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18/01/2024 | FRANCE | N°22LY01507

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 18 janvier 2024, 22LY01507


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



L'office public de l'habitat (OPH) Domanys a demandé au tribunal administratif de Dijon :



1°) de condamner la société Dekra Industrial SAS à lui verser les sommes de 60 822 euros, de 16 135 euros et de 126 140 euros, au titre des pénalités contractuelles de retard pour les périodes, respectivement, du 6 août 2014 au 31 juillet 2015, du 1er août 2015 au 31 décembre 2016 et du 1er janvier 2017 au 28 février 2017 ;



2°) de mettre à la char

ge de la société Dekra Industrial SAS la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'office public de l'habitat (OPH) Domanys a demandé au tribunal administratif de Dijon :

1°) de condamner la société Dekra Industrial SAS à lui verser les sommes de 60 822 euros, de 16 135 euros et de 126 140 euros, au titre des pénalités contractuelles de retard pour les périodes, respectivement, du 6 août 2014 au 31 juillet 2015, du 1er août 2015 au 31 décembre 2016 et du 1er janvier 2017 au 28 février 2017 ;

2°) de mettre à la charge de la société Dekra Industrial SAS la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par jugement n° 1902348 du 17 mars 2022, le tribunal a condamné la société Dekra Industrial SAS à verser à l'OPH Domanys la somme de 203 097 euros, outre 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté la demande reconventionnelle de la société Dekra Industrial SAS.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 16 mai 2022, la société Dekra Industrial SAS, représentée par Me Chautemps, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par l'OPH Domanys devant le tribunal administratif de Dijon ;

3°) de condamner l'OPH Domanys à lui verser la somme de 594 000 euros au titre du manque à gagner subi en 2017 et 2018, outre la somme de 9 807,60 euros HT au titre du solde du marché ;

4°) de mettre à la charge de l'OPH Domanys la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'OPH Domanys a fait preuve de déloyauté dans l'exécution du marché, en s'abstenant de préciser son volume d'activité, en le modifiant à l'occasion du protocole d'accord transactionnel et en le résiliant avant le terme de ce protocole ; cette déloyauté justifie qu'aucune pénalité de retard ne lui soit appliquée ;

- ni le principe, ni le montant des pénalités demandées ne sont justifiés :

* s'agissant de la période du 6 août 2014 au 31 juillet 2015, le protocole transactionnel ne pouvait être appliqué, compte tenu de la rupture de son équilibre par la résiliation du marché intervenue avant son terme ;

* s'agissant de la période du 1er août 2015 au 31 décembre 2016, les retards sont dus à des fautes imputables à l'OPH Domanys ;

* s'agissant de la période du 1er juillet 2017 au 28 février 2017, seuls six retards peuvent lui être reprochés, les ordres de service n'étant, par ailleurs, pas conformes à l'article 9.2 du cahier des clauses particulières (CCP) ;

- subsidiairement, le montant des pénalités retenu devra être réduit, étant manifestement excessif au vu du montant global du marché, des retards en cause, des fautes imputables à l'OPH Domanys et de l'absence de préjudice de celui-ci ;

- l'OPH Domanys doit lui verser le manque à gagner pendant la durée du marché restant à courir, pour un montant de 594 000 euros, outre le solde du marché pour un montant de 9 807,60 euros, les prestations attendues en 2017 ayant été réalisées dans les délais impartis.

Par mémoire enregistré le 7 juillet 2023, l'OPH Domanys, représenté par Me Salaün, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la société Dekra Industrial SAS la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La clôture de l'instruction a été fixée au 5 septembre 2023, par ordonnance du même jour.

Un mémoire, présenté pour la société Dekra Industrial SAS, a été enregistré le 8 septembre 2023 et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 ;

- le décret n° 91-472 du 14 mai 1991 ;

- le décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005 ;

- l'arrêté du 19 janvier 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sophie Corvellec ;

- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public ;

- et les observations de Me Sadek, pour la société Dekra Industrial SAS ;

Considérant ce qui suit :

1. Le 6 août 2014, l'OPH Domanys confiait à la société Dekra Industrial SAS la réalisation de divers diagnostics techniques, par un marché à bons de commande composé de deux lots. Le 28 septembre 2016, son exécution a donné lieu à la signature d'un protocole transactionnel en raison des retards affectant la remise de certains diagnostics relatifs à l'amiante. Néanmoins, par courrier du 25 octobre 2016, l'OPH Domanys a résilié le marché du premier lot, à compter du 28 février 2017, aux torts exclusifs du titulaire, en raison de retards dans la remise de diagnostics de performance énergétique. Saisi par l'OPH Domanys, le tribunal administratif de Dijon a, par un jugement du 17 mars 2022, condamné la société Dekra Industrial SAS à lui verser la somme de 203 097 euros au titre des pénalités de retard contractuellement dues pour la période du 6 août 2014 au 28 février 2017 et a rejeté la demande reconventionnelle tendant à l'indemnisation du manque à gagner résultant de la résiliation du marché. La société Dekra Industrial SAS relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 14 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services (CCAG FCS), rendu applicable au marché par l'article 4.2 de son cahier des clauses particulières (CCP) : " Les pénalités pour retard commencent à courir, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une mise en demeure, le lendemain du jour où le délai contractuel d'exécution des prestations est expiré (...) ". Aux termes de l'article 11.4 de ce CCP : " Par dérogation au CCAG FCS, le titulaire n'est pas exonéré des pénalités, quand bien même le montant total ne dépasse pas 300 euros H.T., pour l'ensemble du marché. Le dépassement des délais de remise des diagnostics fixés à l'Article 5.2 du présent CCP entraîne l'application des pénalités suivantes : 10 euros par jour calendaire de retard par logement et par diagnostic (...) Les pénalités résultent des simples constatations ci-dessus, sans qu'il soit besoin de procéder d'une mise en demeure préalable. Elles peuvent se cumulent et ne sont pas plafonnées ".

3. Les pénalités de retard prévues par les clauses d'un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu'est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d'exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu'un retard dans l'exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi.

4. En premier lieu, les circonstances que l'OPH Domanys ait précisé tardivement son volume de prestations commandées, et qu'elle ait finalement prononcé la résiliation unilatérale du marché pour méconnaissance des obligations du marché et du protocole transactionnel, constituent non une pratique déloyale mais la mise en œuvre des sanctions du contrat dont la requérante a accepté l'application en contractant. Par suite, la société Dekra Industrial SAS n'est pas fondée à se prévaloir du principe de loyauté des relations contractuelles pour contester l'application de toute pénalité de retard.

5. S'agissant, en deuxième lieu, des pénalités de retard dues au titre de la période du 6 août 2014 au 31 juillet 2015, l'OPH Domanys et la société Dekra Industrial SAS ont conclu, le 28 septembre 2016, un protocole d'accord stipulant, en son article premier, que " la société Dekra reconnaît et accepte l'application de pénalités évaluées à 66 330 euros à fin juillet 2015 suite aux retards dans la remise des diagnostics amiante effectués dans le cadre du lot 1 (...) ". En vertu de son article 2, cette dernière s'engageait notamment à verser à son cocontractant la somme de 28 190 euros " au plus tard, un mois après la signature du présent protocole ". Son article 8 prévoyait toutefois qu'" à défaut pour la société Dekra de régler les sommes dues dans les conditions visées à l'article 2 et un mois après une mise en demeure demeurée infructueuse, l'intégralité des sommes restant dues au titre des pénalités de retard visée à l'article 1 deviendra exigible, sans préjudice des intérêts qui courront jusqu'à parfait règlement (...) ". Il est constant qu'en dépit de la mise en demeure qui lui a été adressée le 10 février 2017, la société Dekra Industrial SAS n'a pas procédé à ce versement. Si, pour justifier cette inexécution, elle soutient que l'équilibre des concessions réciproques consenties dans ce protocole a été rompu par l'intervention de la résiliation du marché décidée le 25 octobre 2016, ce protocole ne comportait aucun engagement de l'OPH Domanys à poursuivre les relations contractuelles. En outre, il résulte de l'instruction que, par courrier du 11 juillet 2016, elle avait été mise en demeure de produire certains diagnostics attendus, sous peine de résiliation du marché. Ainsi, au jour de la signature de ce protocole, elle ne pouvait ignorer le risque d'intervention d'une telle résiliation. Ainsi, ce protocole, constitué de concessions réciproques et librement consenti, liait les parties, et notamment la société Dekra Industrial SAS. Par suite, et ainsi que l'ont retenu les premiers juges, les pénalités dues au titre de la période du 6 août 2014 au 31 juillet 2015 s'élèvent, en application de ce protocole et après déduction de la facture de 5 508,80 euros évoquée dans le courrier du 16 mars 2017, à 60 822 euros.

6. S'agissant, en troisième lieu, des pénalités de retard dues au titre de la période du 1er août 2015 au 31 décembre 2016, la société Dekra Industrial SAS ne peut utilement se référer à son courrier du 11 juillet 2016 et à des ordres de service, relatifs à des diagnostics distincts de ceux ayant justifié les pénalités en litige, ni ne démontre, en invoquant le droit de retrait exercé par certains de ses salariés, que cette circonstance a été à l'origine de retards reprochés. Ainsi, elle n'est pas fondée à soutenir que certains de ces retards seraient imputables à des fautes de son cocontractant.

7. S'agissant, en revanche, en quatrième lieu, des pénalités de retard dues au titre de la période du 1er janvier 2017 au 28 février 2017, si l'OPH Domanys produit un tableau énumérant les retards justifiant, selon elle, des pénalités d'un montant de 126 140 euros, la société Dekra Industrial SAS, qui ne conteste pas l'exigibilité des pénalités liées aux retards dus à l'absence du locataire du logement à diagnostiquer, démontre, par les copies d'écran lisibles qu'elle produit mentionnant la date d'expédition du rapport réalisé, complétées, pour certaines, par ces rapports datés et correspondant à vingt-neuf des ordres de mission figurant dans ce tableau, avoir expédié les diagnostics demandés par ces ordres de service dans les délais impartis. Par suite, elle est fondée à soutenir que, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, seuls 12 390 euros de pénalités de retard, correspondant aux six prestations qu'elle énumère, peuvent être mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2017 au 28 février 2017.

8. En cinquième lieu, si, lorsqu'il est saisi d'un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l'ampleur du retard constaté dans l'exécution des prestations. Lorsque le titulaire du marché saisit le juge de conclusions tendant à ce qu'il modère les pénalités mises à sa charge, il ne saurait utilement soutenir que le pouvoir adjudicateur n'a subi aucun préjudice ou que le préjudice qu'il a subi est inférieur au montant des pénalités mises à sa charge. Il lui appartient de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif. Au vu de l'argumentation des parties, il incombe au juge soit de rejeter les conclusions dont il est saisi en faisant application des clauses du contrat relatives aux pénalités, soit de rectifier le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché dans la seule mesure qu'impose la correction de leur caractère manifestement excessif.

9. Eu égard au nombre important de retards en cause et au montant des pénalités exigées tel que réduit conformément au point 7 et à défaut de toute précision sur le montant global du marché, sur ses caractéristiques particulières ou encore sur les pratiques observées dans des marchés comparables, la société Dekra Industrial SAS n'établit pas que ce montant présente un caractère excessif, justifiant qu'il soit réduit à titre exceptionnel.

10. En dernier lieu, la société Dekra Industrial SAS ne démontrant pas l'illégalité de la résiliation du marché, elle n'est pas fondée à demander le versement d'une indemnité compensant un manque à gagner pour les années 2017 et 2018. Par ailleurs, si elle demande le versement d'une somme de 9 807,60 euros comme solde du marché, elle ne démontre pas la réalité de sa créance en se bornant à produire une liste de factures, qui n'auraient pas été honorées, sans contester les paiements et justifications exposées en défense.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Dekra Industrial SAS est seulement fondée à demander que l'indemnité que le tribunal administratif de Dijon l'a condamnée à verser à l'OPH Domanys soit ramenée à la somme de 89 347 euros.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Dekra Industrial SAS, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par l'OPH Domanys. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement d'une somme de 2 000 euros à la société Dekra Industrial SAS, en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 203 097 euros que la société Dekra Industrial SAS a été condamnée à verser à l'OPH Domanys par le jugement n° 1902348 du tribunal administratif de Dijon du 17 mars 2022 est ramenée à 89 347 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1902348 du tribunal administratif de Dijon du 17 mars 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'OPH Domanys versera à la société Dekra Industrial SAS une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Dekra Industrial SAS et à l'office public de l'habitat Domanys.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2023, où siégeaient :

M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,

Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024.

La rapporteure,

S. CorvellecLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

S. Bertrand

La République mande et ordonne au préfet de l'Yonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY01507


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY01507
Date de la décision : 18/01/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-05-01-03 Marchés et contrats administratifs. - Exécution financière du contrat. - Rémunération du co-contractant. - Pénalités de retard.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : LEVY ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-18;22ly01507 ?
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