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24/05/2018 | FRANCE | N°16LY03014

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre - formation à 3, 24 mai 2018, 16LY03014


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Sous le n° 1402355, Mme B...A..., représentée par la SCP d'avocats Prud'homme France, a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler la décision du 17 février 2014 par laquelle le département de l'Isère a refusé de l'indemniser ;

2°) de condamner le département de l'Isère à lui verser une somme de 5 500 euros ;

3°) de mettre à la charge du département de l'Isère une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sou

s le n° 1405433, Mme B...A..., représentée par la SCP d'avocats Prud'homme France, a demandé au tribunal...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Sous le n° 1402355, Mme B...A..., représentée par la SCP d'avocats Prud'homme France, a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) d'annuler la décision du 17 février 2014 par laquelle le département de l'Isère a refusé de l'indemniser ;

2°) de condamner le département de l'Isère à lui verser une somme de 5 500 euros ;

3°) de mettre à la charge du département de l'Isère une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sous le n° 1405433, Mme B...A..., représentée par la SCP d'avocats Prud'homme France, a demandé au tribunal administratif de Grenoble ;

1°) de sursoir à statuer dans l'attente de la décision à venir du tribunal correctionnel de Grenoble ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le président du conseil général de l'Isère a implicitement rejeté son recours gracieux du 7 juillet 2014 tendant à annuler la décision du 30 mai 2014 procédant au retrait de son agrément d'assistante maternelle ;

3°) d'enjoindre au département de l'Isère, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer l'agrément d'assistante maternelle dans un délai d'un mois, au besoin, sous astreinte.

Par jugement nos 1402355-1405433 du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Grenoble a joint ces deux demandes et les a rejetées.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 30 août 2016, MmeA..., représentée par la SELARL Guieu, Gabarra, Prud'homme, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement précité du 30 juin 2016 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de juger que la décision du 30 mai 2014 procédant au retrait de son agrément d'assistante maternelle est illégale ;

3°) d'enjoindre au département de l'Isère en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de lui délivrer l'agrément d'assistante maternelle dans un délai d'un mois, au besoin, sous astreinte ;

4°) de mettre à la charge du département de l'Isère le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- sa requête est recevable car la notification du jugement a eu lieu le 7 juillet 2016 ;

- les dispositions de l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles relatives à la consultation du dossier ont été méconnues et elle a été privée d'une garantie dès lors que l'identité du témoin ayant indiqué avoir constaté des faits de violences verbales et physiques sur des enfants à son domicile ne lui a pas été communiquée avant la réunion de la commission consultative paritaire départementale ; le principe du contradictoire a été méconnu car les éléments sur l'identité du témoin ont été communiqués à ladite commission et pas à elle-même ; le département de l'Isère ne justifiait d'aucun motif sérieux lui imposant de garder sécrète l'identité de ce témoin ; elle entretenait des relations conflictuelles avec le témoin et aurait pu indiquer utilement cet élément à la commission ; ce témoin a été entendu au cours de l'enquête pénale et elle a pu accéder à la totalité du dossier pénal dont les déclarations de ce témoin ; l'avis de la CADA sur l'absence de communication de certains éléments qui pourraient porter préjudice au témoin dont se prévaut le département n'est pas pertinent ; le témoignage a été recueilli par téléphone sans garantie sur l'identité de son auteur ; rien de permet de garantir la conformité de la transcription écrite de ce témoignage ; ce témoin n'a pas été rencontré " physiquement " ; ce témoignage a eu un rôle déterminant dans la décision de retrait d'agrément eu égard au discrédit dont elle a fait l'objet ; la circonstance qu'elle ait pu avoir accès aux déclarations de ce témoin pendant l'enquête pénale est sans incidence car la décision de la commission était antérieure ;

- le traumatisme crânien (syndrome du bébé secoué) dont a été victime l'enfant Louise Gros ne lui est pas imputable ; elle bénéficie de la présomption d'innocence sur la matérialité des faits ; le tribunal administratif n'a pas estimé utile de prononcer un sursis à statuer dans ce dossier alors que le résultat de la procédure pénale est important ; le tribunal correctionnel doit statuer après le réquisitoire du 14 avril 2016 et l'ordonnance de renvoi du 1er juillet 2016 ;

- la décision portant retrait d'agrément est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; elle produit plusieurs attestations sur son professionnalisme ; elle a prévenu les secours le 12 septembre 2013 à la suite du malaise de Louise ; les déclarations du témoin sont malveillantes ; elle est sanctionnée alors qu'elle bénéficie de la présomption d'innocence ;

Par mémoire enregistré le 8 février 2017, le département de l'Isère, représenté par la SELARL Concorde avocats, conclut à l'irrecevabilité de la requête et à titre subsidiaire au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A...une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- la requête est irrecevable car non signée ;

- la procédure a été régulière ; elle ne justifie pas du caractère partial du témoignage de son voisin, les éléments apportés sur une relation conflictuelle étant postérieurs de 2 mois au retrait de son agrément ; elle a pu prendre connaissance de l'intégralité des témoignages contenus dans son dossier administratif ; c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'occultation de l'identité d'un des témoins a été irrégulière ; en l'espèce, cette occultation était destinée à éviter de porter préjudice au témoin ; la commission d'accès aux documents administratifs a admis dans deux avis du 28 septembre 2006 et 13 mars 2014 que des documents n'étaient pas communicables s'ils pouvaient porter préjudice à des tiers ; ce témoignage n'a pas eu d'incidence sur la décision de retrait d'agrément car celle-ci est motivée par les éléments relatifs à l'expertise médicale de l'enfant Louise et non sur ce témoignage ; la requérante a pu prendre connaissance du contenu des déclarations du témoin et a pu présenter ses observations en réponse ; l'occultation de l'identité d'un témoin n'a pas eu d'influence sur le sens de la décision et ne l'a pas privée d'une garantie ;

- il existe une indépendance des procédures administratives et pénales : un retrait d'agrément peut avoir lieu même sans poursuite pénale ; les premiers juges n'avaient pas à surseoir à statuer ;

- cette décision de retrait d'agrément n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des éléments possédés par le département à la date de la décision ; une enquête administrative a été menée entre le 8 et le 25 avril 2014 ; il a eu connaissance des conclusions de l'expertise médicale sur l'enfant Louise relatives à deux épisodes de secouements violents le 6 septembre 2013 et le 12 septembre 2013 peu de temps avant l'arrivée des secours alors que l'enfant était sous la garde de MmeA...; une enquête pénale impliquant Mme A...en sa qualité d'assistante maternelle était en cours d'instruction ; le doute concernant les circonstances de l'événement du 12 septembre 2013 ne permettait plus de garantir la sécurité de l'accueil aux parents ; les attestations sur ses qualités professionnelles ne permettent pas de démontrer qu'elle n'aurait pas secoué l'enfant le 12 septembre 2013 ;

- après la décision, la requérante a été placée sous contrôle judiciaire et il lui a été interdit d'exercer une activité liée à la garde d'enfants ; elle fait l'objet d'un renvoi devant le tribunal correctionnel ; il ne peut pas être enjoint au département de l'Isère de lui délivrer un agrément d'assistante maternelle alors qu'il lui est interdit d'exercer une activité liée à la garde d'enfants ;

Par décision rectifiée du 17 janvier 2017, le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale a été accordé à MmeA....

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 5 avril 2018 :

- le rapport de Mme Cottier ;

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Girard, avocat du département de l'Isère.

1. Considérant que le président du conseil général de l'Isère a délivré à MmeA..., en octobre 2008, un agrément lui permettant d'accueillir des enfants à son domicile en qualité d'assistante maternelle ; que, le 12 septembre 2013, l'un des enfants qui lui étaient confiés a fait un malaise et a été transporté en urgence à l'hôpital où des symptômes évocateurs du " syndrome de bébé secoué " ont été décelés ; que, par décision du 18 septembre 2013, le président du conseil général de l'Isère a suspendu l'agrément de Mme A...en raison de l'enquête judiciaire diligentée par la brigade de l'enfance et de la famille ; qu'après avoir ordonné une enquête administrative qui s'est déroulée du 18 septembre au 29 novembre 2013, l'autorité départementale a autorisé MmeA..., le 2 décembre 2013, à exercer à nouveau son activité d'assistante maternelle ; que, le 12 février 2014, le président du conseil général de l'Isère a de nouveau suspendu l'intéressée de ses fonctions pour des faits de violence auprès de jeunes enfants révélant un comportement non adapté aux missions d'une professionnelle de la petite enfance ; que, par décision du 30 mai 2014, l'autorité départementale a retiré son agrément ; que, par jugement du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint les deux demandes de Mme A...tendant d'une part à son indemnisation à raison de sa première suspension et d'autre part à l'annulation de la décision portant rejet du recours gracieux formé à l'encontre de la décision du 30 mai 2014 lui retirant son agrément d'assistante maternelle, les a rejetées ; que Mme A...interjette appel de ce jugement ;

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision portant retrait de son agrément d'assistante maternelle :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision en litige : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil général du département où le demandeur réside. (...) L'agrément est accordé à ces deux professions si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne (...). " ; qu'aux termes de l'article L. 421-6 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil général peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil général peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié. Toute décision de retrait de l'agrément, de suspension de l'agrément ou de modification de son contenu doit être dûment motivée et transmise sans délai aux intéressés. (...) " ;

3. Considérant qu'en vertu des dispositions précitées, il incombe au président du conseil général de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément si ces conditions ne sont plus remplies ; qu'à cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est victime des comportements en cause ou risque de l'être ; qu'il peut en outre, si la première appréciation de ces éléments révèle une situation d'urgence, procéder à la suspension de l'agrément ;

4. Considérant que le retrait d'agrément litigieux est fondé sur l'absence de garantie en matière de qualité et de sécurité de l'accueil proposé par Mme A...en qualité d'assistante maternelle ; qu'il est motivé par les conclusions d'une expertise médicale diligentée par le magistrat instructeur judiciaire concernant un enfant accueilli par Mme A...qui " confirment un traumatisme crânien non accidentel (syndrome du bébé secoué) et font état de deux épisodes de secouements notamment le 12 septembre 2013, date à laquelle vous avez accueilli cet enfant " ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles : " Lorsque le président du conseil départemental envisage de retirer un agrément, d'y apporter une restriction ou de ne pas le renouveler, il saisit pour avis la commission consultative paritaire départementale mentionnée à l'article R. 421-27 en lui indiquant les motifs de la décision envisagée. L'assistant maternel ou l'assistant familial concerné est informé, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, des motifs de la décision envisagée à son encontre, de la possibilité de consulter son dossier administratif et de présenter devant la commission ses observations écrites ou orales. La liste des représentants élus des assistants maternels et des assistants familiaux à la commission lui est communiquée dans les mêmes délais. L'intéressé peut se faire assister ou représenter par une personne de son choix. Les représentants élus des assistants maternels et des assistants familiaux à la commission sont informés, quinze jours au moins avant la date de la réunion de la commission, des dossiers qui y seront examinés et des coordonnées complètes des assistants maternels et des assistants familiaux dont le président du conseil départemental envisage de retirer, restreindre ou ne pas renouveler l'agrément. Sauf opposition de ces personnes, ils ont accès à leur dossier administratif. La commission délibère hors la présence de l'intéressé et de la personne qui l'assiste. " ;

6. Considérant que le droit pour l'assistante maternelle de consulter son dossier administratif en vertu des dispositions de l'article R. 421-3 du code de l'action sociale et des familles doit être entendu comme visant l'intégralité du dossier ; que c'est seulement lorsque l'accès à certains des éléments figurant dans ce dossier administratif et notamment à l'identité de certains témoins serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'administration doit se limiter à une information suffisamment circonstanciée de leur teneur ;

7. Considérant que Mme A...soutient que les dispositions de l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles relatives à la possibilité d'accéder à son dossier administratif ont été méconnues, qu'elle a été privée d'une garantie tenant à l'absence de possibilité de contester les dires d'un " témoin " dont l'identité avait été occultée dans un compte-rendu figurant dans son dossier administratif, qu'elle n'a pas pu faire valoir utilement ses droits à la défense alors que les dires de ce " témoin ", avec lequel elle était en relation conflictuelle, ont pesé de manière déterminante dans le retrait de son agrément ;

8. Considérant que le département de l'Isère oppose que la communication de l'identité d'un des témoins étant de nature à porter gravement préjudice à celui-ci et à lui faire courir des risques, il a pu sans méconnaître la procédure prévue à l'article R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles occulter l'identité de cette personne ;

9. Considérant qu'il n'est pas contesté que Mme A...a été informée de son droit à accéder à son dossier administratif avant la réunion de la commission consultative paritaire départementale ; que Mme A...et son avocat ont consulté son dossier administratif le 16 mai 2014, soit avant la réunion de ladite commission le 23 mai suivant ; qu'ils ont ainsi pris connaissance d'un compte-rendu établi le 25 avril 2014 par les services départementaux sur la pratique professionnelle de l'intéressée dans lequel figuraient des éléments sur les résultats de l'expertise médicale et la prise en charge de l'enfant Louise, des témoignages positifs de parents sur la qualité de l'accueil réalisé par Mme A...mais également les dires d'une personne, dont l'identité n'était pas précisée, mentionnée sous la dénomination " témoin ", selon lesquels elle confirme que Mme A...aurait effrayé un enfant lui ayant été confié en utilisant un brumisateur, aurait manié avec une certaine brusquerie dans les escaliers sa poussette transportant un enfant et aurait eu des propos dénigrants sur certains parents ou enfants; que l'avocat de Mme A...a alors sollicité les services départementaux aux fins de connaître l'identité de ce " témoin " dont les propos ont été confirmés dans le cadre d'un appel téléphonique le 25 avril 2014; que les services départementaux ont refusé de communiquer l'identité de ce " témoin " ; que, lors de la réunion de la commission paritaire départementale, Mme A...et son avocat ont pu contester la matérialité des éléments figurant dans son dossier et notamment dans ce compte-rendu ; que, toutefois, comme l'ont estimé à juste titre les premiers juges, eu égard aux faits rapportés dans ce témoignage et en l'absence d'explication plus précise et circonstanciée du département quant à l'existence, en l'espèce, de risques spécifiques et graves pouvant peser sur ledit témoin en cas de mention de son identité, le département de l'Isère ne peut pas être regardé comme justifiant d'un motif sérieux lui imposant de garder secrète l'identité de ce témoin ; que le département ne saurait utilement se prévaloir des dispositions du II de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 qui ne s'appliquent pas à la phase de consultation de son dossier par une assistante maternelle faisant l'objet d'une procédure de retrait d'agrément, laquelle est régie par les seules dispositions particulières de l'article R. 421-3 du code de l'action sociale et des familles ; que, le département ne peut non plus se prévaloir, en tout état de cause, de deux avis de la Commission d'accès aux documents administratifs de 2006 et de 2014 faisant application de ce II de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978 et ayant estimé que des courriers mettant en cause le comportement professionnel d'une assistante maternelle ou un signalement d'une assistante sociale n'étaient pas communicables à celles-ci en raison du préjudice susceptible d'être causé à leurs auteurs s'ils pouvaient être identifiés ; que, dans les circonstances décrites, la non-communication de l'identité de ce témoin par les services départementaux doit être regardé comme viciant la procédure suivie avant la décision de retrait de l'agrément de Mme A... prise par le président du conseil général de l'Isère ;

10. Considérant que si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité de la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ;

11. Considérant, d'une part, que, comme exposé au point 4, la décision de retrait d'agrément fait état seulement des conclusions de l'expertise médicale concernant l'enfant Louise relatives à l'existence d'un traumatisme crânien non accidentel (syndrome du bébé secoué) et de deux épisodes de secouement dont l'un ayant eu lieu le 12 septembre 2013, date à laquelle il n'est pas contesté que Mme A...avait la garde de cet enfant ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, en l'absence dans cette décision de retrait d'agrément de toute indication concernant le témoignage du 25 avril 2014 ou d'éléments issus de ce témoignage et en l'absence de tout élément pouvant faire présumer que l'autorité administrative aurait effectivement pris en compte ce témoignage dans l'appréciation qu'elle a portée lors de l'édiction de sa décision, les dires du " témoin " n'ont pas servi de fondement à la décision en litige et a fortiori n'ont pas fondé de manière " déterminante " ladite décision de retrait d'agrément ;

12. Considérant, d'autre part, que si Mme A...allègue que la connaissance de l'identité de ce témoin, en l'occurrence un voisin, lui aurait permis "d' apporter un éclairage sur la valeur de ce témoignage " en faisant état de l'existence de mauvaises relations entretenues avec celui-ci, le caractère dégradé de telles relations de voisinage, à la date de ce témoignage, n'est pas corroboré par les pièces du dossier ; qu'en outre et, à supposer établie l'existence de ces mauvaises relations de voisinage à la date du témoignage, cette circonstance n'est pas de nature en tant que telle à contredire utilement la matérialité des faits rapportés par le témoin aux services départementaux ; qu'il est constant que Mme A...avait déjà été interrogée le 8 avril 2014 sur les mêmes griefs relatifs à l'utilisation du brumisateur, à l'utilisation de la poussette dans les escaliers ainsi que sur un autre grief relatif à son emportement contre les enfants et qu'elle avait fourni des explications sur ces points aux services départementaux ; qu'il est également constant, ainsi qu'il a été dit plus haut, qu'elle a eu connaissance de la teneur de ce témoignage avant la réunion de la commission consultative paritaire départementale le 23 mai 2014 et a pu contester la matérialité des faits devant ladite commission ;

13. Considérant qu'il résulte de qui vient d'être dit que l'occultation de l'identité de ce témoin n'a exercé en l'espèce aucune influence sur le sens de la décision prise ni n'a privé Mme A... d'une garantie ;

14. Considérant, en second lieu, que comme exposé plus haut, l'enfant Louise G. née le 14 avril 2013, alors qu'elle était au domicile de MmeA..., son assistante maternelle, a fait le 12 septembre 2013 un malaise avec convulsion et perte de connaissance ; que Mme A...a appelé téléphoniquement les secours qui ont transporté en urgence l'enfant, celle-ci étant admise dans le service de réanimation pédiatrique avec un pronostic vital engagé ; que les experts médicaux le 21 mars 2014 ont fixé l'incapacité totale de travail de l'enfant en lien avec le malaise du 12 septembre 2013 à 80 jours, ont estimé que son état n'était pas consolidé, l'enfant présentant une hypotonie faciale et une absence de croissance de son périmètre crânien et n'ont pas exclu l'existence d'une infirmité permanente ; que dans le compte-rendu du 25 avril 2014 établi par les services départementaux dans le cadre des diligences administratives menées en vue de la réunion de la commission consultative paritaire départementale de retrait d'agrément, il est fait mention d'une enquête pénale en cours d'instruction et de soupçons contre Mme A...et deux autres personnes, les parents de la fillette, relatifs à des faits de maltraitance envers Louise ; qu'il est précisé dans ce compte- rendu que le département de l'Isère a pu prendre connaissance de l'expertise médicale ordonnée par le tribunal pour enfants de Grenoble laquelle conclut que les éléments cliniques recueillis sont très en " faveur du syndrome du bébé secoué " et qu'en ce qui concerne la datation des lésions, il y a lieu de retenir comme éléments d'analyse l'audition publique de la Haute autorité de santé publique de septembre 2011 selon laquelle " les symptômes surviennent très rapidement après le secouement violent " ; que ce même compte-rendu mentionne que les experts médicaux se sont prononcés en faveur de deux épisodes de secouement violents, le premier le 6 septembre 2013 et le second le 12 septembre 2013 peu de temps avant l'appel au secours réalisée par MmeA... ; que ce compte-rendu souligne que Louise G était gardée par Mme A...le 12 septembre 2013 entre 8 h du matin et 16 h, heure d'arrivée des secours ; que, dans ce compte-rendu, les services départementaux, après avoir analysé les témoignages de différents parents, les réponses de MmeA..., les éléments recueillis auprès du témoin et les conclusions de l'expertise médicale " qui plaident en faveur de secouements intervenus pendant le temps de l'assistance maternelle " ont conclu à une demande de retrait d'agrément ; que Mme A...oppose en appel que le tribunal correctionnel n'a pas encore statué après cette expertise médicale et le réquisitoire de renvoi du procureur de la République du 14 avril 2016, que le rapport d'expertise ne permet pas de lui imputer la responsabilité de ce traumatisme crânien et qu'elle bénéficie de la présomption d'innocence ; que toutefois, en raison de l'indépendance des procédures administrative et pénale, la requérante ne saurait utilement se prévaloir de ce que la décision portant retrait de son agrément a méconnu la présomption d'innocence ; que Mme A...n'apporte pas d'éléments nouveaux pour contester les conclusions de l'expertise médicale sur la matérialité de tels actes de secouement ainsi que sur la datation du secouement au 12 septembre 2013 durant les horaires où Louise lui était confiée ; que la circonstance qu'elle n'aurait fait l'objet d'aucun reproche jusqu'à cette procédure ainsi que les témoignages favorables des parents employeurs qu'elle verse au débat sont sans incidence sur la légalité de la décision qui a été prise en raison des risques encourus par les enfants gardés du fait du comportement de Mme A...relatif à des actes de secouement de bébé dont l'autorité administrative pouvait raisonnablement penser, au vu des éléments concordants dont elle disposait, qu'ils avaient été commis ; que, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu des éléments en sa possession, avant la décision de retrait de l'agrément, le 30 mai 2014, sur la gravité des faits imputés à MmeA..., sur leur crédibilité et sur les risques encourus en matière de sécurité des enfants accueillis au domicile de MmeA..., le président du conseil général de l'Isère, en procédant au retrait de l'agrément de MmeA..., n'a pas méconnu l'article L. 421-6 du code de l'action sociale et des familles et n'a pas commis d'erreur d'appréciation ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les frais liés au litige :

16. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le département de l'Isère, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, verse à Mme A...la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme A...la somme que demande le département de l'Isère au même titre ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département de l'Isère et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A...et au département de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2018 à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Carrier, président-assesseur,

Mme Cottier, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 mai 2018.

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N°° 16LY03014


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16LY03014
Date de la décision : 24/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

04-02-02-02-01 Aide sociale. Différentes formes d'aide sociale. Aide sociale à l'enfance. Placement des mineurs. Placement familial.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Cécile COTTIER
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : SELARL CABINET PHILIPPE GUIEU et VALERIE GABARRA

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2018-05-24;16ly03014 ?
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