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29/02/2016 | FRANCE | N°15MA00758

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre - formation à 3, 29 février 2016, 15MA00758


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Léon Grosse a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le département des Bouches-du-Rhône à lui payer la somme de 1 432 332,16 euros hors taxes à raison des travaux supplémentaires qu'elle a réalisés dans le cadre du marché de reconstruction du collège de Plan-de-Cuques et des coûts liés à l'accélération de ce chantier.

Par un jugement n° 1003082 du 22 décembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a condamné le département des Bouches-du-Rhône à

verser à la société Léon Grosse une somme de 620 201,56 euros, augmentée de la révision des ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Léon Grosse a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le département des Bouches-du-Rhône à lui payer la somme de 1 432 332,16 euros hors taxes à raison des travaux supplémentaires qu'elle a réalisés dans le cadre du marché de reconstruction du collège de Plan-de-Cuques et des coûts liés à l'accélération de ce chantier.

Par un jugement n° 1003082 du 22 décembre 2014, le tribunal administratif de Marseille a condamné le département des Bouches-du-Rhône à verser à la société Léon Grosse une somme de 620 201,56 euros, augmentée de la révision des prix contractuellement prévue, somme assortie des intérêts moratoires à compter du 12 avril 2008 ;

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 18 février 2015 et le 26 janvier 2016, le département des Bouches-du-Rhône, représenté par Me A...et MeB..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 décembre 2014 ;

2°) de limiter à 280 469,51 euros hors taxes la somme à verser à la société Léon Grosse ;

3°) de mettre à la charge de la société Léon Grosse une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé s'agissant du caractère indispensable des travaux supplémentaires réalisés sans ordres de service ;

- le tribunal a insuffisamment motivé sa décision en ne répondant pas au moyen en défense tiré du caractère global et forfaitaire du prix du marché et en ne prenant pas en compte les résultats de l'expertise amiable ;

- les travaux prévus par les ordres de service n°s 5 à 7 n'avaient pas d'incidences financières pour le constructeur et ne pouvaient pas donner lieu à indemnisation ;

- les travaux réalisés sans ordres de service n'étaient pas indispensables et ne pouvaient pas donner lieu à indemnisation ;

- la demande d'indemnisation des coûts liés à l'accélération du chantier est irrecevable en application des articles 50.11, 50.12 et 50.21 du cahier des clauses administratives générales ;

- cette demande n'est pas justifiée et les frais en cause sont déjà pris en compte dans le cadre de l'indemnisation des travaux prévus par l'ordre de service n° 3 ;

- la demande d'indemnisation des travaux correspondant au devis n° 5 est irrecevable en application de l'article 2.52 du cahier des clauses administratives générales.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 novembre 2015 et le 2 février 2016, la société Léon Grosse, représentée par la SCP de Angelis et associés, conclut au rejet de la requête, à ce que la somme au versement de laquelle le département des Bouches-du-Rhône a été condamné soit portée à 825 248,80 euros hors taxes et à ce que le jugement du tribunal administratif de Marseille soit réformé en conséquence et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge du département au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le département des Bouches-du-Rhône ne sont pas fondés ;

- la demande de paiement des sommes mentionnées sur le devis n° 5 n'était pas tardive ;

- les travaux correspondant au devis n° 5 étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.

Par ordonnance du 6 janvier 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 26 janvier 2016.

Par ordonnance du 27 janvier 2016, l'instruction a été rouverte.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ouillon,

- les conclusions de M. Thiele, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant le département des Bouches-du-Rhône, et de MeC..., représentant la société Léon Grosse.

Une note en délibéré présentée par le département des Bouches-du-Rhône a été enregistrée le 9 février 2015.

1. Considérant que, par un acte d'engagement du 16 juin 2006, le département des Bouches-du-Rhône a confié à la société Léon Grosse l'exécution du lot n° 2 " gros-oeuvre, étanchéité, charpente, couverture, menuiseries extérieures, occultations, serrurerie " du marché de reconstruction du collège de Plan-de-Cuques ; qu'après la réception de l'ouvrage prononcée avec effet au 24 août 2007, la société Léon Grosse a adressé au maître d'oeuvre un projet de décompte final d'un montant de 6 610 843,75 euros hors taxes comprenant la rémunération de travaux supplémentaires et l'indemnisation de préjudices qu'elle estimait avoir subis ; que, par courrier du 10 octobre 2008, le maître de l'ouvrage a adressé à l'entreprise de travaux le décompte général du marché en limitant son montant à la somme de 5 502 560,75 euros hors taxes ; que l'entreprise a refusé de signer ce décompte et a présenté un mémoire de réclamation le 25 novembre 2008 ; que, par lettre du 24 février 2009 adressée à l'entreprise, le maître d'ouvrage a accepté l'indemnisation de certains travaux supplémentaires ; que la société Léon Grosse a toutefois demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le département à lui payer une somme de 1 432 332,16 euros hors taxes au titre des suppléments de dépenses supportés pour l'exécution du marché ; que, par un jugement du 22 décembre 2014 le tribunal administratif de Marseille a condamné le département des Bouches-du-Rhône à verser à la société Léon Grosse une somme de 620 201,56 euros ; que le département des Bouches-du-Rhône demande à la cour de réformer ce jugement et de limiter les sommes mises à sa charge à 280 469,51 euros hors taxes ; que, par la voie de l'appel incident, la société Léon Grosse demande à la cour de porter la somme mise à la charge du département à 825 248,80 euros ;

Sur la requête du département des Bouches-du-Rhône :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. " ;

3. Considérant, d'une part, qu'il ressort des mentions du jugement attaqué que le tribunal, pour faire droit à la demande d'indemnisation de la société Léon Grosse au titre des travaux supplémentaires effectués à l'initiative de cette dernière, a relevé que ces travaux revêtaient un caractère indispensable ; que le tribunal a ainsi suffisamment motivé son jugement sur ce point ;

4. Considérant, d'autre part, que pour allouer une indemnité en réparation du préjudice lié aux conditions d'exécution du marché, le tribunal, après avoir énoncé de manière précise l'ensemble des postes de dépenses pour lesquels la société Léon Grosse demandait une indemnisation, a relevé que le maintien du planning contractuel avait eu une incidence importante sur les conditions dans lesquelles l'entreprise a exécuté les travaux prévus par le marché ; que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments en défense du département des Bouches-du-Rhône, a suffisamment motivé son jugement sur ce point ;

En ce qui concerne les travaux ordonnés par les ordres de service n°s 5, 6 et 7 :

5. Considérant que pour contester la demande d'indemnisation présentée par la société Léon Grosse au titre des travaux qui faisaient l'objet des ordres de services n°s 5, 6 et 7, le département soutient que ces ordres de service avaient été émis sans mention de leur incidence financière, ce qui impliquait que les travaux ainsi ordonnés ne présentaient pas un coût supplémentaire pour le constructeur ; que, toutefois, il n'est pas établi et il ne résulte pas non plus de l'instruction que les travaux en cause auraient été prévus dans le marché ; que, d'ailleurs, la rémunération de ces travaux avait été admise par le maître d'oeuvre lors de l'examen du projet de décompte final ; que, dans ces conditions, le département des Bouches-du-Rhône n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a accordé à la société Léon Grosse l'indemnisation de ces travaux ;

En ce qui concerne les travaux supplémentaires réalisés sans ordres de service :

6. Considérant que le titulaire d'un marché à prix forfaitaire a droit au paiement des travaux supplémentaires qui, bien qu'ils aient été réalisés sans ordre de service du maître d'ouvrage, ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art ; que, par ailleurs, il a également droit au paiement des travaux résultant de sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat ;

7. Considérant que la société Léon Grosse a demandé le paiement des travaux relatifs à la pose de grilles métalliques sur un escalier extérieur, à la prise en compte d'un écart de surface sur un habillage en terre cuite et à la prise en compte d'un écart de surface sur des brise-soleil du bâtiment A ; qu'il n'est pas soutenu que ces travaux auraient fait l'objet d'un ordre de service ; que la société Léon Grosse n'apporte aucun élément permettant de considérer que ces travaux présentaient un caractère indispensable à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ; que la société Léon Grosse n'établit pas, ni même n'allègue, que ces travaux résulteraient de l'apparition de difficultés exceptionnelles et imprévisibles qui auraient eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat ; que, par suite, le département des Bouches-du-Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a accordé à la société Léon Grosse l'indemnisation de ces travaux pour un montant de 56 412 euros ;

En ce qui concerne le préjudice d'accélération de la réalisation des travaux :

8. Considérant que la société Léon Grosse demande l'indemnisation des moyens supplémentaires qu'elle a mis en oeuvre pour exécuter les travaux dont elle avait la charge dans le délai initialement prévu dans le marché malgré la réalisation de travaux complémentaires ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait subi un préjudice distinct du coût des travaux supplémentaires qui, comme il a été vu ci-dessus, ont fait l'objet d'une indemnisation spécifique ; que la société Léon Grosse n'établit pas non plus ni même n'allègue que les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché seraient imputables à une faute du maître de l'ouvrage ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de cette demande, le département des Bouches-du-Rhône est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a accordé à la société Léon Grosse une somme de 260 000 euros en indemnisation de ce préjudice ;

En ce qui concerne la révision des prix et l'allocation d'intérêts moratoires :

9. Considérant que le département des Bouches-du-Rhône ne critique pas utilement le jugement en ce que le tribunal a décidé que la société Léon Grosse pouvait prétendre à la révision des prix ainsi qu'au versement des intérêts moratoires sur les sommes dues au titre du solde du marché ;

Sur le recours incident de la société Léon Grosse :

10. Considérant que la société Léon Grosse demande le paiement des travaux dits " gros béton de fondations " ayant fait l'objet du devis n° 5 pour un montant de 205 047,24 euros et correspondant à des travaux d'approfondissement et de consolidation des fondations ;

11. Considérant, d'une part, que l'article 2.52 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché stipule : " Lorsque l'entrepreneur estime que la prescription d'un ordre de service appelle des réserves de sa part, il doit, sous peine de forclusion, les présenter par écrit au maître d'oeuvre dans un délai de quinze jours, décompté ainsi qu'il est précisé à l'article 5. " ;

12. Considérant que, pour contester le bien-fondé de la demande présentée par la société Léon Grosse, le département fait valoir que celle-ci n'a pas contesté dans le délai prévu à l'article 2.52 du cahier précité, l'absence de prise en compte dans l'ordre de service n° 3 du montant des travaux mentionnés dans le devis en cause ; que, toutefois, il ressort des mentions mêmes de cet ordre de service que celui-ci avait un objet étranger aux travaux prévus par le devis n° 5 ; que, par suite, aucune tardiveté ne peut être opposée à ce titre à la demande de la société Léon Grosse ;

13. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction et particulièrement d'un rapport d'expertise réalisé à la demande du département en présence des représentants de la société Léon Grosse et qui a été soumis ultérieurement au débat contradictoire, que cette société, compte tenu de la nature du sol constaté, a dû réaliser des travaux d'approfondissement des fondations de 1,33 mètres en moyenne par rapport aux prévisions initiales du marché ; que l'expert indique que l'étude de sondage du sol remise à l'entreprise pour déterminer les travaux de fondations à réaliser ne permettait pas de fixer avec une précision suffisante le niveau d'assise des fondations ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'en vertu notamment des stipulations du marché l'entrepreneur était réputé connaître l'état du sol qui a rendu nécessaire ces travaux ; que l'expert, dont les conclusions ne sont pas contestées par le département, a évalué à 98 692,87 euros le montant de ces travaux de consolidation des fondations qui étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art et qui excédaient les prévisions du marché ; que la société Léon Grosse a droit au remboursement de cette dernière somme ; qu'en revanche, s'agissant des travaux correspondant au surplus par rapport à cette somme, la société Léon Grosse n'établit pas que ceux-ci correspondraient à des travaux supplémentaires indispensables pour l'exécution de l'ouvrage suivant les règles de l'art, ou qu'ils résulteraient de l'apparition de difficultés exceptionnelles et imprévisibles ;

14. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la société Léon Grosse ne peut prétendre qu'au versement d'une indemnisation d'un montant de 402 482,43 euros ; que le département des Bouches-du-Rhône est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille l'a condamné à verser à la société Léon Grosse une somme supérieure à cette indemnité ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions que présentent le département des Bouches-du-Rhône et la société Léon Grosse et tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 620 201,56 euros que le département des Bouches-du-Rhône a été condamné à verser à la société Léon Grosse par le jugement n° 1003082 du tribunal administratif de Marseille du 22 décembre 2014 est ramenée à 402 482,43 euros (quatre cent deux mille quatre cent quatre-vingt-deux euros et quarante-trois centimes).

Article 2 : Le jugement du 22 décembre 2014 du tribunal administratif de Marseille est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département des Bouches-du-Rhône et à la société Léon Grosse.

Délibéré après l'audience du 8 février 2016, où siégeaient :

- M. Moussaron, président,

- M. Ouillon, premier conseiller,

- M. Gautron, conseiller,

Lu en audience publique, le 29 février 2016.

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N° 15MA00758


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15MA00758
Date de la décision : 29/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-02 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité du maître de l'ouvrage et des constructeurs à l'égard des tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. MOUSSARON
Rapporteur ?: M. Sylvain OUILLON
Rapporteur public ?: M. THIELE
Avocat(s) : CABINET DE CASTELNAU

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2016-02-29;15ma00758 ?
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