La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/02/2024 | FRANCE | N°22LY03067

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 01 février 2024, 22LY03067


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le rejet implicite que le maire de Crest a opposé à sa demande de raccordement définitif au réseau électrique.



Par ordonnance n° 2000443 du 26 septembre 2022, le président de la première chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 13 octobre 2022, Mme A..., repré

sentée par Me Cunin (SELARL Retex avocats), demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du président de la pr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler le rejet implicite que le maire de Crest a opposé à sa demande de raccordement définitif au réseau électrique.

Par ordonnance n° 2000443 du 26 septembre 2022, le président de la première chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 13 octobre 2022, Mme A..., représentée par Me Cunin (SELARL Retex avocats), demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du président de la première chambre du tribunal administratif de Grenoble du 26 septembre 2022 et la décision de rejet implicite de sa demande de raccordement définitif au réseau électrique ;

2°) d'enjoindre au maire de Crest de lui délivrer l'autorisation sollicitée, dans le délai de quinze jours et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Crest la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance attaquée est irrégulière, dès lors que ses moyens de première instance n'étaient pas inopérants ;

- la décision litigieuse méconnaît les articles 8 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît en outre l'autorité absolue de la chose jugée par la cour d'appel de Grenoble, le 26 mars 2019.

Par mémoire enregistré le 2 février 2023, la commune de Crest, représentée par Me Belluc (CMS Francis Lefebvre), conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de Mme A... la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle expose que :

- la demande de première instance était tardive, et par suite irrecevable ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sophie Corvellec ;

- les conclusions de M. Bertrand Savouré, rapporteur public ;

- les observations de Me Matras pour Mme A..., et de Me Millanvois pour la commune de Crest ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... relève appel de l'ordonnance du 26 septembre 2022 par laquelle le président de la première chambre du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de rejet implicitement née du silence conservé par le maire de Crest sur sa demande de raccordement définitif au réseau électrique de la résidence mobile installée sur la parcelle référencée section ZP n° 119 dont elle est propriétaire.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes, d'une part, de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " Les (...) présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : (...) 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours (...), les requêtes ne comportant que (...) des moyens inopérants (...) ".

3. Tandis qu'aux termes, d'autre part, de l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme : " Les bâtiments, locaux ou installations (...) ne peuvent (...) être raccordés définitivement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n'a pas été (...) autorisée (...) ".

4. La décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme, le raccordement d'une construction à usage d'habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d'une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constituent le respect des règles d'urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l'environnement, il appartient, dans chaque cas, à l'administration de s'assurer et au juge de vérifier que l'ingérence qui découle d'un refus de raccordement est, compte tenu de l'ensemble des données de l'espèce, proportionnée au but légitime poursuivi.

5. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, le maire de Crest ne se trouvait pas en situation de compétence liée pour rejeter la demande de raccordement définitif présentée par Mme A.... Par suite, les moyens dont celle-ci s'est prévalue en première instance, notamment celui tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, n'étaient pas tous inopérants. Le président de la première chambre du tribunal administratif de Grenoble ne pouvait, dès lors, se fonder sur les dispositions citées au point 2 pour rejeter la demande de Mme A... par ordonnance.

6. Il s'ensuit que l'ordonnance attaquée est irrégulière et doit être annulée. Il y a lieu pour la cour de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Grenoble.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

7. En premier lieu, l'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose en principe à l'administration comme au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement devenu définitif.

8. Par un arrêt du 26 mars 2019, la cour d'appel de Grenoble a considéré que Mme A... avait commis un délit en déboisant cette parcelle, en y aménageant une zone d'implantation de plusieurs caravanes et en y construisant un hangar, en méconnaissance du plan local d'urbanisme, avant de confirmer l'amende mise à sa charge, le 9 mars 2018, par jugement du tribunal correctionnel de Valence. Si elle a, en revanche, infirmé ce jugement, en dispensant l'intéressée de remettre en état la parcelle, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision litigieuse reposerait sur des constatations de fait contraires à celles retenues par la cour d'appel à l'appui de cette décision. Par suite, Mme A..., qui, en tout état de cause, ne peut utilement se prévaloir de la qualification juridique que la cour d'appel aurait, selon elle, implicitement donnée à ces faits, n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait l'autorité de la chose jugée au pénal.

9. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

10. Il est constant que Mme A... et son époux ont acquis, le 10 avril 2015, la parcelle ZP 119 où ils ont rapidement entrepris des travaux afin de la rendre habitable en procédant à son défrichement et à son empierrement, en y édifiant un hangar et en y installant une résidence mobile, en dépit du classement, dont ils avaient été expressément informés, de cette parcelle en zone agricole du plan local d'urbanisme de la commune. Si le refus attaqué constitue une ingérence dans le droit de Mme A... au respect de sa vie privée et familiale, il poursuit ainsi le but légitime d'assurer le respect des règles d'urbanisme. Par ailleurs, à la date du refus attaqué, la famille bénéficiait d'un raccordement provisoire au réseau électrique. En outre, elle n'allègue pas avoir échoué à trouver une solution alternative de logement, alors qu'elle ne se trouvait pas dans une situation de vulnérabilité telle qu'elle n'aurait pas été en mesure de rechercher une telle solution, que ce soit en envisageant l'installation de la résidence mobile sur un terrain spécialement aménagé à cette fin ou en sollicitant l'attribution d'un logement dans le parc social. Dans ces conditions, et nonobstant la scolarisation de ses enfants dans la commune, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le refus attaqué méconnaît les stipulations citées au point 9.

11. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de rejet implicitement née du silence conservé par le maire de Crest sur sa demande de raccordement définitif au réseau électrique.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. La présente décision rejetant les conclusions à fin d'annulation de Mme A... et n'appelant, dès lors, aucune mesure d'exécution, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Crest, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par Mme A.... Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de cette dernière le paiement des frais exposés par la commune de Crest en application de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2000443 du président de la première chambre du tribunal administratif de Grenoble du 26 septembre 2022 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus de ses conclusions présentées en appel sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Crest en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la commune de Crest.

Délibéré après l'audience du 11 janvier 2024, où siégeaient :

- M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,

- Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,

- Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2024.

La rapporteure,

S. CorvellecLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne au préfet de la Drôme en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 22LY03067


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22LY03067
Date de la décision : 01/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Droits civils et individuels - Convention européenne des droits de l'homme - Droits garantis par la convention - Droit au respect de la vie privée et familiale (art - 8).

Urbanisme et aménagement du territoire - Autorisations d`utilisation des sols diverses - Autorisation des installations et travaux divers.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: M. SAVOURE
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE LYON

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-01;22ly03067 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award