La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/11/2021 | FRANCE | N°20LY00344

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 6ème chambre, 04 novembre 2021, 20LY00344


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes à lui verser la somme de 43 517 euros en réparation des préjudices subis à la suite de sa prise en charge en juin 2009 dans cet établissement de santé, avec intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2017 et de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La

caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, appelée à l'instance, a demandé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes à lui verser la somme de 43 517 euros en réparation des préjudices subis à la suite de sa prise en charge en juin 2009 dans cet établissement de santé, avec intérêts au taux légal à compter du 17 juin 2017 et de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, appelée à l'instance, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes à lui verser la somme de 14 870,45 euros au titre des prestations versées, augmentée des intérêts à compter du jugement, ainsi que l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Par un jugement n° 1703484 du 19 novembre 2019, le tribunal administratif de Grenoble a condamné le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes à verser à Mme A... une somme de 3 300 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2017, et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère une somme de 1 983 euros, a mis à la charge du centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes, outre les frais d'expertise, la somme de 1 500 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 janvier 2020, Mme A..., représentée par la SELARL Cabinet Balestas, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1703484 du 19 novembre 2019 en ce que le tribunal administratif de Grenoble n'a pas fait droit à l'intégralité de ses prétentions indemnitaires ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes à lui verser la somme de 46 000 euros au titre des préjudices qu'elle a subis à la suite de sa prise en charge le 11 juin 2009, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2017, eux-mêmes capitalisés ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes, outre les entiers dépens, la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes a commis une faute en ne l'informant pas du risque d'accident vasculaire cérébral que comportait la réalisation de l'artériographie qu'elle a subie ;

- alors qu'un autre examen pouvait lui être proposé que celui de l'artériographie, la perte de chance qu'elle a subie de se soustraire au risque qui s'est réalisé doit être évaluée à 25 % ;

- elle a droit à :

* la somme de 8 000 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire subi, telle qu'évaluée par le tribunal administratif ;

* la somme de 35 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;

* la somme de 3 000 euros au titre des souffrances endurées.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 mars 2020, le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 22 septembre 2020, la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, agissant au nom et pour le compte de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, représentée par Me Rognerud, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1703484 du 19 novembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble en ce qu'il a retenu un taux de perte de chance limité à 10 % ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes à lui verser la somme de 3 717,61 euros correspondant à ses débours définitifs, après application d'un taux de perte de chance de 25 %, assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 novembre 2019 ;

3°) de condamner le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes à lui verser la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes, outre les entiers dépens, la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes a manqué à son obligation d'information et a, ainsi, engagé sa responsabilité pour faute en application de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique ;

- le taux de perte de chance d'éviter le dommage doit être évalué à 25 % ;

- elle a exposé des débours en lien avec la faute commise s'élevant à la somme totale de 14 870,45 euros de sorte qu'elle a droit, compte tenu de l'application d'un taux de perte de chance de 25 %, à la somme de 3 717,61 euros ;

- elle a droit à la somme de 1 091 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue au neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pin, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Balestas, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Souffrant d'une malformation vasculaire de l'hémiface gauche lui occasionnant notamment des céphalées et un flou visuel, Mme A... a subi le 11 juin 2009 une artériographie au centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes. Au cours de cet examen, s'est produit un accident ischémique cérébral à l'origine de troubles de la parole. Saisi par Mme A..., le tribunal administratif de Grenoble a, par un jugement du 19 novembre 2019, condamné le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes à lui verser une indemnité de 3 300 euros, en réparation du préjudice de perte de chance ayant résulté pour elle du manquement de cet établissement à son obligation d'information sur les risques inhérents à l'examen artériographique du 11 juin 2009 et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère une somme de 1 983 euros en remboursement de ses débours et au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Mme A... relève appel de ce jugement.

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Grenoble-Alpes :

2. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date des faits : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ".

3. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, que l'examen artériographique subi par Mme A... le 11 juin 2009, même conduit dans les règles de l'art, présentait un risque connu d'accident vasculaire cérébral, lequel, dès lors qu'il était susceptible d'entraîner des troubles graves, devait être porté à la connaissance de la patiente. Le centre hospitalier universitaire ne conteste pas que Mme A... n'a pas été informée de l'existence d'un tel risque. Par suite, en l'absence d'urgence rendant impossible l'information préalable de la patiente, ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Grenoble à l'égard de Mme A....

Sur le taux de perte de chance :

4. En cas de manquement à l'obligation d'information énoncée au point 2, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

5. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que Mme A..., née en 1958, a consulté, le 4 septembre 2008, un chirurgien maxillo-facial en raison d'un flou visuel à l'œil gauche, d'épistaxis, de céphalées et de troubles vasculaires de l'hémiface gauche. Un examen avec angio-imagerie par résonance magnétique, pratiqué le 20 janvier 2009, a montré une malformation vasculaire de l'hémiface gauche. Il n'est pas contesté que l'artériographie à visée diagnostique, pratiquée le 11 juin 2009, était nécessaire pour rechercher une éventuelle extension intracrânienne de la malformation vasculaire dont était affectée Mme A... et explorer l'étendue de cette malformation et, par suite, traiter en particulier les troubles de la vision dont elle souffrait. Cet examen a d'ailleurs permis de diagnostiquer une dysplasie de l'artère ophtalmique et des artères ethmoïdales. Compte tenu à la fois du caractère invalidant des troubles persistants de la vision dont la requérante, alors âgée de 51 ans, souffrait depuis le second semestre de l'année 2008 et de la nécessité de pratiquer une artériographie pour poser un diagnostic précis, rapportés au caractère exceptionnel du risque de survenue d'un accident vasculaire cérébral au cours d'un examen artériographique, évalué par l'expert entre 0,5 % et 1 %, le tribunal administratif n'a pas, contrairement à ce que soutiennent Mme A... et la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, fait une évaluation insuffisante de la probabilité que Mme A... ait choisi de renoncer à pratiquer cet examen à visée diagnostique, dans le cas où elle aurait été correctement informée du risque d'accident vasculaire, en l'évaluant à 10 %.

Sur l'évaluation des préjudices subis par Mme A... :

En ce qui concerne le déficit fonctionnel temporaire :

6. Mme A... ne conteste pas l'évaluation qu'a faite le tribunal administratif en fixant le déficit fonctionnel temporaire qu'elle a subi à la somme totale 8 000 euros. Par suite, il y a lieu de maintenir la somme de 800 euros, après application du taux de perte de chance de 10 %, accordée à la requérante par les premiers juges.

En ce qui concerne les souffrances endurées :

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que l'intensité des souffrances endurées par Mme A... du fait de l'accident ischémique cérébral a été évaluée par l'expert à 2 sur une échelle de 7. En fixant à 200 euros après application du taux de perte de chance le montant du préjudice subi de ce fait par la requérante, le tribunal administratif de Grenoble en a fait une évaluation qui n'est pas insuffisante.

En ce qui concerne le déficit fonctionnel permanent :

8. Mme A... demeure atteinte d'un déficit fonctionnel permanent, évalué par l'expert à 15 %, acquis à l'âge de 53 ans dû aux troubles du langage dont elle demeure affectée à la suite de l'accident vasculaire dont elle a été victime. Eu égard à son âge et au retentissement de ces séquelles dans ses conditions d'existence, il y a lieu de maintenir la somme, qui n'est pas insuffisante, de 2 300 euros, après application du taux de perte de chance, accordée à l'intéressée par le tribunal administratif.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a fixé à 3 300 euros le montant de l'indemnité accordée en réparation des préjudices subis.

Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère :

10. Les premiers juges ont condamné le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère 10 % des débours que cette dernière a exposés pour la prise en charge des conséquences de l'accident vasculaire cérébral dont a été victime Mme A... sur la base d'un état récapitulatif établi le 10 juillet 2017 et d'une attestation d'imputabilité datée du 7 juillet 2017, qui ne sont pas contestés en appel. Par suite, il y a lieu de confirmer la somme de 1 487 euros retenue par les premiers juges mise à la charge de l'établissement de santé.

Sur l'indemnité prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale :

11. Il n'y a pas lieu de majorer la somme de 496 euros que le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes a été condamné par les premiers juges à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère, au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, dès lors que la somme qui lui est due au titre des débours n'est pas majorée en appel.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

12. D'une part, Mme A... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 3 300 euros à compter du 22 juin 2017, date de réception par le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes de sa réclamation préalable. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois dans la requête enregistrée au greffe de la cour le 20 janvier 2020. A cette date, il était dû plus d'une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à cette date et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

13. D'autre part, même en l'absence de demande tendant à l'allocation d'intérêts, tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts au taux légal au jour de son prononcé jusqu'à son exécution. Par suite, les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère tendant à ce que la somme allouée porte intérêts à compter de la date du jugement attaqué sont dépourvues de tout objet et doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. D'une part, il y a lieu de maintenir les frais de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, liquidés et taxés à la somme de 1 000 euros par ordonnance du 8 août 2012, à la charge définitive du centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes.

15. D'autre part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par Mme A... et par la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les intérêts au taux légal sur la somme de 3 300 euros que le centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes a été condamné à verser à Mme A... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 novembre 2019 seront capitalisés à la date du 20 janvier 2020 ainsi qu'à chaque échéance annuelle, pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le surplus de la requête de Mme A... et les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône sont rejetées.

Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée en référé par le tribunal administratif de Grenoble, taxés et liquidés à la somme de 1 000 euros, sont laissés à la charge du centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au centre hospitalier universitaire Grenoble-Alpes, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Isère et à la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône.

Délibéré après l'audience du 7 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Gayrard, président assesseur,

M. Pin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 novembre 2021.

2

N° 20LY00344


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY00344
Date de la décision : 04/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01-01-04 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier. - Existence d'une faute. - Manquements à une obligation d'information et défauts de consentement.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. François-Xavier PIN
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELARL CABINET BALESTAS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2021-11-04;20ly00344 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award