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27/04/2023 | FRANCE | N°22LY01930

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 5ème chambre, 27 avril 2023, 22LY01930


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Grenoble à lui verser la somme de 38 247 euros outre intérêts de droit à compter du 12 mai 2016, capitalisés, en indemnisation des préjudices qu'il soutient avoir subis en raison de l'absence de cotisation de l'établissement public, pris en sa qualité d'employeur, à la tranche T2 du régime de retraite complémentaire de l'ARRCO.

Par un jugement n° 1702306 du 20 décembre 2018, l

e tribunal n'a fait droit à sa demande qu'à hauteur de 16 000 euros, tous intérêts...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Grenoble à lui verser la somme de 38 247 euros outre intérêts de droit à compter du 12 mai 2016, capitalisés, en indemnisation des préjudices qu'il soutient avoir subis en raison de l'absence de cotisation de l'établissement public, pris en sa qualité d'employeur, à la tranche T2 du régime de retraite complémentaire de l'ARRCO.

Par un jugement n° 1702306 du 20 décembre 2018, le tribunal n'a fait droit à sa demande qu'à hauteur de 16 000 euros, tous intérêts compris.

Procédure initiale devant la cour

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 février 2019 et 12 novembre 2019 (non communiqué), M. A..., représenté par Me Benichou, a demandé à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il limite à 16 000 euros, tous intérêts compris, la condamnation de la CCI de Grenoble ;

2°) de porter la condamnation de la CCI de Grenoble à la somme actualisée de 46 743 euros, subsidiairement de 38 247 euros, dont 36 743 euros (ou 28 247 euros) assortis des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, capitalisés au 12 septembre 2017 puis à chaque échéance annuelle, subsidiairement, d'enjoindre sous astreinte journalière de 100 euros au président de la CCI de Grenoble de régulariser sa situation individuelle par le versement des parts patronales et salariales des cotisations de retraite complémentaire de la tranche T2 auprès de l'AGIRC-ARRCO ;

3°) de mettre à la charge de la CCI de Grenoble une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutenait, dans le dernier état de ses écritures, que :

- sa requête, qui contient une critique du jugement attaqué, est recevable ;

- en s'estimant exemptée de cotiser à la tranche T2, alors qu'il s'agit d'une obligation découlant de l'article 52 du statut général et en différant illégalement la titularisation des contractuels occupant un emploi permanent, ce qui aurait eu pour effet de leur ouvrir droit à ce régime de retraite complémentaire, la CCI de Grenoble a commis des fautes intentionnelles et discriminatoires de nature à justifier une indemnisation ;

- ne saurait lui être opposée la prescription quadriennale aux droits nés antérieurement à la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, régularisée rétroactivement, le décompte des délais ne devant être effectué, non pas à l'échéance de chaque cotisation, mais à la date où le dommage apparaît dans toute son étendue, c'est-à-dire à la date de liquidation des droits à pension de retraite, ou bien à compter de la connaissance de l'existence de la créance soit, en juin 2015 ;

- la créance doit être liquidée depuis son embauche, le 7 octobre 1991, ou a minima depuis le 31 décembre 1997, date à laquelle il aurait dû être titularisé en vertu des articles 1er et 2 du statut et le nouveau régime de rémunération des agents non titulaires aurait dû être fixé en application de l'article 50 ter de l'arrêté du 25 juillet 1997 ;

- ces préjudices, caractérisés par la perte de constitution des droits à pension et la perte de chance de bénéficier d'une retraite plus élevée, présentent un caractère certain ;

- le préjudice financier afférent à la période du 7 octobre 1991 au 31 décembre 2010 est calculé d'après le nombre de points perdus soit 1 191, multipliés par la valeur actuelle du point, soit 1,2588 euro ; la minoration de la pension de retraite ainsi obtenue est multipliée par 24,5 correspondant au nombre d'années d'espérance de vie à soixante-trois ans, âge d'éligibilité à une retraite à taux plein, soit 36 743 euros ;

- subsidiairement, ces préjudices peuvent être réparés par le rachat des cotisations auprès du gestionnaire du régime de retraite dont ne saurait être déduite la part salariale qui a donné lieu à paiement d'impôt sur le revenu ;

- le mauvais vouloir du défendeur lui a causé un préjudice moral de 10 000 euros.

Par un mémoire enregistré, le 8 août 2019, la CCI de Grenoble, représentée par Me Bousquet, a conclu au rejet de la requête et a demandé à la cour :

1°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement n° 1702306 lu le 20 décembre 2018 en ce qu'il la condamne à verser à M. A... la somme de 16 000 euros et de rejeter la demande indemnitaire présentée au tribunal par celui-ci, subsidiairement de limiter sa condamnation à la somme de 10 665 euros ;

2°) de mettre à la charge de M. A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutenait que :

- la requête, dépourvue de critique du jugement, n'est pas motivée ;

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé et est entaché d'omission à statuer sur les arguments appuyant l'exception de forclusion ;

- le caractère délibéré de la faute est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité ;

- la créance litigieuse, née antérieurement au 1er janvier 2011, est prescrite en application des articles 1er et 3 de la loi du 31 décembre 1968, l'appelant ne pouvant être regardé comme l'ayant ignoré légitimement en raison de la publication du statut général dont l'article 52 met à la charge des CCI le paiement des cotisations de retraite complémentaire, lesquelles ne figuraient pas sur les bulletins de paie ce qui permettait de relever l'anomalie de la situation ;

- subsidiairement, M. A... n'ayant été titularisé qu'au 1er juin 2000, il ne répondait pas à la condition posée par l'article 2 du règlement de prévoyance sociale pour bénéficier d'une affiliation avant cette date ;

- le préjudice tiré de la minoration des droits à pension présente un caractère éventuel ;

- l'espérance de vie invoquée est celle des femmes ; rien n'établit que l'intéressé puisse prétendre à une retraite à taux plein ; la part salariale doit être déduite ;

- le préjudice moral n'est établi ni dans son principe ni dans son montant.

Par un arrêt n° 19LY00701 du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a, dans un article 1er, annulé le jugement n° 1702306 du tribunal administratif de Grenoble du 20 décembre 2018, en ce qu'il condamne la CCI de Grenoble à verser à M. A... la somme de 16 000 euros, dans un article 2, rejeté la demande indemnitaire présentée par M. A... contre la CCI de Grenoble à hauteur de 16 000 euros et le surplus des conclusions de sa requête et, dans un article 3, rejeté le surplus des conclusions de la CCI de Grenoble.

Procédure devant le Conseil d'État

Par une ordonnance n° 452736 du 21 juin 2022, le Conseil d'État statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par M. A..., a annulé l'article 2 de l'arrêt du 18 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices autres que le préjudice moral et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la même cour.

Procédure devant la cour après renvoi du Conseil d'État

Par deux mémoires, enregistrés les 15 septembre 2022 et 2 décembre 2022, M. A..., représenté par Me Vergnon, demande à la cour :

1°) à titre principal, de condamner la CCI de Grenoble à lui verser la somme de 37 469,39 euros, à titre subsidiaire, la somme de 28 247 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, capitalisés au 12 septembre 2017 puis à chaque échéance annuelle ;

2°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à la CCI de Grenoble de régulariser sa situation individuelle par le versement des parts salariale et patronale des cotisations de retraite complémentaire dite T2 auprès de l'AGIRC-ARRCO nécessaires à la reconstitution de ses droits à pension de retraite et ce dans un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de condamner la CCI de Grenoble à lui verser la somme de 10 000 euros correspondant à l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence et son préjudice moral ;

4°) de mettre à la charge de la CCI de Grenoble la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a fait valoir ses droits à la retraite au 1er avril 2022 ;

- la créance dont il se prévaut n'est pas prescrite ; il a légitimement ignoré l'existence de cette créance dès lors qu'il ne pouvait comparer ses bulletins de paie avec ceux des autres agents ni le constater au regard des relevés de points édités par les caisses ARRCO ;

- l'existence d'une faute de la CCI de Grenoble constituée par l'absence de paiement des cotisations T2 ARCCO n'est pas contestée ;

- la créance doit être liquidée depuis la date à laquelle il a occupé un emploi permanent à temps complet soit le 7 octobre 1991, et non depuis la date de sa titularisation, et la période d'indemnisation de son préjudice court donc de cette date, ou au plus tard au 31 décembre 1997, date à laquelle les modalités du nouveau statut auraient dû être fixées, au 31 décembre 2010 ;

- il subit un préjudice lié à la perte des points retraite correspondant aux années en litige ;

- le préjudice de retraite est certain ;

- il est constitué par l'écart entre la pension qu'il a vocation à percevoir et celle à laquelle il aurait pu prétendre en l'absence de faute de la CCI de Grenoble ; il doit être évalué en tenant compte du nombre de points perdus, de la valeur de ce point à la date de la liquidation de la pension et du nombre d'années d'espérance de vie à cette date soit en l'espèce une somme de 37 469,39 euros ou, à titre subsidiaire, de 28 247 euros ;

- il est fondé à se prévaloir d'un préjudice moral évalué à la somme de 10 000 euros.

Par trois mémoires, enregistrés les 13 juillet 2022, 3 novembre 2022 et 24 décembre 2022 (non communiqué), la CCI de Grenoble, représentée par Me Bousquet, demande à la cour :

1°) à titre principal, de rejeter la requête de M. A... ;

2°) à titre subsidiaire, de limiter la somme allouée à M. A... à 11 824 euros ;

3°) de mettre à la charge du requérant la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant sont irrecevables ;

- la créance dont s'estime titulaire le requérant est prescrite au regard de l'article 710-1 du code de commerce et de la loi du 31 décembre 1968 dès lors que s'il peut se prévaloir d'une ignorance juridique de sa créance, il ne peut se prévaloir d'une ignorance matérielle ; à ce titre, il ne pouvait ignorer l'absence de cotisation de la CCI à la tranche B du régime ARRCO à la lecture de ses bulletins de paie et de ceux d'autres agents ;

- le préjudice dont se prévaut le requérant n'est pas certain dès lors que ce dernier n'a pas encore été admis à faire valoir ses droits à la retraite ; il ne démontre pas avoir liquidé ses droits à retraite au 1er avril 2022 ;

- le requérant ne se prévaut pas de circonstances particulières permettant de regarder son préjudice de retraite comme certain ; en raison de son âge et des aléas pouvant impacter sa date de départ à la retraite, ce préjudice est éventuel ;

- à supposer que la cour retienne un préjudice certain lié à la perte de points correspondant aux années en litige et ouvrant droit à des parts de pensions de retraite complémentaire, ce préjudice n'est pas chiffrable dès lors que la valeur du point ne sera connue que l'année de la liquidation de ses droits à la retraite ;

- l'ordonnance du Conseil d'État n'a pas remis en cause le principe de la faute commise par la CCI pour ne pas avoir cotisé à la tranche B du régime ARRCO ni les conditions d'affiliation du requérant au règlement de prévoyance sociale et de retraite applicable ni le rejet du préjudice moral revendiqué par l'intéressé ;

- l'indemnisation accordée au requérant ne saurait, en toute hypothèse, être supérieure à la somme de 11 824 euros.

Une ordonnance du 19 décembre 2022 a fixé la clôture de l'instruction au 3 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du commerce ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, notamment le III de l'article 40 ;

- la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 ;

- le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie ;

- le règlement intérieur de l'assemblée des chambres françaises de commerce et de l'industrie, des chambres de commerce et de l'industrie de région, des chambres de commerce et de l'industrie territoriales et des groupements inter-consulaires, approuvé le 5 mars 1997 et modifié, en dernier lieu, par délibération de la commission paritaire nationale adoptée le 5 mars 1997, approuvé par arrêté du 25 juillet 1997 du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ;

- le règlement de prévoyance sociale et de retraite du personnel administratif des chambres de commerce homologué par arrêté ministériel du 25 mai 1956, modifié, en dernier lieu, le 17 décembre 2001 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère ;

- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Laurent pour M. A..., ainsi que celles de Me Bousquet pour la CCI de Grenoble ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., recruté sous contrat, le 7 octobre 1991, par la CCI de Grenoble pour exercer des fonctions d'encadrement à temps plein, a été titularisé au 1er janvier 1999, puis radié des cadres au 30 septembre 2012. Il a présenté, en mai 2016, une demande d'indemnisation auprès de son employeur de la perte des points de retraite complémentaire et de la minoration de sa future pension de retraite complémentaire subies en raison du fait que la CCI de Grenoble ne s'était pas acquittée de la part patronale et n'avait pas non plus collecté la part salariale afférente à la tranche T2 (ou tranche B) du régime de retraite complémentaire auquel étaient affiliés les personnels d'encadrement et d'enseignement statutaires des chambres de commerce. Le 7 juillet 2016, le président a rejeté sa demande au motif que l'établissement avait rétroactivement acquitté auprès de l'ARRCO, gestionnaire du régime, les cotisations afférentes à la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015 en prenant à sa charge la part salariale et a opposé la prescription quadriennale à la créance née antérieurement à 2011.

2. Par un jugement du 20 décembre 2018, le tribunal administratif de Grenoble a condamné la CCI de Grenoble à verser à l'intéressé la somme de 16 000 euros tous intérêts compris correspondant à la perte de chance de percevoir une pension de retraite complémentaire plus élevée du fait de l'absence de rachat des droits afférents à la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2010. Par un arrêt du 18 mars 2021, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement (article 1er) et a rejeté la demande présentée par M. A... devant le tribunal (article 2). Par une ordonnance n° 452736 du 21 juin 2022, le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi présenté par M. A..., a annulé l'article 2 de l'arrêt du 18 mars 2021 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices autres que le préjudice moral et a renvoyé l'affaire, désormais enregistrée sous le n° 22LY01930, dans cette mesure, devant la même cour.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

3. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours ".

4. Il résulte de l'instruction que la requête d'appel de M. A..., qui n'est pas la reproduction intégrale et exclusive de ses écritures de première instance, comporte une critique du jugement attaqué. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir invoquée par la CCI de Grenoble tirée du défaut de motivation de la requête d'appel doit être écartée.

Sur la recevabilité des conclusions présentées en appel :

5. D'une part, si M. A... présente pour la première fois en appel des conclusions à fin d'enjoindre à la CCI de Grenoble de régulariser sa situation individuelle par le versement des parts salariale et patronale des cotisations de retraite complémentaire dite T2 auprès de l'AGIRC-ARRCO nécessaires à la reconstitution de ses droits à pension de retraite sur la période retenue par la cour, de telles conclusions ne sauraient constituer des conclusions accessoires se rattachant à la demande indemnitaire présentée par l'intéressé et tendant à obtenir de la CCI de Grenoble une indemnité équivalente aux droits à retraite complémentaire qu'il aurait pu obtenir en l'absence de faute de la CCI de Grenoble constituée par l'absence de versement de la part patronale et de collecte de la part salariale afférente à la tranche T2 (ou tranche B) du régime de retraite complémentaire auquel était affilié M. A.... Par suite, de telles conclusions, qui n'avaient pas en outre été présentées devant le tribunal et constituent à ce titre des conclusions nouvelles en appel, sont irrecevables et doivent être rejetées.

6. D'autre part, M. A... présente dans ses dernières écritures après cassation des conclusions à fin d'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral. Toutefois, il ressort de l'ordonnance rendue le 21 juin 2022 par le Conseil d'État que la cour n'est pas saisie à nouveau de telles conclusions dans le cadre du renvoi opéré. Par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires restant en litige :

7. En premier lieu, si, pour être indemnisable, le préjudice résultant d'un montant de pension de retraite future minorée du fait de l'absence fautive de versement par l'employeur de cotisations patronales et salariales du régime de retraite complémentaire ne peut être pris en compte qu'à la condition, en principe, que cet agent ait présenté, dans le respect de la réglementation et des délais qu'elle impose, une demande tendant à être admis à faire valoir ses droits à la retraite et précisant la date d'effet de celle-ci, il peut en aller autrement dans le cas où, même s'il n'a pas encore présenté sa demande, l'agent fait état de circonstances particulières permettant de regarder le préjudice dont il se prévaut comme suffisamment certain.

8. Il résulte des éléments produits à ce titre par M. A..., né le 5 août 1958, qu'il a été admis à la retraite le 1er avril 2022. Dans ces conditions, le préjudice financier dont il se prévaut tenant à la minoration des revenus qui lui sont versés depuis la liquidation de sa pension de retraite présente un caractère certain.

9. En deuxième lieu, le premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics dispose que : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court [ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni] contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ".

10. Il ressort des pièces du dossier que malgré la publication des textes règlementaires obligeant la CCI de Grenoble à racheter les droits d'affiliés au régime complémentaire AGIRC-ARRCO de ses employés, ainsi qu'elle l'a fait pour la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, M. A..., contrairement à ce que fait valoir la CCI de Grenoble, n'a pas pu au regard des documents en sa possession, notamment ses propres bulletins de paie, s'apercevoir de la méconnaissance par la CCI de ses obligations en la matière. Il ressort en effet des bulletins produits au dossier que le libellé de la ligne correspondant aux cotisations de la tranche B du régime AGIRC-ARRCO se bornait à indiquer " 7022 Novalis Ret TB Cad " et qu'il n'était pas loisible à M. A... de comparer ses bulletins de paie avec ceux des autres agents pour se rendre compte de la méconnaissance de son obligation par la CCI. Par suite, il doit être regardé comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance, au sens de l'article 3 précité de la loi du 31 décembre 1968. L'exception de prescription quadriennale opposée en défense doit ainsi être écartée.

11. En troisième lieu, M. A... a été titularisé à compter du 1er janvier 1999, date à laquelle en vertu des articles 2 et 52 du statut, il aurait dû être affilié au régime de retraite complémentaire en litige. Par suite, et quand bien même il occupait un emploi permanent à temps complet avant cette date, la faute de la CCI de Grenoble constituée par l'absence de versement de la part patronale et de collecte de la part salariale afférente à la tranche T2 (ou tranche B) du régime de retraite complémentaire auquel M. A... était affilié ne peut ouvrir droit à une indemnisation qu'à compter de cette date. L'intéressé n'est pas fondé à se prévaloir d'une faute distincte constituée par un retard de titularisation imputable à la CCI de Grenoble dans le cadre du présent litige. Il s'ensuit que la demande de M. A... tendant à l'indemnisation de l'absence de constitution de droits à retraite complémentaire pour la période du 7 octobre 1991 au 31 décembre 1998 doit être rejetée.

12. En dernier lieu, s'agissant du montant du préjudice indemnisable, la CCI a produit une reconstitution, non sérieusement contestée, fondée sur les rémunérations effectivement versées durant la période litigieuse, soit entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2010, dont il résulte que M. A... aurait dû bénéficier de la constitution de 678,41 points. Ce nombre doit être multiplié par la valeur du point à la date de la liquidation de sa pension, soit 1,2841 euro. Le montant de 871,15 euros obtenu est représentatif de ce que M. A... aurait annuellement perçu s'il avait été affilié.

13. M. A... a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er avril 2022. Du 1er avril 2022 à la date du présent arrêt, le préjudice de perte de droits à retraite complémentaire échu s'élève à 936,5 euros.

14. A la date du présent arrêt, M. A... est âgé de soixante-quatre ans. Eu égard au taux de capitalisation de 18,844 déterminé, pour une personne de sexe masculin âgée de soixante-quatre ans, par la table de capitalisation établie par l'ONIAM pour les besoins de l'édition du 1er avril 2022 de son référentiel d'indemnisation, M. A... peut ainsi prétendre à la somme totale de 16 416 euros correspondant à la capitalisation de la perte de droits à retraite complémentaire qu'il subira postérieurement au présent arrêt. La circonstance que les tables de mortalité révèlent une espérance de vie différente pour les femmes et les hommes, ce qui impacte nécessairement les conditions de capitalisation viagère d'un préjudice, constitue un constat de fait caractérisant une différence objective et pertinente de situation, qui doit être prise en compte dans la réparation intégrale du préjudice, et non une discrimination liée au sexe. M. A... n'est dès lors pas fondé à demander à bénéficier d'un taux de capitalisation selon la table applicable aux femmes.

15. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le préjudice total de perte de droits à retraite complémentaire subi par M. A... s'élève à la somme de 17 352,5 euros.

16. Toutefois, il résulte de l'instruction que les cotisations omises comprenaient, pour 2/3 la part patronale et pour 1/3 la part salariale. Si cette dernière n'a pas été versée à l'ARRCO pour constituer des droits à retraite complémentaire, elle n'a pas non plus été prélevée sur les salaires versés à M. A..., constituant ainsi à son bénéfice une majoration de salaire net, qu'invoque la CCI et qui est de nature à venir en compensation du préjudice subi. Il résulte de la reconstitution financière précitée produite par la CCI en appel et non sérieusement contestée, que la part salariale des cotisations omises, pour la période litigieuse, s'élevait au montant total de 3 508 euros. Ce montant, qui a bénéficié à M. A..., doit ainsi être déduit du préjudice indemnisable, qui s'élève dès lors à 13 844,50 euros.

17. Enfin, la somme précitée due à M. A... doit être assortie d'intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, date de réception de sa demande indemnitaire préalable. La capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois dans le mémoire enregistré en première instance le 1er juin 2018. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. La capitalisation doit donc intervenir au 1er juin 2018 et à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

18. Il résulte de tout ce qui précède que la CCI de Grenoble doit être condamnée à verser à M. A... la somme de 13 844,50 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, capitalisés au 1er juin 2018, puis à chaque échéance annuelle.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. A... qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la CCI de Grenoble la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CCI de Grenoble le versement à M. A... d'une somme de 3 000 euros en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La chambre de commerce et de l'industrie de Grenoble versera à M. A... la somme de 13 844,50 euros.

Article 2 : La condamnation prononcée à l'article 1er portera intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2016, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés au 1er juin 2018 puis à chaque échéance anniversaire.

Article 3 : La chambre de commerce et de l'industrie de Grenoble versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la chambre de commerce et d'industrie de Grenoble.

Délibéré après l'audience du 6 avril 2023 à laquelle siégeaient :

M. Bourrachot, président de chambre ;

Mme Dèche, présidente assesseure ;

Mme Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2023.

La rapporteure,

V. Rémy-NérisLe président,

F. Bourrachot

La greffière,

A-C. Ponnelle

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01930

ar


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