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19/01/2024 | FRANCE | N°22LY00135

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 19 janvier 2024, 22LY00135


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 10 décembre 2020 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné son pays de renvoi.



Par un jugement n° 2102862 du 2 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.



Procédure devant la cou

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Par une requête enregistrée le 10 janvier 2022, M. A... B..., représenté par la SELARL Alban Costa, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les décisions du 10 décembre 2020 par lesquelles le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a désigné son pays de renvoi.

Par un jugement n° 2102862 du 2 août 2021, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 10 janvier 2022, M. A... B..., représenté par la SELARL Alban Costa, agissant par Me Costa, demande à la cour d'annuler le jugement n° 2102862 du 2 août 2021 du tribunal administratif de Grenoble et les décisions préfectorales du 10 décembre 2020.

M. B... soutient que :

- le jugement a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire posé par l'article L. 5 du code de justice administrative ;

- l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance des stipulations du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien et de celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 1er décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

* la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

* l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, complété par un protocole, deux échanges de lettres et une annexe, modifié, signé à Alger le 27 décembre 1968 ;

* le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droits d'asile ;

* la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

* le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Gros, premier conseiller a été entendu au cours de l'audience publique du 18 décembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant algérien né le 14 novembre 1980, est entré en France le 1er juillet 2019 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour et a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en invoquant son état de santé. Par décisions du 10 décembre 2020, le préfet de l'Isère lui a opposé un refus, a pris à son encontre une mesure d'éloignement en lui accordant un délai de départ volontaire de trente jours et a désigné son pays de destination. M. B... relève appel du jugement du 2 août 2021 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions préfectorales.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire (...) ". Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...) ". Aux termes de l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication et ne sont pas examinés par la juridiction ". Il résulte de ces dispositions que lorsque, postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge est saisi d'une production, mémoire ou pièce, émanant de l'une des parties à l'instance, il lui appartient de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision, ainsi que de la viser sans l'analyser, mais qu'il ne peut la prendre en compte sans avoir préalablement rouvert l'instruction afin de la soumettre au débat contradictoire.

3. Il ressort des mentions du jugement déféré et des pièces du dossier de première instance que, alors que la date de clôture de l'instruction avait été fixée au 25 juin 2021 par une ordonnance de la magistrate rapporteure, un premier mémoire en défense, accompagné de pièces, a été produit par le préfet de l'Isère le 7 juillet 2021 et n'a pas été communiqué. M. B... y avait soulevé un vice de procédure tiré, d'une part, de ce qu'il n'était pas démontré que l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) avait été rendu avant la prise de la décision de refus de séjour attaquée, d'autre part, de ce que cet avis n'avait pas été régulièrement rendu. Pour écarter la première branche de ce moyen, le tribunal s'est nécessairement fondé sur l'avis en question émis le 3 juin 2020 et sur le bordereau, daté du même jour, de transmission de cet avis à la préfecture de l'Isère, pièces produites par le préfet le 7 juillet 2021. En se fondant ainsi sur des pièces qui n'avaient pas été régulièrement versées au dossier de l'instance en cause ni communiquées aux parties, le tribunal a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure. Il suit de là que M. B... est fondé à soutenir que le jugement attaqué est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble et devant la cour.

Sur la légalité des décisions préfectorales du 10 décembre 2020 :

5. Devant le tribunal, le requérant soulevait les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte, d'un vice de procédure affectant cet acte, d'une erreur de droit commise au regard de l'article L. 313-11, 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il assortissait ses conclusions en annulation de conclusions en injonction, sous astreinte, et sollicitait le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des frais d'instance.

6. En premier lieu, l'arrêté contenant les décisions en litige a été signé par M. Philippe Portal, secrétaire général de la préfecture de l'Isère, muni à cet effet d'une délégation que lui avait régulièrement consentie le préfet de l'Isère par arrêté du 10 février 2020. Doit par suite être écarté le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte.

7. En deuxième lieu, la cour, le 4 novembre 2022, a communiqué à M. B... le mémoire de première instance du préfet de l'Isère et les pièces l'accompagnant, dont l'avis du collège des médecins de l'OFII, rendu le 3 juin 2020, et le bordereau, daté du même jour, de transmission de cet avis à la préfecture par l'OFII. Ces pièces permettent d'établir que, contrairement à ce qui est soutenu, la décision de refus de séjour prise le 10 décembre 2020 a été précédée du recueil de l'avis du collège de médecins de l'OFII. Le requérant, ensuite, s'il soutient que cet avis n'a pas été régulièrement rendu, n'y consacre aucune argumentation. Le moyen tiré du vice de procédure doit en conséquence être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) / 7. Au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays (...) ".

9. La partie qui justifie de l'avis d'un collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié et effectivement accessible dans le pays de renvoi.

10. Pour refuser de délivrer à M. B... le titre de séjour sollicité pour raisons de santé, le préfet de l'Isère s'est appuyé sur l'avis du 3 juin 2020 du collège de médecins de l'OFII, lesquels ont estimé que l'état de santé de cet étranger nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, mais qu'il pouvait effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, vers lequel il pouvait voyager sans risque médical. Il ressort des pièces du dossier que M. B... souffre d'insuffisance rénale et d'hypertension artérielle diagnostiquées en octobre 2016 en Algérie où il a débuté un traitement par dialyse. Il est pris en charge par le centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes dans le cadre d'une hémodialyse à raison de trois séances par semaine et, depuis septembre 2020, est inscrit sur la liste nationale des malades en attente de greffe de rein. Le seul document produit par le requérant, à savoir un " rapport médical " daté du 14 décembre 2019 émanant d'un médecin d'un hôpital public algérien, aux termes duquel une " transplantation rénale ABO non compatible " ne peut, du fait de " l'absence de moyens adéquats et maîtrise de la technique de plasmaphérèse en Algérie ", être effectuée " qu'à l'étranger avec un donneur vivant " est insusceptible de remettre en cause l'avis du collège de médecins de l'OFII, alors que le préfet, quant à lui, fait valoir que les greffes d'organe à partir de donneurs vivants ou non sont légalement possibles en Algérie. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui trouvent leur correspondance dans les stipulations visées ci-dessus de l'accord franco-algérien, ces dernières seules applicables aux ressortissants algériens, doit ainsi être écarté.

11. En dernier lieu, M. B... ne fait état d'aucun élément d'intégration lui étant propre durant son séjour en France d'une durée d'à peine dix-neuf mois à la date de l'arrêté contesté. Son épouse, qui fait l'objet de mêmes décisions prises par le préfet de l'Isère également le 10 décembre 2020, ne démontre pas, par une promesse d'embauche du 11 novembre 2020 et par des activités de bénévolat au profit du secours populaire français, de l'association entraide Pierre Valdo, laquelle hébergeait sa famille, du centre communal d'action sociale de Grenoble, une particulière insertion en France, toutes méritoires que soient ces activités. Le requérant et son épouse ont par ailleurs vécu jusqu'à l'âge de 39 ans en Algérie, où M. B... exerçait la profession de sapeur-pompier professionnel et son épouse celle de professeur d'anglais en collège. Les trois enfants du couple, âgés de 6 ans, 8 ans, 10 ans, scolarisés en école primaire, respectivement, cours préparatoire, 2ème année de cours élémentaire, 2ème année de cours moyen, pourront poursuivre leur scolarité en Algérie, récemment quittée, en juillet 2019. Ainsi, en prenant les décisions en litige du 10 décembre 2020, le préfet de l'Isère n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale d'atteinte excessive. Par suite doit être écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui stipule que " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale " et de la méconnaissance des stipulations du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien, lesquelles, en outre, ne constituaient pas le fondement de la demande de titre de séjour du requérant.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de M. B... à fin d'annulation des décisions préfectorales du 10 décembre 2020 doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement au conseil de M. B... de la somme demandée en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2102862 du 2 août 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel et les conclusions présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 18 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2024.

Le rapporteur,

B. Gros

Le président,

F. Pourny

La greffière,

F. Abdillah

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N° 22LY00135 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY00135
Date de la décision : 19/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Bernard GROS
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SELARL ALBAN COSTA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-19;22ly00135 ?
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