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13/04/2021 | FRANCE | N°20LY01531

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 13 avril 2021, 20LY01531


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme P... Q..., M. C... Q..., M. O... Q..., Mme F... W...-Q..., Mme H... Q... épouse U..., Mme K... S... épouse A..., M. C... A..., M. L... A..., M. G... A... et M. E... A... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les hospices civils de Lyon à leur verser diverses sommes en raison des conséquences dommageables d'une intervention chirurgicale réalisée le 18 juin 2013, et de mettre à la charge de cet établissement public le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L

. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assura...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme P... Q..., M. C... Q..., M. O... Q..., Mme F... W...-Q..., Mme H... Q... épouse U..., Mme K... S... épouse A..., M. C... A..., M. L... A..., M. G... A... et M. E... A... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les hospices civils de Lyon à leur verser diverses sommes en raison des conséquences dommageables d'une intervention chirurgicale réalisée le 18 juin 2013, et de mettre à la charge de cet établissement public le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie de la Loire a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les hospices civils de Lyon à lui verser une somme de 2 128 900,42 euros, avec intérêts de droit à compter du jugement et une somme de 1 066 euros en application de l'article L. 376-1 du code de sécurité sociale.

La société Générali IARD a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les hospices civils de Lyon à lui verser une somme de 1 000 000 euros en remboursement des sommes versées à Mme P... Q... au titre d'un contrat d'assurance " accidents de la vie ", et une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Uni Prévoyance a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner les hospices civils de Lyon à lui verser une somme de 16 041,67 euros en remboursement des sommes versées à Mme P... Q... au titre d'un contrat d'assurance " complémentaire santé ".

Par un jugement n° 1804261 du 17 mars 2020, le tribunal administratif de Lyon a décidé de procéder à une expertise médicale avant dire droit.

Procédure devant la Cour :

I - Par une requête, enregistrée le 28 mai 2020, sous le n° 20LY01531, les consorts Q..., représentés par Me T..., demandent à la cour :

1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement avant dire droit n° 1804261 du 17 mars 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner les hospices civils de Lyon à leur verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il serait inéquitable et déloyal qu'ils contestent l'utilité d'une expertise qui aurait d'ores et déjà eu lieu et qui serait mise à leur charge ;

- ils renvoient à leurs écritures sous l'affaire n° 20LY01532 quant aux moyens justifiant qu'un sursis à exécution soit pris.

Par un mémoire, enregistré le 21 juillet 2020, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me I..., déclare s'en remettre à justice sur la demande de sursis à exécution :

Il soutient que :

- la tenue d'une nouvelle expertise médicale ne préjudicierait pas aux droits des consorts Q... ;

- il renvoie à ses écritures sous l'affaire n° 20LY01532.

Par un mémoire, enregistré le 30 juillet 2020, les hospices civils de Lyon, représentés par Me M..., concluent au rejet de la requête :

Ils renvoient à leurs écritures sous l'affaire n° 20LY01532 quant aux moyens justifiant qu'un sursis à exécution soit pris.

Par un mémoire, enregistré le 31 juillet 2020, la société Uni Prévoyance déclare s'en rapporter à justice quant à la demande de sursis à exécution des consorts Q... et demande à la cour de condamner toutes parties succombantes à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 8 octobre 2020, la société Generali IARD, représentée par Me D..., demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement avant dire droit n° 1804261 du 17 mars 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

Elle soutient que :

- l'exécution du jugement avant dire droit est susceptible d'influencer l'appréciation de la cour sur l'appel interjeté par les consorts Q... ;

- elle renvoie à ses écritures sous l'affaire n° 20LY01532 quant aux moyens justifiant qu'un sursis à exécution soit pris.

II - Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 mai et 28 septembre 2020, sous le n° 20LY01532, les consorts Q..., représentés par Me T..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1804261 du 17 mars 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) d'ordonner le renvoi de l'examen des demandes indemnitaires devant le tribunal administratif de Lyon, sinon de condamner les hospices civils de Lyon à verser à Mme P... Q... la somme globale de 15 373 947,71 euros, à M. C... Q..., la somme globale de 2 039 458,72 euros, à Mme H... Q..., M. O... Q... et Mme F... W...-Q... la somme de 25 000 euros chacun, à M. C... A... et Mme K... A... la somme globale de 44 819,74 euros, à M. L... A... la somme globale de 15 654 euros, et à M. G... A... et M. E... A... la somme de 10 000 euros chacun ;

3°) de déclarer l'arrêt opposable à la caisse primaire d'assurance maladie de Haute Savoie, à la mutuelle Uniprévoyance, à la mutuelle Pro BTP et à la compagnie Générali ;

4°) de mettre à la charge des hospices civils de Lyon une somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice.

Ils soutiennent que :

- pour estimer qu'une nouvelle expertise soit nécessaire, le tribunal administratif s'est à tort fondé sur un avis critique du Pr. Auque commandé par la SHAM qui aurait dû être écarté des débats puisqu'établi en violation du secret médical et du respect de la vie privée de la victime au sens de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique ; cet avis ne contient aucune analyse ou démonstration médico-légale mais s'apparente à un avis personnel et subjectif ; le tribunal administratif a, en revanche, écarté sans en expliquer les motifs l'avis du Pr. Vallée effectué à leur demande et allant dans le sens de l'expert ; une nouvelle expertise engendrera des coûts conséquents supportés par eux alors que les faits sont survenus il y a sept ans et que la victime a besoin de financements pour lui permettre de vivre dans des conditions de sécurité et de dignité ;

- le rapport d'expertise établit suffisamment la responsabilité pleine et entière des hospices civils de Lyon tenant à l'erreur d'indication chirurgicale de craniectomie occipitale de décompression et laminectomie cervicale C3/C7 dès lors qu'il n'est pas établi que la victime souffrait d'une malformation de Chiari au vu des pièces de son dossier médical, et à la maladresse fautive du geste opératoire ayant causé une plaie de l'artère vertébrale en l'absence d'anomalie de sa course et compte tenu de l'abord latéral de la technique utilisée par l'opérateur ;

- Mme P... Q... a droit à la réparation des préjudices suivants :

* Dépenses de santé actuelles restées à sa charge ... 41 160,05 euros

* Honoraires des médecins conseils (Drs Gouraud et Antoine) ... 3 360 euros

* Honoraires d'un architecte conseil (M. B...) ... 52 200 euros

* Frais de transport restés à sa charge ... 3 603,60 euros

* Frais de télévision et téléphone ... 315 euros

* Frais de reproduction et numérisation ... 191,77 euros

* Frais de métrage et d'estimation du domicile ... 1 540 euros

* Frais d'assurance responsabilité civil fauteuil roulant ... 185,77 euros

* Frais d'acquisition de vélo ... 10 518,03 euros

* Assistance par tierce personne temporaire ... 285 000 euros

* Perte de gains professionnels actuels ... 24 062,10 euros

* Dépenses de santé futures à sa charge dont :

o consommables type alèses, lingettes, lotion et gel ... 56 317,45 euros

o bas de contention ... 83 943,21 euros

o fauteuil roulant manuel ... 41 831,19 euros

o fauteuil roulant électrique ... 142 004,85 euros

o batteries fauteuil roulant ... 2 973,94 euros

o assurance fauteuil roulant ... 6 568,88 euros

o neurostimulateur ... 2 238,56 euros

o lit médicalisé ... 28 592,14 euros

o accessoires lit médicalisé ... 1 248,87 euros

o coussins anti escarre ... 532,97 euros

* Frais divers futurs dont :

o Vélo d'aquabiking ... 3 657,87 euros

o Vélo tricycle d'extérieur et vélo couché d'intérieur ... 61 927,15 euros

o Surcoût voyage à l'étranger ... 228 737,01 euros

* Assistance tierce personne permanente ... 9 273 332,30 euros

o Dont surcoût voyage à l'étranger ... 140 251,39 euros

* Pertes de gains professionnels futurs ... 775 255,75 euros

o Dont perte de bénéfices en tant qu'associée ... 348 840 euros

* Incidence professionnelle ... 120 000 euros

o Dont perte de droits à la retraite ... 871 153,46 euros

* Frais d'aménagement du domicile dont :

o Travaux déjà réalisés ... 29 699,98 euros

o Création d'un ascenseur ... 250 000 euros

o Contrat d'entretien d'ascenseur ... 1 800 euros / an

o Plate-forme élévatrice ... 40 500 euros

o Contrat d'entretien plate-forme ... 220 euros / an

o Travaux d'accessibilité sanitaire et salle d'eau niveau 0 ... 46 700 euros

o Travaux d'accessibilité à la piscine ... 6 500 euros

o Travaux d'accessibilité cave à vin ... 660 euros

o Plate-forme élévatrice pour accéder au salon ... 29 500 euros

o Contrat d'entretien plate-forme ... 220 euros/an

o Aménagement cuisine ... 12 150 euros

o Travaux d'accessibilité salle de bains et sanitaire ... 96 600 euros

o Aménagement chemin extérieur ... 7 500 euros

o Domotique ... 17 000 euros

o Honoraires maitrise d'oeuvre ... 144 087,44 euros

o Honoraires décorateur ... 39 296,57 euros

o Honoraires bureau d'études ... 4 800 et 3 840 euros

* Aménagement du véhicule ... 581 865,76 euros

* Déficit fonctionnel temporaire ... 26 747 euros

* Souffrances endurées ... 55 000 euros

* Préjudice esthétique temporaire ... 12 000 euros

* Déficit fonctionnel permanent ... 500 000 euros

* Préjudice esthétique permanent ... 40 000 euros

* Préjudice d'agrément ... 50 000 euros

* Préjudice sexuel ... 50 000 euros

- M. C... Q..., époux de la victime, a droit à la réparation des préjudices suivants :

Frais de déplacement et d'hébergement ... 14 313,95 euros

Perte de revenus ... 1 930 144,77 euros

Troubles dans les conditions de l'existence ... 25 000 euros

Préjudice d'affection ... 35 000 euros

Préjudice sexuel ... 35 000 euros

- M. O..., Mme H... Q... et Mme F... W...-Q... ont droit à la réparation de leur préjudice d'affection à hauteur de 25 000 euros chacun ;

- les parents de Mme P... Q... ont droit à la réparation des préjudices suivants :

* Frais de déplacement au chevet de la victime ... 8 819,74 euros

* Préjudice d'affection ... 18 000 euros chacun

- M. L... A... a droit à la réparation des préjudices suivants :

* Frais de déplacement au chevet de la victime ... 5 654 euros

* Préjudice d'affection ... 10 000 euros

- les deux autres frères de Mme P... Q... ont droit à la réparation de leur préjudice d'affection à hauteur de 10 000 euros chacun.

Par deux mémoires, enregistrés les 30 juillet et 12 octobre 2020, la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, agissant au nom et pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute-Savoie, représentée par Me N..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1804261 du 17 mars 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner les hospices civils de Lyon à lui verser la somme de 2 128 900,42 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 octobre 2017 et leur capitalisation ;

3°) de condamner les hospices civils de Lyon à lui verser la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

4°) de condamner les hospices civils de Lyon à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le rapport du Pr. Auque ne pouvait servir de base au règlement du litige dès lors qu'il a été commandé pour les besoins de la cause par la SHAM, assureur des hospices civils de Lyon, en violation du secret médical ;

- il est suffisamment établi que la victime ne présentait pas de malformation de Chiari pour laquelle une intervention chirurgicale a été posée mais une ptose des amygdales cérébelleuses ;

- elle est en droit d'obtenir le remboursement des débours exposés pour la prise en charge de Mme Q..., soit 377 633 euros de dépenses de santé actuelles, 1 149 077,75 euros de dépenses de santé futures, 25 639,86 euros d'indemnités journalières versées du 20 juin 2013 au 15 février 2015, 101 658,08 euros de pension d'invalidité déjà versée et 314 735,19 euros de majoration tierce personne de cette pension ;

Par un mémoire, enregistré le 8 septembre 2020, la société Uni Prévoyance déclare s'en rapporter à justice quant aux conclusions des requérants tendant à infirmer le jugement avant-dire-droit et demande à la cour de condamner tout succombant à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistrée le 8 octobre 2020, la société Generali IARD, représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1804261 du 17 mars 2020 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de condamner les hospices civils de Lyon à lui verser la somme de 1 000 000 euros au titre des sommes versées à Mme Q... en exécution d'un contrat d'assurances " Covalia accidents de la vie " ;

Elle fait valoir que :

- la responsabilité des hospices civils est engagée au vu du rapport d'expertise et de l'avis du Pr. Chodkiewicz, neurochirurgien et expert ;

- en vertu d'un procès-verbal transactionnel du 26 novembre 2016, elle est subrogée aux droits de la victime à hauteur du million d'euros versé au titre de la police d'assurance visant à réparer les conséquences dommageables d'un accident médical en termes de préjudice économique et physiologique, de frais d'assistance d'une tierce personne, de frais d'aménagement du domicile et du véhicule et des préjudices personnels subis ;

Par des mémoires, enregistrés les 30 juillet 2020, 7 septembre 2020 et 29 octobre 2020, les hospices civils de Lyon, représentés par Me M..., concluent au rejet de la requête et des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie :

Ils font valoir que :

- le rapport critique du Pr. Auque n'a pas méconnu le secret médical dès lors qu'il s'est fondé sur des pièces médicales soumises au contradictoire et discutées entre les parties ;

- la malformation de Chiari relève d'une controverse importante dans le milieu neurochirurgical quant à son traitement entre les partisans d'une intervention seulement en cas d'évolution des symptômes neurologiques, notamment un syndrome syringomyélique avec cavité centra médullaire diagnostiqué à l'IRM, et ceux privilégiant une intervention dès l'apparition des premiers symptômes fonctionnels compte tenu du caractère imprévisible de l'évolution de la maladie, notamment des formes rares de décompensation mortelle suite à un traumatisme cervical bénin ; en l'absence d'études faisant autorité, l'existence d'une faute dans l'indication chirurgicale retenue par l'expert est contestable et mérite un nouvel avis d'expert ; la complication tenant à la plaie de l'artère vertébrale ne peut être considérée comme une maladresse fautive ou tenant au choix inadapté de la voie d'abord ; elle constitue un aléa médical non fautif rare (moins de 1 %) mais classique ;

- il n'appartient pas à la cour de statuer sur les conclusions indemnitaires dès lors qu'elle n'est saisie par l'effet dévolutif que sur la question de l'utilité de l'expertise ordonnée par les juges de première instance ; les prétentions financières sont en tout état de cause excessives et parfois injustifiées.

Par un mémoire, enregistré le 8 octobre 2020, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me I..., déclare s'en rapporter à justice quant à l'annulation du jugement avant dire droit du tribunal administratif de Lyon et conclut au rejet de toute demande dirigée contre lui :

Il soutient que :

- le rapport d'expertise a apporté une réponse claire et exhaustive aux éléments de contestation préalablement avancés par l'hôpital lors de l'expertise quant à l'insuffisance de diagnostic à l'origine d'une faute dans l'indication opératoire et quant à la maladresse fautive commise au cours de l'opération ;

- les conditions légales ne sont pas remplies pour ouvrir droit à réparation du préjudice au titre de la solidarité nationale en l'absence d'accident médical non fautif.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gayrard, président assesseur ;

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique ;

- les observations de Me Pontille, avocat des consorts Q... ;

- les observations de Me M..., avocat des hospices civils de Lyon ;

- et les observations de Me Fontanini, avocat de la société Generali IARD.

Considérant ce qui suit :

1. Mme P... Q..., née le 18 août 1966, souffrait depuis plusieurs années de douleurs de l'avant-bras gauche, d'épisodes de vertige et de céphalées régulières. Le Pr. Sindou, exerçant à l'hôpital neurologique de Bron, faisant partie des hospices civils de Lyon, a posé une indication opératoire lors de consultations des 28 décembre 2012 et 5 février 2013 en estimant que la patiente présentait une malformation de Chiari de type 1 associée à une sténose du canal cervical et une syringomyélie cervicale étendue. Le 18 juin 2013 a été réalisée une craniectomie sous occipitale aux fins de décompression, laminectomie cervicale de C1 et hémi lamectomie droite avec recalibration C2 à C7. Mme Q... a présenté une bradycardie liée à la formation d'un hématome extradural de la voie d'abord ayant pour origine une plaie de l'artère vertébrale gauche. Malgré deux reprises chirurgicales, l'une immédiate, l'autre réalisée dès le lendemain, cet incident a provoqué une tétraplégie incomplète.

2. Par ordonnance du 22 juillet 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a ordonné une expertise confiée au Dr Bougeard, neurochirurgien, qui a fait appel à un sapiteur architecte, M. J.... Le rapport d'expertise a été déposé le 27 novembre 2015. Selon protocole transactionnel du 26 novembre 2016, la compagnie Générali a versé une somme d'un million d'euros à Mme Q... en exécution d'un contrat d'assurance sur les accidents de la vie. Par requête du 2 juin 2018, Mme P... Q..., son époux, M. C... Q..., leurs trois enfants, M. O... et Mmes H... Q... et F... W...-Q..., ses parents, Mme K... S... et M. C... A..., et ses trois frères, MM. Thierry, Pascal et Bruno A..., ont saisi la TA de Lyon en vue de condamner les HCL à leur verser diverses sommes. La caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, agissant pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de Haute Savoie, a demandé une somme de 2 128 900,42 euros au titre des débours exposés pour Mme P... Q.... La compagnie Generali est intervenue dans l'instance pour demander le remboursement de la somme versée à son assurée. La mutuelle de Mme Q..., la société Uni Prévoyance, a également demandé le remboursement de la somme de 16 041,67 euros. Par jugement du 17 mars 2020, le tribunal administratif a décidé d'ordonner avant dire droit une nouvelle expertise.

3. Par requête enregistrée le 28 mai 2020, sous le n° 20LY01532, les consorts Q... demandent l'annulation de ce jugement avant dire droit et la condamnation des hospices civils au paiement de sommes suivantes : 14 189 701,41 euros pour Mme P... Q..., 2 034 495,35 euros pour son époux, M. C... Q..., 25 000 euros pour leurs trois enfants, 8 819,74 euros et 18 000 euros chacun aux parents, M. C... et Mme K... A..., 15 654 euros pour un des frères, M. L... A..., et 10 000 euros pour chacun des trois frères, Thierry, Pascal et Bruno A.... La caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, la compagnie Generali et la société Uni Prévoyance réitèrent en appel leur demande de remboursement des sommes versées en faveur de Mme P... Q.... Par requête enregistrée le 28 mai 2020, sous le n° 20LY01531, les consorts Q... et la compagnie Generali IARD demandent à la cour d'ordonner le sursis à exécution du jugement précité.

Sur la requête n° 20LY01532 :

4. La recevabilité d'une requête dirigée contre un jugement avant-dire droit se bornant à prescrire une expertise est limitée à la contestation de l'utilité de cette expertise et à la contestation des motifs de ce jugement qui constituent le soutien nécessaire de la mesure d'instruction ordonnée.

5. Il ressort des termes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Lyon a considéré que les appréciations divergentes contenues dans un rapport du Pr. Auque, neurochirurgien, réalisé à la demande des hospices civils de Lyon, par rapport aux conclusions du rapport d'expertise du Dr Bougeard, neurochirurgien désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, quant à l'indication opératoire ou la lésion de l'artère vertébrale rendaient nécessaires pour lui de disposer d'éléments d'information complémentaires. Il a toutefois ordonné une nouvelle expertise complète sans préciser les points de contestation nécessitant un nouvel éclairage.

6. Or, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise et des avis spécialisés produits au cours de la première instance par les professeurs Auque, Chodkiewicz et Vallée, neurochirurgiens et experts judiciaires, que les discordances relevées par le tribunal administratif portent essentiellement sur le diagnostic exact de la pathologie dont était atteint Mme P... Q... dès lors que les symptômes dont elle souffrait, douleur de la face postérieure de l'avant-bras gauche, céphalées postérieures gauche et vertige sans chute et les clichés d'IRM effectués les 24 octobre 2012 et 17 juin 2013 étaient évocateurs, pour les Pr. Sindou et Auque, d'une malformation de Chiari de type 1 consistant en une descente des amygdales cérébelleuses au-delà du plan du foramen magnum à l'origine d'une cavitation médullaire appelée syringomyélie et, pour le Dr Bougeard et les Pr. Chodkiewicz et Vallée, d'une névralgie cervico-brachiale secondaire à une pathologie du rachis cervical non déterminée.

7. En premier lieu, le Pr. Auque ne conteste pas sérieusement que le tableau clinique rappelé au point précédent était imprécis et portait sur des symptômes peu invalidants tandis que les clichés d'IRM, dont au demeurant il n'est pas établi que le Pr. Auque ait pu les consulter, ne montraient pas de véritable sténose du canal cervical mais une dilatation localisée du canal de l'épendyme et confirmait un état non évolutif entre les deux clichés de 2012 et 2013. Le Pr Auque, qui ne contredit pas les données techniques mentionnées par le Dr Bougeard, se borne à affirmer sans guère de précisions que " l'indication opératoire me semblait justifiée dans ce contexte clinique et radiologique débutant " en évoquant de meilleurs résultats en cas de prise en charge précoce, sans toutefois produire des éléments de la science médicale sur ce point. Si les hospices civils de Lyon ont également évoqué l'existence de deux écoles de neurochirurgiens, l'une interventionniste dès les premiers symptômes pour éviter tout risque de décompensation brutale, notamment traumatique, et l'autre attentiste ne prônant l'intervention chirurgicale qu'en cas d'évolution péjorative des troubles liés à la pathologie, aucune pièce n'a été versée au dossier pour attester d'une telle absence de consensus parmi les spécialistes. L'expert Bougeard estime, sans susciter de contestation sérieuse, que des examens complémentaires n'étaient pas superflus afin de préciser le diagnostic et déterminer si un simple traitement médical était possible ou si une surveillance clinique et radiologique ne suffisait pas dès lors qu'il n'y avait pas de signe neurologique déficitaire, et pas d'évolution des symptômes subjectifs ou des données radiologiques. Dès lors que la faute retenue par l'expert ne tenant pas à une erreur de diagnostic mais à l'indication opératoire qui ne lui a pas paru justifiée, le tribunal administratif disposait des éléments suffisants pour apprécier si une faute a été commise sur ce point.

8. En deuxième lieu, l'expert a retenu une seconde faute tenant à la plaie accidentelle de l'artère vertébrale à l'origine directe de l'hématome ayant provoqué la tétraplégie dont souffre Mme Q... alors que celle-ci ne présentait aucune anomalie de la course de cette artère et que l'abord très latéral de la technique utilisée par le Pr. Sindou, conçu expérimentalement par lui-même, a augmenté le risque d'une telle plaie. Le Pr. Auque se borne à évoquer le fait qu'une plaie d'une artère vertébrale lors d'un abord chirurgical de la jonction cranio cervicale est une complication rare mais classique survenant dans 1 % des cas et a estimé, sans autres précisions, que la voie d'abord choisie par le Pr. Sindou ne serait pas plus dangereuse qu'une autre. Le Pr. Chodkiewicz a ajouté sans être contredit que l'hémi-laminectomie complémentaire, non justifiée en l'absence de sténose canalaire, a favorisé l'extension de l'hématome postopératoire. Le tribunal administratif disposait également des éléments suffisants pour retenir l'existence d'une faute ou d'un aléa thérapeutique tenant au geste opératoire.

9. Il découle de tout ce qui précède que la décision du tribunal administratif de Lyon de recourir à une nouvelle expertise ne revêt pas un caractère utile. Par suite, les consorts Q... sont fondés à soutenir que le jugement avant dire droit attaqué doit être annulé.

Sur la requête n° 20LY01531 :

10. Le présent arrêt statuant sur la demande d'annulation du jugement avant dire droit n° 1804261 du 17 mars 2020 du tribunal administratif de Lyon, les conclusions de la requête n° 20LY01531 tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des consorts Q..., de la caisse primaire d'assurance maladie de La Loire et de la société Uni Prévoyance présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 20LY01531.

Article 2 : Le jugement avant dire droit n° 1804261 du 17 mars 2020 du tribunal administratif de Lyon est annulé.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme P... Q..., à M. C... Q..., à M. O... Q..., à Mme F... W...-Q..., à Mme H... Q... épouse U..., à Mme K... S... épouse A..., à M. C... A..., à M. L... A..., à M. G... A..., à M. E... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Savoie, à la mutuelle Pro BTP, à la société Uni Prévoyance, à la société Generali IARD, aux hospices civils de Lyon et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 11 mars 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2021.

N° 20LY01531 - 20LY01532 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY01531
Date de la décision : 13/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-04-02-02-01-01 Procédure. Instruction. Moyens d'investigation. Expertise. Recours à l'expertise. Caractère frustratoire.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe GAYRARD
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SCP NORMAND et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-04-13;20ly01531 ?
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