La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/08/2020 | FRANCE | N°18LY03429

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 25 août 2020, 18LY03429


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les Hospices civils de Lyon à lui verser la somme totale de 40 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite de l'intervention du 19 novembre 2013.

Par un jugement n° 1600423 du 24 avril 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 septembre 2018, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le

jugement du 24 avril 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner les Hospices civil...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les Hospices civils de Lyon à lui verser la somme totale de 40 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite de l'intervention du 19 novembre 2013.

Par un jugement n° 1600423 du 24 avril 2018, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 septembre 2018, Mme A..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 24 avril 2018 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner les Hospices civils de Lyon (HCL) à lui verser la somme de 40 000 euros en réparation des préjudices subis à la suite de l'intervention du 19 novembre 2013 ;

3°) de mettre à la charge des HCL la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les risques connus et graves impliquant éventuellement un décès ou une invalidité doivent être portés à la connaissance du patient, quel que soit le taux de fréquence du type d'accidents redouté ; il n'est pas contesté que les troubles fonctionnels importants d'évacuation gastrique post-opératoire subis sont graves, douloureux et impactent sa vie et ses conditions d'existence de manière permanente et significative ; l'existence de ces troubles digestifs en lien avec l'intervention était connue avant la réalisation de l'intervention puisqu'il ressort du rapport d'expertise qu'une publication sur le sujet était parue en octobre 2013 soit antérieurement à l'opération du 19 novembre 2013 ; ces risques connus bien qu'exceptionnels constituaient des risques graves normalement prévisibles au sens des dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique et auraient dû être portés à sa connaissance ; si elle avait été informée de manière complète de tous les risques d'intervention, elle n'aurait jamais accepté celle-ci ; ce défaut d'information est constitutif d'une faute qui engage la responsabilité des HCL ;

- l'information a été délivrée par le docteur Robert sur les risques de la chirurgie bariatrique ; les troubles fonctionnels d'évacuation gastrique post-opératoires n'ont pas été signalés ; ces troubles aussi intenses peuvent survenir et ce même s'ils représentent moins de 1% des cas publiés et sont de connaissance relativement récente ;

- s'agissant des préjudices, elle a perdu une chance de se soustraire au risque connu de l'intervention de souffrir de troubles fonctionnels importants d'évacuation gastrique post-opératoires qui s'est réalisé ; les différents traitements médicaux dont elle a bénéficié ont été tous inefficaces et elle n'a aucune assurance que la nouvelle intervention proposée, le bypass, n'induise pas des troubles digestifs aussi importants que ceux qu'elle a actuellement ; ses troubles dans les conditions d'existence seront évalués à 25 000 euros ; son préjudice esthétique sera évalué à 5 000 euros et les souffrances endurées seront évaluées à 10 000 euros.

Par des mémoires, enregistrés le 1er octobre 2019 et le 25 mars 2020, les HCL, représentés par Me F..., concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- le risque invoqué par Mme A... n'était pas connu au moment de l'intervention du 19 novembre 2013 ; de tels troubles ont été mentionnés pour la première fois dans la littérature médicale mondiale dans un article paru dans la revue Obsesity Surgery dans son numéro 10 de 2013 ; la circonstance qu'un seul article au niveau mondial ait fait mention de l'existence de tels troubles seulement un mois avant l'intervention litigieuse ne saurait permettre de considérer que ce risque puisse être qualifié de connu ; le délai entre la publication de cet article et l'intervention, l'absence de publication à grande échelle de l'article et l'absence de confirmation scientifique des résultats contenus dans cet article ne saurait donc permettre de justifier que Mme A... devait être informée de l'existence de tels risques ;

- en toute hypothèse, le risque qui s'est réalisé dont il est constant qu'il ne présentait pas une fréquence statistique significative n'était pas grave, de sorte qu'il n'avait pas à faire l'objet d'une information ; le professeur Favre a indiqué que Mme A... reste atteinte de troubles digestifs à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent de 15%, d'un préjudice d'agrément, d'un préjudice esthétique de 0, 5 sur une échelle de 7, d'une perte de gains professionnels et d'une incidence professionnelle ; ces préjudices ne sauraient être considérés comme graves et relèvent de l'inconfort digestif ;

- l'intéressée n'a perdu aucune chance d'éviter le préjudice subi dès lors que l'indication opératoire était formelle en vue de réaliser une transplantation rénale ; il n'existait aucune alternative thérapeutique moins risquée ;

- dans l'hypothèse où la cour retiendrait une perte de chance, celle-ci ne saurait être que minime ;

- à titre infiniment subsidiaire, les indemnités sollicitées seront ramenées à de plus justes proportions ; Mme A... n'apporte aucune indication sur les raisons pour lesquelles elle a été contrainte d'arrêter son activité professionnelle ni ne précise si son employeur lui a proposé un emploi adapté à son état de santé.

Par lettre du 12 mars 2020, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement faute de mise en cause de l' Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) en raison de l'éventuelle mise en oeuvre d'une indemnisation des préjudices subis à la suite de l'intervention du 19 novembre 2013 au titre de la solidarité nationale.

Par un mémoire en réponse au moyen d'ordre public, enregistré le 24 mars 2020, Mme A... soutient que le jugement est entaché d'irrégularité en raison du défaut de mise en cause de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale et qu'elle pourrait obtenir une indemnisation par l'ONIAM dès lors que la survenance du dommage subi représente moins de 1 % des cas publiés et est de connaissance relativement récente.

Par un mémoire, enregistré le 23 mai 2020, l'ONIAM, représenté par Me E..., conclut, à titre principal, à l'annulation du jugement du 24 avril 2018 du tribunal administratif de Lyon et au renvoi de la procédure devant le tribunal administratif, et, à titre subsidiaire, à ce qu'il soit mis hors de cause.

Il soutient que :

- en s'abstenant de l'appeler dans la cause en première instance, le tribunal administratif de Lyon a entaché son jugement d'irrégularité ; il s'est vu priver de la possibilité de participer à l'ensemble de la procédure contradictoire notamment de l'expertise judiciaire du docteur Fabre ;

- la cour devra renvoyer l'affaire car il a été privé du double degré de juridiction ;

- le dommage présenté par Mme A... n'est pas imputable à un accident médical ; les troubles invoqués sont la conséquence de la chirurgie bariatrique dont elle a bénéficié consistant en la réduction de son estomac et non d'un accident médical ; le rapport d'expertise précise que les troubles digestifs sont d'origine fonctionnelle excluant toute cause organique ; c'est la technique chirurgicale réalisée, à savoir la réduction de l'estomac, qui est à l'origine des troubles digestifs ;

- le dommage subi n'est pas anormal ; les troubles digestifs ne sauraient constituer des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles elle était exposée de manière suffisamment probable en l'absence de traitement compte tenu de ce que la chirurgie bariatrique lui a permis de maintenir son inscription sur la liste d'attente de transplantation ; les troubles présentés par Mme A... sont mineurs compte tenu de ce que ces troubles ne la privent pas de la possibilité de s'alimenter ; il s'agit d'une complication fréquente d'une sleeve.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Vigier-Carrière, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., née le 19 janvier 1959, présente une insuffisance rénale chronique secondaire à une néphroangiosclérose nécessitant une hémodialyse tri-hebdomadaire depuis septembre 2010 et était dans l'attente d'une transplantation rénale. Elle présentait également une obésité abdominale contre-indiquant toute greffe rénale. Le 19 novembre 2013, elle a subi une sleeve gastrectomie à l'hôpital Edouard Herriot, dépendant des Hôpitaux civils de Lyon (HCL) afin de pouvoir bénéficier d'une greffe rénale. Le 24 novembre 2013, elle a été autorisée à regagner son domicile. Depuis l'intervention, elle souffre de vomissements et de douleurs épigastriques. Imputant ces vomissements et douleurs à l'intervention pratiquée le 19 novembre 2013, elle a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande d'expertise. Par une ordonnance du 12 mars 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a désigné le professeur Jean-Pierre Favre en qualité d'expert. Celui-ci a déposé son rapport le 6 juillet 2015. Le 25 janvier 2016, après avoir saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à la condamnation des HCL à l'indemniser des préjudices subis, Mme A... a également saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI) de Rhône-Alpes qui a désigné le professeur Jean-Pierre Favre en qualité d'expert, lequel a déposé un nouveau rapport le 7 juin 2016. Mme A... relève appel du jugement du 24 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la condamnation des HCL à l'indemniser des préjudices subis.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique, " I. - Lorsque la juridiction compétente, saisie d'une demande d'indemnisation des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins dans un établissement de santé, estime que les dommages subis sont indemnisables au titre du II de l'article L. 1142-1 ou au titre de l'article L. 1142-1-1, l'office est appelé en la cause s'il ne l'avait pas été initialement. Il devient défendeur en la procédure. ".

3. Si les conséquences de la sleeve gastrectomie ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles Mme A... était exposée quant à son insuffisance rénale en l'absence de la sleeve gastrectomie compte tenu de ce que l'intéressée était atteinte d'une insuffisance rénale terminale nécessitant une hémodialyse trois fois par semaine, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que " les troubles de l'évacuation gastrique aussi intenses sont exceptionnels, représentants moins de 1% des cas publiés ". Par suite, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Par ailleurs, Mme A... a subi un arrêt de travail en lien avec ses troubles digestifs du 2 février 2014 jusqu'au 19 mars 2015. Ainsi la demande d'indemnisation réclamée par la requérante était susceptible de relever du régime défini par l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. Le tribunal administratif de Lyon a omis de mettre en cause l'ONIAM et a ainsi méconnu l'article L. 1142-21 du code de la santé publique. Eu égard à l'objet dudit article, la violation de ces prescriptions constitue une irrégularité que le juge d'appel est tenu de relever d'office.

4. La procédure ayant été communiquée à l'ONIAM et l'affaire étant en état d'être jugée, il y a lieu d'évoquer et de statuer sur la demande indemnitaire présentée par Mme A....

Sur la responsabilité des HCL en raison du défaut d'information :

5. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. / Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. / Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. ".

6. Lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité, de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée. C'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l'existence d'une perte de chance. En application de ces dispositions, doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. Il suit de là que la circonstance qu'un risque de décès ou d'invalidité répertorié dans la littérature médicale ne se réalise qu'exceptionnellement ne dispense pas les médecins de le porter à la connaissance du patient. Toutefois, en cas d'accident, le juge qui constate que le patient n'avait pas été informé du risque grave qui s'est réalisé doit notamment tenir compte, le cas échéant, du caractère exceptionnel de ce risque, ainsi que de l'information relative à des risques de gravité comparable qui a pu être dispensée à l'intéressé, pour déterminer la perte de chance qu'il a subie d'éviter l'accident en refusant l'accomplissement de l'acte.

7. Mme A... fait valoir que les troubles digestifs en lien avec l'intervention étaient connus avant la réalisation de l'intervention dès lors qu'il ressort du rapport d'expertise qu'une publication sur le sujet était parue en octobre 2013, soit antérieurement à l'opération du 19 novembre de la même année.

8. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que Mme A... a présenté dans les suites de l'intervention du 19 novembre 2013 d'importants troubles digestifs consistant en des vomissements, des remontées de liquide et des douleurs abdominales qui surviennent lors de l'absorption de liquides et de solides et qui sont dus à la résection nécessaire d'une partie de l'estomac réalisée lors de l'intervention litigieuse. Si Mme A... reconnaît avoir eu une information exhaustive sur l'intervention chirurgicale lors de la consultation avec le docteur Robert, chirurgien spécialisé en chirurgie bariatrique, qui a insisté sur les complications thrombo-emboliques, les complications hémorragiques post-opératoires immédiates et sur les complications digestives à type de fistule, il n'est pas contesté qu'elle n'a pas été informée des risques de troubles digestifs intenses tels que ceux précédemment décrits en lien avec l'intervention.

9. Si Mme A... fait valoir qu'une publication sur le sujet était parue en octobre 2013 soit antérieurement à l'intervention du 19 novembre de la même année, il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise établi le 30 juin 2015 que le professeur Favre a indiqué, en se fondant sur un article publié en 2013 dans le n° 10 de la revue Obsesity Surgery, que " les troubles dyspeptiques que l'on rencontre après les interventions de chirurgie bariatrique sont de description récente, de faible intensité et s'améliorent progressivement avec les conseils diététiques. Chez Mme A..., ils ont une intensité et une durée qui ne sont pour le moment pas rapportées dans la littérature. Ces troubles ne sont pas secondaires à une mauvaise indication opératoire ni à une malfaçon. Il était difficile même en étant exhaustif d'informer Mme A... de la possibilité de survenue de cet inconfort digestif à cette époque non décrit. (....) Les troubles de l'évacuation gastrique aussi intenses sont exceptionnels, représentants moins de 1% des cas publiés et sont de connaissance relativement récente, leur apparition est non prévisible " et a également précisé, dans son rapport du 7 juin 2016 diligenté par la CRCI, que, concernant l'information, " elle a été complète selon les préconisations en énumérant toutes les complications possibles. Il n'a pas été fait mention de troubles fonctionnels car, dans l'état des connaissances de 2013, il n'y avait pas de publications sur cette particulière fréquence après sleeve gastrectomie ". Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'obligation d'information incombant au médecin ne pouvait porter que sur des risques suffisamment documentés par la littérature médicale, ce qui n'était pas le cas en l'espèce dès lors que l'article précité de 2013 constituait une première évocation de cette complication dans la littérature médicale. Par suite, Mme A... ne peut sérieusement soutenir, qu'à la date à laquelle elle a fait l'objet de l'intervention, le risque qui s'est réalisé de troubles intenses de l'évacuation gastrique résultant de la sleeve gastrectomie était connu des praticiens spécialisés dans la chirurgie bariatrique et que ceux-ci étaient, en conséquence, tenus d'en informer leur patient. Il s'ensuit que Mme A... n'est pas fondée à rechercher la responsabilité des HCL en raison d'un défaut d'information des risques résultant de l'intervention du 19 novembre 2013.

Sur la réparation au titre de la solidarité nationale :

10. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I (...) n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celuici et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 % (...) ".

11. Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code, qui définit le seuil de gravité prévu par ces dispositions législatives, " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. /. Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %./. A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. ".

12. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

13. Il résulte de l'instruction que l'indication opératoire de sleeve gastrectomie était formelle dès lors que Mme A... présentait une obésité morbide importante ayant fait l'objet, en vain, de nombreux traitements médicaux, de cures d'amaigrissement et de régime et qui lui interdisait de bénéficier d'une transplantation rénale alors qu'elle était atteinte d'une insuffisance rénale terminale.

14. L'ONIAM fait valoir que les troubles présentés par Mme A... ne sont pas imputables à un acte de soin dès lors qu'ils ont une origine fonctionnelle liée à la résection de l'estomac. Si l'expert a indiqué que les troubles que présente Mme A... sont dus à la résection nécessaire d'une partie de l'estomac, il résulte de l'instruction que l'opération de sleeve gastrectomie qui a conduit à cette résection pouvait présenter des risques de troubles digestifs en lien avec l'intervention chirurgicale. Par suite, les troubles présentés par Mme A... doivent être regardés comme étant directement imputables à un acte de soin.

15. L'ONIAM fait valoir, en se fondant sur un article " Prise en charge pluridisciplinaire des syndromes de dumping après chirurgie bariatrique " paru dans une revue médicale suisse en 2017, que les troubles digestifs présentés par Mme A... sont mineurs et sont une complication fréquente d'une sleeve gastrectomie.

16. Si les conséquences de la sleeve gastrectomie ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles Mme A... était exposée quant à son insuffisance rénale en l'absence de la sleeve gastrectomie compte tenu de ce que l'intéressée souffrait d'une insuffisance rénale terminale nécessitant une hémodialyse trois fois par semaine, l'expert a précisé que " les troubles de l'évacuation gastrique aussi intenses sont exceptionnels, représentants moins de 1% des cas publiés ". Cette analyse de l'expert ne saurait être remise en cause par l'article précité de 2017 relatif au syndrome de dumping précoce survenant " quelques semaines à quelques mois après l'intervention " dont les symptômes décrits, présentant un caractère de gravité qualifié de faible à moyen et dont la prévalence est de l'ordre de 12 à 70% selon les études, font uniquement état de " douleurs abdominales, diarrhées, nausées, borborygmes, palpitations, tachycardie, flushing, transpiration, hypotension " alors que Mme A... présente des troubles digestifs qualifiés d'intenses par l'expert consistant en des vomissements, des remontées de liquide et des douleurs abdominales. Par suite, la survenance du dommage dont Mme A... a été victime doit être regardée comme présentant une probabilité faible. Il s'ensuit que la condition d'anormalité doit être regardée comme remplie.

17. Il résulte également de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que " si Mme A... n'avait pas présenté de troubles fonctionnels d'évacuation gastrique les préjudices temporaires auraient été : - un déficit fonctionnel temporaire total du 19 novembre 2013 au 30 novembre 2013, partiel de 50% de classe III du 1er décembre 2013 au 1er février 2014 (convalescence plus importante compte tenu de l'insuffisance rénale de Mme A...), - un arrêt de travail du 19 novembre 2013 au 1er février 2014 avec une consolidation fixée au 1er février 2014. Il n'y aurait pas de déficit fonctionnel permanent, pas de préjudice d'agrément, pas de préjudice esthétique, pas de pertes de revenus ni de dépenses de santé " et que " compte tenu des troubles postopératoires non fautifs, les préjudices temporaires sont un déficit fonctionnel total de 100% du 19 novembre 2013 au 18 janvier 2014, date de la dernière hospitalisation pour les troubles de l'évacuation gastrique, puis partiel de 50% de classe III du 19 janvier 2014 au 18 mars 2015, date de la dernière consultation du service de transplantation permettant de maintenir Mme A... sur la liste d'attente de transplantation, - une perte de gain professionnel avec un arrêt de travail jusqu'au 19 mars 2015, avec une date de consolidation fixée au 19 mars 2015, soit le lendemain de la dernière consultation dans le service de transplantation et le maintien sur la liste d'attente ". Il s'ensuit que Mme A... a subi, du 2 février 2014 jusqu'au 19 mars 2015, un arrêt de travail en lien avec ses troubles digestifs. Par suite, Mme A... remplit le caractère de gravité énoncé à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.

18. Il résulte de ce qui précède que les préjudices subis par Mme A... doivent être indemnisés au titre de la solidarité nationale par l'ONIAM.

Sur l'évaluation des préjudices de Mme A... :

19. Mme A... fait valoir qu'elle a subi des troubles dans ses conditions d'existence. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que Mme A... souffre de douleurs abdominales intenses et de vomissements qui ne lui permettent pas de s'alimenter normalement et ont eu un retentissement professionnel, psychique et social. Il sera fait une juste appréciation des troubles dans ses conditions d'existence en lui allouant la somme de 15 000 euros.

20. Mme A... demande à être indemnisée d'un préjudice esthétique temporaire et permanent évalué par l'expert à 0, 5 sur une échelle de 7. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant à l'intéressée la somme de 1 000 euros.

21. Les souffrances endurées en lien avec les troubles gastriques intenses ont été évaluées par l'expert à 3 sur une échelle de 7 compte tenu des multiples hospitalisations, des différents traitements et des différentes investigations. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 4 000 euros.

22. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... peut seulement prétendre à l'octroi d'une indemnité de 20 000 euros, mise à la charge de l'ONIAM au titre de la solidarité nationale.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des HCL, qui ne sont pas partie perdante dans la présente instance, la somme dont Mme A... demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du 24 avril 2018 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 2 : L'ONIAM est condamné à verser à Mme A... la somme de 20 000 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, aux Hospices civils de Lyon, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Ain et à la caisse primaire d'assurance de la Loire.

Délibéré après l'audience du 9 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

M. Pommier, président de chambre,

M. Drouet, président assesseur,

Mme C..., premier conseiller.

Lu en audience publique le 25 août 2020.

2

N° 18LY03429


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY03429
Date de la décision : 25/08/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. POMMIER
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme VIGIER-CARRIERE
Avocat(s) : DUCHER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-08-25;18ly03429 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award