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30/06/2020 | FRANCE | N°18MA03440

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 30 juin 2020, 18MA03440


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Corsica Ferries France a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2009.

Par un jugement n° 1700784 du 12 juillet 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 juillet 2018, le 13 décembre 2018, le

12 février 2020 et le 29 mai 2020, la SAS Corsica Ferries France, représentée par Me A..., demande ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Corsica Ferries France a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2009.

Par un jugement n° 1700784 du 12 juillet 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 juillet 2018, le 13 décembre 2018, le 12 février 2020 et le 29 mai 2020, la SAS Corsica Ferries France, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 12 juillet 2018 du tribunal administratif de Bastia ;

2°) de prononcer la décharge des rappels en litige ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas suffisamment motivé son jugement en s'abstenant de rechercher si la restauration à bord peut être regardée comme accessoire à la prestation de transport ;

- elle ne peut être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée que des seules prestations de restauration dont le fait générateur et l'exigibilité de la taxe sont intervenus sur les territoires national et communautaire ;

- les prestations de restauration réalisées à bord des navires doivent, en tant que prestations accessoires, bénéficier du régime d'exonération prévu, en application du 11° du II de l'article 262 du code général des impôts ;

- la décision du Conseil d'Etat du 24 avril 2019, SAS Corsica Ferries France, n° 418912, est erronée ;

- elle est fondée à se prévaloir de l'instruction 3 C 4-03 du 22 octobre 2003 en ce qui concerne le caractère accessoire des prestations en cause ainsi que des paragraphes 190 et 200 de la doctrine référencée BOI-IS-BASE-60-40-10 ;

- elle est également fondée à se prévaloir d'une précédente notification de redressement en date du 18 décembre 1998 et de la réponse aux observations du contribuable du 19 janvier 2011 qui s'y réfère, qui constituent, lors d'un précédent contrôle, une prise de position formelle de l'administration au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ;

- en raison de l'exonération des mêmes prestations opérée par l'Italie, l'assujettissement des prestations rendues à bord sur les navires réalisant un trajet continent-Corse est constitutive d'une discrimination au regard des principes communautaires de libre concurrence, de libre établissement et de libre prestation de services, est en contrariété notamment avec l'article 1er de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et méconnaît le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée ;

- enfin, les rappels en litige constituent un prélèvement sur les capitaux propres puisqu'elle n'a pas pu les répercuter sur les clients.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 novembre 2018 et le 12 mai 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société appelante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Barthez, président assesseur, pour présider la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Boyer, rapporteur public,

- et les observations de Me B... représentant la SAS Corsica Ferries France.

Une note en délibéré présentée par Me A... a été enregistrée le 18 juin 2020.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a notifié à la SAS Corsica Ferries France des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2009 résultant de l'assujettissement des prestations de restauration fournies aux passagers effectuant la liaison entre la France continentale et la Corse. La société relève appel du jugement du 12 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été ainsi réclamés.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort du jugement attaqué que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments développés par la société requérante au soutien de ses moyens, a suffisamment répondu, au considérant 3, au moyen tiré de ce que les prestations de restauration à bord devraient être regardées comme accessoires à la prestation de transport. Par suite, la SAS Corsica Ferries France n'est pas fondée à soutenir que le jugement est irrégulier.

Sur le bien-fondé du jugement :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 259 A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " Par dérogation aux dispositions de l'article 259, le lieu des prestations suivantes est réputé se situer en France : / (...) 3° Les prestations de transports intracommunautaires de biens meubles corporels ainsi que les prestations de services effectuées par les intermédiaires qui agissent au nom et pour le compte d'autrui et interviennent dans la fourniture de ces prestations : / a) Lorsque le lieu de départ se trouve en France, sauf si le preneur a fourni au prestataire son numéro d'identification à la taxe sur la valeur ajoutée dans un autre Etat membre (...) ".

4. Les rappels en litige résultent de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des prestations de restauration fournies aux passagers effectuant la liaison en France, entre la France continentale et la Corse. Ces prestations se situent en France au sens du 3° de l'article 259 A du code général des impôts. Par suite, la SAS Corsica Ferries France n'est pas fondée à soutenir que les prestations de service en cause sont intervenues hors du champ de la " souveraineté fiscale " de la France. Par ailleurs, la société requérante ne peut utilement se prévaloir de la doctrine référencée au paragraphe 10 du BOI-TVA-CHAMP-20-10 qui n'ajoute rien à la loi fiscale en ce qui concerne la définition du territoire sur lequel s'applique la taxe sur la valeur ajoutée.

5. En deuxième lieu, en application du 11° du II de l'article 262 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige, sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée " les transports entre la France continentale et les départements de la Corse pour la partie du trajet située en dehors du territoire continental ".

6. Il résulte des dispositions de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que, lorsqu'une opération économique soumise à la taxe sur la valeur ajoutée est constituée par un faisceau d'éléments et d'actes, il y a lieu de prendre en compte toutes les circonstances dans lesquelles elle se déroule aux fins de déterminer si l'on se trouve en présence de plusieurs prestations ou livraisons distinctes ou d'une prestation ou d'une livraison complexe unique. Chaque prestation ou livraison doit en principe être regardée comme distincte et indépendante. Toutefois, l'opération constituée d'une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la taxe sur la valeur ajoutée. De même, dans certaines circonstances, plusieurs opérations formellement distinctes, qui pourraient être fournies et taxées séparément, doivent être regardées comme une opération unique lorsqu'elles ne sont pas indépendantes. Tel est le cas lorsque, au sein des éléments caractéristiques de l'opération en cause, certains éléments constituent la prestation principale, tandis que les autres, dès lors qu'ils ne constituent pas pour les clients une fin en soi mais le moyen de bénéficier dans de meilleures conditions de la prestation principale, doivent être regardés comme des prestations accessoires partageant le sort fiscal de celle-ci. Tel est le cas, également, lorsque plusieurs éléments fournis par l'assujetti au consommateur, envisagé comme un consommateur moyen, sont si étroitement liés qu'ils forment, objectivement, une seule opération économique indissociable, le sort fiscal de celle-ci étant alors déterminé par celui de la prestation prédominante au sein de cette opération.

7. Il résulte de l'instruction que la SAS Corsica Ferries France met à disposition des passagers de ses navires différents services de restauration, dont le coût n'est jamais compris dans le prix de la prestation de transport mais fait l'objet d'une facturation distincte à raison des choix de chaque client parmi les offres proposées. De plus, les passagers, qui ne sont pas soumis à une obligation d'achat de ces services et sont autorisés à consommer les vivres qu'ils emportent à bord, peuvent sans difficulté, compte tenu de la durée des trajets entre le continent et la Corse, se dispenser de recourir à des services de restauration, qui doivent être regardés comme destinés seulement à agrémenter leur voyage. Dès lors, il résulte des règles énoncées au point 6 ci-dessus que les prestations de restauration à bord, qui constituaient pour les clients une fin en soi, ne pouvaient en l'espèce être regardées comme des prestations accessoires susceptibles de bénéficier du régime d'exonération applicable aux transports de passagers entre la France continentale et la Corse en application du 11° du II de l'article 262 du code général des impôts. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a soumis les prestations de restauration à bord à la taxe sur la valeur ajoutée.

8. En troisième lieu, la SAS Corsica Ferries France n'est pas fondée à se prévaloir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, des énonciations de l'instruction 3 C-4-03 dont le paragraphe 3 prévoit que " (...) les prestations ou livraisons de biens non comprises dans la rémunération du contrat et facturées séparément - telles que les ventes à bord, à consommer sur place ou à emporter - demeurent soumises au régime et au taux qui leur sont propres " qui ne comportent pas d'interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt. Elle n'est pas davantage fondée à se prévaloir des paragraphes 190 et 200 de la doctrine référencée BOI-IS-BASE-60-40-10, au demeurant postérieure aux impositions en litige, qui sont relatifs à des régimes d'exonération de l'impôt sur les sociétés.

9. En quatrième lieu, la SAS Corsica Ferries France se prévaut de l'extrait d'une précédente notification de redressement en date du 18 décembre 1998 et de la réponse aux observations du contribuable du 19 janvier 2011 qui s'y réfère. Toutefois, cet extrait ne porte, en tout état de cause, d'appréciation que sur l'application du d du I de l'article 258 du code général des impôts relatif au lieu de livraison de biens meubles corporels au cours d'un transport dont le lieu d'arrivée est situé sur le territoire d'un autre Etat membre et sur la directive 92/111/CEE du 14 décembre 1992 modifiant la sixième directive, qui n'est plus applicable au litige. La SAS Corsica Ferries France n'est donc pas fondée à soutenir que l'administration aurait ainsi, lors d'un précédent contrôle, pris formellement une position au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales qu'elle pourrait utilement invoquer dans la présente instance.

10. En cinquième lieu, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux caractériseraient une distorsion de concurrence et une discrimination prohibées par le droit de l'Union européenne et méconnaîtraient le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée en se bornant à affirmer que l'Italie appliquerait un régime d'exonération aux services de restauration à bord. Si la société requérante se prévaut du rapport de la Commission européenne au Conseil du 22 octobre 2012 sur le lieu de taxation des livraisons de biens et prestations de services, il ressort de ce rapport que la taxe sur la valeur ajoutée s'applique normalement sur les prestations de restauration à bord de navires lorsqu'elles sont fournies sur le territoire de l'Union et que l'exonération de telles prestations est laissée à la compétence des Etats membres, dans les conditions prévues au paragraphe 3 de l'article 37 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006. Par ailleurs, si le principe de neutralité fiscale inhérent au système commun de la taxe sur la valeur ajoutée s'oppose à ce que des produits ou des prestations de services semblables se trouvant en concurrence les uns avec les autres soient traités de manière différente du point de vue de la taxe sur la valeur ajoutée, il ne résulte pas de l'instruction que les prestations de restauration à bord effectuées à partir du continent français et à partir du territoire italien sont semblables du point de vue du consommateur moyen, qu'il soit français ou italien.

11. En dernier lieu, la société requérante ne peut utilement invoquer la circonstance qu'elle serait contrainte, pour s'acquitter des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, de procéder à un prélèvement sur ses fonds propres faute d'avoir recouvré cette imposition auprès de ses clients.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que la SAS Corsica Ferries France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande. Les conclusions qu'elle a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Corsica Ferries France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Corsica Ferries France et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction des vérification nationales et internationales.

Délibéré après l'audience du 16 juin 2020, où siégeaient :

- M. Barthez, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme C..., premier conseiller,

- Mme Mastrantuono, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 juin 2020.

6

N° 18MA03440


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA03440
Date de la décision : 30/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Personnes et opérations taxables - Opérations taxables.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée - Personnes et opérations taxables - Territorialité.


Composition du Tribunal
Président : M. BARTHEZ
Rapporteur ?: Mme Sylvie CAROTENUTO
Rapporteur public ?: Mme BOYER
Avocat(s) : DEGROUX BRUGERE et ASSOCIES - DBA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-06-30;18ma03440 ?
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