qu'aucune indication suffisante n'est donnée quant au poids déclaré des thymus, qui varie, notamment, en fonction des espèces ; qu'aucun document ne permet de corroborer le chiffre avancé de 7 950 bêtes ; que la baisse du chiffre d'affaires alléguée et l'augmentation du coût de la main d'oeuvre ne sont étayées par aucun document comptable ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 10 mars 2008, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 avril 2008 ;

Vu le mémoire, enregistré le 3 avril 2008, présenté pour la société CLERMONT VIANDES, tendant aux mêmes fins que précédemment ;

La société requérante soutient, en outre, que la formule de calcul d'indemnisation résulte de la propre méthode adoptée par le ministre de l'agriculture, dans sa circulaire

du 8 décembre 2000 définissant la procédure d'indemnisation des stocks existants ; que l'évaluation est effectuée en tenant compte du poids net du ris de veau ; qu'elle n'a pu obtenir un rabais sur les achats de veau pendant la période d'interdiction ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 22 avril 2008, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 mai 2008 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 8 octobre 2010, présentée pour la société CLERMONT VIANDES .

Vu le traité instituant la Communauté européenne ;

Vu le règlement (CE) n° 999/2001 du Parlement européen et du Conseil

du 22 mai 2001 ;

Vu la directive 89/662/CEE du Conseil du 11 décembre 1989 ;

Vu la décision n° 2000/418/CE de la Commission du 29 juin 2000 ;

Vu le code rural ;

Vu le décret n° 71-636 du 21 juillet 1971

Vu l'arrêté du 17 mars 1992 relatif aux conditions auxquelles doivent satisfaire les abattoirs d'animaux de boucherie pour la production et la mise sur le marché de viandes fraîches et déterminant les conditions de l'inspection sanitaire de ces établissements, modifié notamment par les arrêtés du 10 novembre 2000, du 7 novembre 2001, du 28 mars 2002 et du 26 septembre 2002 ;

Vu le code de justice administrative et notamment son article R. 613-3, en application duquel les éléments produits pour la société CLERMONT VIANDES et par le ministre de l'agriculture après la clôture de l'instruction n'ont pas été examinés par la Cour ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 octobre 2010 :

- le rapport de M. Chenevey, premier conseiller ;

- les observations de Me Abegg, avocat de la Société CLERMONT VIANDES ;

- les conclusions de M. Besson, rapporteur public ;

- et la parole ayant à nouveau été donnée à la partie présente ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 10 novembre 2000 modifiant l'arrêté du 17 mars 1992 relatif aux conditions auxquelles doivent satisfaire les abattoirs d'animaux de boucherie pour la production et la mise sur le marché de viandes fraîches et déterminant les conditions de l'inspection sanitaire de ces établissements, le ministre de l'agriculture a, en poursuivant un objectif de prévention et de lutte contre les encéphalites spongiformes subaiguës transmissibles (ESST), inscrit pour une durée d'un an le thymus des bovins de tous âges sur la liste des viandes et abats déclarés impropres à la consommation humaine et devant être détruits ; que cette interdiction a été prorogée une première fois jusqu'au 31 mars 2002 par un arrêté du 7 novembre 2001, modifiant l'arrêté du 17 mars 1992 mentionné ci-dessus ; que le ministre de l'agriculture a levé cette interdiction par un arrêté du 28 mars 2002 pour les seuls thymus prélevés sur les bovins nés après le 1er janvier 2002 en France ou dans un Etat membre de la Communauté européenne et accompagnés d'un certificat sanitaire attestant qu'ils n'ont été nourris qu'avec des aliments n'incorporant pas de matières provenant de ruminants, hormis le lait et les matières qui en sont issues ; que, par un arrêté du 26 septembre 2002, le ministre a autorisé à compter du 1er octobre 2002 la consommation et, par suite, la commercialisation du thymus de tous les bovins nés en France après le 30 juin 2002, sans condition de certificat relatif à leur alimentation, et du thymus des bovins originaires des autres Etats membres de la Communauté européenne nés entre le 1er janvier et le 30 juin 2002 ou postérieurement au 30 juin 2002 et accompagnés d'un certificat sanitaire relatif à leur alimentation ; que la société CLERMONT VIANDES, qui exerce une activité d'achat et de vente de bétail, viandes et autres dérivés, a adressé le 23 août 2004 au ministre de l'agriculture une réclamation, rejetée par une décision du 21 octobre 2004, tendant à la réparation du préjudice qu'elle affirme avoir subi en raison de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée pendant presque deux ans de commercialiser le thymus de bovins, du fait des interdictions de consommation édictées par les arrêtés mentionnés ci-dessus ; que, par un jugement du 29 juin 2006, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la demande de condamnation de l'Etat que la société CLERMONT VIANDES a présentée à la suite du rejet de sa réclamation ; que cette société relève appel de ce jugement ;

Sur la responsabilité :

Sur la période antérieure au 1er juillet 2001 :

Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 9 de la directive 89/662/CEE du Conseil du 11 décembre 1989 relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires dans la perspective de la réalisation du marché intérieur : Chaque Etat membre signale immédiatement aux autres Etats membres et à la Commission, outre l'apparition sur son territoire des maladies prévues par la directive 82/894/CEE, l'apparition de toute zoonose, maladie ou cause susceptible de constituer un danger grave pour les animaux ou la santé humaine (...) / Dans l'attente des mesures à prendre, conformément au paragraphe 4, l'Etat membre de destination peut, pour des motifs graves de protection de la santé publique ou de santé animale, prendre des mesures conservatoires à l'égard des établissements concernés ou, dans le cas d'une épizootie, à l'égard de la zone de protection prévue par la réglementation communautaire. / Les mesures prises par les Etats membres sont communiquées sans délai à la Commission et aux autres Etats membres ; que le paragraphe 4 du même article dispose que : Dans tous les cas, la Commission procède au sein du comité vétérinaire permanent, dans les meilleurs délais, à un examen de la situation. Elle arrête, selon la procédure prévue à l'article 17, les mesures nécessaires pour les produits visés à l'article 1er et, si la situation l'exige, pour les produits d'origine ou les produits dérivés de ces produits. Elle suit l'évolution de la situation et, selon la même procédure, modifie ou abroge, en fonction de cette évolution, les décisions prises ;

Considérant qu'ainsi que l'a jugé la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt du 5 décembre 2000, Eurostock Meat Marketing Ltd (C-477/98), il résulte de l'article 9, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 89/662/CEE qu'un Etat membre de destination peut, pour des motifs graves de protection de la santé publique ou de la santé animale, prendre des mesures conservatoires dans l'attente des mesures devant être arrêtées par la Commission conformément au paragraphe 4 du même article ; que cet article a pour objet la mise en place d'un régime de sauvegarde communautaire destiné à remplacer les mesures conservatoires, éventuellement disparates, prises dans l'urgence par les Etats membres en cas de danger grave ; qu'un Etat membre peut adopter des mesures conservatoires lorsque la Commission n'a pas encore statué sur la nécessité de mettre en place un régime communautaire de sauvegarde, pour les motifs graves de protection de la santé publique ou animale qu'il allègue ; que le droit communautaire ne s'oppose pas non plus, ainsi que l'a jugé la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire mentionnée précédemment, à l'adoption de mesures conservatoires par les Etats membres dans l'attente de l'entrée en vigueur d'une mesure déjà adoptée par la Commission sur le fondement du paragraphe 4 de l'article 9 de la directive du 11 décembre 1989 cité ci-dessus, mais dont la date d'application a été reportée, à la condition que celle-ci n'ait pas été différée au motif explicite qu'aucune mesure quelconque, nationale ou communautaire, ne serait nécessaire avant cette date ; qu'il exclut en revanche, lorsque la Commission a pris, en application de ces dispositions, des mesures qui sont entrées en vigueur, qu'un Etat membre arrête des mesures conservatoires temporaires, dès lors que celles-ci ne sont pas justifiées par des éléments nouveaux permettant d'estimer qu'il existe des motifs graves de protection de la santé publique, dont la Commission n'a pu tenir compte, lors de l'adoption de sa décision ou dont il apparait manifestement qu'ils étaient inconnus de la Commission, lorsqu'elle a pris sa décision ;

Considérant que la Commission a, sur le fondement des dispositions précitées, adopté, le 29 juin 2000, la décision n° 2000/418/CE réglementant l'utilisation des matériels présentant des risques au regard des encéphalopathies spongiformes transmissibles et modifiant la décision 94/474/CE ; que cette décision s'applique, aux termes de son article 1er, à la production et à la mise sur le marché des produits d'origine animale issus de matériels d'animaux des espèces bovines ou contenant de tels matériels ; que l'annexe I de cette même décision, qui désigne les matériels à risques spécifiés devant être enlevés et détruits en application de l'article 3 de celle-ci, n'y fait figurer le thymus de bovins que pour les animaux âgés de plus de 6 mois au Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord ainsi qu'au Portugal, à l'exception de la région autonome des Açores ;

Considérant que, pour introduire dans la réglementation interne, par l'arrêté ministériel du 10 novembre 2000, pris sur le fondement de l'article 3 du décret du 21 juillet 1971 susvisé, l'interdiction litigieuse de commercialisation du thymus (...) des bovins, quel que soit leur âge , le ministre de l'agriculture a invoqué, dans la note de notification de cette mesure à la Commission, la clause de sauvegarde de l'article 9 de la directive 89/662/CEE

du 11 décembre 1989 précitée et, notamment, un avis rendu par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) ; que, toutefois, cet avis recommandant, par mesure de précaution, et bien qu'aucune étude n'ait jamais rapporté leur infectiosité, d'exclure de la chaîne alimentaire les thymus des bovins, quel que soit leur âge, datait du 15 mars 2000 ; qu'il était donc antérieur aux mesures communautaires définies par la décision susmentionnée du 29 juin 2000, en application du paragraphe 4 de l'article 9 de la directive invoquée par le ministre de l'agriculture français ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que, depuis l'intervention de cette décision, auraient existé des éléments nouveaux qui, même sans certitudes scientifiques, eussent été de nature à nourrir de nouveaux soupçons sur l'infectiosité du thymus et, par suite, auraient été susceptibles de constituer un motif grave de protection de la santé publique, dont la Commission n'aurait pu tenir compte, lors de l'adoption de sa décision ou qui auraient manifestement été inconnus d'elle ; qu'ainsi, la France, qui n'a pas contesté la légalité de la décision communautaire du 29 juin 2000, ne se trouvait pas, en novembre 2000, dans la situation visée au paragraphe 1 de l'article 9 de la directive du 11 décembre 1989, où elle pouvait, en cas d'apparition d'une zoonose ou maladie, prendre des mesures conservatoires pour des motifs graves de protection de la santé publique et dans l'attente des mesures à prendre, conformément au paragraphe 4 ; que, dès lors, la société requérante est fondée à soutenir qu'en interdisant, par l'arrêté litigieux du 10 novembre 2000, la commercialisation en France du thymus de tous les bovins, le ministre de l'agriculture a méconnu les règles communautaires ;

Sur la période postérieure au 1er juillet 2001 :

Considérant que le premier paragraphe de l'article 4 du règlement (CE) n° 999/2001 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, fixant les règles pour la prévention, le contrôle et l'éradication de certaines encéphalopathies spongiformes transmissibles, dispose que : En ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures de sauvegarde, les principes et dispositions de l'article 9 de la directive 89/662/CEE (...) sont d'application ; que l'article 8 de ce règlement prévoit l'enlèvement et la destruction des matériels à risques spécifiés conformément à son annexe V ; que celle-ci ne fait figurer le thymus des bovins sur la liste de ce réglement que dans les pays de catégorie 5, c'est-à-dire au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et au Portugal à l'exception de la région autonome des Açores ;

Considérant qu'en maintenant après le 1er juillet 2001, date d'entrée en vigueur du règlement du 22 mai 2001 précité, l'interdiction de commercialisation du thymus de tous les bovins, la France a ajouté aux restrictions prévues dans l'intérêt de la santé publique par la réglementation communautaire ; que, si ce règlement a prévu dans son article 4 que des mesures de sauvegarde peuvent être adoptées, notamment selon les principes et dispositions de l'article 9 de la directive 89/662/CEE, il ne résulte pas de l'instruction que des éléments nouveaux, pouvant permettant d'estimer qu'il existait des motifs graves de protection de la santé publique, auraient justifié le maintien, après le 1er juillet 2001, de l'interdiction de commercialisation du thymus de tous les bovins, puis le renouvellement de cette interdiction jusqu'au 31 mars 2002, par l'arrêté du 7 novembre 2001, et, enfin, l'autorisation de commercialisation limitée introduite par l'arrêté du 28 mars 2002 ; que la société requérante est donc fondée à soutenir que la réglementation française était également, à compter du 1er juillet 2001, en contradiction avec les obligations communautaires de la France ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, la société CLERMONT VIANDES est fondée à soutenir que les mesures précitées d'interdiction puis de restriction de la commercialisation du ris de veau, qui ont été édictées en violation des règles communautaires et qui, par suite, sont fautives, sont de nature à lui ouvrir un droit à réparation pour la période de novembre 2000 à octobre 2002 qui est concernée par ces mesures ;

Sur l'évaluation du préjudice :

Considérant, d'une part, que la société CLERMONT VIANDES s'est trouvée, en raison de l'interdiction de consommation des thymus de jeunes bovins édictée par les arrêtés litigieux du ministre de l'agriculture, dans l'impossibilité de commercialiser cet abat pendant une période de vingt-deux mois et vingt jours ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la requérante aurait pu procéder à des ventes à compter du 1er avril 2002, date d'entrée en vigueur de l'arrêté précité du 28 mars 2002, lequel a maintenu de sérieuses restrictions à la commercialisation des thymus ; qu'il ressort des états détaillés produits par la société CLERMONT VIANDES que, durant ladite période, celle-ci a abattu environ 7 530 veaux ; que cette société fait valoir, sans être sérieusement contredite, que le poids net moyen du ris de veau habituellement constaté dans son établissement est de 0,7 kg ; que la société requérante soutient, en produisant des éléments à l'appui de son affirmation, que, durant les douze mois précédant l'interdiction, le cours moyen du thymus était de 17,04 euros / kg ; qu'à l'inverse, si le ministre de l'agriculture fait valoir en défense que l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (l'OFIVAL) mentionne un cours moyen, durant l'année 2000, compris entre 12,96 euros et 14,48 euros, il ne verse au dossier aucun élément à l'appui de ses allégations pour démontrer que le cours moyen précité, indiqué par la société requérante, serait surévalué ;

Considérant, d'autre part, qu'il ne résulte pas de l'instruction que, comme l'affirme le ministre de l'agriculture, l'interdiction de commercialisation aurait pu permettre à la société CLERMONT VIANDES de négocier un prix au rabais tenant compte de cette interdiction lors de l'achat des veaux ; que la circonstance que le prix d'achat des bovins vivants aurait alors été en baisse est sans incidence sur le fait que la société requérante a été privée d'une rentrée financière en raison de l'interdiction litigieuse de commercialisation du thymus de bovin ; que le fait que cette société ne démontre aucune baisse de son chiffre d'affaires ne peut permettre d'infirmer l'existence de cette perte ; que le ministre de l'agriculture ne soutient pas, et il ne résulte pas de l'instruction, que la commercialisation des ris de veaux aurait entraîné des frais particuliers pour la société CLERMONT VIANDES ; que, toutefois, le ministre fait valoir, sans être contredit, qu'en l'absence de toute interdiction, une dégradation des conditions de vente du thymus de bovin serait survenue, du fait de la crise de confiance des consommateurs qui existait alors envers la viande bovine, en raison de divers évènements sanitaires, laquelle a entraîné une baisse importante de la consommation et de la valeur de cette viande ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par la société CLERMONT VIANDES en fixant l'indemnité qui lui est due à la somme de 45 000 euros ; que cette société est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande ;

Sur les intérêts :

Considérant que la société CLERMONT VIANDE a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 24 août 2004, date de la réception par l'administration de sa demande préalable ; qu'à la date du 4 février 2006, à laquelle cette société a présenté des conclusions à fin de capitalisation des intérêts, il était dû plus d'une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme quelconque au bénéfice de la société CLERMONT VIANDES sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 29 juin 2006 est annulé en tant qu'il rejette la demande de la société CLERMONT VIANDES.

Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la société CLERMONT VIANDES une somme de 45 000 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 24 août 2004. Les intérêts échus

le 4 février 2006 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société CLERMONT VIANDES est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société CLERMONT VIANDES et au ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2010 à laquelle siégeaient :

M. Bézard, président de chambre,

M. Chenevey et Mme Chevalier-Aubert, premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 26 octobre 2010.

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N° 06LY01869

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 06LY01869
Date de la décision : 26/10/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BEZARD
Rapporteur ?: M. Jean-Pascal CHENEVEY
Rapporteur public ?: M. BESSON
Avocat(s) : SCP PIERRE ABEGG

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2010-10-26;06ly01869 ?
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