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21/06/2016 | FRANCE | N°14MA00462

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre-formation à 3, 21 juin 2016, 14MA00462


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société privée à responsabilité limitée (SPRL) Roland C...a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2003 à 2005.

Par un jugement n° 1003202 du 3 octobre 2013, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés

les 28 janvier et 15 septembre 2014, la société privée à responsabilité limitée Sothola, venant aux droi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société privée à responsabilité limitée (SPRL) Roland C...a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2003 à 2005.

Par un jugement n° 1003202 du 3 octobre 2013, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 28 janvier et 15 septembre 2014, la société privée à responsabilité limitée Sothola, venant aux droits de la SPRL RolandC..., représentée par Me B..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice ;

2°) de prononcer la décharge des impositions supplémentaires en cause ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la SPRL Roland C...est une société civile et non une société de nature commerciale et n'a pas exercé d'activité lucrative en France ;

- la maison de Roquefort-les-Pins constitue le siège de la direction effective de la société et donc un établissement stable au sens de l'article 4 de la convention fiscale du 10 mars 1964 conclue entre la France et la Belgique ;

- l'article 3 de cette convention est donc inapplicable ;

- à titre subsidiaire, en l'absence d'établissement stable, l'administration a violé le principe de territorialité et le droit communautaire, dès lors que la mise à disposition même gratuite d'un immeuble à un dirigeant ne constitue pas en droit belge un acte anormal de gestion ;

- l'acte anormal de gestion n'est pas établi en l'espèce ;

- l'évaluation de la valeur locative par le service ne correspond pas à la situation réelle de l'immeuble.

Par des mémoires en défense enregistrés le 10 juin 2014 et 7 janvier 2015, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 modifiée ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Martin,

- et les conclusions de M. Ringeval, rapporteur public.

1. Considérant que la société privée à responsabilité limitée (SPRL) RolandC..., société de droit belge exerçant une activité de cabinet d'avocats, dont le siège est à Bruxelles et qui a été absorbée en 2013 par la SPRL Sothola, est propriétaire d'une villa située à Roquefort-les-Pins (Alpes-Maritimes) ; qu'elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2003 à 2005 à l'issue de laquelle, par proposition de rectification du 17 novembre 2006, elle s'est vu notifier, selon la procédure contradictoire, des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contribution à cet impôt au titre des années 2003, 2004 et 2005, calculées sur une base d'imposition égale à la valeur locative de la villa, laquelle était au cours de ces mêmes années mise gratuitement à la disposition de l'un de ses associés, M. A... C...; que la SPRL Sothola relève appel du jugement du 3 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de la SPRL Roland C...tendant à la décharge des impositions en litige ;

Sur le principe de l'imposition :

2. Considérant qu'il appartient au juge de l'impôt, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, d'identifier d'abord, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable ; que, compte tenu de ces constatations, il lui revient de déterminer le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française ;

3. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 206 du code général des impôts : " (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) ainsi que (...) toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations à caractère lucratif " ;

4. Considérant qu'en application de ces dispositions, une société de droit étranger est imposable à l'impôt sur les sociétés en France si elle peut être, de par sa forme, assimilée à l'une des catégories de sociétés visées par les dispositions précitées, ou si elle réalise, sur le territoire français, des opérations à caractère lucratif ; que par ailleurs le fait, pour une personne morale, qui ne serait pas, pour un autre motif, passible de l'impôt sur les sociétés, de mettre gratuitement un élément de son actif à la disposition de ses associés ne constitue pas, par lui-même, une activité lucrative ;

5. Considérant que le code des sociétés belge prévoit, par son article 3 § 2, que " La nature civile ou commerciale d'une société est déterminée par son objet " et par le § 4 du même article que " Les sociétés civiles à forme commerciale sont les sociétés dont l'objet est civil, et qui, sans perdre leur nature civile, ont adopté la forme d'une société commerciale pour bénéficier de la personnalité juridique. Elles n'ont pas la qualité de commerçant. " ; que, par ailleurs, aux termes de l'article 4 du règlement d'ordre intérieur de l'ordre français des avocats du barreau de Bruxelles : " A. L'association. / Les avocats peuvent s'associer en constituant une société de droit commun ou une société civile à forme commerciale au sens du code des sociétés, à l'exception de la société anonyme et de la société en commandite, ou en y adhérant. (...) " ; qu'ainsi, une société privée à responsabilité limitée (SPRL) de droit belge constituée par des avocats est nécessairement une société civile à forme commerciale ; qu'eu égard à la responsabilité limitée de ses associés, une telle société, alors même qu'elle n'a pas la qualité de commerçant, doit être assimilée aux sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) instituées en France par la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 pour permettre aux membres des professions libérales d'exercer leur activité sous la forme de sociétés de capitaux, alors que les SELARL, tout en ayant un objet civil, sont soumises à toutes les dispositions de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales auxquelles il n'est pas expressément dérogé par la loi du 31 décembre 1990, et sont assujetties de plein droit à l'impôt sur les sociétés selon les règles de droit commun lorsqu'elles sont constituées par plusieurs associés ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration fiscale a estimé que la SPRL RolandC..., constituée par deux associés, M. C... et la SPRL Sothola, devait être assujettie en France à l'impôt sur les sociétés à raison des résultats tirés de la mise à disposition de la villa dont elle est propriétaire ;

6. Considérant que si la société requérante fait valoir qu'elle ne se livrerait en France à aucune activité lucrative dans la mesure où elle se bornerait à mettre le bien immobilier en cause à la disposition gratuite de son dirigeant, les circonstances ainsi alléguées sont sans influence sur son assujettissement à l'impôt contesté, qui est dû quelle que soit la nature de son activité en France, conformément aux dispositions précitées de l'article 206-1 du code général des impôts, dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit elle est assimilable à une SELARL ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de la convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964 modifiée :

7. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention franco-belge du 10 mars 1964 modifiée : " 1. Les revenus provenant des biens immobiliers (...) ne sont imposables que dans l'Etat contractant où ces biens sont situés. (...) 4. Les dispositions des paragraphes 1 à 3 s'appliquent aux revenus procurés par l'exploitation directe, (...) ainsi que par toute autre forme d'exploitation de biens immobiliers (...) 5. Les dispositions des paragraphes 1 à 4 s'appliquent également aux revenus des biens immobiliers d'entreprises (...) " ; qu'aux termes de l'article 4 de la même convention : " 1. Les bénéfices industriels et commerciaux ne sont imposables que dans l'Etat contractant où se trouve situé l'établissement stable dont ils proviennent. L'expression " bénéfices industriels et commerciaux " ne comprend pas les revenus visés aux articles 3 (...) Ces revenus sont, sous réserve des dispositions de la présente Convention, taxés séparément ou avec les bénéfices industriels et commerciaux, conformément aux lois de chacun des Etats contractants. (...) 3. Le terme " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. 4. Constituent notamment des établissements stables : a) Un siège de direction ;(...) c) Un bureau (...) ; " ;

8. Considérant que si la requérante soutient que la villa en cause constituerait un établissement stable au sens des stipulations précitées de l'article 4 de la convention fiscale franco-belge, il résulte de l'instruction que ne peuvent être regardés comme établis tant la consistance des moyens techniques installés dans la villa et mis en oeuvre par la SPRL Roland C... que la durée de la présence active dans les lieux de M. C..., alors que pour l'application de ces mêmes stipulations, une installation fixe d'affaires suppose un degré suffisant de permanence et une structure apte, du point de vue des moyens en personnel et de l'équipement technique, à rendre possibles, de manière autonome, les prestations de services en cause ; que, par suite et faute d'établir que la villa de Roquefort-les-Pins constituerait un établissement stable, la SPRL Sothola ne saurait se prévaloir des stipulations de l'article 4 de la convention franco-belge du 10 mars 1964 pour soutenir qu'elle ne pourrait être taxée à raison des revenus immobiliers visés par l'article 3 de la même convention ;

Sur l'existence d'un acte anormal de gestion :

9. Considérant, d'une part, qu'il résulte des stipulations de l'article 3 de la convention fiscale passée le 10 mars 1964 entre la France et la Belgique que les revenus provenant des biens immobiliers sont imposables dans l'Etat contractant où ces biens sont situés ; que, par suite, la société requérante ne saurait utilement soutenir que le fait de mettre la villa en cause à la disposition de son gérant ne serait pas constitutif d'un acte anormal de gestion au regard du droit belge ; qu'en outre, si la requérante soutient que l'administration aurait de la sorte violé le droit communautaire, elle n'assortit ce moyen d'aucune précision permettant à la Cour d'en apprécier la portée ;

10. Considérant, d'une part, que le fait pour une entreprise de mettre un bien immobilier, régulièrement inscrit à son actif, à la disposition de ses associés, sans percevoir le loyer correspondant, constitue un acte anormal de gestion sauf s'il apparaît qu'en leur consentant un tel avantage, l'entreprise a agi dans son propre intérêt ; que, d'autre part, s'il appartient à l'administration fiscale d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages octroyés par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que l'entreprise n'est pas en mesure de justifier l'intérêt qu'elle aurait eu à renoncer aux recettes litigieuses ;

11. Considérant qu'il est constant que la SPRL Roland C...a mis gratuitement à la disposition de son dirigeant la villa située à Roquefort-les-Pins, dont elle est propriétaire ; que faute pour la société requérante d'apporter des justifications quant aux contreparties dont la SPRL Roland C...aurait bénéficié en consentant un tel avantage, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un acte anormal de gestion ; que, dès lors, elle était en droit d'inclure dans les bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés les loyers que la société Roland C...aurait dû percevoir de l'occupant de la villa ;

Sur l'évaluation du revenu fiscal imposable :

12. Considérant que pour évaluer les loyers imposables, l'administration a retenu une valeur vénale de l'immeuble de 1 167 000 euros pour l'année 2003, 1 231 776 euros pour l'année 2004 et 1 400 000 euros pour l'année 2005, ainsi qu'un taux de rendement locatif de 5 % ; que le service a appliqué à la valeur locative ainsi déterminée un abattement de 25 % pour tenir compte de la gêne occasionnée par des travaux effectués par le propriétaire au cours des années concernées ; qu'après déduction de la taxe foncière afférente à chacune ces années, le service a évalué le revenu imposable correspondant à 42 564 euros, 44 958 euros et 51 219 euros en ce qui concerne respectivement les années 2003, 2004 et 2005 ;

13. Considérant, en premier lieu, que la SPRL Sothola ne critique pas l'évaluation de la valeur vénale du bien en cause, déterminée par le service à raison d'un prix moyen pondéré établi sur la base de huit termes de comparaison ; qu'en deuxième lieu, la société requérante, qui ne conteste pas s'être bornée à produire devant l'administration, au titre des années en litige, des factures relatives à la construction d'un abri de jardin, l'installation d'une balançoire, la réparation d'une fuite d'eau, l'installation d'un système de climatisation et la rénovation de la salle de bains, ne justifie pas que le bien en cause aurait été impropre à la location en raison des travaux d'aménagement dont il a fait l'objet ; qu'elle ne justifie pas plus des charges afférentes à l'immeuble, et notamment des charges relatives aux travaux effectués, dont le service n'aurait pas tenu compte ; qu'en troisième lieu, pour contester le taux de rendement locatif de 5 % retenu par le service, la SPRL Sothola s'appuie, d'une part, sur un arrêt de la Cour citant un rapport de 2007 établi par un expert immobilier et relatif au marché locatif des villas de standing louées à l'année à Beaulieu-sur-Mer, selon lequel le taux de rendement des appartements de standing dans cette commune était en moyenne de 3,01 % et, d'autre part, sur un rapport d'information sur les perspectives d'évolution du marché immobilier fait au nom de la commission des finances du Sénat en 2005, selon lequel le taux de rentabilité de l'immobilier s'élevait en moyenne à 2,9 % en 2003 ; que, toutefois, ces éléments ne sont pas de nature à remettre en cause la méthode de reconstitution retenue par le service, laquelle a au demeurant reçu l'avis favorable de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, dans la mesure où les rapports invoqués par la SPRL Sothola ne sont pas fondés sur la situation propre à la commune de Roquefort-les-Pins, qui est située à plus de trente kilomètres de la commune de Beaulieu-sur-Mer, et alors que le taux de 5% critiqué par la société requérante a été de fait minoré à la suite de l'application en l'espèce d'un taux d'abattement de 25 % dont il n'est pas sérieusement contesté qu'il est supérieur à celui auquel cette société pouvait prétendre en l'absence d'impossibilité de mettre en location la villa dont il s'agit ; que, dès lors, l'administration était en droit de réintégrer les montants en litige dans les bases d'imposition de la SPRL RolandC... ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SPRL Sothola n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SPRL Sothola demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SPRL Sothola venant aux droits de la SPRL Roland C...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SPRL Sothola et au ministre des finances et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Cherrier, président,

- M. Martin, président-assesseur,

- Mme Carotenuto, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 juin 2016.

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N° 14MA00462 3

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