La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/10/2020 | FRANCE | N°19MA04677

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 01 octobre 2020, 19MA04677


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... F... épouse H..., Mme C... H... et M. E... H..., agissant en leur nom propre et en qualité d'ayants droit de M. A... H..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier de Manosque à leur verser, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, des indemnités provisionnelles d'un montant total de 120 000 euros en réparation des préjudices d'affection et extrapatrimoniaux qui ont résulté du déc

ès de leur mari et père.

Par une ordonnance n° 1904059 du 17 octobre 2019...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... F... épouse H..., Mme C... H... et M. E... H..., agissant en leur nom propre et en qualité d'ayants droit de M. A... H..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de condamner le centre hospitalier de Manosque à leur verser, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, des indemnités provisionnelles d'un montant total de 120 000 euros en réparation des préjudices d'affection et extrapatrimoniaux qui ont résulté du décès de leur mari et père.

Par une ordonnance n° 1904059 du 17 octobre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 30 octobre 2019, et les 23 avril et 11 septembre 2020, ce dernier n'ayant pas été communiqué, les consorts H..., représentés par Me D..., demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 1904059 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 17 octobre 2019 ;

2°) statuant en référé, de condamner le centre hospitalier de Manosque à leur verser une somme provisionnelle totale de 360 000 euros ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier de Manosque à leur verser une somme provisionnelle totale de 265 558,49 euros;

4°) d'assortir en tout état de cause cette condamnation des intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir, ainsi que d'une astreinte en application des dispositions de l'article L. 911-3 du code de justice administrative ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Manosque une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Ils soutiennent :

- à la suite de fortes douleurs à la poitrine, M. A... H..., pris en charge par les pompiers et le service médical d'urgence et de réanimation, a été admis au service des urgences du centre hospitalier de Manosque le 30 décembre 2016 à 21h19, et en est ressorti le lendemain à 3h45, avec un traitement contre le syndrome d'anxiété qui y a été diagnostiqué ;

- face à la persistance de la douleur, M. H... est retourné au service des urgences par ses propres moyens le 2 janvier 2017 à 11h30 ; il y a été pris en charge 4 heures plus tard, et le diagnostic d'une dissection aortique a été posé à 18h13, après la réalisation d'un angioscanner thoracique ;

- M. H... est décédé le même jour à 20h10, peu de temps avant son transfert par hélicoptère;

- le rapport de l'expertise amiable du 24 octobre 2017 réalisé par le médecin conseil de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), qui indique une négligence lors de l'admission de M. H... au service des urgences le 30 décembre 2016, et celui de l'expertise judiciaire du 24 avril 2019 réalisée dans le cadre du dépôt de plainte avec constitution de partie civile, qui indique que la prise en charge initiale du 30 décembre 2016 n'a pas été correcte, démontrent que l'existence de l'obligation du centre hospitalier de Manosque à leur égard n'est pas sérieusement contestable dans son principe ;

- le montant de cette obligation n'est pas non plus sérieusement contestable, le premier juge ayant été en mesure d'apprécier la fraction d'indemnisation provisionnelle à leur octroyer, en déterminant la quotité de perte de chance précisée par les experts médicaux ;

- le rapport complet de l'expertise judiciaire du 24 avril 2019 évalue à 90% le pourcentage de perte de chance de survie de M. H... en raison du retard de sa prise en charge lors de son admission aux urgences le 30 décembre 2016 ;

- le rapport critique établi par le chef de service d'anesthésie réanimation groupe hospitalier Sud de Bordeaux évalue le pourcentage de perte de chance de survie à 80% ;

- le rapport établi par l'expert-comptable et expert judiciaire près la cour d'appel de Colmar daté du 17 juin 2019 évalue le préjudice économique de Mme B... H... à la somme de 240 084,84 euros et celui d'C... H... à la somme de 10 541,47 euros ;

- la situation financière de Mme B... H..., dont l'indemnisation par Pôle Emploi arrive bientôt à expiration, justifie l'octroi de la provision demandée ;

- les consorts H... subissent des préjudices économique et moral du fait du décès de leur mari et père.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 janvier 2020 et le 29 septembre 2020, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le centre hospitalier de Manosque, représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par les consorts H... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes, agissant pour le compte de la CPAM des Alpes-de-Haute-Provence, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la cour a désigné M. Alfonsi, président de la 2ème chambre, pour statuer sur les appels formés contre les décisions rendues par les juges des référés des tribunaux du ressort.

Considérant ce qui suit :

1. Par une ordonnance du 17 octobre 2019 dont ils relèvent appel, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de Mmes B... et C... H... et de M. E... H... tendant à la condamnation du centre hospitalier de Manosque à leur payer des indemnités provisionnelles à valoir sur la réparation des préjudices moral et extrapatrimoniaux qui ont résulté du décès de leur mari et père, M. A... H..., en partie imputable, selon eux, aux fautes et négligences commises à l'occasion de sa prise en charge par le service des urgences de ce centre hospitalier le 30 décembre 2016 en fin d'après-midi, puis le 2 janvier 2017 en fin de matinée.

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.

Sur la responsabilité :

3. Il résulte de l'instruction que M. A... H... a été admis aux urgences du centre hospitalier de Manosque le 30 décembre 2016 vers 21H00 en raison de symptômes soudains d'oppression thoracique, de pâleur et de sueurs apparus le jour même en fin d'après-midi. Il a regagné son domicile la nuit même vers 3H45 après qu'un diagnostic d'anxiété et de gastrite eut été posé. Admis de nouveau dans ce service le 2 janvier 2017 en fin de matinée en raison de la persistance de douleurs thoraciques, il y a subi un angioscanner et deux bilans biologiques qui ont permis de diagnostiquer vers 18H00 une dissection de l'aorte ascendante de type I De Bakey, pour le traitement chirurgical de laquelle a été décidé son transfert par hélicoptère vers l'hôpital de la Timone à Marseille disposant du plateau technique adéquat. M. A... H... est cependant décédé à 20H10 des suites d'une tamponnade avec akinésie complète du muscle cardiaque résistant aux tentatives de réanimation.

4. Les rapports médicaux établis, le premier, par le médecin désigné par l'assureur du centre hospitalier et, le second, dans le cadre de l'instruction de la plainte avec constitution de partie civile déposée entre les mains du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Digne-les-Bains, dont les conclusions sont confortées par un rapport " critique " établi, à la demande du centre hospitalier de Manosque, par le Pr. Outtara, permettent d'admettre avec un degré de certitude suffisant que les symptômes présentés par M. H... lors de sa première admission au service des urgences le 30 décembre 2016 n'ont pas été évalués correctement ou, à tout le moins, que les explorations auxquelles il a été procédé n'ont pas été suffisantes pour un patient présentant de tels symptômes et porteur d'une dilatation connue de l'aorte ainsi que cela ressort, en particulier, d'un compte-rendu d'examen cardiologique établi le 21 décembre 2016 par le chef du service de médecine A du centre hospitalier de Manosque. Les éléments d'information contenus dans les rapports de ces mêmes experts, dont les conclusions à cet égard sont suffisamment documentées, permettent de considérer avec une certitude suffisante, que, faute que les diligences nécessaires aient été accomplies lors de sa première prise en charge par le service des urgences, M. H... a été privé de chances de survie qui peuvent être évaluées à 80 %.

Sur les indemnités provisionnelles :

S'agissant du préjudice économique de l'épouse et de la fille de M. H... :

5. Devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, les requérants ont limité leurs conclusions à l'attribution d'indemnités réparant, à titre provisionnel, les préjudices correspondant à la douleur morale de l'épouse et des enfants majeurs de M. H..., aux préjudices personnels de ce dernier entrés dans son patrimoine avant son décès, ainsi qu'à la douleur morale des parents de M. H..., à l'exclusion de tout préjudice de nature matérielle ou économique. Il en résulte que les conclusions tendant à l'attribution d'une indemnité provisionnelle réparant les préjudices matériels et économiques de Mmes B... et C... H..., épouse et fille de M. A... H..., sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.

S'agissant des préjudices des parents de M. H... :

6. Il est constant que les parents de M. A... H... sont décédés respectivement le 12 juin 2017 et le 9 mars 2019, soit antérieurement à l'introduction de la demande de première instance, enregistrée au greffe du tribunal administratif de Marseille le 7 mai 2019. Mme C... H... et son frère, M. E... H..., qui se présentent comme les héritiers de leurs grands-parents paternels, n'établissent toutefois pas en être les seuls successibles ni, par suite, être les seuls créanciers susceptibles de bénéficier des indemnités destinées à réparer les préjudices entrés dans le patrimoine de leurs grands-parents avant leur décès. Ainsi, et dès lors qu'aucune des pièces du dossier ne permet de déterminer la part susceptible de leur revenir sur l'héritage des parents de M. A... H..., la créance dont ils se prévalent à cet égard ne peut être regardée comme présentant un caractère suffisamment certain au sens des dispositions rappelées ci-dessus de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.

S'agissant des préjudices personnels de M. A... H... :

7. M. A... H... a enduré des souffrances physiques, évaluées à 2 sur une échelle de 7, ainsi qu'un préjudice d'anxiété. De tels préjudices peuvent, en l'espèce, être évalués à la somme de 8 000 euros. Il y a donc lieu, après application du taux de perte de chance, d'allouer, à titre provisionnel, une somme de 6 200 euros à ses héritiers.

S'agissant des préjudices de Mme B... H... et des enfants de M. A... H... :

8. D'une part, le préjudice d'affection éprouvé par Mme B... H... du fait du décès de son époux, qui présente un caractère incontestable dans son principe, peut être évalué à la somme de 25 000 euros. Il y a donc lieu, après application du taux de perte de chance, de lui accorder une indemnité provisionnelle de 20 000 euros.

9. D'autre part, le préjudice d'affection éprouvé par Mme C... et M. E... H..., respectivement âgés de 22 et 26 ans à la date du décès de leur père, qui présente également un caractère incontestable, peut être évalué à la somme de 6 500 euros chacun. Il y a donc lieu, après application du taux de perte de chance, de leur accorder, chacun, une indemnité provisionnelle de 5 200 euros.

10. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif de Marseille, et de condamner le centre hospitalier de Manosque à payer, aux héritiers de M. A... H..., une indemnité provisionnelle de 6 200 euros, à Mme B... H..., une indemnité provisionnelle de 20 000 euros, et à Mme C... H... et M. E... H..., une indemnité provisionnelle de 5 200 euros chacun.

11. Il résulte des dispositions de l'article 1231-7 du code civil qu'en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Ainsi la demande des consorts H... tendant à ce que leur soient alloués, à compter de la date de la présente ordonnance, des intérêts au taux légal sur la provision mise à la charge du centre hospitalier, est dépourvue de tout objet et doit donc être rejetée.

12. La présente ordonnance, qui condamne le centre hospitalier de Manosque au paiement d'une somme d'argent n'appelle pas de mesure d'exécution particulière. Par conséquent, les conclusions des consorts H... tendant à ce que l'ordonnance soit assortie d'une astreinte en application de l'article L. 911-3 du code de justice administrative doivent être rejetées.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier le versement aux consorts H... de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE

Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 17 octobre 2019 est annulée.

Article 2 : Le centre hospitalier de Manosque est condamné à payer, à titre provisionnel :

- aux héritiers de M. A... H..., une somme de 6 200 euros ;

- à Mme B... H..., une indemnité de 20 000 euros ;

- à Mme C... H... et à M. E... H..., une somme de 5 200 euros chacun.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le centre hospitalier de Manosque versera aux consorts H... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... F... épouse H..., à Mme C... H..., à M. E... H... et au centre hospitalier de Manosque.

Copie en sera adressée pour information à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes.

Fait à Marseille, le 1er octobre 2020.

2

N° 19MA04677


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Numéro d'arrêt : 19MA04677
Date de la décision : 01/10/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-03-015 Procédure. Procédures de référé autres que celles instituées par la loi du 30 juin 2000. Référé-provision.


Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP MARCHESSAUX CONCA CARILLO

Origine de la décision
Date de l'import : 18/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-10-01;19ma04677 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award