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04/07/2016 | FRANCE | N°15MA02101

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre - formation à 3, 04 juillet 2016, 15MA02101


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Corsica Ferries France a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la résiliation de la convention de délégation de service public portant sur l'exploitation du transport maritime de passagers et de marchandises au titre de la continuité territoriale entre le port de Corse et le port de Marseille, conclue le 24 septembre 2013 entre la collectivité territoriale de Corse et le groupement conjoint constitué par la Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM) et la Compagnie Mérid

ionale de Navigation (CMN).

Par un jugement n° 1300938 du 7 avril 2015, le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Corsica Ferries France a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la résiliation de la convention de délégation de service public portant sur l'exploitation du transport maritime de passagers et de marchandises au titre de la continuité territoriale entre le port de Corse et le port de Marseille, conclue le 24 septembre 2013 entre la collectivité territoriale de Corse et le groupement conjoint constitué par la Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM) et la Compagnie Méridionale de Navigation (CMN).

Par un jugement n° 1300938 du 7 avril 2015, le tribunal administratif de Bastia a résilié cette convention avec effet différé au 1er octobre 2016.

Procédure devant la Cour :

I°) Par une requête et des mémoires, enregistrés le 26 mai 2015, le 10 mai 2016 et le 6 juin 2016, la collectivité territoriale de Corse, représentée par la SELAS Adamas, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 avril 2015 et de rejeter la demande présentée par la société Corsica Ferries France ;

2°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge de la société Corsica Ferries France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont confondu le mode de calcul du montant du plafond de la subvention avec celui du montant de la subvention à déterminer par le délégataire ;

- le principe d'égalité entre les candidats n'a pas été méconnu ;

- l'offre de la société Corsica Ferries n'était pas supérieure à celle du groupement retenu ;

- elle n'était pas tenue de procéder à un panachage des deux offres ;

- le périmètre de la convention ne dépasse pas les besoins réels de service public ;

- la procédure d'attribution de la délégation de service public a été menée dans le respect des règles encadrant cette procédure ;

- le montant de la compensation a été déterminé sur la base de paramètres établis de façon contradictoire et transparente ;

- une analyse a été effectuée sur la détermination du taux de rentabilité permettant de s'assurer que la compensation correspond à la moyenne basse des taux de rentabilité observés pour des contrats du même type ;

- cette compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour permettre à l'entreprise d'atteindre un niveau de rentabilité raisonnable pour les entreprises du secteur concerné ;

- le contrat prévoit dans son article 30.3 un mécanisme de reversement en cas de montant excessif de la compensation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 novembre 2015, le 9 mars 2016, le 24 mai 2016, le 1er juin 2016 et le 6 juin 2016, la société Corsica Ferries France conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SNCM et de la CMN au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la SNCM et son liquidateur sont dépourvus d'intérêt à agir, la société n'étant plus partie à la convention de délégation de service public depuis le 4 janvier 2016 ;

- les moyens soulevés par la collectivité territoriale de Corse ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 17 mai 2016 et un mémoire en réplique enregistré le 6 juin 2016, la SCP Louis et Lageat, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SNCM, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 avril 2015 et de rejeter la demande présentée par la société Corsica Ferries France ;

2°) de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de la société Corsica Ferries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été partie au contrat jusqu'au 4 janvier 2016 et que l'annulation de ce contrat est susceptible d'emporter des effets juridiques sur d'éventuels litiges relatifs à l'exécution dudit contrat ;

- le règlement de la consultation était régulier, la remise d'une offre globale ne constituant pas une pratique anticoncurrentielle ;

- ce règlement ne méconnaît pas les règles de la commande publique ;

- l'offre de la société Corsica Ferries était irrégulière ;

- le principe d'égalité entre les candidats n'a pas été méconnu ;

- la compensation financière prévue par le contrat ne constitue pas une aide d'Etat.

Par un mémoire, enregistré le 8 juin 2016, la Compagnie Méridionale de Navigation demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 avril 2015 et de rejeter la demande présentée par la société Corsica Ferries France ;

2°) de mettre une somme de 10 000 euros à la charge de la société Corsica Ferries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en refusant de faire évoluer ou préciser son offre, la société Corsica Ferries n'a pas permis la poursuite des négociations ;

- l'autorité délégante n'était pas tenue de procéder à un allotissement ;

- l'offre de la société Corsica Ferries n'était pas conforme au règlement de la consultation ;

- la compensation financière prévue par le contrat ne constitue pas une aide d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier.

II°) Par une requête et des mémoires, enregistrés le 5 juin 2015, le 23 mai 2016 et le 9 juin 2016, la SNCM, représentée par la SCP Louis et Lageat, agissant en qualité de liquidateur judiciaire, représentée par Me E..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 avril 2015 ;

2°) de rejeter la demande de la société Corsica Ferries France ;

3°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge de la société Corsica Ferries France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a intérêt à agir dès lors qu'elle a été partie au contrat jusqu'au 4 janvier 2016 et que l'annulation de ce contrat est susceptible d'emporter des effets juridiques sur d'éventuels litiges relatifs à l'exécution dudit contrat ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- les premiers juges ont méconnu la portée des dispositions de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales ;

- l'irrégularité de l'offre de la société Corsica Ferries France aurait dû conduire à son rejet ;

- du fait de cette irrégularité, les manquements invoqués n'ont pas été susceptibles de la léser ;

- les premiers juges auraient dû vérifier si la société Corsica Ferries France était dans l'impossibilité objective de remettre une offre conforme à l'article 6.2 du règlement de la consultation ;

- la compensation financière prévue par la convention ne constitue pas une aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- les spécifications techniques des navires fixées par le cahier des charges sont justifiées par l'objet de la délégation et les nécessités propres au service ;

- la décision de l'admettre à la négociation est régulière ;

- la collectivité territoriale de Corse était fondée à considérer l'offre de la société Corsica Ferries France comme inacceptable et à engager librement des négociations ;

- le règlement de la consultation était régulier, la remise d'une offre globale ne constituant pas une pratique anticoncurrentielle ;

- ce règlement ne méconnaît pas les règles de la commande publique ;

- elle justifie de sa capacité financière ;

- le service complémentaire n'a pas été réintégré dans le périmètre de la convention.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 novembre 2015, le 9 mars 2016, le 24 mai 2016, le 1er juin 2016 et le 6 juin 2016, la société Corsica Ferries France conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SNCM et de la CNM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la SNCM et son liquidateur sont dépourvus d'intérêt à agir, la société n'étant plus partie à la convention de délégation de service public depuis le 4 janvier 2016 ;

- les moyens soulevés par la SNCM ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 8 juin 2016, la CMN demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 avril 2015 et de rejeter la demande présentée par la société Corsica Ferries France ;

2°) de mettre une somme de 10 000 euros à la charge de la société Corsica Ferries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en refusant de faire évoluer ou préciser son offre, la société Corsica Ferries n'a pas permis la poursuite des négociations ;

- l'autorité délégante n'était pas tenue de procéder à un allotissement ;

- l'offre de la société Corsica Ferries n'était pas conforme au règlement de la consultation ;

- la compensation financière prévue par le contrat ne constitue pas une aide d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier.

III°) Par une requête, un mémoire ampliatif et un mémoire, enregistrés le 8 juin 2015, le 15 janvier 2016 et le 8 juin 2016, la CMN, représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 avril 2015 et de rejeter la demande présentée par la société Corsica Ferries France ;

2°) de mettre la somme de 10 000 euros à la charge de la société Corsica Ferries France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de la condamner aux dépens.

Elle soutient que :

- le jugement est entaché d'une contradiction dans ses motifs ;

- le principe d'égalité entre les candidats n'a pas été méconnu ;

- la compensation financière prévue par la convention ne constitue pas une aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 novembre 2015, le 9 mars 2016, le 24 mai 2016, le 1er juin 2016 et le 6 juin 2016, la société Corsica Ferries France conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SNCM et de la CMN au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la SNCM et son liquidateur sont dépourvus d'intérêt à agir, la société n'étant plus partie à la convention de délégation de service public depuis le 4 janvier 2016 ;

- les moyens soulevés par la compagnie méridionale de navigation ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 17 mai 2016 et un mémoire en réplique enregistré le 9 juin 2016, la SCP Louis et Lageat, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SNCM, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 avril 2015 et de rejeter la demande présentée par la société Corsica Ferries France ;

2°) de mettre une somme de 5 000 euros à la charge de la société Corsica Ferries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été partie au contrat jusqu'au 4 janvier 2016 et que l'annulation de ce contrat est susceptible d'emporter des effets juridiques sur d'éventuels litiges relatifs à l'exécution dudit contrat ;

- le règlement de la consultation était régulier, la remise d'une offre globale ne constituant pas une pratique anticoncurrentielle ;

- ce règlement ne méconnaît pas les règles de la commande publique ;

- l'offre de la société Corsica Ferries était irrégulière ;

- le principe d'égalité entre les candidats n'a pas été méconnu ;

- la compensation financière prévue par le contrat ne constitue pas une aide d'Etat.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (CEE) n° 3577/92 du 7 décembre 1992 ;

- le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ;

- la décision de la Commission du 2 mai 2013 concernant l'aide d'Etat SA.22843 (2012/C) (ex 2012/NN) mise à exécution par la France en faveur de la Société nationale Corse Méditerranée et de la Compagnie Méridionale de Navigation ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de commerce ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Héry,

- les conclusions de M. Thiele, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la collectivité territoriale de Corse, de Me D..., représentant l'office des transports de Corse, de MeB..., représentant la SNCM et de MeC..., représentant la CMN.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par la société Corsica Ferries France à la requête présentée par la société nationale Corse Méditerranée ;

1. Considérant que, par délibération du 22 mars 2012, la collectivité territoriale de Corse a décidé de recourir à une délégation de service public pour l'exploitation des services de transport maritime entre la Corse et le continent, pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2023 ; qu'à la suite de la publication d'un avis d'appel public à concurrence, deux candidats se sont manifestés, la société Corsica Ferries et un groupement momentané composé de la société nationale Corse Méditerranée (SNCM) et de la compagnie méridionale de navigation (CMN) ; qu'après examen des deux offres, la commission de délégation de service public, réunie le 8 février 2013, a entamé des négociations avec les deux candidats ; que, par délibération du 7 juin 2013, l'assemblée de Corse, considérant que ces deux offres étaient inacceptables, a décidé de ne pas attribuer la délégation de service public et de négocier directement avec les candidats ; qu'à l'issue de ces nouvelles négociations, l'assemblée de Corse a décidé par délibération du 6 septembre 2013 d'attribuer la délégation de service public au groupement composé de la SNCM et de la CMN, la convention étant signée le 24 septembre 2013 ; que la collectivité territoriale de Corse, la SNCM et la CMN relèvent appel du jugement du 7 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Bastia a fait droit à la demande de la société Corsica Ferries en prononçant la résiliation de cette convention avec effet différé au 1er octobre 2016 ;

2. Considérant que les requêtes n° 15MA02101, n° 15MA02269 et n° 15MA02336, présentées respectivement pour la collectivité territoriale de Corse, la SNCM et la CMN présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt ;

3. Considérant que, indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ces clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires ;

4. Considérant que la décision n° 358994 du 4 avril 2014 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé que le recours qu'elle définit ne trouve à s'appliquer, quelle que soit la qualité dont se prévaut le tiers, qu'à l'encontre des contrats signés à compter de la lecture de cette même décision ; qu'il en résulte que la requête de la société Corsica Ferries France formée à l'encontre du contrat conclu par la collectivité territoriale de Corse le 24 septembre 2013 doit être appréciée au regard des règles applicables avant ladite décision, rappelées au point 3, qui permettaient à tout requérant qui aurait eu un intérêt à conclure un contrat administratif d'invoquer tout moyen à l'appui de son recours contre le contrat ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 6.2 du règlement de la consultation : " l'offre de base du candidat concerne, dans le respect des capacités minimales mentionnées à l'annexe technique sur le service public maritime du projet de convention, les lignes maritimes entre le port de Marseille et les ports de Corse suivants (...). / L'offre de base du candidat peut porter sur l'une, plusieurs ou toutes les lignes maritimes entre le port de Marseille et les ports de Corse. Les candidats peuvent faire une offre globale, sous réserve de la détailler ligne par ligne (...) " ;

6. Considérant que les stipulations précitées n'ont pas pour finalité d'interdire à un candidat de présenter une offre comportant plusieurs hypothèses ; que, par suite, en présentant une offre comportant cinq propositions de liaison entre Marseille et les ports de Bastia, Ajaccio, La Balagne, Propriano et Porto-Vecchio ainsi qu'une offre dite " Grand Sud " couvrant les ports d'Ajaccio, Propriano et Porto-Vecchio assortie d'une demande de subvention " optimisée " et en permettant à l'autorité délégante de choisir de une à quatre de ses propositions, n'incluant pas à la fois Bastia et Ajaccio, la société Corsica Ferries n'a pas présenté une offre irrégulière ;

7. Considérant que le moyen tiré de ce que l'offre de la société Corsica Ferries aurait dû être également rejetée comme inacceptable du fait de l'insuffisance technique des navires et de leur nombre n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

8. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable : " (...) La commission mentionnée à l'article L. 1411-5 dresse la liste des candidats admis à présenter une offre (...) / Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire. " ; que l'article L. 1411-8 du même code, alors applicable, dispose : " Le recours à une procédure de négociation directe avec une entreprise déterminée n'est possible que dans le cas où, après mise en concurrence, aucune offre n'a été proposée ou n'est acceptée par la collectivité publique. " ; qu'après examen des deux offres, la commission de délégation de service public a entamé des négociations avec la société Corsica Ferries et le groupement composé de la SNCM et de la CMN ; que, par délibération du 7 juin 2013, l'assemblée de Corse a considéré que les deux offres présentées étaient, selon ses termes, inacceptables, dans la mesure, d'une part, où l'offre de la société Corsica Ferries ne desservant pas l'ensemble des ports de Corse, l'attribution de certaines lignes à ce candidat ne permettrait pas d'assurer la continuité du service public et où, d'autre part, l'offre du groupement était supérieure au montant plafonné de contribution financière fixé par la collectivité ; qu'elle a par suite décidé de ne pas attribuer la délégation de service public et de négocier directement avec les deux candidats ; qu'il ressort notamment du rapport de présentation devant l'assemblée de Corse lors de sa séance du 6 septembre 2013 que ces négociations ont été menées avec les deux candidats, l'autorité délégante ayant notamment demandé à la société Corsica Ferries la ou les lignes sur lesquelles elle entendait se positionner et engager des discussions sur le plan financier avec le groupement composé de la SNCM et de la CMN ; que la circonstance que les négociations n'ont pas été poursuivies jusqu'à permettre que le groupement accepte de diviser son offre, présentée globalement, afin de favoriser un panachage des deux offres, ne saurait révéler une attitude discriminatoire de l'autorité délégante vis-à-vis de la société Corsica Ferries ;

9. Considérant, toutefois, qu'ainsi qu'il a été dit, l'article 6.2 du règlement de la consultation autorisait la présentation d'offres ne couvrant pas l'intégralité des ports de Corse ; que le mémoire financier à produire par les candidats à l'appui de leur offre devait comporter un compte d'exploitation prévisionnel déterminant les conditions économiques d'exécution de la convention " pour chaque ligne et/ou pour la globalité du contrat " ; que le mémoire technique devait préciser les modalités de desserte ligne par ligne ; que les éléments d'appréciation du critère de la valeur technique de l'offre comportaient notamment la fréquence et les services proposés, la gestion des arrêts techniques, les horaires de départ et d'arrivée ainsi que l'alternance sur les ports du sud de la Corse ; que cette appréciation ne pouvait donc être portée que par un examen des offres des candidats ligne par ligne ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport devant l'assemblée de Corse du 6 septembre 2013 que l'offre de la société Corsica Ferries a été rejetée sans qu'il soit procédé à une analyse ligne par ligne des mérites respectifs de son offre ; que la circonstance que la société Corsica Ferries a proposé à la collectivité de choisir, parmi seize possibilités, celles qui lui convenaient le mieux, n'était pas de nature à empêcher l'autorité délégante de procéder à un tel examen, afin de permettre d'assurer le service public dans les meilleures conditions techniques et à un coût avantageux pour la collectivité ; que, par suite, en ne procédant pas à l'examen de l'offre de la société Corsica Ferries, la collectivité territoriale de Corse a méconnu le principe d'égalité entre les candidats ;

10. Considérant qu'aux termes de l'article 4 du traité sur l'Union européenne : " 3. En vertu du principe de coopération loyale, l'Union et les États membres se respectent et s'assistent mutuellement dans l'accomplissement des missions découlant des traités. / Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l'exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'Union. / Les États membres facilitent l'accomplissement par l'Union de sa mission et s'abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union. " ;

11. Considérant qu'aux termes de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " 1. Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressource d' État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions " ; qu'aux termes de l'article 108 du TFUE : " (...) 2. Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu'une aide accordée par un État ou au moyen de ressources d'État n'est pas compatible avec le marché intérieur aux termes de l'article 107 ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l'État intéressé doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu'elle détermine (...)/ 3. La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'État membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. (...) " ;

12. Considérant qu'il résulte de ces stipulations que, s'il ressortit à la compétence exclusive de la Commission de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles visées par l'article 107 du TFUE est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché intérieur, il incombe en revanche aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l'invalidité des dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l'obligation, qu'impose aux Etats membres la dernière phrase du paragraphe 3 de l'article 108 du TFUE, d'en notifier à la Commission, préalablement à toute mise à exécution, le projet ; que l'exercice de ce contrôle implique, notamment, de rechercher si les dispositions contestées ont institué des aides d'Etat au sens de l'article 107 du traité ;

13. Considérant qu'en application de la jurisprudence issue de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH (C-280/00), une compensation destinée à la prestation de services d'intérêt économique général constitue une aide d'Etat, à moins qu'elle ne se limite strictement au montant nécessaire pour compenser les coûts d'un opérateur efficient liés à l'exécution d'obligations de service public, lesquelles peuvent être imposées lorsque les autorités publiques considèrent que le libre jeu du marché ne permet pas de garantir la prestation de tels services ou de les fournir à des conditions satisfaisantes ; que la légalité d'une telle compensation est soumise à la condition que l'entreprise bénéficiaire soit effectivement chargée de l'exécution d'obligations de service public clairement définies, que les paramètres sur la base desquels elle est calculée soient préalablement établis de façon objective et transparente, afin d'éviter qu'elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes, et que la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable ; que lorsque le choix de l'entreprise chargée de l'exécution d'obligations de service public n'est pas effectué dans le cadre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée des moyens nécessaires, aurait encourus pour exécuter ces obligations en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations ;

14. Considérant, en l'espèce, que la SNCM et la CMN sont deux opérateurs engagés dans la prestation de services de transport maritime et, à ce titre, exercent des activités économiques ; que la décision de conclure la délégation de service public a été votée par l'assemblée de Corse et les ressources de l'Office des transports de Corse (OTC), autorité publique, sont des ressources publiques, provenant notamment de la dotation de continuité territoriale votée par l'Etat ; que les compensations versées au titre de cette délégation de service public sont constitutives d'un transfert de ressources d'Etat susceptibles de bénéficier à des opérateurs économiques intervenant dans un secteur concurrentiel et risquant ainsi de fausser la concurrence et d'affecter le commerce entre les Etats membres ; qu'il convient d'appliquer les principes issus de l'arrêt du 24 juillet 2003 précité pour déterminer si les compensations en cause peuvent être qualifiées d'aide d'Etat au sens des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

15. Considérant, s'agissant du deuxième critère posé par la décision Altmark, que l'article 33 de la convention prévoit le versement d'une contribution forfaitaire annuelle au délégataire, dont le montant dû au titre de chaque année correspond à l'addition d'une contribution au titre du fonctionnement et d'une contribution au titre des coûts en capital, comprenant notamment l'acquisition du matériel naval et le besoin en fonds de roulement ; que l'assemblée de Corse a décidé de plafonner le montant de cette contribution en disposant dans l'article 3 de la délibération du 5 octobre 2012 approuvant les documents de la consultation que ce plafond " sera calculé à partir du montant actuel de la subvention versée pour le service de base augmenté de l'incidence financière d'une éventuelle baisse des tarifs fret et du tarif résident " ; que les candidats étaient invités à indiquer dans leur offre le montant de la compensation sollicitée, ce montant étant un élément d'appréciation du critère de sélection de l'offre ; que malgré les demandes de la société Corsica Ferries, l'office des transports de Corse n'a pas communiqué à cette dernière le montant de la subvention versée au délégataire sortant pour le service de base ; que le document type à remplir par les candidats pour établir leurs comptes d'exploitation prévisionnels, intégrant les modalités de détermination des compensations, n'indiquait pas le montant de la compensation versée au délégataire sortant au titre du service de base ; que, par suite, dès lors que seule la SNCM, délégataire sortant, disposait de cette donnée nécessaire à l'établissement des offres, les paramètres sur la base desquels a été calculée cette compensation ne peuvent être regardés comme ayant été préalablement établis de façon objective et transparente, afin d'éviter qu'elle comporte un avantage économique susceptible de favoriser l'entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes ;

16. Considérant, s'agissant du troisième critère posé par la décision Altmark, qu'ainsi qu'il vient d'être dit, le plafonnement de la compensation à verser par le délégataire a été calculé par référence à la compensation versée pour le service de base confié au précédent délégataire, augmenté de l'incidence financière d'une éventuelle baisse des tarifs fret et du tarif résident ; que la collectivité territoriale de Corse n'établit pas que ce montant aurait été déterminé par rapport à la moyenne basse des taux de rentabilité observés pour des contrats du même type, le rapport de présentation sur l'attribution de la délégation de service public ne comportant aucun élément sur le taux de rentabilité escompté ni d'ailleurs sur celui observé pour des contrats du même type ; que l'article 30.3 de la convention porte uniquement sur la prise en compte de l'évolution des prix unitaires des combustibles, le surcoût éventuel pour les co-délégataires d'une hausse du prix du combustible étant compensé par une hausse du prix du transport du fret et des passagers et les économies réalisées par les co-délégataires en cas de baisse de ce prix étant imputées sur des comptes " suivi des surcharges combustibles fret " et " passagers ", en vue de compenser une surcharge future et, le cas échéant, d'être reversées à l'office des transports de Corse en fin de contrat ; que cette clause ne permet pas d'assurer que la totalité de la compensation versée aux co-délégataires ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des obligations de service public ;

17. Considérant, s'agissant du quatrième critère posé par l'arrêt Altmark, qu'ainsi qu'il a été dit au point 8, la circonstance que les négociations n'ont pas été poursuivies jusqu'à permettre que le groupement composé de la SNCM et de la CMN accepte de diviser son offre, présentée globalement, afin de favoriser un panachage des deux offres ne saurait révéler une attitude discriminatoire de l'autorité délégante vis-à-vis de la société Corsica Ferries ;

18. Considérant, toutefois, que pour les motifs exposés au point 9, l'absence d'examen de l'offre de la société Corsica Ferries n'a pas permis d'aboutir au choix du candidat capable de fournir la prestation au moindre coût pour la collectivité ;

19. Considérant qu'en l'absence d'une procédure de mise en concurrence permettant de sélectionner le candidat capable de fournir le service au moindre coût pour la collectivité, le niveau de la compensation nécessaire doit être déterminé sur la base d'une analyse des coûts qu'une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée en moyens de transports afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d'un bénéfice raisonnable pour l'exécution de ces obligations ; que la collectivité territoriale de Corse ne produit aucun élément permettant de justifier qu'une telle analyse aurait été effectuée ;

20. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui vient d'être dit que, d'une part, la collectivité territoriale de Corse a méconnu le principe d'égalité entre les candidats et que, d'autre part, trois des quatre critères cumulatifs posés par l'arrêt Altmark n'étant pas satisfaits, l'ensemble des compensations financières prévues dans le cadre de la convention de la délégation de service public en litige présentent le caractère d'une aide d'Etat soumise à l'obligation de notification à la Commission européenne ; que l'absence de notification préalable à la Commission ne permet pas de poursuivre l'exécution du contrat et justifie, comme l'a estimé le tribunal administratif par le jugement en litige, sa résiliation ;

21. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la collectivité territoriale de Corse, la société nationale Corse Méditerranée et la Compagnie Méridionale de Navigation ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à la demande de la société Corsica Ferries ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions des requérantes, parties perdantes dans la présente instance ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par la société Corsica Ferries et de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Corse, de la SNCM et de la CMN chacune la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par la société Corsica Ferries et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Les requêtes de la collectivité territoriale de Corse, de la SNCM et de la CMN sont rejetées.

Article 2 : La collectivité territoriale de Corse versera la somme de 1 000 euros à la société Corsica Ferries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La SNCM versera la somme de 1 000 euros à la société Corsica Ferries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La CMN versera la somme de 1 000 euros à la société Corsica Ferries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la collectivité territoriale de Corse, à l'office des transports de Corse, à la Compagnie Méridionale de Navigation, à la SCP Louis et Lageat, liquidateur judiciaire de la Société Nationale Corse Méditerranée et à la société Corsica Ferries.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2016, où siégeaient :

- M. Moussaron, président,

- M. Marcovici, président assesseur,

- Mme Héry, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 4 juillet 2016.

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