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06/05/2021 | FRANCE | N°19LY02408

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 06 mai 2021, 19LY02408


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme totale de 63 607,77 euros avec intérêts légaux à compter de la date de sa requête introductive d'instance.

Par un jugement n° 1801606 du 23 avril 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2

0 juin 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 7 août 2020, Mme E..., représentée pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme totale de 63 607,77 euros avec intérêts légaux à compter de la date de sa requête introductive d'instance.

Par un jugement n° 1801606 du 23 avril 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 20 juin 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 7 août 2020, Mme E..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 23 avril 2019 du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme globale de 65 020,92 euros assortie des intérêts légaux à compter de la date d'enregistrement de la requête introductive d'instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande au motif que les critères d'intervention de la solidarité nationale n'étaient pas réunies alors qu'il n'avait été saisi d'aucune conclusion ou moyen en ce sens ; l'obligation d'indemnisation au titre de la solidarité nationale n'a jamais été contestée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ; les parties ont entendu limiter le litige à la question de l'indemnisation des différents postes de préjudices imputables à l'accident médical ; quand bien même, le tribunal administratif aurait considéré qu'il lui appartenait de soulever d'office le moyen tiré des conditions d'intervention de la solidarité nationale tenant à la gravité du dommage, il devait soumettre au contradictoire un moyen d'ordre public ;

- s'agissant du critère de gravité requis pour ouvrir droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale, un arrêt de travail avec reprise à temps partiel thérapeutique est constitutif d'un arrêt temporaire des activités professionnelles au sens de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique dès lors que l'article D. 1142-1 du code précité n'impose pas une interruption totale d'activité mais un arrêt temporaire des activités professionnelles, que le temps partiel thérapeutique est une modalité de l'arrêt de travail médicalement prescrit, que le statut du temps partiel thérapeutique en droit de la sécurité sociale, lorsqu'il correspond aux critères de l'article L. 323-3 du code de la sécurité sociale et intervient à la suite d'une interruption totale d'activité, obéit au régime des arrêts de travail et donne droit à la poursuite du versement des indemnités journalières ; elle a bénéficié d'une interruption totale d'activité du 11 mars au 1er août 2016, immédiatement suivie d'une période d'arrêt partiel d'activité à mi-temps du 2 août 2016 au 31 janvier 2017 ; elle a subi un arrêt temporaire de ses activités professionnelles pendant plus de six mois satisfaisant aux conditions prévues par l'article D. 1142-1 du code de la santé publique ainsi que l'avaient retenu la commission de conciliation et d'indemnisation et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;

Sur l'indemnisation des préjudices subis :

S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

- ses frais de transport pour se rendre à la réunion d'expertise à Montbrison se sont élevés à la somme de 88,88 euros ; elle a également dû se rendre à de multiples consultations à l'hôpital à l'aide de son véhicule personnel ; les frais de déplacements seront évalués à la somme de 271,50 euros ;

- au titre de l'assistance par une tierce personne, elle sollicite la somme de 4 053,39 euros ; elle n'a jamais bénéficié d'aides à ce titre ;

- elle a été contrainte de résilier son bail le 5 août 2016 car son logement situé au 4ème étage sans ascenseur était incompatible avec son état de santé puisque, durant cette période, son taux de déficit fonctionnel temporaire partiel était de 75 %, puis de 50 % et enfin de 25 % ; elle sollicite la somme de 1 317 euros correspondant au remboursement des loyers versés en pure perte du 21 avril au 5 août 2016 ;

- quant à la perte de gains professionnels du 28 avril 2016 au 31 janvier 2017, elle avait créé une entreprise de livraison de colis en novembre 2015 ; son salaire mensuel moyen était de 1 712,40 euros net ; sa perte de salaire, en prenant en compte les revenus de remplacement perçus, est donc de 3 265,25 euros ;

S'agissant des préjudices patrimoniaux permanents :

- quant aux pertes de gains professionnels futures, sa société et elle-même ont subi un préjudice financier du fait de l'interruption de son activité ; elle a perdu un salaire net mensuel de l'ordre de 300 euros par mois, soit pour une période de neuf mois la somme de 2 700 euros ;

- quant à l'incidence professionnelle, elle subit une pénibilité dans son activité professionnelle du fait des séquelles dont elle reste atteinte ; elle sollicite à ce titre la somme de 20 000 euros ;

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

- quant aux préjudices extrapatrimoniaux temporaires, le déficit fonctionnel temporaire sera évalué à 1 944,50 euros ; les souffrances endurées seront évaluées à la somme de 12 000 euros ; le préjudice esthétique temporaire sera évalué à 3 000 euros ;

- quant aux préjudices extrapatrimoniaux permanents, le déficit fonctionnel permanent sera évalué à la somme de 2 880 euros ; le préjudice esthétique permanent sera évalué à la somme de 4 500 euros ; le préjudice sexuel sera évalué à la somme de 5 000 euros.

Par des mémoires, enregistrés le 4 novembre 2019 et le 24 août 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par Me C..., conclut, à titre principal, au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, et si la cour retenait une indemnisation au titre de la solidarité nationale, au rejet des demandes formulées par Mme E... au titre des frais divers, de la perte de gains professionnels futurs, de l'incidence professionnelle, du préjudice d'agrément et du préjudice sexuel, à la réduction de l'indemnisation sollicitée au titre des autres postes de préjudice à de plus justes proportions et de l'indemnisation sollicitée au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'indemnisation des préjudices subis par Mme E... au titre de la solidarité nationale ne peut être accueillie dès lors que les seuils de gravité fixés par l'article D. 1142-1 du code de la santé publique ne sont pas atteints ; Mme E... ne présente pas un taux de déficit fonctionnel permanent supérieur à 24 % ; elle n'a pas présenté de gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à 50 % pendant six mois consécutifs ou non consécutifs pendant une période de douze mois ; si les experts retiennent que les arrêts de travail du 28 avril 2016 au 31 janvier 2017 sont liés à la complication, Mme E... avait repris son activité professionnelle à mi-temps thérapeutique et n'a ainsi présenté un arrêt de ses activités professionnelles que pendant trois mois ; un mi-temps thérapeutique n'est pas un arrêt total du travail ; elle n'a pas été déclarée inapte à exercer la profession qu'elle exerçait antérieurement ; elle a repris son activité à mi-temps thérapeutique à compter du 2 août 2016 puis à temps complet à compter du 1er février 2017 ; elle ne justifie pas de troubles particulièrement graves dans ses conditions d'existence puisqu'elle présente un déficit fonctionnel permanent de l'ordre de 2 % ;

- à titre subsidiaire, sur l'indemnisation des préjudices allégués, Mme E... ne justifie pas de ses frais de déplacement ; s'il est établi que l'intéressée a dû se rendre à la réunion d'expertise, Mme E... ne produit pas les éléments permettant de chiffrer les frais exposés dès lors que son véhicule a été acquis postérieurement à la réunion d'expertise ; s'agissant des frais de loyers, aucun élément médical ne permet d'établir qu'au cours de la période litigieuse, Mme E... a été dans l'impossibilité de monter les quatre étages et qu'elle était ainsi contrainte de vivre au domicile de ses parents et ce alors qu'elle ne conserve que peu de séquelles de l'accident médical dont elle a été victime ; en l'absence d'accident, elle aurait été contrainte de continuer à payer son loyer ; s'agissant de l'assistance temporaire par une tierce personne, son indemnisation ne saurait excéder la somme de 2 443,22 euros ; s'agissant des pertes de gains professionnels actuelles, Mme E... a subi une perte de revenus de 565,37 euros ; s'agissant de la perte de gains professionnels future, la perte alléguée ne pourra s'étendre que sur quatre mois et il ne peut être établi que cette prétendue absence d'augmentation de salaire est directement et certainement imputable à l'accident médical non fautif ; s'agissant de l'incidence professionnelle, il ne saurait être retenu une fatigabilité accrue imputable à l'accident médical non fautif ; s'agissant du déficit fonctionnel temporaire, l'indemnisation de ce chef de préjudice ne saurait être supérieure à 1 163,25 euros ; les souffrances endurées seront évaluées à 8 000 euros ; l'indemnisation du préjudice esthétique temporaire ne saurait excéder la somme de 200 euros ; le déficit fonctionnel permanent sera évalué à la somme de 2 200 euros ; le préjudice d'agrément ne sera pas indemnisé dès lors que Mme E... n'établit pas qu'elle pratiquait une activité régulière et ses séquelles ne limitent pas son activité ; l'indemnisation du préjudice esthétique permanent ne saurait excéder la somme de 2 800 euros ; il n'est pas établi que Mme E... subirait un préjudice sexuel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A... ;

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique ;

- et les observations de Me B..., représentant Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. Le 11 mars 2016, Mme D... E..., née le 26 juin 1970, s'est rendue aux urgences de l'hôpital de la Croix Rousse, dépendant des Hospices civils de Lyon, en raison de violentes douleurs abdominales. Après une échographie qui a mis en évidence une masse pelvienne, Mme E... a subi une laparotomie exploratrice avec annexectomie droite (ablation de l'ovaire et de la trompe). Le 15 mars 2016, elle a été autorisée à regagner son domicile. Le 31 mars 2016, compte tenu de la présence d'une tumeur borderline, Mme E... a subi une intervention complémentaire consistant en une hystérectomie totale, annexectomie gauche, omentectomie infra colique et biopsies péritonéales étagées. Le 1er avril 2016, une échographie abdomino-pelvienne a objectivé un épanchement intra péritonéal des gouttières pariéto-coliques. Compte tenu de douleurs abdominales persistantes présentées par Mme E..., elle a subi, le 1er avril 2016, une échographie et un scanner abdomino-pelvien qui ont permis de déceler un épanchement sanguin dans la cavité péritonéale qui a fait l'objet d'une embolisation.

2. Eu égard à la dégradation hémodynamique avec tachycardie et oxygéno-dépendance, le 8 avril 2016, Mme E... a subi un scanner qui a mis en évidence un hématome pelvien collecté. Il a été réalisé une exploration chirurgicale qui a permis d'objectiver un épanchement péritonéal et un hématome pelvien infecté au contact d'une anse colique nécrosée sur 20 cm. et perforée en fosse iliaque gauche avec une péritonite stercorale. Mme E... a alors subi une résection du segment colique nécrosé avec confection d'une double stomie en canon de fusil. Si les suites opératoires immédiates se sont révélées satisfaisantes, à l'admission dans l'unité de surveillance continue, Mme E... a présenté une hémodynamique instable, une tachycardie et une dyspnée avec un épanchement pleural qui ont conduit à pratiquer une radiographie de contrôle révélant un pneumothorax droit iatrogène nécessitant un drainage. Dans la nuit du 11 avril 2016, l'état respiratoire de Mme E... s'est dégradé avec une dyspnée d'apparition progressive et un contexte de mise en siphonage du drain thoracique droit. La détresse respiratoire aiguë a été prise en charge dans un premier temps par le service de réanimation, puis Mme E... a été transférée dans le service de soins continus. Une radiographie thoracique et une échographie ont permis de constater une torsion du drain. Un nouveau drain thoracique a été posé en apical droit. Une échographie pleuro-pulmonaire a mis en évidence un épanchement pleural gauche significatif avec condensation du lobe inférieur gauche au contact. Une nouvelle échographie pleuro-pulmonaire et une radiographie du thorax a révélé un pneumothorax droit complet persistant malgré la reprise de l'aspiration sur le drain thoracique. Un nouveau drain droit a été posé par voie médio axillaire en apical. Les divers examens pratiqués établissant une insuffisante reprise respiratoire, Mme E... a bénéficié de séances de ventilation en pression positive continue (CPAP) qui ont permis de retrouver une saturation normale et un recollement complet de la plèvre viscérale à la paroi. Le 14 avril 2016, le drain thoracique inférieur droit a été enlevé. Sur le plan infectieux, les prélèvements bactériologiques ont retrouvé un entérocoque faecalis et escherichia coli traités par une antibiothérapie. Le 14 avril 2016, le cathéter veineux central a été retiré pour être remplacé par une voie veineuse périphérique. Mme E... a été autorisée à regagner son domicile le 20 avril 2016. Mais, le 27 avril 2016, elle a été admise en urgence au sein du service de gynécologie en raison d'une hémorragie vaginale. L'examen clinique a mis en évidence une désunion du fond vaginal et l'échographie et le scanner ont révélé une collection pelvienne de 7 cm. de diamètre fistulisée dans le vagin. Après une hospitalisation, Mme E... a été autorisée à regagner son domicile le 3 mai 2016 avec une surveillance hebdomadaire associée à des lavages antiseptiques. Le 3 juin 2016, un nouveau contrôle a objectivé une cicatrisation quasi-complète. Le 14 juin 2016, le rétablissement de la continuité digestive par abord électif a été réalisé. Mme E... a été autorisée à regagner son domicile le 20 juin 2016 et a été réhospitalisée du 20 au 24 juin 2016 en raison d'un abcès de paroi.

3. Le 24 janvier 2017, Mme E... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de Rhône-Alpes qui a ordonné une expertise confiée au professeur Pierre Seffert, chirurgien gynécologue, et au docteur Jean-Luc Berger, chirurgien digestif. A la suite du dépôt du rapport d'expertise, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) a estimé, dans son avis du 13 septembre 2017, que les dommages subis par Mme E... étaient imputables à un accident médical non fautif satisfaisant aux conditions requises par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique pour une indemnisation par la solidarité nationale et qu'il appartenait à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de faire une offre d'indemnisation. Le 8 janvier 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a adressé à Mme E... un protocole d'indemnisation transactionnelle partielle à hauteur de 12 068,25 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées et du préjudice esthétique permanent. Estimant cette offre insuffisante, Mme E... a saisi le tribunal administratif de Lyon d'une demande tendant à ce que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales procède à l'indemnisation des préjudices subis au titre de la solidarité nationale. Mme E... relève appel du jugement du 23 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à l'indemniser des préjudices subis.

Sur la régularité du jugement :

4. Il ressort des écritures de première instance que la requérante demandait que les préjudices subis à la suite de sa prise en charge par l'hôpital de la Croix-Rousse soient indemnisés par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au titre de la solidarité nationale.

5. En écartant la mise en oeuvre de la solidarité nationale au motif que les conditions requises par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique n'étaient pas remplies, les premiers juges n'ont pas soulevé d'office un moyen sans avoir respecté les prescriptions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, mais se sont bornés à examiner si les conditions fixées par les dispositions du code de la santé publique étaient remplies. Ils ont pu à cet égard, et sans excéder leur office, retenir que la requérante n'établissait pas satisfaire aux conditions fixées, peu important que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales n'a pas opposé ce point en défense. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient ce faisant entaché leur jugement d'irrégularité.

Sur la mise en oeuvre de la solidarité nationale au titre de l'aléa thérapeutique :

6. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que Mme E... " présentait le 11 mars 2016 un tableau de torsion d'annexe ce qui était selon les règles de l'art une indication chirurgicale en urgence. Compte tenu de l'âge de Mme E... et du volume de la masse ovarienne, la pratique d'une annexectomie était justifiée. Selon les protocoles du réseau régional de cancérologie Rhône-Alpes " Réseau Espace Santé Cancer Rhône-Alpes ", les tumeurs bordeline de l'ovaire chez une patiente de 46 ans doivent être traitées par hystérectomie totale et annexectomie bilatérale, omentectomie infra-colique et biopsies péritonéales étagées ; ces deux derniers gestes sont destinés à rechercher d'éventuels implants cancéreux infra cliniques dont la présence transformerait la tumeur borderline en un véritable cancer au pronostic et au traitement différents. En 2016, la voie coelioscopique pour ce geste, quand elle est possible, est la voie de référence. L'indication opératoire posée par les Hospices civils de Lyon ne comporte aucun manquement aux règles de l'art et a été conforme aux données actuelles de la science médicale ".

7. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que la complication digestive, l'hémorragie pariétale, le pneumothorax et l'hémorragie vaginale présentés par Mme E... " ne relèvent pas d'un manquement aux règles de l'art et aux données acquises de la science, ni d'un défaut d'organisation et de fonctionnement du service hospitalier ".

8. Il résulte également de l'instruction que la plaie artérielle, la nécrose colique, le pneumothorax et l'hémorragie vaginale, en lien avec l'intervention d'hystérectomie totale avec annexectomie gauche et d'omentectomie pratiquée le 31 mars 2016, ont été la cause des préjudices subis par Mme E..., et, selon les experts, relèvent d'accidents médicaux non fautifs.

9. Aux termes de l'article L. 11421 du code de la santé publique : " (...) II. Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I (...) n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celuici et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret ". Aux termes de l'article D. 11421 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 11421 est fixé à 24 % (...) ".

10. Aux termes de l'article D. 11421 du même code, qui définit le seuil de gravité prévu par ces dispositions législatives, " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 11421 est fixé à 24 %. /. Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 11421 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %./. A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; 2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. ".

11. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Ainsi, elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dont la réalisation est à l'origine du dommage.

12. Si les conséquences de l'intervention du 31 mars 2016 ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles Mme E... était exposée du fait de la présence d'une tumeur borderline, c'est-à-dire une tumeur à la limite de la malignité, en l'absence de traitement compte tenu de ce qu'une tumeur borderline peut se transformer en un véritable cancer, les experts ont précisé que le taux de complications digestives lors des coelioscopies gynécologiques avancées est de 1,6 pour mille et de 3 % pour le pneumothorax. Par suite, la survenance des dommages dont Mme E... a été victime doit être regardée comme présentant une probabilité faible. Il s'ensuit que la condition d'anormalité doit être regardée comme remplie.

13. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que les experts ont retenu que le déficit fonctionnel permanent tenant compte de la gêne sous la cicatrice de stomie sans éventration décelable, des ballonnements et du transit irrégulier sans restrictions alimentaires présentés par Mme E... devait être évalué à 2 %, soit un taux inférieur au seuil de gravité fixé à 24 % par les dispositions de l'article D. 11421 du code de la santé publique.

14. Mme E... fait valoir qu'elle remplit la condition fixée à l'article D. 1142-1 du code de la santé publique et relative à la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles dès lors que l'article D. 1142-1 du code précité n'impose pas une interruption totale d'activité mais un arrêt temporaire des activités professionnelles, que le temps partiel thérapeutique est une modalité de l'arrêt de travail médicalement prescrit et que le statut du temps partiel thérapeutique en droit de la sécurité sociale, lorsqu'il correspond aux critères de l'article L. 323-3 du code de la sécurité sociale et intervient à la suite d'une interruption totale d'activité, obéit au régime des arrêts de travail et donne droit à la poursuite du versement des indemnités journalières.

15. Aux termes de l'article L. 323-3 du code de la sécurité sociale, " L'indemnité journalière prévue à l'article L. 321-1 est servie, en cas de travail à temps partiel pour motif thérapeutique, dans les cas suivants : 1° Le maintien au travail ou la reprise du travail et le travail effectué sont reconnus comme étant de nature à favoriser l'amélioration de l'état de santé de l'assuré ; 2° L'assuré doit faire l'objet d'une rééducation ou d'une réadaptation professionnelle pour recouvrer un emploi compatible avec son état de santé. Le délai mentionné au premier alinéa de l'article L. 323-1 n'est pas applicable pour le versement de cette indemnité. Les modalités de calcul de l'indemnité journalière versée en cas de travail à temps partiel pour motif thérapeutique ainsi que sa durée de versement sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. "

16. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu' " un arrêt de travail de quatre semaines avait été initialement prévu et que comme Mme E... a été hospitalisée le 30 mars 2016, si elle n'avait pas présenté de complications, elle aurait repris le travail le 28 avril 2016. L'arrêt temporaire des activités professionnelles lié aux complications va du 28 avril 2016 au 31 janvier 2017. " Les experts précisent également que Mme E... a repris son activité professionnelle en mi-temps thérapeutique le 2 août 2016 jusqu'au 31 janvier 2017, ce que confirme l'attestation de paiement des indemnités journalières de la caisse primaire d'assurance maladie qui fait état pour la période du 2 août 2016 au 31 janvier 2017 de paiements concernant un arrêt de travail à temps partiel pour motif thérapeutique.

17. La reprise d'activité dans le cadre d'un travail à temps partiel pour motif thérapeutique ne peut être assimilée à un " arrêt temporaire des activités professionnelles " au sens et pour l'application des dispositions de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique. Par suite, Mme E... ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 323-3 du code de la sécurité sociale. Il en résulte que compte tenu de la reprise de son activité professionnelle à temps partiel pour motif thérapeutique le 2 août 2016 jusqu'au 31 janvier 2017, Mme E... ne peut faire valoir qu'elle a subi un arrêt temporaire de son activité professionnelle pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois.

18. Les experts ont également relevé que Mme E... avait présenté un déficit fonctionnel temporaire total du 1er au 20 avril, du 27 avril au 1er mai 2016 et du 13 au 24 juin 2016, puis un déficit fonctionnel temporaire partiel à 75 % du 21 au 26 avril 2016 en raison de son incapacité liée aux complications et à la colostomie, à 50 % du 2 au 20 mai 2016 en raison des lavages vaginaux et de la colostomie, à 25 % du 21 mai au 12 juin 2016 en raison de la colostomie et du 25 juin au 1er août 2016 en raison de la convalescence après la fermeture de la colostomie et à 10 % du 2 août 2016 au 31 janvier 2017, période pendant laquelle l'état de santé de Mme E... a nécessité de travailler à mi-temps thérapeutique. Il s'ensuit que les périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel supérieures ou égales à un taux de 50 % subies par Mme E... sont d'une durée inférieure à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois.

19. Enfin, il n'est pas contesté que Mme E... a pu reprendre à temps complet son activité professionnelle antérieurement exercée à partir du 31 janvier 2017 et ne peut ainsi être regardée comme ne pouvant définitivement plus exercer l'activité professionnelle qui était la sienne avant la survenue de l'accident médical et que les gênes présentées et constitutives du déficit fonctionnel permanent ne peuvent être regardées comme constituant des troubles particulièrement graves dans ses conditions d'existence au sens des dispositions précitées du dernier alinéa de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique.

20. Il résulte de ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à réparer les préjudices subis dans les suites de l'intervention du 31 mars 2016. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être également rejetées. Il en va de même concernant les conclusions relatives aux dépens dès lors qu'il n'est pas établi que des dépens seraient restés à la charge de Mme E....

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 8 avril 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

Mme A..., première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2021.

2

N° 19LY02408


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19LY02408
Date de la décision : 06/05/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Service public de santé. Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: Mme Rozenn CARAËS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELARL BIROT-MICHAUD-RAVAUT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-05-06;19ly02408 ?
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