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02/02/2023 | FRANCE | N°21LY01188

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 4ème chambre, 02 février 2023, 21LY01188


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par une première demande, la société Côte SAS a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Office national d'études et de recherche aérospatiales (ONERA) à lui verser la somme de 617 551 euros HT au titre des surcoûts exposés pour les achats et la main d'œuvre, outre intérêts moratoires à compter du 19 janvier 2016.

Par une seconde demande, elle a demandé au tribunal d'annuler le refus de l'ONERA d'établir le décompte de son marché, de porter sur ce décompte à son crédit

la somme de 1 027 551 euros HT, correspondant à hauteur de 617 551 euros aux surcoûts d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par une première demande, la société Côte SAS a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner l'Office national d'études et de recherche aérospatiales (ONERA) à lui verser la somme de 617 551 euros HT au titre des surcoûts exposés pour les achats et la main d'œuvre, outre intérêts moratoires à compter du 19 janvier 2016.

Par une seconde demande, elle a demandé au tribunal d'annuler le refus de l'ONERA d'établir le décompte de son marché, de porter sur ce décompte à son crédit la somme de 1 027 551 euros HT, correspondant à hauteur de 617 551 euros aux surcoûts d'achat et de main d'œuvre dont elle avait préalablement demandé réparation et à hauteur de 410 000 euros aux différents préjudices connexes subis, et de condamner l'ONERA à lui verser cette somme.

Statuant sur ces deux demandes, par jugement n° 1601115, 1602762 du 31 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a partiellement rejeté les conclusions de la société Côte comme irrecevables et a pour le surplus prescrit avant dire-droit une expertise.

Par arrêt n°19LY02708 du 2 avril 2020 la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement n° 1601115, 1602762 et a renvoyé la société Côte devant le tribunal administratif de Grenoble pour qu'il soit statué sur ses demandes.

Par jugement n° 1601115, 1602762, 2002218 du 9 février 2021, le tribunal a condamné l'ONERA à verser à la société Côte la somme de 2 567 euros TTC, assortie des intérêts moratoires à compter du 3 janvier 2016 et mis les frais et honoraires de l'expertise à sa charge.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés le 14 avril 2021 et le 3 novembre 2022, la société Côte SAS, représentée par la SELARL Racine, avocats, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) de condamner l'ONERA à lui verser la somme de 985 591,20 euros TTC, correspondant pour 741 061,20 euros aux surcoûts exposés pour les achats et la main d'œuvre et pour 244 530 euros aux préjudices connexes subis, outre intérêts moratoires à compter du 3 janvier 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'ONERA la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le jugement a été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière, le principe du contradictoire n'ayant pas été respecté par le tribunal ;

- elle est fondée à réclamer l'indemnisation de travaux supplémentaires résultant de l'évolution de la définition des besoins de l'ONERA, notamment en termes de disponibilité, des travaux portant sur l'alimentation du TGBT, ceux relatifs au câble d'alimentation de l'armoire Neyrpic, ceux relatifs à l'accroissement du nombre de vues réalisées pour les besoins de la supervision, ceux relatifs au système de basculement automatique des inverseurs de source et ceux relatifs au doublement des cheminements de câbles ;

- c'est à juste titre que le tribunal l'a indemnisée des travaux supplémentaires résultant du changement d'appellation des armoires électriques ;

- elle est fondée à demander, à raison des fautes commises par l'ONERA dans la définition de ses besoins, la réparation des préjudices connexes constitués de frais internes, de frais externes, de frais financiers et de perte d'amortissement des frais de siège ;

- les intérêts moratoires étant d'ordre public, le tribunal, constatant qu'ils étaient dus au 14 septembre 2015, aurait dû les faire courir à compter de cette date et non du 3 janvier 2016, date à compter de laquelle ils étaient demandés ;

- elle a droit aux intérêts moratoires à compter du 14 septembre 2015.

Par mémoire enregistré le 2 mai 2022, l'ONERA, représenté par la SELARL Symchowicz-Weissberg, conclut au rejet de la requête et demande à la cour :

1°) par la voie de l'appel incident de réformer le jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser une somme de 2 567 euros à la société Côte SAS et de rejeter cette demande ;

2°) de mettre à la charge de la société Côte SAS une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement a été rendu selon une procédure respectueuse du contradictoire ;

- c'est à tort que le tribunal l'a condamné à verser 2 567 euros au titre de changement de nom d'armoires qui constituait une adaptation mineure comprise dans le forfait et dont le montant se fondait sur une simple estimation ;

- c'est à juste titre que le tribunal a rejeté les autres demandes de la société Côte.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics alors en vigueur ;

- l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ;

- le décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 ;

- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;

- l'arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics industriels ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Duguit-Larcher, première conseillère,

- les conclusions de M. Savouré, rapporteur public,

- les observations de Me Vuillemenot pour la société Côte, et celles de Me Chaves-Guillon pour l'ONERA ;

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement du 25 octobre 2013, l'ONERA a confié à la société Côte, pour un montant de 825 000 euros HT, l'exécution d'un marché à prix global et forfaitaire portant sur les études d'exécution, la fourniture, l'installation, les raccordements, les contrôles et la mise en service du système de contrôle commande du groupe principal d'une soufflerie permettant la simulation de vols d'aéronefs. L'ONERA a assumé lui-même la fonction de maître d'œuvre des travaux. La réception de ces prestations a été prononcée le 14 septembre 2015.

2. Estimant qu'elle avait dû réaliser des prestations et travaux qui n'étaient pas prévus dans le prix global et forfaitaire, la société Côte a demandé au tribunal administratif de Grenoble, par une première demande, de condamner l'ONERA à lui verser la somme de 617 551 euros HT correspondant aux surcoûts d'achats et de main d'œuvre. A la suite du refus de l'ONERA d'établir le décompte général, la société Côte a demandé au tribunal, par une seconde demande, d'annuler le refus de l'ONERA d'établir le décompte, de porter sur ce décompte à son crédit la somme de 1 027 551 euros HT, correspondant à hauteur de 617 551 euros aux surcoûts d'achat et de main d'œuvre dont elle avait préalablement demandé réparation et à hauteur de 410 000 euros aux différents préjudices subis, et de condamner l'ONERA à lui verser cette somme augmentée de la taxe sur la valeur ajoutée et des intérêts moratoires à compter du 3 janvier 2016.

3. Par jugement avant dire-droit du 31 décembre 2018, qui a joint ces deux demandes, le tribunal a, d'une part, rejeté comme irrecevables les conclusions aux fins d'annulation du refus de l'ONERA d'établir le décompte ainsi que les conclusions indemnitaires portant sur la somme de 410 000 euros et, d'autre part, prescrit une expertise aux fins de déterminer si les prestations dont la société demande l'indemnisation étaient prévues, en totalité ou en partie dans le lot de la société Côte, si elle répondait à une commande de l'ONERA ou si elle était indispensable à l'exécution du marché, et d'en déterminer le montant.

4. Par arrêt du 2 avril 2020, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement aux motifs que la demande de la société Côte relative au paiement de la somme de 410 000 euros n'était pas irrecevable et que l'expertise, qui portait sur des questions de qualification juridique des faits, était frustratoire. Statuant sur renvoi de la cour, le tribunal a, par jugement du 9 février 2021, condamné l'ONERA à verser à la société Côte la somme de 2 567 euros TTC au titre des travaux supplémentaires, assortie des intérêts moratoires à compter du 3 janvier 2016 et mis les frais et honoraires de l'expertise à sa charge. La société Côte relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande de condamnation. L'ONERA, par la voie de l'appel incident, demande à la cour de réformer le jugement en tant qu'il a prononcé à son encontre une condamnation.

Sur la régularité du jugement :

5. Ainsi qu'il vient d'être rappelé, le jugement attaqué a statué, sur renvoi de la cour administrative d'appel de Lyon, sur les demandes de la société Côte initialement enregistrées sous les n° 1601115 et 1602762 et qui ont fait l'objet du jugement avant-dire-droit du 31 décembre 2018 du tribunal administratif de Grenoble qui a été annulé par la cour. Après cette annulation et renvoi de ces affaires devant le tribunal, les parties ont été informées de ce que ces affaires avaient été réenregistrées sous le n° 2002218. Le tribunal n'avait pas, après le renvoi des affaires par la cour, à communiquer aux parties les écritures produites après la clôture d'instruction ayant précédé le premier audiencement de ces affaires et ayant conduit au jugement du 31 décembre 2018.

6. Les écritures des parties présentées après renvoi par la cour, devaient, comme l'a fait le tribunal, être enregistrées sous le n° 2002218. Dans cette affaire, la clôture d'instruction a été prononcée le 8 janvier 2021 par l'envoi d'un avis d'audience. Le tribunal n'a pas méconnu le principe du contradictoire en ne communiquant pas les mémoires présentés par la société Côte après cette date qui ne contenaient pas l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la société Côte n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui était susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire.

7. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les travaux supplémentaires :

8. Le caractère global et forfaitaire du prix du marché ne fait pas obstacle à ce que l'entreprise cocontractante sollicite une indemnisation au titre de travaux supplémentaires effectués, même sans ordre de service, dès lors que ces travaux étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art. Dans ce cadre, l'entreprise peut également solliciter l'indemnisation des travaux supplémentaires utiles à la personne publique contractante lorsqu'ils sont réalisés à sa demande.

9. Devant le tribunal, la société Côte a demandé à être indemnisée des travaux supplémentaires relatifs à treize postes, dont trois relatifs à la disponibilité de l'installation ont été regroupés. Le tribunal a fait droit à sa demande en ce qui concerne l'un de ces treize postes, relatif à l'évolution de l'appellation des armoires électriques en cours d'exécution du marché. Devant la cour, la société Côte conteste le rejet de sa demande relative aux douze autres postes, en les regroupant différemment. Pour sa part, l'ONERA conteste que le tribunal l'ait condamné à indemniser la société Côte du poste relatif aux armoires électriques.

10. En premier lieu, la société Côte indique avoir déployé un surcroît de travail du fait de l'évolution des besoins de l'ONERA en cours de prestations, notamment en terme de disponibilité de l'installation. Elle rattache en appel à cette demande les coûts relatifs à l'ajout d'entrées/sorties supplémentaires, l'évolution des exigences de l'ONERA sur la séparation des capteurs, les évolutions des analyses fonctionnelles process de l'ONERA en cours de marché, la révision du tableau d'alarme, la refonte du mode manuel GP, la modification de la gestion des arrêts d'urgence/arrêts brusques, ainsi que l'allongement des essais plateformes liés à ces différents changements.

11. D'une part, et pour les motifs exposés aux points 11 et 12 du jugement qu'il y a lieu d'adopter, la société Côte a été suffisamment informée des attentes de l'ONERA s'agissant du niveau de disponibilité de l'installation. Le contrat mettait à sa charge la définition des moyens à mettre en œuvre pour parvenir à la disponibilité des équipements laquelle s'entend de la préservation de leur fonctionnement nonobstant la survenue d'une panne du circuit. Il était indiqué à plusieurs reprises dans le CCTP que les quantités de matériel étaient fournies à titre indicatif. La société Côte avait connaissance, au moment de la signature du contrat, de ce que les études, et notamment l'analyse des modes de défaillance (AMDE) des schémas électriques, permettraient de préciser la nature des travaux à réaliser en ce qui concerne l'installation électrique et que certaines quantités de matériaux devraient être adaptées en fonction des résultats de ses études. Cet élément devait être pris en compte dans son offre. Contrairement à ce qu'elle soutient, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait été contrainte, si ce n'est en ce qui concerne le basculement automatique des inverseurs de source lequel fait l'objet d'une demande d'indemnisation distincte traitée au point 16 ci-dessous, de modifier ses prestations afin d'intégrer une nouvelle demande de l'ONERA consistant à assurer, au-delà de la gestion du premier défaut des installations, la gestion d'un second défaut. La société ne saurait, de ce fait, être indemnisée à raison de l'accroissement du nombre d'entrée/ sorties, capteurs et alarmes qu'elle a dû installer pour répondre, compte tenu des résultats de l'AMDE, aux spécifications techniques initialement demandées par l'ONERA. L'exigence de séparation de certains capteurs et leur répartition sur les différents automates n'est, ainsi que le prévoyait les articles 3.3.1 et 4.1.5.1 du CCTP, que la résultante des études et de l'AMDE. De même, s'agissant des arrêts brusques et des arrêts d'urgence, l'article 4.2 du CCTP indiquait qu'il était impératif d'éviter tout arrêt intempestif de l'installation et qu'interrogée sur ce point, la société avait confirmé que la gestion des arrêts brusques avait été prise en compte dans son offre. La société n'est dès lors pas fondée à demander à être indemnisée à raison de ces évolutions qui étaient inhérentes au projet qui intégrait les études et la fourniture des installations et que la société attributaire aurait dû anticiper dans le chiffrage de son offre.

12. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment des éléments produits pour la première fois en appel par la société Côte, qu'au-delà de ces changements inhérents à la réalisation du projet, l'ONERA a apporté, en cours d'exécution du marché, des modifications sur la nature des prestations demandées à la société en faisant évoluer certaines spécifications techniques contenues dans les analyses fonctionnelles figurant dans le CCTP et qui faisaient parties des pièces contractuelles que l'ONERA devait rédiger. La société Côte fait valoir, comparaison des documents à l'appui, que dix des onze analyses fonctionnelles mentionnées dans le CCTP ont été modifiées en cours d'exécution, ce qui l'a contrainte à des études et des achats supplémentaires. Les évolutions de rédaction de ces dix analyses fonctionnelles après la signature du marché (AF n° 47, 48, 50, AF n°54 à 59 et AF n° 77), qui sont distinctes des analyses fonctionnelles détaillées (automate, supervision, chaines d'arrêt d'urgence) mises à la charge de la société Côte pour chaque poste, ont induit des travaux supplémentaires utiles à l'ONERA et réalisés à sa demande. La société Côte est par suite fondée à être indemnisée des surcoûts induits par ces modifications qui ne sont, au demeurant, pas mineures. Ces modifications des analyses fonctionnelles ont induit des études, des achats de matériel et des travaux supplémentaires. De nouvelles entrées/sorties et alarmes ont dû être installées et configurées. Il résulte de l'instruction que, sur les 586 entrées/sorties et 1 754 alarmes ajoutées en cours de projet, l'ajout de 101 entrées/sorties et de 155 alarmes est imputable aux modifications des AF n° 47, 48, 50, AF n°54 à 59 et AF n° 77 . Sur la base de l'évaluation faite par la société Côte, non sérieusement contestée, du montant de la rémunération qu'elle aurait réclamée pour la réalisation de ces travaux supplémentaires, sur la base d'un supplément de prix forfaitaire de 975,12 euros par entrée/sortie et de 88,68 euros par alarme tout compris jusqu'à la mise en service et aux essais (document intitulé " valorisation base marché " - données provenant de la lecture combinée des 6ème, 7ème et 10ème colonnes du tableau), il y a lieu de lui allouer une rémunération de 112 232 euros HT soit 134 678 euros TTC.

13. En deuxième lieu, la société Côte demande le paiement de prestations supplémentaires relatives à l'alimentation du TGBT (tableau général basse tension). Il résulte de l'instruction que les modifications opérées résultent de la proposition faite par la société Côte résultant de son choix technique de brancher directement les armoires depuis la TGBT T3 et T3 bis, selon une architecture différente que celle proposée au cahier des charges mais qui était tout autant adaptée, induisant la mise en place d'un câble de section plus importante. Si l'ONERA ne s'est pas opposée à cette proposition qui lui a été faite par la société, cette dernière ne lui avait pas fait part d'un surcoût. Dans ces conditions, ces travaux n'étant ni indispensables et ni demandés par le maître d'ouvrage, les surcoûts qu'ils ont engendrés ne sauraient être regardés comme des travaux supplémentaires dont la société Côte pourrait obtenir le paiement.

14. En troisième lieu, la société Côte demande le paiement, sous l'intitulé " armoire Neyrpic ", du câble d'alimentation de cette armoire qu'elle a dû remplacer. Il résulte de l'instruction que le remplacement de ce câble n'était pas prévu dans les documents du marché relatif au câblage et que l'article 4.1.4.1.1 du CCTP prévoyait : " Coin Neyrpic : tout est conservé. Seuls les câbles de raccordement entre Neyrpic et le contrôle commande sont déposés et seront remplacés ". Par ailleurs, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il résulte de l'article 4.1.4.1.1 du CCTP que la dépose de l'armoire dans laquelle ce câble passait était prévue au marché, mais que la présence du câble d'alimentation de l'armoire Neyrpic n'avait pas été identifiée par l'ONERA. Si l'article 3.2 du CCTP prévoit que : " Tous les câblages sont entièrement à la charge du constructeur ", cet article ne vise que les fournitures entrant dans le champ du marché, ce qui n'était pas le cas de ce câblage. Dans ces conditions, la société Côte est fondée à demander réparation du surcoût lié à la mise en place de ce câble non prévu au marché et indispensable à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art, dont elle évalue le montant à 640 euros HT, soit 768 euros TTC sans que cela ne soit contesté.

15. En quatrième lieu, la société Côte demande le paiement, pour les besoins de l'imagerie du logiciel de la supervision, de la réalisation de 265 vues, correspondant à 95 vues stricto sensu et 170 pop-up, alors que le marché n'en prévoyait que 73. Il résulte de l'instruction que l'article 4.1.8.2 du CCTP indiquait que le nombre de vues, exclusion faite des fenêtres pop-up, qui ne peuvent être considérées comme des " vues " au sens du contrat, était de 81. Alors que l'ONERA fait valoir, en s'appuyant sur une démonstration précise, que le nombre de vues s'établit à 73, il n'est pas établi que le nombre total de vues réalisées par la société Côte serait de 95, dépassant ainsi les prévisions du marché. Par suite, la société Côte n'est pas fondée à demander à être rémunérée de la réalisation de vues supplémentaires.

16. En cinquième lieu, la société Côte soutient avoir dû modifier à la demande de l'ONERA le système de basculement automatique des inverseurs de source l'un vers l'autre de façon à garantir deux niveaux de sécurité du système au lieu d'un seul prévu dans le contrat. Il résulte de l'instruction que si l'article 3.3.1 du CCTP prévoyait que la société Côte devait effectuer, au stade des études, une analyse de défaillance (AMDE) des schémas électriques permettant de valider la disponibilité de l'installation et que, selon l'article 4.1.4.3, l'entreprise devait étudier tous les cas possibles de panne et programmer les différents cas dans l'automate, elle s'était uniquement engagée à assurer la gestion du 1er défaut du réseau d'alimentation électrique, ainsi que cela ressort notamment des points 4.1.2 et 4.1.6.1 du CCTP. La demande adressée dans le document DSMA-Gte-GPS2-AE6AF-N°115-V1.1 par l'ONERA, en janvier 2015 à la société Côte, consistant à programmer un basculement des inverseurs par l'automate au 2ème défaut sur l'alimentation, constituait donc, ainsi que l'ONERA l'a d'ailleurs reconnu lors de la réunion contradictoire organisée le 26 novembre 2015, une demande de travaux supplémentaires utiles à l'ONERA. La société Côte est par suite fondée à en demander la rémunération. Il résulte de l'instruction que ces modifications de la demande de l'ONERA ont induit des heures supplémentaires d'études, de programmation, ainsi que l'achat de câblages supplémentaires et des heures d'installation dont la société Côte évalue le montant à la somme de 24 836,29 euros HT correspondant à 300 heures valorisées à 42,787 euros par heure, ainsi qu'à 12 000 euros de matériel et de câblage. En l'absence de contestation sérieuse de l'ONERA sur la complexité induite par ce changement et sur la nature des travaux et matériaux supplémentaires, il y a lieu de faire droit à la demande de la société Côte en lui allouant la somme de 24 836 euros HT, soit 29 803 euros TTC.

17. En sixième lieu, la société soutient avoir été contrainte de doubler le cheminement des câbles par un ordre oral reçu en cours de chantier. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'un tel ordre aurait été donné par l'ONERA qui indique en défense, comme elle l'avait indiqué lors de la réunion tenue le 26 novembre 2015 entre les parties, que sa seule demande a été d'imposer un cheminement séparé et le doublement pour les liens réseaux entre S2 et GPS2, lequel était prévu par l'article 3.2 du CCTP, et que pour le surplus, le doublement des câbles procède d'un choix technique de la société Côte, justifié par son souhait de commencer ses prestations avant dépose des réseaux existants, ce qui n'était pas indispensable pour la réalisation des prestations demandées par l'ONERA.

18. En dernier lieu, et ainsi que l'a jugé le tribunal, il résulte de l'instruction que l'ONERA a demandé, en cours d'études, et ainsi qu'elle l'a reconnu lors de la réunion qui s'est tenue entre les parties le 26 novembre 2015, le changement d'appellation des armoires électriques. Les travaux supplémentaires engendrés par cette demande ont été utiles à l'ONERA de sorte que la société Côte a le droit d'en obtenir la rémunération, quel que soit le montant de ces travaux. Si l'ONERA fait valoir que le montant de 2 567 euros TTC que le tribunal l'a condamnée à verser à ce titre n'est pas justifié, cette somme résulte d'une estimation de temps de travail supplémentaire de 50 heures, ce qui ne parait pas disproportionné dans la mesure où le 25 juillet 2014, la société Côté a indiqué que la reprise des changements de noms a eu un impact de deux semaines sur le calendrier. Il y a lieu, par suite, de confirmer la condamnation prononcée par le tribunal au titre de ces travaux supplémentaires, soit la somme de 2 567 euros TTC.

19. Il résulte des points précédents que la condamnation prononcée par le tribunal administratif de Grenoble au titre des travaux supplémentaires doit être portée de 2 567 euros TTC à 167 816 euros TTC.

En ce qui concerne les préjudices connexes :

20. La société Côte demande à être indemnisée du préjudice qu'elle a subi à raison des fautes commises par l'ONERA dans la définition de ses besoins et son refus de payer les sommes correspondantes. Ainsi que l'a indiqué le tribunal, la société Côte ne saurait faire grief à l'ONERA, qui était libre de le faire ou non, de ne pas avoir eu recours à un maître d'œuvre. Par ailleurs, il résulte des points précédents, que la majorité des modifications qui sont intervenues au cours du projet résultent, ainsi qu'il était prévu au CCTP, de la prise en considération par la société Côte de ses propres études pour mettre en œuvre une installation conforme aux préconisations du CCTP. Toutefois, et ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, l'ONERA a fait évoluer, en cours d'exécution du marché, certaines de ses attentes en matière de disponibilité et de fonctionnalités. Cette redéfinition, en cours de marché, de ses attentes tout en refusant d'en financer le surcoût est fautive.

21. La société Côte fait valoir qu'elle a exposé, au titre de ses frais internes, 20 000 euros, correspondant au temps passé par le directeur général, le directeur technique, le chef de projet automatisme, l'ingénieur études et l'assistante RH pour constituer la réclamation, établir les justificatifs, présenter le projet à son conseil, rencontrer l'ONERA. Elle demande également, facture à l'appui, 8 415 euros TTC au titre des frais d'avocat qu'elle a dû engager pour l'établissement de sa demande indemnitaire ainsi que dans le cadre de la procédure d'établissement du décompte. Toutefois, ces frais correspondent à des frais d'instance pris en compte dans l'application, par le juge, des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

22. Si la société Côte demande à être indemnisée du préjudice financier résultant du décalage de trésorerie, l'ayant obligé à faire avance de trésorerie pour régler les surcoûts imputables au maître d'ouvrage, elle ne justifie pas avoir dû recourir à l'emprunt et, par là-même, de la réalité de ce préjudice.

23. Enfin, la société Côte demande à être indemnisée de la " perte d'amortissement sur ses frais généraux " résultant de ce qu'elle aurait été privée de la possibilité d'amortir ses frais généraux sur d'autres affaires dans la mesure où elle n'a pas pu déployer son personnel sur d'autres chantiers. Toutefois, le préjudice dont elle demande ainsi réparation, correspondant au supplément de travail fourni au-delà du forfait est déjà indemnisé au titre des travaux supplémentaires.

24. Il résulte de ce qui précède que l'ONERA n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal l'a condamnée à verser une somme à la société Côte au titre des travaux supplémentaires que cette dernière a dû réaliser à sa demande. Pour sa part, la société Côte est seulement fondée à demander que la rémunération que le tribunal a condamné l'ONERA à lui verser au titre des travaux supplémentaires soit portée à la somme de 167 816 euros TTC.

Sur les intérêts moratoires :

25. Selon le I de l'article 1er du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique : " Le délai de paiement (...) est fixé à : (...) 3° Soixante jours pour les pouvoirs adjudicateurs mentionnés à l'article 3 de l'ordonnance du 6 juin 2005 susvisée qui sont des entreprises publiques au sens du II de l'article 1er de l'ordonnance du 7 juin 2004 susvisée, à l'exception de ceux qui sont des établissements publics locaux ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " I. - Le délai de paiement court à compter de la date de réception de la demande de paiement par le pouvoir adjudicateur ou, si le contrat le prévoit, par le maître d'œuvre ou toute autre personne habilitée à cet effet. Toutefois : (...) 3° Lorsqu'est prévue une procédure de constatation de la conformité des prestations aux stipulations contractuelles, le contrat peut prévoir que le délai de paiement court à compter de la date à laquelle cette conformité est constatée, si cette date est postérieure à la date de réception de la demande de paiement ". Enfin, aux termes de l'article 8 de ce décret : " Le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage. / Les intérêts moratoires courent à compter du jour suivant l'échéance prévue au contrat ou à l'expiration du délai de paiement jusqu'à la date de mise en paiement du principal incluse (...) ".

26. Le tribunal a assorti la condamnation qu'il a prononcée d'une condamnation au versement des intérêts moratoires à compter du 3 janvier 2016 correspondant à la date demandée par la société Côte. Si la société Côte demande que l'ensemble des condamnations portent intérêt moratoire à compter du 14 septembre 2015, correspondant à la date de réception des travaux, les stipulations de l'article VIII.1 de l'acte d'engagement selon lesquelles le paiement du solde du marché est dû à la réception ne sauraient s'appliquer pour le paiement de travaux supplémentaires ou de préjudices dont le prestataire n'aurait pas demandé le règlement avant la réception. En outre, les intérêts moratoires ne peuvent commencer à courir, en l'absence d'échéance prévue au contrat, qu'à compter de l'expiration du délai de paiement.

27. En l'espèce, la société Côte a, par courrier du 1er septembre 2015, reçu le 3 septembre 2015, demandé le paiement des travaux supplémentaires. L'ONERA pouvait, en application des dispositions précitées, payer cette somme jusqu'au 2 novembre 2015. Par suite, la société Côte est seulement fondée à demander que la somme de 167 816 euros TTC que l'ONERA est condamnée à lui verser porte intérêt au taux prévu au point 25 à compter du 2 novembre 2015.

Sur les dépens de 1ère instance :

28. Pour les motifs exposés par le tribunal administratif aux points 29 et 30 du jugement, il y a lieu, compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, de maintenir les frais de l'expertise qui avait été initialement ordonnée par le tribunal mais a été jugée frustratoire par la cour, taxés et liquidés à la somme de 9 960,69 euros à la charge de la société Côte qui en avait fait la demande.

Sur les frais liés au litige :

29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'ONERA une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par la société Côte et non compris dans les dépens. Les mêmes dispositions font obstacle à ce que la société Côte qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à l'ONERA la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que l'ONERA a été condamnée à verser au titre des travaux supplémentaires à la société Côte en application de l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 9 février 2021 est portée de 2 567 euros TTC à 167 816 euros TTC. Cette somme portera intérêts au taux mentionné au point 25 à compter du 2 novembre 2015.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 9 février 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'ONERA versera à la société Côte une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Côte et à l'ONERA.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

M. Arbarétaz, président,

Mme Evrard, présidente assesseure,

Mme Duguit-Larcher, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 février 2023.

La rapporteure,

A. Duguit-LarcherLe président,

Ph. Arbarétaz

Le greffier,

J. Billot

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,

2

N° 21LY01188


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01188
Date de la décision : 02/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-01-02-01 Marchés et contrats administratifs. - Exécution financière du contrat. - Rémunération du co-contractant. - Indemnités. - Travaux supplémentaires.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Agathe DUGUIT-LARCHER
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : SYMCHOWICZ et WEISSBERG SOCIETE D'AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-02-02;21ly01188 ?
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